Dans de nombreux domaines, lire demande de comprendre, sans nécessairement interpréter. Par exemple, en droit, le « le besoin d’interprétation n’est [...] pas systématique : le sens d’une règle juridique peut être clair, limpide [1] . » Dans l’idéal, sa compréhension suffit, l’interprétation est l’application à une situation particulière. Mais en littérature, comprendre et interpréter semblent indissociables.
En effet, comprendre suppose que l’on mette en cohérence les éléments du texte et qu’on opère des inférences, repère les réalités auxquelles les mots employés renvoient afin de se représenter une idée ou une situation. Par exemple, dans ce passage de la scène du Pauvre de Dom Juan :
il faut identifier la polysémie de jurer et appliquer le sens « proférer des imprécations, des jurons » [2]. Un lecteur qui traduirait « jurer » par « attester par serment » n’aurait ainsi pas compris cette réplique ni la réponse du Pauvre. Ce choix demande que l’on s’appuie sur le contexte - le Pauvre se récrie, refuse de commettre cet acte qui est pour lui un péché - c’est-à-dire sur la cohérence interne du texte, mais aussi sur le contexte historique et le poids de la religion catholique au XVIIe siècle, qui explique pourquoi le pauvre accueille cette idée avec horreur : il risque la damnation. La compréhension est univoque et peut être commune à tous les lecteurs.
Interpréter, en revanche, suppose qu’on apporte un éclairage supplémentaire, que le texte n’appelle pas de manière univoque. Dom Juan, « Grand seigneur méchant homme », cherche-t-il à tirer jouissance de sa position sociale en mettant à l’épreuve et en humiliant un pauvre hère ? Ou bien : ferait-il le pari de l’existence de Dieu et de sa colère en risquant la damnation du pauvre, et la sienne, par la même occasion ? Dans l’économie générale de la pièce, on peut aussi se poser la question de l’utilité première de cette scène. S’agit-il de critiquer implicitement l’hypocrisie religieuse ou de dresser un portrait plus ambigu du personnage de Dom Juan ? L’interprétation vivifie le texte littéraire, celle d’aujourd’hui enrichissant celle d’hier. L’interprétation est donc relative, personnelle et plurielle. Pour autant, elle doit se justifier, être cohérente avec le texte : plus elle est juste, plus elle repose sur un réseau d’indices qui peuvent appartenir au texte, mais aussi à son contexte, les liens qu’il tisse avec l’œuvre de l’auteur, son contexte d’écriture, d’autres œuvres ou événements historiques.
Les deux expérimentations que nous proposons ciblent quelques compétences en particulier, afin d’évaluer les difficultés des élèves face à deux textes présentant des types de difficultés différents.
De plus, afin d’envisager les deux textes dans leur singularité, nous nous sommes appuyés sur Catherine Tauveron, qui propose de distinguer deux sortes de textes [3] : certains se montrent « réticents », offrent peu de prises pour construire un sens global, par exemple à cause de la difficulté de leur syntaxe ; d’autres s’avèrent plus faciles d’accès, mais sont déroutants car « proliférants » [4].
- Expérimentation N°1 - Mener l’enquête sur un texte de théâtre contemporain pour le comprendre et l’interpréter
- Expérimentation N°2 - La mise en voix : stratégie de compréhension d’un texte difficile