Travailler l’oral par l’oral Comment aider les élèves à libérer leur parole et à construire leur discours par le brouillon d’oral ?

, par THIERY Céline

Ce projet a été mené dans le cadre des TraAM Lettres 2021-2022. La thématique proposée était : « Travailler les compétences orales des élèves avec le numérique », et le projet porté par l’académie de Versailles, intitulé « Développer les compétences orales par la trace orale », tournait autour de la question du brouillon d’oral rendu possible par le numérique.

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Faire naître la parole propre de l’élève : le brouillon oral ?

Comment aider les élèves à travailler l’oral ? Comment leur apprendre à développer leur propos et à le structurer, tout en préservant la possibilité que naisse, à l’instant T de la performance orale, une parole vive et authentique ?
Avec ces questions, se pose en réalité, et de façon cruciale, celle du brouillon, espace-temps où se construit la pensée. Or, à l’oral, par définition, la pensée émerge à l’instant de l’énonciation. Comment, dans ces conditions, penser spécifiquement le brouillon, pour accompagner les élèves dans la préparation d’une parole à venir ? Pour répondre à ces difficultés a donc émergé l’idée de travailler l’oral par l’oral et de tester la pratique du brouillonnement oral.

Tel est le pari de cette expérimentation en classe de 3e qui s’appuie sur une séquence entièrement consacrée au travail de l’oral et qui fait de chaque prise de parole des élèves un brouillon de la prestation suivante pour les préparer à l’oral du DNB.
Travailler les compétences orales nécessite un temps long avec de multiples prises de parole des élèves qui « font leurs gammes » ; or, la plupart des activités mises en place pour travailler l’oral dépassent rarement le cadre de la séance et ne permettent pas une réelle progressivité. Grâce aux outils numériques notamment, le professeur va pouvoir démultiplier les temps d’oraux, organiser des enregistrements dans et hors la classe pour rendre les activités moins chronophages, mettre en place un apprentissage progressif et spiralaire en s’appuyant sur le brouillon d’oral collectif ou numérique.

Une séquence « tout oral »

Le contexte de la séquence

Le projet présenté a été conduit au premier trimestre de la classe de 3ème. En début d’année, dans le cadre d’un chapitre consacré à l’autobiographie ayant pour problématique « Comment construire une image de soi ? », le professeur veut travailler tout particulièrement les compétences orales à partir de brouillons d’oral, de façon à faire prendre conscience aux élèves des attendus dans la perspective de l’oral de DNB, et du chemin qu’il leur reste à parcourir. En articulation avec la séquence sur l’autobiographie, sous la forme d’une séquence détachée, un travail de l’oral est donc proposé aux élèves sur le thème de la honte [1], sentiment que les élèves évoquent souvent, justement, lorsqu’il s’agit pour eux de prendre la parole devant tout le monde, de façon à donner aux élèves la possibilité de brouillonner l’oral à l’oral.
Pour faciliter le suivi individualisé de chacun, le travail de l’oral prend place en classe lors des séances d’accompagnement personnalisé, en demi-groupes ; pour des questions de temps et d’organisation, il se prolonge hors la classe pour les enregistrements.
Pour permettre aux élèves d’avoir une vision d’ensemble du projet, d’en comprendre la progression, et d’accéder aux ressources et productions orales, le professeur met à disposition un pad de La Digitale comme support de travail. Sur ce même outil collaboratif, les élèves pourront, s’ils le souhaitent, grâce au lien donné, intégrer eux-mêmes les différents brouillons oraux ; le professeur pourra aisément, de son côté et/ou avec les élèves, consulter les travaux rassemblés et apprécier leur évolution.

Le pari du tout oral

L’exercice d’oral a ses particularités propres. La grammaire de l’oral n’est pas celle de l’écrit. Pour cette séquence parallèle, le professeur fait donc le pari du tout oral. Il s’agit de plonger les élèves dans un « bain d’oral » pour les amener à utiliser l’oral comme lieu et moyen de préparer leur oral par l’usage systématique du brouillon oral de l’oral ; on espère en effet que le passage systématisé par le brouillon oral de l’oral permettra d’éliminer davantage les freins propres à la langue écrite, les risques de contamination de la langue orale par la langue écrite, et libérer ainsi la parole propre des élèves.

