Comment passer de l’injonction à lire au plaisir de lire ? 1 - Genèse d’un projet alliant lecture et oral

, par Audrey Scottez

Comment amener les élèves à développer le plaisir de lire ? Quelles activités d’oral proposer, avec quelle progression, pour développer, conjointement chez les élèves, des compétences de lecteur et des compétences orales ? Tel est le questionnement qui nous a animée et qui est à l’origine de l’élaboration de ce projet : emmener les élèves en « Voyage au pays des livres ».
Nous vous proposons de suivre ce projet au travers de plusieurs articles qui, publiés sous la forme d’épisodes, s’attacheront à répondre à ces différentes questions.
Ce premier article s’intéresse à la genèse du projet qui allie lecture et oral : pourquoi et comment mener un projet lecture en classe de 6ème ?

Même lorsqu’il présente une bibliographie comportant divers ouvrages, qu’il a pourtant sélectionnés avec soin et qu’il présente avec enthousiasme à sa classe, quel professeur n’a jamais été confronté à ces questions de la part de ses élèves ?

Combien y-a-t-il de pages ? - Ce sera noté ? - Il faut le lire pour quand ? - Nous devrons faire un résumé, une fiche de lecture ? - Il y aura un contrôle ?

Ces questions montrent que, dans le contexte de la classe, la lecture apparaît, aux yeux de nombreux élèves, quelle que soit d’ailleurs leur appétence pour la lecture, comme un exercice scolaire, supplémentaire, imposé par le professeur, qui peut s’avérer fastidieux et tourner au supplice. Proposée en classe, la lecture peine à être associée à une pratique personnelle, à un acte de loisir susceptible de susciter plaisir et satisfaction.
Or, en tant que professeur, nous voudrions transmettre notre plaisir de lire. Nous souhaiterions susciter la curiosité des élèves, voir leur envie s’aiguiser devant notre présentation d’ouvrages, certes chez ceux qui ont déjà développé le goût de lire, mais aussi – et surtout – chez ceux qui ne lisent pas ou peu. Nous aimerions qu’ils sortent tous de la classe enthousiastes à l’idée de lire un des livres de la bibliographie présentée, si ce n’est plusieurs.

Comment dès lors passer de l’injonction à lire au plaisir de lire ? Comment faire de l’oral un levier pour faire naître le plaisir de lire ?

Mettre le projet en œuvre

Nous avons choisi d’élaborer ce projet lecture et oral en partenariat avec la professeure documentaliste et la libraire de la ville, dans le cadre du dispositif départemental « Jeunes en librairie » [1]. Nous menons ce projet, dans le cadre de l’accompagnement personnalisé en 6ème, de novembre à juin. Ce projet est donc complémentaire aux lectures menées au sein des séquences, afin de renforcer les compétences de lecture longue des élèves.

À travers ce projet, les élèves sont amenés à découvrir différents acteurs du livre (libraire, auteur, bibliothécaire, critique littéraire) et prennent conscience que le livre n’est pas un objet scolaire. Ils apprennent à rendre compte de leur lecture sous diverses formes et leurs travaux sont valorisés. Ainsi, les critiques écrites des élèves, concernant les livres sélectionnés, sont mises en avant, sur les livres, à la librairie, à la médiathèque et au CDI. Les travaux oraux des élèves, quant à eux, sont publiés sur le site E-sidoc. Ainsi, leurs présentations de livre sortent du cadre purement scolaire pour donner envie à d’autres lecteurs de lire les livres de la sélection.

Il s’agit, pour les élèves, de lire cinq livres sélectionnés par le professeur de français et la documentaliste, dont la lecture se fait à la maison à raison d’un livre toutes les quatre à cinq semaines. Le travail de lecture est rythmé par le professeur et accompagné par le fait même que les élèves sont invités à rendre compte de leur lecture à l’oral, sous forme de présentations orales empruntant à des modalités chaque fois différentes.

Nous nous demandons souvent comment travailler la compétence orale en classe. Dans ce projet, la répétition des activités orales et leur complexification progressive permettent de faire en sorte que « les élèves identifient l’oral en production, en réception et en interaction comme un objet d’apprentissage. » [2]

Le travail sur ces présentations est, quant à lui, mené en classe, le plus souvent dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, où les élèves sont en demi-groupes. Les élèves poursuivent ce travail chez eux et s’entraînent à l’oral sur monoral.net afin de bénéficier des conseils du professeur.

  • Consulter les deux infographies interactives pour découvrir le projet dans le détail.


    1- La sélection des livres : selon quels critères les choisir ? Comment amener les élèves à avoir envie de lire ?




