Pour un oral réflexif : le brouillon oral Un exemple en classe de terminale HLP

, par Lauriane VAREILLE

Ce projet a été mené dans le cadre des TraAM Lettres 2021-2022. La thématique proposée était : « Travailler les compétences orales des élèves avec le numérique », et le projet porté par l’académie de Versailles, intitulé « Développer les compétences orales par la trace orale », tournait autour de la question du brouillon d’oral rendu possible par le numérique.

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Consulter l’article de présentation générale
Faire naître la parole propre de l’élève : le brouillon oral ?

Propos liminaires

L’oral délaissé

À la suite de Claire Doquet [1], nous constatons que l’écrit demeure « la langue de l’école » ; cela reste la priorité, pour les professeurs comme pour les élèves. Or, dans le contexte de la préparation du Grand Oral au Lycée, faire de l’oral un objet d’enseignement en soi est essentiel. Mais l’oral semble un terrain souvent habité, encore, par des pratiques normées et anciennes, allant généralement de l’écrit vers un oral préparé, qui confine au simple écrit oralisé.
L’épreuve est pourtant définie, dans ses attendus, comme suit (B.O. spécial n° 2 du 13 février 2020) :

L’épreuve permet au candidat de montrer sa capacité à prendre la parole en public de façon claire et convaincante.

C’est bien une parole libre et incarnée qui est attendue, non la récitation d’un écrit proféré.
Le jury est du reste invité, entre autres éléments, à valoriser chez le candidat :

son esprit critique, son engagement dans sa parole, sa force de conviction.

Du côté des professeurs, l’oral paraît difficile à évaluer dans le contexte de l’enseignement des Lettres, en regard, par exemple, des pratiques en Langues vivantes, et chacun peine à s’emparer de l’oral comme d’un véritable objet d’enseignement.
Du côté des élèves, l’oral semble cristalliser des peurs liées à l’anxiété générée par les examens terminaux et à leurs premières expériences, dans le cadre des oraux du DNB et des EAF. Au-delà et plus profondément, l’oral suppose comme une mise à nu de soi face à soi ou face à autrui – en situation d’interaction – que beaucoup d’élèves ont du mal à assumer. Par manque de pratique et d’habitude, certainement, l’élève, au cours de sa scolarité, semble perdre confiance en sa voix ; ou peut-être son parcours scolaire ne lui a-t-il jamais donné l’occasion de prendre confiance en cette voix.
C’est donc par habitude, et pour répondre à des automatismes qui rassurent les professeurs comme les élèves, que l’on brouillonne à l’écrit pour préparer l’oral.

L’importance du brouillon mental

Or, on peut s’interroger sur la pertinence d’un passage par l’écrit pour préparer une prestation orale, a fortiori si on prend en compte cette notion de « brouillon mental » analysée par Béatrice Bréant Gerlaud [2].

Le brouillon mental, brouillonnement d’une pensée qui se cherche, qui dit avant de potentiellement s’écrire, qui parfois même est accompagné de la marche, passe par différentes phases (…).
Ce langage intérieur est cet espace intime, singulièrement incompréhensible pour tous sauf pour nous-mêmes, dans lequel et par lequel nous brouillonnons mentalement notamment lorsque nous écrivons.

C’est cette même procédure de « brouillonnement mental » qui est à l’œuvre quand on se prépare à émettre un ensemble d’idées, à l’écrit comme à l’oral.

Dans la suite de Vygostski [3], qui élargit lui-même son propos à l’énoncé oral,

Ce langage joue le rôle de brouillon intérieur non seulement lorsqu’on écrit mais aussi dans le langage oral.

émettre un énoncé oral peut être pensé comme un « cheminement » qui conduit du « brouillon mental »

(...) très souvent nous nous disons d’abord pour nous-mêmes ce que nous allons écrire ; il s’agit là d’un brouillon mental.

à la production orale effective, unique, dans l’instant de la performance.