Dans cette perspective, autour de la thématique de la honte, et en articulation avec la séquence de travail sur l’autobiographie, le professeur a fait le choix de proposer aux élèves une série d’activités orales successives qui se font en AP, avec le souci de :

  • utiliser des supports variés et adaptés - image, podcast, vidéos, transcriptions d’oraux - en bannissant le brouillon écrit avant la prise de parole ;
  • proposer une consigne visant à la réalisation d’une production orale pour chaque activité, pour laquelle l’élève s’enregistre et se réenregistre autant que nécessaire jusqu’à obtenir le résultat voulu ;
  • proposer, pour chaque exercice, une consigne chaque fois différente mais proche et de plus en plus complexe, pour que chaque exercice puisse, également, constituer, par certains aspects, le brouillon oral de l’oral suivant.

Les activités d’oral au fil de la séquence

Dans la cadre de la séquence sur l’autobiographie, chaque élève a choisi au CDI une autobiographie à lire à la maison. En amont de la lecture personnelle de l’œuvre, est présentée aux élèves la production finale qu’ils auront à réaliser : un podcast dans lequel doit être expliqué en quelles circonstances le personnage de l’autobiographie choisie pour la lecture cursive a été confronté au sentiment de honte et comment il s’est sorti de cette situation.

En regard de la tâche orale finale envisagée, voici la progression pour cette séquence décrochée :

Ressources de la séquence
(1) Erwin Olaf et Lee Jeffriers
(2) « La Honte », La vie intérieure, Radio France, 20 juillet 2017
(3) « Harcèlement scolaire : Marie, ex-victime, témoigne. », France Info, 20 novembre 2021. Ressource Lumni.
(4) La tirade du Nez. Extrait de Cyrano de Bergerac, Jean-Paul Rappeneau, 1990
(5) La tête haute. Guide d’autodéfense intellectuelle, Mathilde Levesque, Payot, 2019
(6) mon-oral.net
(7) De nombreux sites offrent la possibilité d’écouter des livres audio gratuitement comme Littérature audio, BibliBoom, Audiocité.net, LibriVox

Brouillonner à l’oral

Une approche progressive

L’intérêt premier du dispositif est de proposer, dans le cadre d’une même séquence, une série de cinq séances de travail de l’oral, hebdomadaires donc, qui, dans leur régularité et leur proximité temporelle, rendent visible aux élèves le travail de l’oral pour lui-même. La succession des activités, toutes en relation les unes avec les autres, et correspondant à des tâches orales de plus en plus complexes, permettent aux élèves de toucher du doigt ce que « se préparer à l’oral », « travailler son oral » signifie vraiment.

Dans le dispositif présenté, il s’agit de faire passer progressivement les élèves :

  • d’une parole individuelle spontanée, déclenchée par une image (séance d’oral 1), à une parole toujours courte, mais réfléchie en amont et construite, sous la forme d’un énoncé définitionnel (séance d’oral 2) ;
  • d’un énoncé simple, court, répondant à un objectif unique – la définition de la honte (séance d’oral 2) – à un premier oral en continu de deux minutes (séance d’oral 4) ;
  • d’un oral en continu de deux minutes (séance d’oral 4) à un oral en continu de cinq minutes (séance d’oral 5) et parallèlement d’un énoncé à dominante narrative fondé sur une expérience personnelle (séance d’oral 4) à un énoncé d’analyse portant sur un personnage et sur un ou plusieurs épisodes de l’œuvre (séance d’oral 5).

Il s’avère nécessaire de lever un certain nombre de freins.

  • Certains élèves se montrent très à l’aise pour parler de « choses difficiles » – quand il s’est agi de raconter un incident où ils avaient ressenti de la honte – du moment que seul le professeur peut les écouter. Mais, ils sont plus en difficulté pour prendre de la distance et analyser la honte de leur personnage. C’est alors le discours réflexif qui peine à se mettre en œuvre : or c’est bien un discours argumenté qui est attendu d’eux au DNB, puis à l’oral de l’EAF.
  • Certains autres s’enregistrent pour la première fois et cela leur demande un effort. Et s’écouter s’avère une épreuve, car ils doivent apprivoiser leur voix. Or, ce travail d’écoute et de réécoute est la condition première d’un véritable travail de brouillon de l’oral sous forme orale.

Un étayage nécessaire

Pour accompagner les élèves, l’étayage apporté est pluriel.

Les temps d’oral collectif

Les différentes séances de travail collectif ont, dans le présent dispositif, pour fonction d’aider les élèves à construire et enrichir leur propre discours et à développer leurs compétences d’oral.
Ainsi, dans la séance d’oral 1, le débat interprétatif en tous petits groupes, autour d’une photographie, sert à rassurer les élèves et à les mettre en situation d’énoncer un ressenti, un avis, en les exposant le moins possible face à la classe.
En séance d’oral 2, le travail d’oral collectif autour de la définition de la honte vise à rassembler, organiser, hiérarchiser les idées. Cela constitue ainsi un matériau que les élèves sont invités à réinvestir en séance d’oral 4 pour la production du premier podcast.

