Laurent Bernal, Lycée Clément Ader, Athis-Mons
Céline Calmet, Lycée Joliot-Curie, Nanterre
Maud Carlier-Sirat, Lycée Jean-Jacques Rousseau, Sarcelles
Isabelle Ducoin-Moulard, École européenne de Paris, La Défense
Julie Fernandez, Lycée Jean Monnet, Franconville
Lionel Garcia, Lycée Marie Curie, Versailles
Agnès Jauffrès, Lycée Agora, Puteaux
Ingrid Mary, Lycée Gustave Monod, Enghien-les-Bains
Samy Plaisance, Lycée Fragonard, L’Isle-Adam
Leïla Platz, Lycée international, Saint-Germain-en-Laye
Francesco Schiariti, Lycée Vincent Van Gogh, Aubergenville
En 2011, Patrick Laudet, inspecteur général de lettres, écrivait, dans une intervention consacrée à l’explication de texte littéraire : « s’assurer authentiquement d’une bonne compréhension « littérale » des textes étudiés n’est pas un luxe » [1]. Quel état des lieux faire aujourd’hui ? Nos élèves lycéens sont-ils suffisamment invités à comprendre et accompagnés dans leur compréhension ?
À première vue, le cœur de notre mission de professeurs de lettres au lycée serait de faire entrer très tôt les élèves dans l’analyse et l’interprétation des textes, l’enseignement de la compréhension étant mis en œuvre depuis de nombreuses années dans le premier degré et de plus en plus au collège. Pourtant, dans nos classes, entre un quart et la moitié de nos élèves rencontrent des difficultés de compréhension [2]. S’attacher à renforcer cette compétence n’est donc pas, en effet, « un luxe ».
« Compréhension de l’écrit » : de quoi parle-t-on exactement ?
Comprendre un texte est une activité complexe. On peut, avec Maryse Bianco [3], tenter d’en démonter, schématiquement, les mécanismes, même si, dans les faits, ces derniers sont simultanés d’une part, et d’autre part, largement inconscients et invisibles.
Ils s’opèrent à plusieurs échelles :
- Identification des mots par le décodage et activation de leur signification,
- Mise en relation des mots dans la phrase de manière à constituer une unité de sens,
- Mise en relation des phrases entre elles (cohérence locale) et élaboration d’un sens d’ensemble cohérent (cohérence globale).
L’objectif de lecture est de construire une image mentale cohérente, de se représenter la situation mise en place (notamment dans des textes narratifs ou théâtraux) ou, plus généralement, de saisir un propos d’ensemble.
Pour se faire cette image, le lecteur que Maryse Bianco appelle « compreneur fluide et stratège » doit sans cesse faire le lien entre le détail du texte et l’ensemble : le sens doit se construire dans une mémoire de travail qui fait le lien entre toutes les informations.
En outre, le lecteur habile est capable d’être flexible : s’étonner, faire des allers-retours, savoir ralentir quand c’est nécessaire. Il faut accepter que sa compréhension soit provisoire, qu’elle puisse être remise en question dans la suite du texte. Autrement dit, il faut pouvoir contrôler, évaluer sa compréhension, réguler sa lecture.
A contrario, un petit lecteur aura des difficultés à atteindre cette autonomie, d’autant plus que, comme on l’a dit, ces opérations sont simultanées et largement inconscientes. Sylvie Cèbe et Laurent Goigoux [4] , étudiant les difficultés des jeunes élèves, ont montré qu’ils ont une représentation de le lecture erronée. Pour eux, lire, c’est comprendre des mots. C’est pourquoi ils se découragent quand les mots leur paraissent difficiles, ou bien « picorent » dans le texte, dans l’objectif de répondre à une question, en fonctionnant par « îlots de compréhension », sans parvenir à se faire une image mentale globale du texte. Si l’on n’enseigne pas explicitement les opérations invisibles qui mènent à la compréhension, la tâche peut paraître inaccessible, d’autant qu’au fil du temps, les tâches se complexifient et qu’on demande aux élèves d’avoir un esprit critique, d’utiliser ce qu’ils ont lu, de comparer, de synthétiser afin de construire à la fois des habiletés et une culture scolaire.

