travail proposé par Véronique Breyer, Argenteuil
1. Les principes du travail :
Ce n’est pas du côté des connaissances scientifiques que se situe la présentation de cette progression mais plutôt de la façon dont on peut rendre ces connaissances plus abordables et plus intéressantes pour les élèves par le biais de pratiques d’écriture créatives et d’une sensibilisation à une réflexion sur la façon dont les auteurs pensent leur écriture – et donc sur le fait qu’ils ne peuvent la penser entièrement.
Il s’agit de trouver des principes de travail qui permettent un engagement des élèves. Ces principes sont essentiellement les suivants :
mettre en echo lecture et écriture de façon à chaque fois à sensibiliser à l’objet littéraire étudié, à l’analyse de cette écriture soit : la série noire française contemporaine ; le roman naturaliste ; le théâtre romantique...
créer par l’écriture des situations qui transcendent l’époque et le courant concernés, engagent l’élève, le placent dans un processus de sensibilisation et de goût de la lecture littéraire – ce qui ne recouvre en aucun cas l’idée de moderniser des thématiques, mais plutôt de créer des échos.
accorder une grande importance aux textes écrits par les élèves – sur propositions d’écriture- , toujours en modules, de façon à ce qu’ils puissent les oraliser, à ce qu’il y ait une prise de conscience individuelle et collective -accompagnée par le professeur- de ce qui s’est joué dans l’écriture proposée.
2. Séquence 1 : La série noire française contemporaine : ses enjeux d’écriture.
A. Lecture :
a) Sensibilisation :
Les élèves constituent des groupes de 4 qui lisent une nouvelle dont ils rendent compte aux autres. Comment résumer l’intrigue ? Qu’y a-t-il de marquant dans la thématique ? la manière d’écrire ?
Rodéo d’or , Daeninckx (Leurre de vérité) : intérêt du découpage temporel.
Mort en l’île, Daeninckx (Autres lieux) : les différents narrateurs.
Salut et liberté, Vargas : un décor, des personnages réels, irréels à la fois.
La chasse au tatou dans la pampa argentine, J.B.Pouy : l’humour, l’inattendu, le jeu à l’état presque pur.
b) Définition de la série noire :
Cette définition passe pour eux par plusieurs prises de conscience :
Dans la série noire, contrairement au roman policier classique, on trouve bien un meurtre, un délit ou plusieurs mais le traitement est plus important que la résolution de l’enigme. Très souvent on connaît le meurtrier. Là n’est pas la question.
Si là n’est pas la question, alors où est-elle ? Dévoilement singulier du réel.
Les manières déconcertantes d’écrire : les textes « découpés » ; les changements de narrateurs désignés ; les blancs du récit, parfois désignés : les failles où se « loge » le lecteur. Pratiques d’écriture propres à un genre mais propres aussi à un siècle.
En même temps, le roman de série noire constitue un travail « traditionnel » : on conserve l’idée d’une histoire, il y a un début, un milieu et une fin.
Aborder la série noire en début de seconde, c’est une manière de faire sentir une rupture entre des nouvelles souvent abordées au collège et des questions d’écriture propres au XXème et au XXI ème siècles et qui les occupent.
c) Etude de trois nouvelles :
Ouvrage choisi : Trois nouvelles noires, Bibliothèque Gallimard.
Ah, que la montagne est belle ! , J.B.Pouy.
Tirage dans le grattage, D.Daeninckx.
A vol d’oiseau, C.Pelletier.
Ces nouvelles sont accompagnées d’un ensemble critique comportant des analyses pertinentes et un entretien avec chacun des auteurs.
Le travail avec les élèves s’est organisé de la manière suivante :
Travail sur les incipits : personnages, lieux, intrigue, point de vue.
Première caractérisation des différentes écritures.
Les différentes étapes des récits
Le rapport incipit/excipit ; la chute
Le sens du titre.
d) Questionnement sur le travail de l’écriture : les interviews des trois auteurs
Lecture des interviews des auteurs sur leur écriture, leurs intentions dans l’écriture.
Peut-on dire ou non qu’il y a adéquation des intentions affichées et de l’écriture ?
Plusieurs constats sont faits à cette occasion : chaque auteur envisage l’écriture d’une manière très particulière mais surtout la façon dont chacun auteur parle de son écriture n’est pas nécessairement son écriture. Daeninckx correspond à ce qu’il en dit. Pouy parle de l’Oulipo et des contraintes et se contredit dans ses propos. Chantal Pelletier est très psychologisante : elle raconte beaucoup sa vie alors que son écriture n’apparaît en aucun cas comme reflétant une histoire personnelle et qu’elle est plus intéressante que son « vécu », plus intéressante aussi que ce qu’elle dit de son écriture.