Les ateliers de travail ciblant une compétence d’oral spécifique

Les séances d’oral 2 et 3 sont en soi des séances d’étayage en regard des productions orales demandées aux élèves (production intermédiaire - podcast 1 ; production finale – podcast 2).
En séance 2, le document radiophonique sur la honte fournit des éléments d’analyse que les élèves vont pouvoir s’approprier. Le témoignage sur France Info, quant à lui, outre qu’il donne également des idées, permet de modéliser la parole de témoignage demandée dans le podcast 1 (séance d’oral 4).

La séance 3, quant à elle, vise très précisément l’entraînement d’une compétence d’oral spécifique : la capacité à réagir en contexte. Le choix initialement fait de travailler le sens de la répartie apparaît rétrospectivement un peu décalé en regard des compétences à travailler chez les élèves. Il s’agira de mettre en place des activités ludiques amenant les élèves à travailler leurs capacités d’écoute, la prise en compte de la parole d’autrui, la capacité à répondre à une relance, à rectifier, nuancer ou au contraire préciser, étoffer, renforcer un point de vue.
L’objectif est de mettre en confiance chaque élève et de développer ses compétences d’écoute et d’interaction, notamment nécessaires à la réussite de l’entretien, en deuxième partie d’épreuve orale du DNB.

Le bénéfice des regards croisés

Les productions orales des élèves sont également soumises, progressivement, à des écoutes critiques successives pour apprendre aux élèves à revenir sur leurs productions, à les amender et, en définitive, à développer des compétences orales.

Pour le podcast 1 (séance d’oral 4)

Production intermédiaire : récit d’un épisode où vous avez connu le sentiment de honte

Le propos est personnel ; les élèves sont encore frileux face à la contrainte de s’exprimer à l’oral et de s’enregistrer. L’idée que l’oral se travaille au fil du temps et que chaque prestation est comme le brouillon de la suivante n’est pas encore bien conscientisée par tous. Le regard tiers pour cette première prestation est donc d’abord celui du professeur. Seuls les élèves volontaires ont la possibilité de déposer leur enregistrement sur le pad collaboratif à titre d’exemple.
Les élèves ont pour consigne de déposer leur premier podcast sur monoral.net, en « privé ». Seul le professeur a accès aux enregistrements. Ce dernier a la possibilité, en retour, d’enregistrer sur le même outil un commentaire oral, en valorisant certains points et en prodiguant les conseils nécessaires pour aider les élèves à améliorer leur prestation.

À titre d’exemple, voici deux enregistrements successifs de la même élève qui a choisi de se réenregistrer pour améliorer sa production après réception du commentaire oral du professeur.

  • Dans le premier extrait, certains mots comme « honte » sont beaucoup répétés. Certaines phrases sont reformulées plusieurs fois et les marqueurs oraux sont très présents.
  • Le second extrait a été enregistré après le retour du professeur. Le premier peut être considéré comme un brouillon du deuxième oral. Le travail a gardé la même spontanéité, mais l’élève corrige une expression fautive, supprime des répétitions inefficaces et analyse davantage son comportement en prenant de la distance : « j’étais très sensible » ; « je pense que... »

Le premier enregistrement a ainsi joué le rôle de brouillon ; dans la deuxième prestation, l’élève a pu améliorer la forme de son oral et approfondir son analyse réflexive.

Pour le podcast 2 (séance d’oral 5)

Production finale : analyse d’un (ou plusieurs) passage(s) où le personnage de
l’autobiographie a été confronté au sentiment de honte

Pour le podcast 2, la production finale, c’est un triple regard qui va être mis en jeu : la prestation orale est autoévaluée par l’élève, évaluée par les pairs et évaluée par le professeur.

1- Les élèves sont invités à déposer leur podcast [2] sur le pad collectif. Les élèves peuvent donc s’écouter les uns les autres pour améliorer, voire refaire leur enregistrement en s’inspirant des idées des autres. L’enregistrement est donc, dans un premier temps, soumis à l’évaluation de son auteur qui, par différence avec les productions de ses camarades, va pouvoir avoir des idées pour le modifier, l’expanser. Ce que les élèves pouvaient considérer comme un enregistrement achevé devient donc parfois un brouillon d’oral à améliorer.