Vygotski poursuit :

Ce langage intérieur est cet espace intime, singulièrement incompréhensible pour tous sauf pour nous-mêmes, dans lequel et par lequel nous brouillonnons mentalement notamment lorsque nous écrivons, mais pas seulement.

Or, dans le processus qui les conduit de l’idée première au discours abouti, les élèves témoignent d’un double décalage :

  • le premier, entre la réflexion immédiate inspirée par le support pédagogique, de quelque nature qu’ils soit (corpus de textes, film, document audio,…),
    ET ce qui vient sous leur plume au brouillon ;
  • le second, entre la richesse de leurs idées justes nées, dans une dynamique propre au « brouillon mental »
    ET ce qu’ils arrivent à rendre de leur raisonnement dans l’écrit abouti, préparatoire de l’oral.



Comment accompagner les élèves dans ce brouillonnement mental ?
Comment les amener, en partant de leur intention de dire (brouillon mental) enregistrée sous forme de notes orales, à s’appuyer sur la dynamique de la parole pour travailler l’organisation et le développement de leur propos ?

Le brouillon écrit en question

Pour un « oral réflexif »

Ces élèves de Terminale HLP, impliqués et participatifs, font montre, dans leurs interventions orales en classe, de capacités de réflexion dont ne rendent pas toujours compte leurs écrits.
Or, plus la production orale attendue doit être organisée et développée, plus elle pâtit des mêmes difficultés rencontrées à l’écrit. De fait, les élèves peinent à considérer l’oral autrement que comme un écrit préparé, oralisé à voix haute.

Pour préparer à l’essai littéraire, forme que peut prendre l’épreuve de HLP au baccalauréat, il est fréquent de proposer aux élèves des « écrits réflexifs ».
Le parti est pris, au terme du semestre consacré à la thématique « La recherche de soi », de faire produire aux élèves un « oral réflexif », sous la forme d’un enregistrement oral collectif. Nous calquons la formulation « oral réflexif » sur l’expression, aujourd’hui consacrée, d’« écrits réflexifs », empruntée à Dominique Bucheton et Jean-Charles Chabanne. L’expression pointe le fait que ces écrits sont comme le reflet d’une réflexion en devenir, parce qu’ils sont les lieux mêmes où émerge la pensée, entre réappropriation et invention. Nous cherchons donc à expérimenter si substituer aux « écrits réflexifs » des « oraux réflexifs » peut s’avérer une stratégie gagnante pour aider les élèves à apprendre à penser.

Pour clore le semestre consacré à la thématique « La recherche de soi », choix a donc été fait, dans le cadre d’une séquence conclusive portant sur le long-métrage Vice-versa, de demander aux élèves de produire un oral réflexif - sous la forme d’un oral collectif enregistré - ayant pour sujet :

Comment le long-métrage Vice-versa s’empare-t-il du thème du Moi ?

Le choix de Vice-versa

Contexte pédagogique
Séquence en spécialité HLP - Classe de Terminale
Semestre
1
Thématique La recherche de soi
Entrées Les expressions de la sensibilité / Les métamorphoses du moi
Sujet de réflexion « Comment le cinéma d’animation s’empare-t-il du thème du Moi ? »
Support Projection d’extraits du long-métrage d’animation « Vice-versa » réalisé par Pete Docter, sorti en France le 17 juin 2015
Objectifs Travailler des compétences du Grand Oral [4] : qualité orale de l’épreuve/qualité de la prise de parole en continu/qualité des connaissances/qualité et construction de l’argumentation
Prendre des notes orales [5] personnelles
Négocier l’intégration de sa parole et de sa voix dans la prestation orale collective
Élaborer une réflexion de groupe aboutie