    2- Calendrier du projet à l’année




Déscolariser le livre

Le projet lecture « Voyage au pays des livres » a pour objectif de déscolariser le livre, c’est-à-dire de faire sortir le livre du statut d’objet scolaire, imposé par le professeur, dans le cadre d’un exercice. Il s’agit de changer la représentation des élèves sur la lecture à l’école, mais aussi, pour certains, sur la lecture en général. Passer de « lire est un effort que le professeur m’impose » à « lire est une activité que je suis fier d’avoir accomplie, une activité qui me procure du plaisir, une activité que je veux faire partager ».


Comment déscolariser le livre ?

  • La mise en place d’un partenariat avec différents acteurs du livre est une première stratégie. Le travail en partenariat avec la documentaliste, la libraire et la bibliothécaire, la visite de lieux dédiés aux livres, la rencontre avec un auteur et l’achat libre et personnel de livres, à la librairie, montrent aux élèves qu’on lit et parle de livres en dehors de l’école. L’objet livre n’est pas un objet poussiéreux, rangé sur une étagère, ou un objet scolaire ; il devient un objet incarné, né de l’imagination d’une personne réelle, un objet de transmission, celle du plaisir de lire.
  • Une seconde stratégie consiste à s’appuyer sur une pédagogie de projet [3] pour créer un espace temps différent dédié à la lecture. Dans le cadre de ce projet lecture et oral, le rôle de l’enseignant est surtout de proposer un cadre dans lequel chacun a une place, chacun peut agir en tant que lecteur et récepteur de la lecture d’un pair. L’élève peut prendre le temps de lire et de faire partager sa lecture.
Mener un projet sur un an peut paraître long pour des élèves de 6ème, mais cela permet de rythmer l’année, grâce aux différents temps forts présentés. De plus, le fait même d’inscrire la lecture dans un projet permet de sortir le livre du cadre traditionnel de la classe tel que les élèves se le représentent. Cela permet également de se projeter et de créer un lien entre les différentes activités conduites autour de la lecture. En effet, les élèves sont amenés à réinvestir les compétences orales acquises lors d’une activité, à les approfondir dans l’activité suivante et à mesurer leurs progrès.

Ainsi, le fait de sortir le livre du cadre purement scolaire nous paraît un levier essentiel pour changer le regard des élèves et agir sur leur motivation à lire.

Agir sur la motivation à lire

Pourquoi agir sur la motivation ?

Nous savons à quel point la motivation intrinsèque, c’est-à-dire la « pratique d’une activité parce qu’on en retire du plaisir et une certaine satisfaction » [4], est un levier essentiel.

Le fonctionnement de la motivation et les difficultés de l’activer.

Comment susciter le désir d’apprendre ?
C’est parce qu’elle a fait ce chemin et récusé, tout à la fois, les conceptions de « l’apprentissage sur commande » et de « l’apprentissage spontané » que la pédagogie a construit la problématique de la motivation. On doit à Célestin Freinet de l’avoir formulée de la manière la plus forte quand il explique qu’au cœur de son travail il y a la question fondatrice : « Comment faire boire un cheval qui n’a pas soif ? ». Mais la formule n’en reste pas moins ambiguë : en effet, quand il s’agit de faire boire un cheval qui n’a pas soif, on peut se contenter d’attendre : le cheval finira toujours par avoir soif. Mais, quand un élève n’a aucune appétence pour les mathématiques, il ne suffit pas de l’en priver pour qu’il réclame le théorème de Pythagore… C’est pourquoi la question de la motivation ne peut se réduire à l’invocation incantatoire de « l’intérêt de l’élève » : en effet, quand on parle d’« intérêt », on ne sait jamais s’il s’agit de « ce qui l’intéresse » ou de « ce qui est dans son intérêt ». Et, précisément, c’est parce que « ce qui l’intéresse » n’est pas toujours « dans son intérêt » – et vice-versa ! – que la motivation fait question.
Pour avancer sur cette question, il faut d’abord écarter l’idée que la motivation devrait nécessairement précéder la transmission. (…) Le rôle du pédagogue n’est pas d’attendre que le désir émerge – ou, même de chercher désespérément à greffer des savoirs nouveaux sur des motivations existantes –, mais bien de créer les conditions pour que tous les élèves se mobilisent pour acquérir les savoirs qu’on juge nécessaires à leur développement. [5]

Cette expérimentation vise à agir sur la motivation des élèves à lire en déconstruisant leur représentation qui s’exprime souvent en ces termes « Je n’aime pas lire », afin d’améliorer leurs performances de lecteur et de « compreneur ». Marina Tual montre en effet que « les élèves qui rencontrent des difficultés lisent généralement peu et perdent ainsi d’innombrables occasions de s’exercer et d’apprendre de ce qu’ils ont lu. » [6] Les élèves entrent alors dans un cercle vicieux : Je lis difficilement, donc je lis peu. Je lis peu, donc je lis difficilement.
Dans ce projet, la présentation des livres à lire sous la forme d’une enquête met tout de suite les élèves en position d’acteurs qui se questionnent sur les livres proposés et, de ce fait, qui s’y intéressent. Ils ressentent en eux-mêmes l’envie de lire un des livres pour vérifier leurs hypothèses et comprendre la présence de certains objets sur les tables, qui leur ont semblé énigmatiques de prime abord. Cette motivation est renforcée par la liberté qui leur est offerte de choisir le livre par lequel ils commencent leur lecture.
Ainsi, si les élèves prennent du plaisir à lire, si nous parvenons à les motiver à lire, gageons que les élèves liront davantage. Ils entrent alors dans un cercle vertueux.

