En fin de cycle 4, on attend des élèves un oral en continu, dynamique, dans lequel ils développent un propos construit, répondant à une problématique et prenant en compte le destinataire. L’oral du DNB « permet notamment d’évaluer la qualité de l’expression orale. » (Éduscol - Les épreuves du DNB) : « c’est-à-dire une expression orale claire et adaptée aux situations de communication » (Programmes du cycle 4).
Or, si les professeurs proposent des exercices à l’oral, sous forme d’exposé par exemple, on se rend compte que les élèves sont moins accompagnés dans le travail préparatoire de l’oral. Les enseignants accompagnent la méthodologie du brouillon pour un travail écrit, mais le travail du brouillon d’oral est souvent mis de côté, d’autant que les effectifs des classes compliquent la mise en place d’un accompagnement personnalisé. De leur côté, les élèves perçoivent souvent la maîtrise des compétences orales comme innées ; elles ne nécessiteraient pas de travail spécifique.
Comment leur faire prendre conscience de la nécessité de travailler l’oral ? Comment alors accompagner les élèves dans le travail du brouillon d’oral ? Comment les faire progresser dans les compétences orales ?
Établir un diagnostic
Le présent projet a été organisé sur une année dans une classe de 3e.
Dans un premier temps, il s’agit, pour l’enseignant, dès le début de l’année, d’évaluer les acquis des élèves, leur degré de maîtrise des compétences orales, et d’observer les méthodes de travail. Pour cela, l’exercice du débat a semblé pertinent, car il mobilise plusieurs compétences : être capable de formuler une idée, de l’illustrer par un argument, de prendre en compte la réponse de l’interlocuteur. L’exercice plaît aux élèves, notamment parce qu’ils peuvent adopter une parole libre. Il est prévu de donner le sujet en amont afin de permettre aux élèves de le préparer.
Organiser un débat
Cet exercice a pour fonction de conclure une séquence sur l’autobiographie. On propose le sujet suivant : “Faut-il tout publier sur sa vie ?”. En amont de la séance, les élèves sont invités à préparer le sujet au brouillon, en vue de traiter la question à l’oral, et de venir en classe avec leur feuille, sans plus de précision. On remarque alors que les élèves ne préparent pas un oral comme ils le feraient pour un écrit. Si le sujet avait été donné en rédaction, certains auraient un plan, des idées et des exemples. L’oral est ici perçu comme un exercice plus instinctif, ne nécessitant pas de préparation développée.
Afin de permettre d’enrichir le brouillon, la classe est répartie en deux groupes : d’un côté, ceux qui devront développer la thèse selon laquelle on doit tout publier sur sa vie et, de l’autre, ceux qui défendront la thèse adverse.
Dans chacun des deux groupes, les élèves mettent alors en commun les arguments et les exemples trouvés en amont.
Sont à leur disposition :
- les cours pour étayer leurs arguments,
- des tablettes pour faire des recherches complémentaires éventuelles.
Ils peuvent s’appuyer sur les textes étudiés pendant la séquence, mais aussi sur leur culture, notamment des réseaux sociaux. Au fil des échanges entre eux, chacun note des idées sur son brouillon et étoffe son travail préparatoire. Chaque élève aura ainsi de la matière pour participer au débat. Il est à remarquer que, dans cette situation, aucun élève ne pense à rédiger.
Le débat peut alors commencer. Les élèves sont répartis en groupes de quatre, deux en faveur de la thèse, deux pour la thèse adverse. Le professeur souhaite conserver une trace de ce premier oral pour écouter les prestations de chacun et réaliser cette évaluation diagnostique. Une seule consigne est donnée : les élèves ne doivent pas arrêter l’enregistrement. Ils déposent donc une tablette au centre de la table et utilisent le dictaphone pour garder une trace.
Dans cet extrait, les élèves donnent leurs arguments, les uns après les autres. Ils ont des difficultés à utiliser un vocabulaire précis. Ils ne tiennent pas compte de leur auditoire et peinent à adopter un ton convaincant.
Dresser un premier constat
À la fin de la séance, le professeur dresse un bilan de ce travail avec la classe. Très vite, il ressort que les élèves ont apprécié l’exercice, mais que tous n’ont pas respecté les règles : certains ont arrêté l’enregistrement, l’ont supprimé pour le refaire ou ont appuyé sur la touche pause afin de trouver le mot juste avant de remettre l’enregistrement en marche.
Nous en déduisons que l’immédiateté de l’oral est une difficulté pour ces élèves qui veulent être dans une maîtrise totale du propos et qui peinent à formuler une idée. Ils ne souhaitent pas laisser une trace qui ne serait pas “parfaite” et entièrement maîtrisée, comme ils le feraient pour un travail écrit, alors même qu’ils ne l’ont pas préparé comme ils l’auraient fait pour une rédaction.