Tout programmer lorsqu’on écrit, de quelque côté qu’on le prenne, n’est pas possible. Cet élément majeur de réflexion qui découle des constats précédents est important à souligner à ce moment-là de l’année pour les élèves car cela ouvre l’écart et la liberté pour leur propre écriture.
On peut passer ensuite à un travail d’argumentation : quelle conception/ mise en oeuvre de l’écriture préfèrent-ils ? Pourquoi ? Ce travail est une objectivation de ce qui a été réfléchi et constaté précédemment mais leur permet aussi d’adopter un positionnement par rapport à l’écriture, positionnement qui peut d’ailleurs ne pas être issu de la réflexion qu’ils ont menée...
B. Ecriture :
Première proposition d’écriture : Faire le portrait d’un SDF dans un lieu ouvert. (½ heure)
Seconde proposition d’écriture (donnée une fois que le première partie est terminée par tout le monde) : Rédiger une page de journal dans laquelle le SDF raconte comment il a fait la découverte d’un cadavre.
Enjeux de ces propositions :
Permettre d’écrire d’emblée le personnage et le monde, le monde d’aujourd’hui. Le SDF est un personnage qui fait partie du paysage et aussi de l’imaginaire de tous. Il traverse. Il oblige à un choix significatif des vêtements, objets, attitudes qu’on lui assigne. Il y a dans ce choix toute la force du rapport au réel contemporain. Une manière d’écrire s’instaure alors, qui, parce qu’elle permet ce rapport au réel et un positionnement personnel, est ressentie par les élèves comme libératrice.
Avec le jeu sur les points de vue qu’implique la seconde proposition, il s’agit de permettre facilement de prendre conscience du travail nécessaire sur la langue pour rendre lisible et vraisemblable le récit.
Tenter de faire ressentir aux élèves ce que peut être une écriture contemporaine en leur faisant adopter un positionnement qui les y oblige.
Suivi de l’écriture :
Lecture et commentaire par le professeur de ce qui fait la singularité de chaque texte. Ce passage est essentiel pour une prise de conscience de sa propre écriture, du processus d’écriture en général.
Questionnement collectif sur la façon dont l’écriture s’est mise en place. Elle a souvent été permise par un mélange de réel et d’imaginaire, par l’agencement souvent conscient des deux, l’idée corrélative qu’en tel lieu de l’imaginaire, qu’en tel lieu réel – et souvent au même degré- , on trouverait de « l’inspiration ».
Questionnement important parce que l’écriture de la seconde séquence ne sera pas identique, qu’elle sera plus contrainte mais qu’elle permettra l’approfondissement de la question du rapport entre réel et imaginaire, réel et re-création du réel, réel et création, donc.
C. Lecture 2 :
Lecture non contrainte de 4 romans de série noire. Discussion.
O dingos, ô châteaux, J.P.Manchette.
La petite écuyère a cafté, J.B.Pouy.
Meurtres pour mémoire, D.Daeninckx.
Pars vite et reviens tard, F.Vargas.
Transition : lecture aux élèves de l’incipit de Nadine Mouque, Hervé Prudon : une image de la banlieue, très noire. Un style très fort, comme du rap très syncopé.
3. Séquence n°2 : Le roman naturaliste
C’est mon second principe de travail qui m’a permis de passer de la première à la seconde séquence : créer par l’écriture des situations qui transcendent l’époque et le courant concerné, engagent l’élève, le placent dans un processus de sensibilisation et de goût de la lecture littéraire.
A. Ecriture :
Les élèves ont été divisés en deux groupes. Le premier écoutait une conférencière faire l’historique de la dalle d’Argenteuil pendant que le second prenait des notes personnelles sur cette même dalle. Le tout se faisant in situ. On aurait pu penser qu’il fallait dissocier les 2 moments mais le processus de réappropriation de son propre quartier s’est fait grâce à la conférence. Après ce travail d’enquête à la manière de Zola, et présenté comme tel, est venue, en classe, la première proposition d’écriture.
Proposition d’écriture : faire une description de la dalle d’Argenteuil en faisant si possible revivre son histoire et en utilisant les notes prises à partir de la conférence et les notes prises personnellement.
Cela oblige à choisir un narrateur et souvent à faire intervenir un personnage par le truchement duquel cette description va pouvoir avoir lieu. Il y a aussi les cas où le personnage découvre pour la première fois -supposément- le quartier.
Discussion avec les élèves sur leur travail d’écriture : contrainte importante des informations. Il y a souvent l’idée d’une interaction forte entre le parti pris narratif choisi et la nécessité de choisir et d’intégrer des informations.
