Comment le jeu d’évasion peut-il donner les clés qui permettront aux élèves d’entrer dans la lecture d’une œuvre complexe ? Comment s’appuyer sur le jeu d’évasion pour entraîner le groupe classe dans le plaisir de lire l’œuvre ?
Ce travail peut être mené en distanciel comme en présentiel.
Étudier les Misérables en classe de 4e
Pourquoi étudier les Misérables en classe de 4e ?
Les nombreuses adaptations et le fait que les noms de plusieurs personnages (cf. Gavroche, Cosette) sont entrés dans le langage courant rappellent à quel point Les Misérables de Victor Hugo gardent une forme d’actualité, notamment parce que l’œuvre soulève des questions universelles.
« Au-delà du temps et des circonstances, la question de la misère dans nos sociétés et dans le monde n’est pas réglée [...] Le livre de Hugo est là pour nous rappeler que la démocratie doit être continuée, c’est un idéal d’égalité, de liberté, non encore atteint. C’est ce qui fait que son roman est actuel : nous avons besoin de ce trésor d’utopie pour vivre. » [2]
L’étude du roman trouve par ailleurs assez naturellement sa place dans les programmes avec l’entrée « La fiction pour interroger le réel » puisqu’elle invite les élèves à s’interroger sur le rapport entre l’individu et la société et sur celui de l’individu et la morale.
Quelles difficultés ?
Pour comprendre les enjeux de l’œuvre, les élèves ont besoin de connaitre le contexte, un contexte au demeurant riche et complexe :
- Les inégalités au XIXe siècle
Pour comprendre l’intérêt de ce roman qui dénonce « la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit » [3] et « l’asphyxie sociale » [4], les élèves ont besoin de se représenter la réalité de la vie au XIXe siècle. - Le contexte politique du XIXe siècle
L’œuvre contient des références à l’histoire du XIXe siècle, notamment à travers les personnages de Marius et Gavroche. Or, cette partie du programme d’Histoire est extrêmement complexe. Un travail interdisciplinaire français-histoire paraît nécessaire pour amener les élèves à contextualiser l’œuvre et à mettre en perspective les éléments racontés au regard de l’Histoire. - L’histoire littéraire et politique de son auteur
Victor Hugo rédige les Misérables après avoir publié des œuvres engagées telles que Les Châtiments. Les élèves ont donc besoin de connaitre l’histoire de l’écrivain et son engagement afin de pouvoir comprendre en quoi cette fiction interroge le réel [5] et comment elle s’inscrit dans le parcours d’un auteur.
D’autre part, les élèves peuvent être mis en difficulté par le système complexe des personnages :
- des personnages nombreux,
- des personnages fictifs et des figures historiques : le père Thénardier est un ancien soldat de Napoléon,
- des personnages qui changent de nom : Jean Valjean devient Monsieur Madeleine.
Il faut donc un accompagnement pour guider la classe dans sa lecture.
Le choix du jeu d’évasion
Pourquoi jouer ?
Le jeu sérieux, défini comme étant un dispositif « dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects utilitaires (« serious ») tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu, vidéoludique ou non (« game ») [6] favorise l’engagement de l’élève dans l’activité. L’envie de gagner et la reprise de codes utilisés dans les loisirs poussent l’élève à aller au bout d’un parcours, de connaître la fin. Le jeu devient alors un médium pour accompagner dans l’apprentissage. Selon Berthier, Borst, Desnos & Guilleray [7], « le jeu favorise certains apprentissages en créant un contexte propice à l’acquisition de certaines compétences ». Il place l’élève au cœur de la démarche. En permettant à l’élève de s’engager, il suscite davantage sa curiosité et lui permet de mieux mémoriser les informations, de mieux garder en mémoire des éléments importants.
On peut ainsi supposer qu’engager l’élève dans un jeu lui permettra de s’approprier les informations nécessaires à sa lecture, mieux que si on les lui apporte plus traditionnellement sous la forme d’un document ou d’une vidéo.
Pourquoi un jeu d’évasion pédagogique ?