L’exercice du débat a permis de mettre en relief plusieurs difficultés :
- développer un propos,
- trouver sa parole propre sans calquer les mots d’une leçon,
- prendre en compte son auditoire.
C’est par le travail du brouillon que le professeur pourra les accompagner afin qu’ils prennent confiance dans leurs idées, dans leurs capacités à produire une parole continue et dans leur maîtrise des compétences orales.
Comment, alors, guider une classe dans le travail du brouillon d’oral ? Comment les guider dans ce travail réflexif que nécessite chaque brouillon, spécifiquement quand la tâche finale est une prestation orale ?
Accompagner les élèves dans le brouillon d’oral
Le brouillon écrit pour une prestation orale
À la suite de ce constat, le professeur choisit de travailler la capacité des élèves à argumenter. Il leur propose de produire un discours pour émouvoir leur auditoire et le convaincre de s’engager dans une cause qui leur tient à cœur. Cet exercice permet à la fois de travailler sur les procédés argumentatifs et sur la prise en compte de l’interlocuteur. On convainc avec les mots et le corps. Cela sera également l’occasion de travailler le brouillon d’un oral en continu. On distingue ici le ”brouillon oral”, soit un vrai travail de brouillon réalisé sur un support audio, à l’oral, du ”brouillon d’oral”, soit le travail de brouillon, quel qu’en soit le support, réalisé en vue d’une prestation orale.
Concernant la réalisation du brouillon, le professeur ne donne aucune consigne. Il souhaite en effet observer comment les élèves vont travailler, ainsi que les éventuelles évolutions par rapport au travail mené en début d’année. Pour cet exercice, les élèves choisissent de rédiger leur texte préparatoire à l’écrit, alors que, pour le débat, aucun n’avait ressenti le besoin de rédiger. Ils s’étaient contentés de coucher quelques notes sur leur feuille.
En parallèle, le professeur suggère toutefois à un élève, qui ne souhaite pas faire de brouillon, de s’entrainer en s’enregistrant. C’est pour le professeur également comme un test et cela permet d’observer comment l’élève se comporte dans son usage d’une sorte de brouillon oral, puisque réalisé uniquement sous forme de notes audio. À ce stade, l’élève ne réécoute pas ses productions et préfère s’enregistrer à plusieurs reprises, comme s’il pouvait évaluer lui-même, dans l’immédiateté de la réalisation de l’exercice, ce qu’il devait travailler et modifier. Il compte donc sur sa mémoire immédiate pour produire, dans le temps même où il s’exprime, ce travail réflexif nécessaire à tout travail de brouillon. Il n’aborde de fait pas ces enregistrements comme un véritable « brouillon oral ».
Lors de la prestation finale, la grande majorité des élèves viennent avec un texte déjà intégralement rédigé. Ils s’appuient donc sur un brouillon écrit pour produire une prestation orale ; nous avons en somme affaire à un écrit oralisé. On peut supposer que c’est la raison pour laquelle, principalement, l’oral manque de fluidité. L’auditeur est oublié et le discours n’est pas incarné. La posture est statique, le regard peine à se détacher des fiches.
L’élève qui avait choisi de ne passer que par l’oral peine également à se montrer convaincant. Il n’arrive pas à développer son propos.
À la suite de cette deuxième expérience, le professeur se demande comment faire travailler cette prestation orale pour parvenir à en concilier les différentes dimensions. Quel travail du brouillon mener avec les élèves ? Selon quelles modalités ?
Le brouillon oral pour un discours oral
Les deux premiers exercices ont permis de travailler le propos, mais on se rend compte que les dimensions locutoire [1] et interactionnelle de l’oral restent les parents pauvres et que les compétences afférentes ne sont pas maîtrisées par les élèves. C’est pourquoi le professeur choisit ici de poursuivre le travail autour de l’argumentation en proposant à la classe de participer à un projet éloquence, lequel s’inscrit dans la suite du travail mené précédemment.
L’idée du professeur est de faire prendre conscience aux élèves combien il est important de prendre en compte l’auditeur lorsqu’on prend la parole. Mettre en place un projet éloquence est une manière de faire se concentrer l’attention et les efforts des élèves sur le ton, la posture, le regard, qui participent tous au pouvoir de conviction.
Les élèves comprennent rapidement qu’ils doivent construire une relation avec leur auditoire pour obtenir sa bienveillance, mais aussi jouer avec ses émotions, lors de la narration par exemple. Ils entendent bien qu’il faut travailler le ton et les silences. Or, un travail écrit ne leur permet pas de s’auto-évaluer sur ces points. Ils doivent s’entendre afin de se rendre compte du ton adopté, du rythme donné à la parole ; idéalement, ils auraient besoin de se voir en vidéo pour pouvoir apprécier leur posture, leur regard.