En tant qu’enseignant, tentant d’écrire en suivant la proposition donnée aux élèves, on découvre à quel point l’idée d’enquête de Zola, l’idée aussi de court séjour -ici de courte visite- sur les lieux que l’on souhaite travailler peut être créateur dans l’interaction entre les notes et informations prises et la nécessité de créer une trame qui permette leur utilisation, qui permette aussi de les « faire parler » d’une certaine manière. En tant qu’enseignante, ce travail m’a permis de mieux comprendre le naturalisme zolien.
Commentaires sur les différentes formes d’écriture prises pour l’écriture de la dalle. L’accent est souvent mis sur les lignes, les couleurs, les objets disparates, dont on ne connaît pas la provenance. Il est souvent mis sur aussi le rapport à l’histoire, le rapport au milieu dont les personnages sont issus. Le lien entre le lieu habité et le personnage choisi, narrateur ou pas est raconté.
Le manque de précisions parfois ne permet pas d’accrocher le lecteur – ce qui met en cause la qualité du travail d’enquête mené en premier lieu ; ce qui est un enseignement très intéressant pour les élèves à plus d’un titre.
B. Lecture :
a) L’incipit de Germinal : étude des lignes, des couleurs... L’entrée en scène d’Etienne.
Lecture analytique.
C’est-à-dire, on entre dans Germinal comme Etienne entre dans le roman, comme l’écriture a fait découvrir la dalle souvent grâce à un personnage créé. On a bien affaire ici à un topos du roman mais un topos introduit de façon à le rendre perceptible directement et indirectement.
b) Les ébauches de Germinal :
Des ébauches à l’écriture définitive.
Les différences de position et d’intention à l’égard d’Etienne. Pourquoi et comment il devient « porteur ».
c) Le parcours d’Etienne dans Germinal :
La découverte des lieux du travail et du travail lui-même par les yeux d’Etienne. Aux sources du naturalisme dans le regard d’Etienne découvreur, comme le porteur fictif de l’expérience réelle de Zola : un premier sens du naturalisme ; un premier sens de l’expérimentation.
Ou : comment se travaillent l’observation et le document.
C. Ecriture :
Propositions : au choix :
Faites le portrait comportant si possible des éléments familiaux et sociaux d’un personnage qui serait représentatif de la dalle.
Faites le portrait comportant si possible des éléments familiaux et sociaux d’un personnage qui serait représentatif d’une partie de la société d’aujourd’hui.
D. Lecture :
a) Gervaise : Ebauche de L’Assommoir qui permet de retrouver tous les éléments de l’expérimentation mêlés : la question du milieu, celle de l’hérédité, celle du tempérament.
b) Gervaise : étude de l’évolution de ses portraits dans L’Assommoir : évidence du jeu de « l’expérimentation » ; facilité aussi de la mise en lumière de toute la dramatisation mise en place dans l’Assommoir ; facilité de la mise en lumière du jeu des discours (cf autoportrait).
E. La mesure d’un écart :
Ici seulement intervention des textes théoriques de Zola : Le Roman Expérimental, la préface de Thérèse Raquin. Aller chercher ce qui à l’époque de Zola semblait nécessaire pour penser et mettre en oeuvre une écriture romanesque proche du réel. Cela permet de penser l’écart avec les textes écrits aujourd’hui par les élèves qui font beaucoup plus référence à l’histoire et au social.
Mais aussi, il s’agit avant de terminer la séquence de revenir sur la question de la singularité avec , en particulier les pistes données par J.Vassevière dans un article fait pour L’école des Lettres intitulé : « Zola, Maupassant et le naturalisme ». Dès ses premiers articles, le jeune Zola fait du « tempérament » la condition sine qua non du talent artistique. Il partage donc sur ce point les idées de Champfleury, Duranty et de bien d’autres. Le « tempérament », dans le vocabulaire de la critique esthétique, désigne couramment à l’époque la personnalité unique du peintre, qui garantit à la fois l’originalité et la puissance de sa vision. Dans son Salon de 1846, Baudelaire considère ainsi que le point de vue de la critique doit être « l’individualisme bien entendu : commander à l’artiste la naïveté et l’expression sincère de son tempérament, aidée par tous les moyens que lui fournit son métier. Qui n’a pas de tempérament n’est pas digne de faire des tableaux, et, – comme nous sommes las des imitateurs, et surtout des éclectiques, – doit entrer comme ouvrier au service d’un peintre à tempérament ». Les premiers articles de critique littéraire et artistique de Zola accordent au tempérament une importance décisive qui prime même l’observation : « [...] je me moque de l’observation plus ou moins exacte, lorsqu’il n’y a pas une individualité puissante qui fasse vivre le tableau. » »
production d’élève : doc-647