Le jeu d’évasion ou « escape game », jeu très à la mode qui consiste à trouver une série de codes pour sortir d’une pièce, s’adapte aux contraintes de la classe et permet de mobiliser différentes compétences des domaines 1, 3 et 5 du socle telles que :
- la compréhension d’un message audio, vidéo ;
- les compétences de lecture ;
- la capacité à rechercher et à traiter une information ;
- la coopération : quand le jeu est réalisé en classe, on peut imaginer des épreuves à réaliser en équipe. Dans le cas d’un travail en distanciel, il peut permettre de maintenir la dynamique de groupe en incitant les élèves à échanger des informations à distance.
- la capacité à exercer son esprit critique et à faire preuve de discernement ;
- l’élaboration d’un raisonnement.
Il y a comme un lien mimétique entre la mécanique du jeu et les modalités d’entrée en lecture ; elles supposent la mise en œuvre d’une démarche comparable qui relève de l’enquête. Le lecteur, par l’observation de la première de couverture, le paratexte, la lecture de l’incipit, est amené à construire des hypothèses de lecture. Mais c’est ce processus même que bien des élèves ont du mal à mettre en œuvre en toute autonomie.
Lancer la lecture en usant des rouages du jeu d’évasion trouve tout son sens. Les énigmes incitent les élèves à se poser des questions et à utiliser leurs connaissances pour progresser dans le scénario. La mécanique même du jeu les pousse à entre en lecture et à avancer dans la découverte de l’œuvre.
Un tel dispositif permet également au professeur de porter un regard différent sur ses classes en observant la manière dont les élèves vont convoquer les connaissances requises ou aller chercher les informations manquantes. On observe leurs interactions et le positionnement de chacun dans un groupe. Le travail mobilise de fait des compétences différentes de celles qui sont observées à l’ordinaire lors du cours de français.
Le cadenas à déverrouiller à la fin de l’aventure devient ici métaphorique : la porte s’ouvre sur une meilleure compréhension de l’œuvre. Ainsi, les éléments du code représentent des obstacles à la bonne compréhension du texte qu’il est nécessaire de franchir pour accéder à l’œuvre. Les élèves sont ainsi formés à la lecture d’une œuvre complexe résistante : en effet, face un texte qui peut sembler hermétique à la première lecture, nous mettons en place des stratégies, nous relions des informations, nous puisons dans notre culture pour déverrouiller petit à petit le texte. C’est ce que les élèves doivent apprendre à faire pour devenir bons lecteurs.
Comment créer un jeu d’évasion numérique ?
Les outils technologiques nous permettent de créer des jeux d’évasion numériques afin que les élèves puissent jouer de chez eux. Un tel médium offre par suite des possibilités d’exploitation variées. De la même manière que la classe inversée, il peut être considéré comme une entrée en matière avant d’approfondir un texte en classe. C’est le moyen de contextualiser un récit et de transmettre des notions qui seront par la suite réinvesties.
Ce type d’activité peut être également une manière de continuer à mobiliser les classes lors d’un travail à distance.
Pour créer un jeu cohérent, un temps de réflexion est nécessaire et certaines questions s’imposent.
1- Les objectifs pédagogiques
Le jeu n’est pas un but en soi, il est un moyen pour travailler différemment et développer conjointement des compétences disciplinaires et des compétences sociales.
- Quel jeu ? Pour répondre à quel objectif pédagogique ?
- À quel moment du chapitre proposer ce jeu ? Comment s’articule-t-il avec l’ensemble de la séquence ?
2- Le scénario
- Dans quel univers faire se dérouler le jeu ? Quel sera le décor ? L’atmosphère ? On recueille ensuite des images libres de droit.
- Pourquoi les personnages du jeu ̶ empruntés à l’œuvre ̶ sont-ils pris au piège ? Que doit faire le lecteur pour les aider ? Quelle trame narrative ? Il faut alors rédiger l’introduction au jeu qui donnera au joueur/lecteur les consignes et les enjeux.
- Où et quand placer les cadenas à ouvrir ? Comment les amener ? Pour faire découvrir quoi ?
3- La création du jeu
- Comment s’imbriquent les différentes étapes ? Quelles sont les énigmes qui vont permettre de passer d’une étape à une autre ?
Le site Learning.Apps permet de créer des exercices en ligne et d’ajouter des indices qui aident les élèves à progresser dans le jeu. Il permet de réinvestir les connaissances de la classe. - Quels sont les mécanismes mis en place pour passer d’une étape à une autre ?
- Quelle est la récompense finale ?