À cette étape, le professeur ajoute donc comme contrainte de réduire, autant que possible, la part de l’écrit dans leur préparation. Il veut les inciter à travailler leur brouillon autrement. Est ainsi proposé aux élèves de travailler, cette fois-ci, sur des brouillons oraux, c’est-à-dire des enregistrements audios ou vidéos que les élèves pourront ensuite analyser et corriger.
On explique aux élèves que travailler uniquement à l’écrit pour préparer l’oral ne leur permet pas de progresser sur la prise en compte de l’auditoire. Pour travailler sur ce brouillon oral, les élèves doivent prendre une tablette, s’enregistrer ou se filmer, s’auto-évaluer, et recommencer leur brouillon afin d’améliorer leur prestation. On leur rappelle qu’il ne s’agit pas de présenter un texte su “par cœur", mais au contraire d’incarner leur parole, de se l’approprier.
Très vite, on se rend compte que les élèves n’osent pas s’emparer de l’exercice. Ils veulent d’abord avoir la sensation de maîtriser complètement leur écrit. Alors que le brouillon écrit fait partie de leur pratique, et qu’ils ont généralement compris qu’on n’effaçait pas un brouillon, ils n’envisagent pas le brouillon oral comme une étape du travail. Il faut alors les encourager, les accompagner et en dédramatiser l’utilisation. Pour faciliter les choses, il leur est proposé de poser la tablette et de présenter leur discours à un camarade afin d’oublier l’enregistrement.
À l’issue de cette première séance, le professeur et la classe dressent le constat qu’un oral n’est pas intégralement maîtrisé, qu’il arrive à tout le monde d’hésiter, de chercher un mot ou de bégayer, qu’un oral naturel, dans lequel on s’investit, comporte des erreurs. Il s’agit alors de maîtriser ces erreurs et de rendre la parole la plus fluide possible.
Une deuxième séance leur permet de poursuivre le travail du brouillon entamé : ils écoutent leurs précédents enregistrements et utilisent une grille fournie par l’enseignant pour s’auto-évaluer et se donner des axes d’amélioration. Les élèves s’emparent, cette fois-ci, plus facilement de l’exercice et n’hésitent plus à s’enregistrer.
Ils ont toujours la possibilité de travailler avec un camarade. Il est à noter que ce sont les élèves les plus en difficulté à l’écrit qui entrent le plus facilement dans l’exercice.
EXEMPLE 1 :
Un élève peine à formuler son idée et lit beaucoup ses notes.
Dans ce second brouillon, ce même élève adopte un ton plus dynamique, la formulation n’est plus la même. S’enregistrer l’aide à formuler ses pensées, alors que l’écrit est, pour lui, un obstacle. Il utilise donc les brouillons oraux pour compléter ses notes écrites et organiser sa pensée.
EXEMPLE 2 :
Cette autre élève enregistre un premier brouillon.
L’oral est parfois hésitant, manque un peu de fluidité. Le ton est faussement naturel, l’intonation en fin de phrase nous indique que l’élève lit. Cependant, elle montre une volonté de s’adresser à l’auditoire. La consigne est comprise mais l’exercice, pas encore maîtrisé. Elle complète la grille et dresse elle-même ce constat. Elle reprendra alors son brouillon pour s’améliorer.
Dans ce nouvel extrait, on remarque que le ton est plus dynamique et prend davantage en compte l’auditoire. L’élève met en valeur les mots qui lui semblent importants. Son ton se fait convaincant.
Travailler l’oral par le brouillon oral : plus-values et difficultés
Les plus-values du brouillon oral
Les enregistrements ont permis de montrer aux élèves l’importance du travail de la voix et de l’intonation. Ces derniers ont aussi pu comparer les différents enregistrements pour voir l’évolution de leur travail. Le brouillon oral a alors permis de mettre en avant la nécessité de travailler ces compétences de manière spécifique et de ne pas calquer la méthode acquise pour les travaux écrits.