Le dessin animé Vice-versa met en scène les difficultés de l’individu à se construire et à grandir à travers le cas d’une pré-adolescente de onze ans, Riley, dont on suit l’évolution psychologique sur quelques mois. À la suite du déménagement de la famille pour raisons professionnelles, l’enfant est confrontée à un véritable chamboulement affectif : modification de ses habitudes, perte de ses amis, nécessité d’être plus autonome, … Ce changement déclenche comme un tsunami d’émotions en elle et agit comme un catalyseur sur les mutations à l’œuvre pendant l’adolescence. Le film est ainsi à la croisée des entrées thématiques « Les expressions de la sensibilité » et « Les métamorphoses du moi ».
Il entraîne les spectateurs comme dans un voyage extraordinaire au centre du Moi. On y rencontre Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût, personnages allégoriques qui offrent un panorama vivant des émotions qui habitent Riley. Il met en scène, à l’aide de nombreuses métaphores, les transformations qui interviennent dans la construction de la personnalité de la jeune fille. Ainsi, l’île de la famille, une des îles de la personnalité de Riley, se fragilise à l’heure de la désacralisation de la figure du père et du rejet de l’autorité. Il rend compte, de façon imagée et théâtralisée, des processus cognitifs en œuvre dans les apprentissages.
Le parti pris fictionnel fait échapper l’œuvre au manichéisme souvent de mise dans les dessins animés et propose une observation fine des métamorphoses du Moi aux prises de sa propre sensibilité.


S’essayer à une nouvelle modalité de brouillon

Les élèves ont été invités à prendre des notes librement, pendant la projection des extraits du long-métrage d’animation Vice-versa, dans la perspective de la réalisation de la production finale.

Pour cette première tentative, le choix est laissé aux élèves de tenter de recourir au brouillon oral ou de continuer à passer par un brouillon écrit. L’intérêt de l’oral réflexif, en regard de l’écrit réflexif, et la pertinence, pour se préparer, de recourir au brouillon oral ne sont à ce stade qu’une intuition à tester et à vérifier.

Il paraissait donc pertinent :

  • de s’appuyer sur des élèves volontaires qui y voyaient d’entrée un intérêt à titre personnel, qu’ils souhaitent renforcer leurs compétences orales qu’ils savaient fragiles ou qu’au contraire, plus à l’aise à l’orale qu’à l’écrit, ils préfèrent voir comment s’appuyer sur leurs points forts pour développer de nouvelles stratégies ;
  • de constituer des groupes de travail mixtes pour expérimenter ce que l’élève ayant travaillé exclusivement à l’oral pourrait apporter au groupe et voir comment le groupe pourrait s’approprier ce travail dans sa réflexion et sa préparation ;
  • de conserver des groupes de travail faisant usage du brouillon écrit seul en point de comparaison.

Tandis que les autres élèves en restent à la pratique habituelle de prise de notes écrites - quand bien même ils sont unanimes dans le constat du décalage entre les idées premières venues à l’esprit, ce qu’ils en notent, et ce que cela devient lors de la restitution orale -, deux élèves se portent volontaires pour expérimenter le brouillon oral (C_f et M_m) : l’une se sait plus en difficulté à l’oral et trouve là une occasion supplémentaire de s’entrainer ; l’autre rencontre de grandes difficultés dans le passage à l’écrit et voit là une opportunité pour y échapper.

Parce que le professeur souhaite observer le fonctionnement intuitif des élèves, voir comment ils s’emparent de la méthode et quels gestes oraux personnels de soi vers soi ils vont pouvoir inventer, aucune consigne spécifique n’est donnée quant à l’utilisation de l’enregistrement oral [6].

Retour d’expérience

Les écueils du brouillon écrit

Pour ceux qui ont fait le choix du brouillon écrit, on peut observer un certain nombre de travers qui aboutissent à une prise de parole désordonnée et insuffisamment développée dans le cadre de l’oral collectif final.

  • La prise de notes initiale, à partir du support cinématographique, est rapide, trop peut-être. La feuille se noircit de données – par peur du manque certainement, et par volonté de bien faire – problématiques à l’heure du tri.
  • De plus, s’entremêlent sur les pages contenus informatifs et réflexifs, pour aboutir à une sorte de mille-feuille, ce qui constitue une difficulté lors du traitement du brouillon écrit pour préparer la prestation orale.
  • À cela s’ajoutent des problématiques liées à l’expression écrite. On retrouve dans la production orale finale les marques d’une syntaxe écrite mal maîtrisée. Le propos tend à se perdre dans une syntaxe tortueuse et confuse.