2- Dans un deuxième temps, il est proposé aux élèves, en AP, d’écouter les podcasts réalisés. Les élèves sont regroupés en trinômes et chaque groupe prend en charge ses propres podcasts. L’auteur du podcast est interrogé par le binôme évaluateur, constitué donc par les deux autres membres du groupe. L’élève interrogé n’a pas le droit de répondre « Je ne sais pas. »

3- Dans un troisième temps, le professeur porte également son regard sur la prestation.

Chaque podcast fait ainsi l’objet d’une triple évaluation qui s’appuie sur une même « grille d’évaluation papier », co-créée en amont par les élèves.
Suite à cette évaluation, certains élèves font le choix de reprendre leur enregistrement de façon à proposer, sur le padlet, un nouvel enregistrement en effaçant le premier.

Un entrainement spiralaire

Le dispositif met en lumière l’idée que l’oral se travaille de façon spiralaire.
Si l’on retient donc le principe de travaux oraux réguliers avec les possibilités que nous offrent aujourd’hui les outils numériques, le professeur met les élèves en situation de multiplier les performances orales.

Tout d’abord, l’exposition répétée à l’exercice, en soi, vaut entrainement, puisqu’il apparaît que le simple fait de s’enregistrer une seconde fois en répondant à la même consigne, sans interaction ni retour du professeur entre deux, permet déjà d’améliorer la performance. Le professeur a pu mesurer la progression chez certains, entre le tout premier enregistrement de la définition de la honte (séance d’oral 2), qui avait la simple fonction de trace – non plus écrite – mais orale, et la définition de la honte intégrée dans le podcast 1 (séance d’oral 4). La trace orale – quelques phrases jetées sur l’audio, pour faire émerger chez chacun une définition personnelle de la honte avant le travail d’échange et de synthèse collective – constitue une manière de brouillon oral de la définition ouvrant le podcast 1.
Les compétences travaillées lors de la prestation précédente sont comme réactivées et continuent à se travailler dans l’exercice suivant.

Prenons maintenant deux enregistrements d’un même élève, portant sur deux exercices différents :

  • Enregistrement 1 : l’élève définit la honte, de manière précise et métaphorique du reste ; il s’agit de la première production demandée par le professeur.
  • Enregistrement 2 : le même présente son travail sur l’autobiographie qu’il a choisie.

La production du premier audio permet à l’élève de s’approprier la thématique de la honte et le genre de l’autobiographie. Ainsi l’élève est à même, dans l’enregistrement de l’audio n°2, de mieux analyser la honte dans l’œuvre lue et de prendre de la distance face au personnage. On note que dans le deuxième enregistrement, l’élève est capable d’utiliser le mot juste, d’étoffer son propos en parlant plus longtemps, de travailler les mots structurants… Il tient compte, dans ce deuxième exercice, répondant à des consignes différentes, des conseils donnés par le professeur dans le retour sur le premier audio.

Néanmoins, il est notable que, chez les uns ou les autres, certains tics de langage réapparaissent d’un enregistrement à l’autre. Pour certains élèves, plus que pour d’autres, les progrès d’un enregistrement à l’autre sont imperceptibles. Il apparaît donc évident que l’oral est un objet qui se travaille sur le temps long et que seule une exposition fréquente à ce type de travail oral permet d’enclencher, chez chaque élève, un véritable processus de progression.

Conclusion : pour quelle efficacité ?

Au terme de cette séquence décrochée « tout oral », menée en AP, à l’appui et en prolongement de la séquence sur l’autobiographie, il apparaît que le travail a été fructueux.
Première victoire, tous les élèves ont osé prendre la parole et chacun a pu réaliser la tâche finale orale permettant l’évaluation de la lecture cursive.
Deuxième bénéfice : de séance en séance, les élèves se sont montrés plus enclins à se ré-enregister, à s’y reprendre à plusieurs fois avant de considérer que leur enregistrement pouvait être déposé et soumis donc à l’écoute d’autrui, que ce soit celle du professeur, celle d’un pair ou celle de la classe tout entière. Le dispositif a ainsi permis de faire entendre que l’oral se brouillonne et qu’un enregistrement peut se refaire dans le souci d’améliorer la performance orale.
Enfin, troisième bénéfice, et non des moindres, ces séances orales successives, sur un temps court, et les progrès qu’ils ont pu mesurer comme en temps réel, ont fait comprendre aux élèves que l’oral se travaille, que chaque prestation est comme le brouillon de la suivante et qu’en ce sens, chaque oral, en direct ou enregistré, fait figure de brouillon oral d’une prestation orale à venir, notamment l’épreuve orale de soutenance du DNB, qui donc se joue certes dans l’instant T de la performance, mais se prépare bien en amont.

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