L’oral, dans son essence, ne laisse pas de trace. Il s’invente en temps réel et n’existe que dans le temps même de la profération. Il n’y a pas lieu, de ce fait, de chercher le contrôle absolu. Et, le recours à un écrit pour préparer et assurer l’oral peut s’avérer une fausse bonne idée dans la mesure où l’écrit fait écran et tend à figer, en amont, une parole qui devrait naître dans l’instant de la profération. Néanmoins, il est possible de travailler l’oral en amont et d’apprendre à maîtriser sa parole en analysant ses erreurs. Travailler sur des enregistrements audio donne la possibilité à l’enseignant d’accompagner ses élèves de manière personnalisée. Il peut percevoir ses réussites (un naturel, une hésitation intéressante, un moment convaincant parce que précis) et des moments moins réussis. Ainsi, il peut commenter sous forme de notes audio ou écrites les travaux des élèves et les conseiller individuellement. L’élève peut aussi s’appuyer sur ses pairs à qui il peut faire écouter son travail afin d’être conseillé.
De plus, la réalisation d’un brouillon qui passe par l’oral, et non par l’écrit, permet d’aider certains élèves à formuler leurs idées, à faire avancer leur pensée et à trouver le mot juste.
Si l’enregistrement est vidéo – et non plus audio –, cela permet d’approfondir l’exercice et de travailler, en plus, sur l’attitude face à l’auditoire, sur la posture et sur le regard.
Les difficultés à surmonter
Pour approfondir ce travail, il aurait donc fallu que les élèves s’emparent aussi de la vidéo. Cependant, ils n’ont pas souhaité se voir et ils n’ont du reste pas autorisé la diffusion de la vidéo dans cet article. Le brouillon oral, et plus encore au format vidéo, met en jeu le rapport que l’élève entretient avec sa propre image.
Nous en voulons pour preuve cette élève qui a rédigé intégralement son discours et réalisé son enregistrement en une seule fois.
Si elle s’adresse à l’auditoire, le ton adopté et la vitesse d’élocution nous indiquent que c’est davantage pour la forme, pour respecter la consigne. Son oral manque de sincérité, difficulté qu’elle rencontre du reste dans tous les oraux qu’elle présente dans un cadre scolaire. Par ailleurs, l’unique enregistrement ne lui permet pas de mener un travail réflexif sur sa prise de parole.
On notera néanmoins qu’à l’oral du DNB, la prestation orale de cette élève a été de qualité nettement supérieure. L’entretien a révélé qu’elle avait repris à son actif la méthode du brouillon oral pour s’entrainer chez elle, en dehors d’un regard tiers.
Ce travail sur le brouillon oral doit donc être accompagné d’un travail sur l’estime de soi, sur le regard que l’élève porte sur lui-même. La difficulté qu’il peut rencontrer à revenir sur un brouillon écrit se trouve démultipliée quand il s’agit, en plus, de se confronter à son image et à sa voix. Ainsi, le brouillon oral met en jeu une dimension psychologique qui nécessite parfois un accompagnement. Travailler sur cette dimension permettrait également d’accompagner les élèves dans la gestion du stress qui peut être un frein dans les prestations orales. Instaurer un climat de confiance au sein de la classe et proposer des rituels aideraient à dédramatiser la prise de parole. Les outils d’enregistrement permettent de proposer des exercices réguliers et divers, en classe comme à la maison. L’enseignant peut aussi s’appuyer sur le travail mené en éducation musicale pour travailler le souffle et la posture et sur des exercices de théâtre.
Recourir au brouillon audio ou vidéo suppose de l’élève qu’il puisse se détacher de son image et de celui qui évalue la prestation, qu’il ne juge pas l’individu mais bien la performance, en étant le plus objectif possible.
Enfin, le temps a manqué pour accompagner les élèves dans l’amélioration de leurs brouillons successifs en proposant différents ateliers. On peut dans cette perspective s’appuyer sur la démarche proposée par Daphné Jacamon dans son article « L’oral du lecteur » [2].
Conclusion
Dans un exercice scolaire certificatif, tel que l’oral du DNB, il est attendu des élèves qu’ils s’approprient un discours et habitent leur parole. Or la maitrise de sa parole à l’oral ne va pas de soi ; cela se travaille. Il apparaît dès lors nécessaire d’aider les élèves à dépasser les représentations qu’ils peuvent avoir de l’exercice pour les amener à travailler vraiment leur oral.
Or, l’oral, comme objet d’apprentissage, est multidimensionnel et le rapport des élèves à l’oral, très personnel. Il est donc tout à la fois difficile et indispensable de mettre en place un accompagnement individualisé pour aider chacun à développer ses compétences orales.
Il s’agit donc d’accompagner les élèves, dans le travail du brouillon de l’oral, en recourant aux différentes modalités à notre disposition : écrites, audio et vidéo. Le brouillon d’oral gagne à être à la fois écrit, pour apprendre à formaliser sa pensée et mieux l’organiser, et oral, pour apprendre à incarner sa parole et à développer des compétences proprement orales. C’est ce double brouillonnement, écrit et oral, qui permet au professeur de mettre en place un accompagnement personnalisé.