Brouillons oraux : deux stratégies

Les deux élèves volontaires ont l’un et l’autre opté pour une stratégie différente.

L’élève C_f a accumulé plusieurs enregistrements audios, ce qui équivaut à un retour à la ligne ou à une spatialisation des notes à l’écrit.
L’élève M_m a utilisé les fonctionnalités « mettre en pause l’enregistrement », puis « reprendre l’enregistrement » et propose un unique et long enregistrement déjà monté. Il s’agit davantage d’un brouillon oral linéaire.

Dans la logique d’une pratique filée du brouillon oral, il sera sûrement intéressant de former les élèves à une plus grande diversité de manipulations techniques, pour l’étape de l’enregistrement comme pour celle de son traitement. Cette formation numérique permettra d’ouvrir le champ des possibles pour les pratiques du brouillonnement à l’oral ; les élèves seront ainsi invités à penser plus loin ce lieu de passage qu’est le brouillon.

Cas d’étude n° 1 : les enregistrements de C_f

Premier enregistrement effectué 1/5 :

Dernier enregistrement 5/5 :

Analyse des enregistrements audio de C_f
Sur l’enregistrement n°1/5, on entend une voix saccadée qui témoigne de la retranscription ressentie comme « authentique » de la pensée de l’élève. La trace orale est formellement imparfaite ; de façon intéressante, elle adopte l’apparence d’un brouillon qui s’accepte comme tel et qui assume la nécessité d’un retraitement. Plus nous avançons dans les notes audios, plus la prise de notes se double d’une réflexion sur les données matérielles du film, comme si l’élève, au fur et à mesure qu’elle apprivoise l’outil de la note orale et l’espace qu’est le brouillon oral, apprivoisait sa propre pensée en construction. L’élève arrive en fin de prise de notes à doubler le contenu d’une organisation structurelle de l’audio malgré elle : elle situe les informations données dans le récit, présente le contenu factuel, creuse sa réflexion par rapport à la problématique donnée au sein de l’enregistrement 5/5.

Remarques sur la pratique du brouillon oral par C_f

Le brouillon oral évolue et traduit une prise de conscience ainsi qu’une prise de confiance. La voix de l’élève se fait plus naturelle, le niveau de langue peut se relâcher parfois, car la priorité est au mot juste et non au mot attendu à l’écrit. La technique numérique utilisée est celle du découpage et de l’enregistrement en plusieurs parties thématiques dans une logique de segmentation matérielle des différentes idées.

Cas d’étude n° 2 : les enregistrements de M_m

Exemple unique pour M_m

Analyse de l’enregistrement audio de M_m

L’élève ne formule pas spécialement de phrase verbale ou de phrase complète à l’oral ; il ne s’y sent pas obligé, car il a conscience que la syntaxe de l’oral diffère de celle de l’écrit. Pour M_m, la note audio est un nouveau lieu des possibles et surtout un lieu personnel de soi vers soi comme le prouve son murmure constant. La voix est celle d’un élève qui chuchote pour ne pas déranger ses pairs, mais aussi pour rester dans l’entre-soi. Il propose des titres et des idées semi-développées. Le brouillon oral n’est donc pas le lieu privilégié des données matérielles sur le film (noms des personnages, contenu narratif, etc...), car ces éléments sont désormais dans sa « mémoire ». L’élève se concentre sur les idées qui lui viennent pour répondre à la problématique.

Remarques sur la pratique du brouillon oral par M_m

L’élève ne se concentre plus sur des informations factuelles ni sur des éléments descriptifs inertes que les élèves auraient eu tendance à noter frénétiquement à l’écrit par peur de manquer ou d’oublier. L’élève procède à un unique enregistrement et effectue des coupures dès la première phase d’enregistrement, en procédant à une sorte de montage instantané, par coupes successives. Sa technique numérique sera d’ailleurs mise à profit au bénéfice du groupe, car il procèdera de la sorte pour le rendu final.