Une fois le jeu réalisé, il faudra garder un moment pour faire un bilan avec la classe. Plusieurs types d’activités peuvent être envisagés : une trace écrite, un débat d’interprétation ou une production orale. Ces dernières permettent de vérifier que l’élève est allé jusqu’au bout du parcours et de synthétiser les éléments à retenir. Elles viennent en appui d’une phase de métacognition finale, indispensable, qui permet de faire formuler et d’expliciter les connaissances acquises durant l’expérience et qui facilitera donc le transfert des connaissances. Les élèves auront alors pris conscience de ce qu’ils ont appris.
Entrer dans la lecture des Misérables par le jeu d’évasion.
Le principe
Le scénario propose de trouver le code pour sauver Cosette, prisonnière des Thénardier. Une présentation vidéo initiale explicite le jeu et son principe.
Les élèves doivent ensuite naviguer sur la page d’accueil pour accéder aux différentes épreuves.
Tout au long du jeu, les élèves sont invités à s’aider de leur édition [8] pour trouver les informations et répondre aux énigmes proposées. Cela leur permet de manier leur livre et de se familiariser avec l’appareil pédagogique de l’édition retenue.
Dispositif pédagogique
Le jeu a été organisé en trois branches pour répondre au triple objectif que s’est donné le professeur pour ce travail d’entrée en lecture :
- offrir des clés sur le contexte historique du roman,
- présenter la vie de Victor Hugo,
- faire découvrir des personnages importants de l’œuvre qui seront retrouvés plus tard, à l’occasion des études de texte.
Pour ce jeu, les élèves sont libres de commencer par la partie qu’ils souhaitent ; chaque branche correspond en effet à un verrou dans la compréhension de l’œuvre qu’il est nécessaire d’ouvrir pour accéder à une lecture littéraire des Misérables. L’essentiel est qu’à la fin, ils aient ouvert tous les verrous, levé tous les obstacles donc, peu importe dans quel ordre.
Les élèves ont réalisé ce travail pendant le confinement. Le temps n’était pas limité puisqu’ils travaillaient de chez eux, seuls, et que l’objectif était davantage de les laisser prendre leur temps pour terminer chacune des épreuves, plutôt que de bloquer certains qui auraient abandonné parce qu’ils n’avaient pas les conditions optimales pour travailler chez eux pendant trente minutes sur un ordinateur ou une tablette. Ainsi il était possible de réaliser ce jeu en plusieurs fois.
A la fin du jeu, la dernière diapositive demande aux élèves d’envoyer une synthèse au professeur. Cela permet, pour les élèves, de valider matériellement leur participation au jeu ; pour le professeur, c’est une manière de suivre où en est la classe et cela lui permet, en dernier ressort, de relancer ceux qui auraient oublié de jouer le jeu.
En classe, ce travail pourrait avoir lieu en salle informatique, les élèves étant répartis en binômes. On peut prévoir trente minutes pour ouvrir chaque verrou afin de conserver un temps d’échange à la fin. Un minuteur, lancé et diffusé au tableau, est une manière de respecter la dynamique inhérente au jeu d’évasion.
Parcourir le jeu
Branche 1 - Offrir des clés sur le contexte historique du roman
Cette partie invite à découvrir de manière synthétique l’histoire du XIXème siècle, en lien avec le programme de 4e.
Les élèves doivent s’aider de leur livre et s’appuyer sur un document « prezi » préparé par le professeur « Les événements historiques dans les misérables ».
Le jeu consiste à placer des événements sur une frise chronologique. Cela aide les élèves à se forger une représentation du contexte historique et à faire des passerelles avec ce qu’ils étudient en cours d’histoire.
Branche 2 - Présenter la vie de Victor Hugo
Cette partie, consacrée à Victor Hugo, propose aux élèves de découvrir la préface de l’œuvre, de répondre à un questionnaire sur Victor Hugo et de compléter une synthèse sur les engagements de l’écrivain.
Ces éléments aideront les élèves à identifier quelles ont pu être les inégalités sociales au XIXème siècle et leur permettront de mieux comprendre en quoi l’auteur reprend dans son roman les combats qu’il a menés en tant qu’écrivain, mais aussi en tant qu’homme politique.
Cette épreuve, inspirée du jeu, « Qui veut gagner des millions » porte sur la vie de Victor Hugo.
Celle-ci porte sur l’engagement de l’auteur. Pour compléter le texte à trous, les élèves doivent chercher des informations dans le paratexte de leur édition ou sur des biographies. Le texte est simple, les mots manquants constituent les mots-clés à retenir.