Comprendre pour interpréter / comprendre pour restituer le sens
Textes littéraires et textes de littérature d’idées
Nous nous sommes proposé, dans ce dossier, de distinguer les deux types de lecture en classe de français : lecture des textes littéraires et lecture des textes de littérature d’idées. Bien entendu, les processus généraux de compréhension restent valables pour tous types de textes, et les textes de littérature d’idées sont aussi des textes littéraires.
Nous retiendrons cependant deux concepts de Maryse Bianco pour les distinguer :
- Les différents genres appellent des modes de lecture différents. On ne lit pas un texte de théâtre comme on lit un texte narratif, un texte de fiction comme un texte argumentatif.
– Les textes de littérature d’idées envisagés dans une perspective de contraction tendent vers un propos univoque et se caractérisent par une modalité assertive permettant à l’énonciateur d’assumer son propos.
– Les textes littéraires envisagés pour un commentaire ou une explication se caractériseraient par une plus grande équivocité en jouant sur la polyphonie ou la polysémie. - On lit les textes de manière différente en fonction d’objectifs distincts. On lit les textes littéraires en intégrant leur dimension esthétique et on donne une large part à l’interprétation, on demande à l’élève de mobiliser sa culture et sa sensibilité pour élaborer du sens. Pour les textes de littérature d’idées envisagés dans une perspective de contraction, il s’agit de chercher le sens global, d’en hiérarchiser les informations et d’en déceler les intentions, en le situant dans un contexte plus large de débat d’idées.
Nous tenterons dans ce dossier :
- d’analyser les difficultés propres à chaque mode de lecture ;
- d’envisager les difficultés, les stratégies à mettre en place pour l’élève et les gestes professionnels des enseignants pour construire ces compétences chez leurs élèves.
Nous vous proposons, pour ce faire, trois expérimentations menées dans nos classes à partir de deux textes littéraires, et d’un texte de littérature d’idées.
Le premier volet s’intéressera à la lecture des textes littéraires, en seconde et en première.
Comment faire une place à la compréhension ? Comment faire en sorte que les « petits compreneurs » ne soient pas de simples spectateurs de l’interprétation, à laquelle ont accès surtout les plus habiles ?
Le second volet s’intéressera à la lecture de textes issus de la littérature d’idées, en seconde et en classe de première technologique.
Comment éviter de morceler le sens du texte ? Comment inviter l’élève à prendre conscience et confiance en ses capacités de compréhension et le rendre autonome ?
Deux leviers : la lecture à voix haute et la coopération
Nous nous sommes appuyés, dans nos expérimentations, sur deux leviers :
- La lecture à voix haute : dans la tradition scolaire, on l’envisage souvent d’une part pour tester et entraîner la fluence, d’autre part, à des fins d’interprétation. On oublie souvent ce que la respiration et la voix peuvent apporter à la compréhension littérale des textes : elles permettent de rendre intelligible la syntaxe, de hiérarchiser l’information, de souligner des inférences (reprises pronominales et nominales, connecteurs, inférences internes). Ce sont autant d’appuis à la compréhension. Comment exploiter, en classe de français, ce rapport vivant au texte ?
- La coopération [5] : comparer ce que l’on a compris, élucider ensemble un point difficile, remplir avec les autres les blancs du texte. La démarche est un puissant levier de compréhension. Elle est aussi un outil efficace pour aider l’élève à contrôler et à réguler son activité de lecture, ainsi qu’un outil de réflexivité intéressant à exploiter pour l’aider à prendre confiance et à être autonome dans sa lecture.
Les démarches que nous vous proposons dans ce qui suit favorisent l’autonomie des élèves : transposables à d’autres textes, elles tentent de développer leur réflexivité. De telles propositions ne peuvent toutefois porter leurs fruits que si des exercices d’élucidation collaborative du sens incitant à l’activité réflexive sont proposés de manière récurrente dès la classe de seconde.