Je prends plaisir à lire, donc je lis. Je lis, donc je comprends mieux. Je comprends mieux, donc je prends du plaisir à lire.



Pourquoi l’oral comme levier de motivation ?

L’acte de lecture est motivé par le but donné aux activités orales : il s’agit de présenter son livre à l’oral pour rendre compte de sa compréhension, mais aussi – et surtout – pour donner envie à d’autres de lire. La diversité des activités orales menées autour de la lecture permet d’éviter la lassitude liée à la répétition et de montrer aux élèves qu’il existe des formes très variées pour parler de ses lectures.
Associer la lecture à des présentations orales permet ainsi de travailler sur l’engagement en lecture qui, comme l’ont montré Guthrie et Anderson [7], suppose de travailler sur la motivation : plutôt que de lire pour lire ou de lire pour répondre à des questions, les élèves vont lire à quelqu’un, lire pour quelqu’un, lire pour faire quelque chose.

Selon ce modèle, l’engagement dans la lecture n’est pas uniquement considéré comme une caractéristique individuelle de l’élève, car chaque élément du cycle est influencé par les pratiques sociales - échange avec des professeurs, des documentalistes, des libraires, des bibliothécaires, mais aussi des camarades.


Pourquoi lire ?
L’oral invite ainsi à travailler sur ces interactions sociales autour de la lecture. Il permet de donner du sens et apporte une réponse à ces questions : « À quoi sert ma lecture ? Qu’est-ce que je vais en faire ? »
L’oral permet, non seulement de donner du sens à l’activité pour celui qui pratique l’activité de lecture, de la motiver, mais il permet aussi d’agir sur la motivation des autres. En effet, les élèves sont davantage enclins à lire un livre qui leur a été présenté par un pair, auquel ils s’identifient plus facilement et qui, dans leur représentation, partage le même rapport à la lecture. Les conseils du professeur de français sont toujours les bienvenus, mais il s’agit, pour eux, des conseils d’un lecteur expert qui, de toute façon, aime lire. D’après les élèves, les chances sont donc plus grandes d’apprécier un livre qui leur a été recommandé par un pair. Les présentations orales des autres élèves incitent ainsi davantage à lire.

Grâce à l’oral, le travail des élèves n’est plus destiné au seul professeur, mais à leurs pairs et à un public plus large.

  • Dans un premier temps, le travail oral permet de présenter le livre aux autres élèves de la classe pour les inciter à lire.
  • Le fait de publier ensuite ces travaux sur le site du CDI ouvre leurs productions aux autres élèves du collège.
  • Enfin, les élèves présentent certains de leurs travaux à la librairie, à la médiathèque et à l’auteur rencontré, ce qui permet de rendre leurs travaux visibles et, ainsi, de les valoriser.

Le cercle s’élargit progressivement pour sortir du cadre strictement scolaire et se constitue ainsi une communauté de lecteurs.

Notes

[1« Jeunes en librairie », un dispositif d’EAC en Île de France
L’opération « Jeunes en librairie », déployée à l’échelle nationale, dans le cadre du plan de relance pour le livre, s’adresse aux jeunes collégiens et lycéens. Ainsi leur sont proposés des projets portés par des binômes établissement scolaire/ librairie indépendante.

[2L’oral est une compétence à travailler en cours de français, comme nous le rappellent les programmes du cycle 3 : « Le langage oral, qui conditionne également l’ensemble des apprentissages et constitue aussi un moyen d’entrer dans la culture de l’écrit, continue à faire l’objet d’une attention constante et d’un travail spécifique. »https://www.education.gouv.fr/les-programmes-du-college-3203

[3Ce projet est défini au sens que lui donne Philippe Meirieu, un projet « qui rassemble et permet de se projeter dans le futur, un projet qui donne forme à des espoirs et les rend accessibles, un projet qui permet de concrétiser du « possible » » https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/projet.htm

[4Lire et apprendre au collège : évaluation d’un dispositif de remédiation des difficultés de lecture en 6ème, Marina Tual, 2020, p.30.

[6Lire et apprendre au collège : évaluation d’un dispositif de remédiation des difficultés de lecture en 6ème, Marina Tual, 2020, p.30.

[7L’engagement dans la lecture, Guthrie et Anderson, 1999 cité dans l’article « Travailler la lecture à haute voix », Marie-Anne Bernolle, 2022

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