Brouillon oral, brouillon d’oral : quel bénéfice ?

Témoignage des élèves volontaires

L’un et l’autre soulignent avoir été « mal à l’aise » au moment de prendre leurs notes orales pendant la diffusion des extraits du long-métrage, par peur de déranger les autres et comme gênés eux-mêmes par cette pratique différenciée.
En revanche, ils plébiscitent d’entrée de jeu cette nouvelle pratique de l’audio : C_f note que l’audio est « plus instinctif », que « c’est moins d’efforts », que« c’est plus juste » ; M_m confirme en écho qu’il a trouvé cela pratique, qu’il s’est moins senti « fatigué par la prise de notes ».

Rétroactivement, les deux élèves voient dans le brouillon oral un support « authentique ». Selon C_f, le brouillon oral « aide à reprendre ses propres mots, ceux auxquels on a pensé la première fois ». C’est un lieu « pour se retrouver en cas de réécoute », renchérit M-m. Ils y voient également une aide à la mémorisation des idées dans l’optique d’une prestation orale. C_f témoigne de ce qu’elle a gardé ses « brouillons » dans sa tête ; et M_m lui fait écho en se félicitant d’avoir réussi à retenir ses idées.
L’un et l’autre accordent à la pratique du brouillon oral une plus-value méthodologique. M_m notamment a le sentiment que « cela permet de moins se sentir dépassé par ses notes écrites et de porter plus attention au sujet sur lequel on prend des notes » ; le brouillon oral permet, selon lui, d’améliorer la qualité de son contenu et de développer ses capacités de synthèse. Les deux élèves témoignent, face au brouillon oral, d’une plus grande aptitude à prendre du recul, à modifier et à faire évoluer leurs propos, comme si la trace orale était acceptée comme éphémère et transitoire, alors que l’écrit, fût-ce un simple brouillon, est comme gravé dans le marbre et reste figé dans sa forme première.

Enfin, le brouillon oral leur paraît, à tous deux, une excellente méthode pour exercer les compétences orales et se préparer à la production orale finale. Pour C_f, dans la logique du travail de groupe, il faudrait « généraliser un peu plus » la pratique du brouillon oral de façon à ce que tous les membres du groupe se sentent « être dans le même bateau ». La note orale que l’on reprend et sur laquelle tout le groupe travaille permet selon l’élève d’apprendre à « s’exprimer à l’oral », à « savoir parler devant des gens », à « être plus à l’aise pour parler devant les gens ». M_m va dans le même sens en soulignant que l’oral a l’air d’être une compétence simple à acquérir, mais qu’il faut en réalité en « avoir l’habitude », car cela nécessite de la « pratique ». L’exercice de la note orale s’avère donc pour les élèves le lieu d’une prise de conscience ; la prise de parole à l’oral ne va pas de soi et cela se travaille.

Plus-value de la note orale - Analyse comparée des groupes de travail

Après le visionnage du long-métrage d’animation Vice-versa, pendant lequel les élèves ont été invités à prendre des notes en vue du travail de réflexion, le travail se poursuit en groupe. Ils doivent en s’appuyant sur leurs notes, écrites ou orales, selon les cas, construire de façon collaborative l’argumentaire pour répondre au sujet :

Comment le long-métrage Vice-versa s’empare-t-il du thème du Moi ?

  • Groupe A - groupe témoin, constitué d’élèves dont le travail s’est appuyé exclusivement sur des brouillons écrits
  • Groupe B - groupe intégrant M_m qui a fait le choix du brouillon oral
  • Groupe C - groupe intégrant C_f, second élève ayant fait le choix du brouillon oral

Le tableau ci-dessous synthétise les analyses du professeur fondées sur l’observation des groupes au travail, leurs interactions pendant le travail de groupe et, en contrepoint, la réalisation effective du groupe en production finale.