Branche 3 - Découvrir les personnages clefs
Cette dernière partie invite à s’intéresser aux personnages clefs.
Sont proposées des gravures de Bayard représentant les Thénardier et Cosette, que nous avons prévu d’étudier plus tard dans le chapitre.
Un questionnaire sur les personnages permet aux élèves d’identifier les figures importantes du roman et d’en découvrir une première caractérisation. L’activité conduit les élèves à s’emparer du paratexte et a pour objectif de les aider à mieux se repérer dans la lecture.
Pour finir
À la fin du parcours, les élèves doivent répondre à quelques questions, ce qui constituera la trace écrite du cours, et envoyer leurs réponses à leur professeur, sous la forme d’un document texte ou image.
Lors de la classe virtuelle, est réalisée une frise chronologique du XIXe siècle et des hypothèses de lecture sont formulées par rapport aux personnages découverts lors du jeu.
Bilan
Articuler distanciel et présentiel
Ce jeu d’évasion a été proposé en distanciel, mais aurait pu de la même manière être mené en classe. Il est en effet possible de créer des énigmes en classe : labyrinthe, codes secrets ou fouille dans des documents, par exemple.
Le jeu permet de penser des dispositifs de classe variés, en présence et/ou à distance.
On pourrait par exemple imaginer un jeu d’évasion en deux parties, un groupe d’élèves présent en classe, l’autre à domicile : les élèves présents auraient à découvrir une partie de l’énigme tandis que les autres résoudraient la seconde partie.
Un travail d’équipe à distance pourrait de même être mis en place, chacun ayant à découvrir, de façon contributive, l’élément d’un tout qui, une fois reconstitué, permettrait de passer à l’étape suivante ou fournirait un élément de résolution de l’énigme finale.
Le jeu peut également être pensé de façon à servir de support à un travail sur le mode de la classe inversée et de façon à être exploité progressivement en classe au fur et à mesure de la résolution des épreuves.
Répondre à des objectifs variés
Ce type de jeu peut répondre à des intentions pédagogiques très diverses :
- introduire à l’univers d’un roman, comme ici ;
- faire mobiliser les connaissances en vue de réviser un examen ;
- faire découvrir une bibliographie et permettre à chacun de choisir sa prochaine lecture cursive ;
- faire découvrir la topographie d’un roman ;
- servir de support à la lecture buissonnière d’un recueil de poésie, ...
Favoriser les échanges et la mutualisation des ressources
Imaginer un jeu d’évasion pédagogique peut sembler chronophage : la prise en main de l’outil, la rédaction du scénario, la construction du plan de jeu et l’élaboration des épreuves nécessitent une prise en main technique et du temps. Comme pour toute utilisation d’un outil numérique, il faut alors mesurer l’apport pédagogique et s’interroger sur sa pertinence.
Dans ce cas précis, le professeur souhaitait mobiliser sa classe autour de l’œuvre et l’inciter à lire et à comprendre le roman, qui plus est, dans le contexte du confinement. L’objectif a été en partie atteint.
Tous les élèves ont participé au jeu et ont donc découvert des éléments clés de l’histoire littéraire qu’ils n’auraient pas connus, pour certains, autrement. Le jeu leur a permis de s’investir dans le travail.
Cependant, certains n’ont pas lu la totalité du roman. D’autres éléments viennent perturber chez les élèves la lecture autonome d’une œuvre complexe et le jeu sérieux ne permet pas de surmonter tous les obstacles. A tout le moins, le jeu a suscité leur curiosité et leur a donné envie d’entrer dans la lecture. Ils ont tous lu l’œuvre, mais dans des proportions variables.
Le professeur a réinvesti ce travail en créant d’autres jeux d’évasion, pour d’autres classes et d’autres œuvres. D’autres membres de l’équipe pédagogique se sont emparés de la trame initiale du jeu et y ont apporté leurs modifications. On pourrait alors imaginer un espace de mutualisation des jeux dans lequel les collègues pourraient partager leurs travaux, ré-exploiter le travail de chacun en l’enrichissant. De même, le jeu d’évasion se prête aux travaux interdisciplinaires et pourrait être l’occasion d’échanger ou de donner de la cohérence aux contenus pluridisciplinaires proposés aux élèves.