Conclusion

Cette expérimentation du brouillon oral dans la dynamique préparatoire d’une production orale finale semble valider la trace orale comme un lieu propice au glissement rapide depuis son « brouillon mental ». Les élèves volontaires ont été désarçonnés par la nouveauté et la liberté soudaine donnée par ce lieu du cheminement réflexif personnel, jusque-là peu utilisé. Pourtant, malgré cette timidité et cette étrangeté ressenties dans le brouillonnement oral, les élèves ont développé leurs compétences d’oral et réfléchi sur leur pratique du brouillon dans la dynamique préparatoire d’un travail oral.
Dans ce contexte, la note audio pour brouillonner apparaît comme un élément plutôt facilitateur de la dynamique analytique, qu’il s’agisse de la dynamique d’agencement de l’ensemble ou de la dynamique d’approfondissement réflexif à l’échelle de l’analyse.
Le traitement ou la mémorisation des enregistrements audios peuvent permettre à l’élève de pallier les erreurs de l’écrit. Cette pratique permet aussi de se ménager de vrais temps d’oral pour l’oral, comme si la dynamique orale de la prise des notes permettait aussi d’entrer progressivement dans l’oral même. Le brouillon oral, en tant que trace orale assumée, est bénéfique pour l’élève volontaire, que celui-ci s’inscrive dans une logique de répétition, d’augmentation, d’imprégnation ou encore de mémorisation. L’expérimentation menée ici témoigne aussi de la capacité d’une pratique orale individuelle à engager l’ensemble d’un groupe ; le brouillon oral sollicite l’interaction et réveille la motivation des pairs.
En définitive, les retours des élèves volontaires confortent dans l’idée qu’il faut pratiquer régulièrement le brouillon oral, à l’échelle de l’individu comme à l’échelle du groupe, afin d’échapper aux filtres parfois néfaste de l’écrit et de contrecarrer certains automatismes contreproductifs de l’écrit vers l’oral. Le brouillon oral s’avère une stratégie efficace pour préserver le flux d’une pensée authentique en construction, telle qu’attendue à l’oral.
Reste à persuader chacun de s’approprier la note orale comme un outil offert pour brouillonner et, chemin faisant, apprivoiser sa pensée.

Notes

[1Séminaire « L’écrit, la langue de l’école », année 2015, Sorbonne Nouvelle. Claire Doquet - Professeur de Linguistique Française - Université de la Sorbonne Nouvelle, puis Professeure en Sciences du Langage - Université de Bordeaux. Responsable de l’axe Linguistique de l’Écrit du laboratoire Clesthia. Responsable du groupe ECRISCOL, opération de recherche Analyse linguistique de l’écriture scolaire. Chargée de mission « Aide à la réussite » auprès de la Vice-Présidente CFVU de la Sorbonne Nouvelle.

[2Béatrice Bréant Gerlaud, « Étude didactique des effets de dispositifs réflexifs sur le rapport à l’écrit d’élèves de seconde et sur la pratique de l’enseignante ». Linguistique. Université de Cergy Pontoise, 2019. Français. NNT : 2019CERG0989, tel-02415621, 2. 3. Le brouillon mental : un discours de soi à soi « dans sa tête ».

[3VYGOTSKI, Lev, Pensée et langage, Paris : La Dispute, 1997, 472 et 473.

[5Dans le cadre de la pratique du brouillon oral, nous proposons aux élèves de prendre des notes sous la forme d’un enregistrement : ce que nous nommons des « notes ou traces orales ».

[6Les deux élèves volontaires ont utilisé l’application « Dictaphone » de leur téléphone portable de modèle Iphone. Ce choix est justifié par une maîtrise personnelle de l’outil numérique en question et par la présence rassurante de paramètres plus avancés dans le traitement de l’audio. Ils ont procédé, en l’absence volontaire de consignes, comme il le souhaitait. À l’usage, il apparaît que les fonctionnalités utilisées par les élèves, dans un premier temps, sont les seules fonctionnalités de base : enregistrer / couper / reprendre l’enregistrement / sauvegarder / envoyer.

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