Enseigner la phrase complexe à une classe hétérogène au collège

, par Aurélie de Mattéis

Comment renouveler notre approche de l’enseignement de la syntaxe afin d’aider tous les élèves dans une classe ?

L’étude de la syntaxe est abordée dès l’école primaire. En CP, les élèves doivent être capables d’identifier une phrase. Fin CM2, un écolier « distingue phrase simple et phrase complexe à partir du repérage des verbes conjugués ». Cependant, en classe de 3e, les élèves ont un niveau de maitrise de la compétence très inégal, suivant leur parcours, leur histoire et leurs difficultés propres.

Durant leur scolarité au collège, les élèves ont déjà bénéficié de plusieurs heures d’enseignement consacrées à l’étude de la syntaxe. Cependant, l’enseignant peut se retrouver en plein désarroi devant l’hétérogénéité de la maitrise des compétences de langue en fin de cycle 4. Alors qu’on pourrait penser que la totalité d’une classe est capable d’identifier une phrase et d’indiquer son type et sa forme, on se rend compte qu’il n’en est rien. On constate des écarts très importants dans le degré de compréhension des élèves.
Ainsi, de nombreux professeurs s’interrogent sur la manière d’enseigner autrement la grammaire afin de faire progresser tous les élèves, c’est-à-dire de proposer un travail adapté à chacun. Cependant, individualiser les parcours peut être aussi chronophage et peut décourager l’enseignant, seul face à sa classe. Comment renouveler notre approche de l’enseignement de la phrase simple et de la phrase complexe afin d’aider tous les élèves dans une classe ?

Une compétence complexe

A la fin de la classe de 3e, l’élève doit comprendre « la fonction grammaticale des propositions subordonnées dans la phrase » et être capable de faire « l’analyse logique de la phrase complexe comportant plusieurs propositions
subordonnées »
.
Afin d’atteindre ces objectifs, il doit savoir :
 distinguer une phrase verbale d’une phrase non verbale,
 repérer les propositions,
 identifier les propositions subordonnées et les propositions principales,
 déterminer la classe grammaticale et la fonction d’une proposition subordonnée.

On se rend alors compte du degré de complexité de cette notion. On considère qu’en fin de 4e, un élève doit savoir distinguer « le pronom relatif de la conjonction de subordination qui fonctionne différemment », « identifier les constituants de la phrase complexe : il repère la phrase complexe formée de deux propositions situées sur le même plan reliées par juxtaposition ou coordination et la phrase complexe dans laquelle une proposition subordonnée est régie par une proposition principale » et « analyse les liens entre la proposition subordonnée et la proposition principale ». [1]
Or, très peu d’élèves de 3e réussissent ce type d’exercice.

Présentation d’une expérimentation

Cette expérimentation a eu lieu dans une classe de 3e, d’un niveau hétérogène. Six élèves sont latinistes : ils ont donc travaillé cette notion dans le cours de latin. Sept élèves ne fournissent aucun travail à la maison. Certains sont complètement démobilisés dans le cours. Il faut donc adapter le fonctionnement du cours afin de faire travailler l’ensemble de la classe.

Redonner du sens

La grammaire peut sembler pour certains de nos élèves très éloignée de leurs préoccupations. Pourquoi savoir identifier une proposition subordonnée relative ? Beaucoup se demandent « à quoi ça sert ». Afin de redonner du sens à l’apprentissage de la grammaire, nous le rapprochons des autres compétences travaillées dans le cadre du cours de français : la lecture et l’écriture. Ainsi, lorsqu’ils identifient la classe grammaticale d’une proposition, les élèves recherchent les liens sémantiques entre les éléments de la phrase. Ils comprennent aussi pourquoi les phrases commençant par « car » sont incorrectes.

Construire une évaluation diagnostique

Dans un premier temps, il convient d’évaluer le degré de maitrise de la phrase simple et de la phrase complexe. Ainsi, une semaine avant la séance en classe, le professeur demande aux élèves de compléter, à la maison, une évaluation diagnostique sous la forme d’un formulaire. On rappellera à la classe qu’il ne s’agit pas d’une évaluation notée mais d’un moyen de construire des parcours individualisés.

Plusieurs outils sont à notre disposition pour réaliser cette évaluation. Par exemple, les outils « Choix multiple » ou Quizz (outils H5P) peuvent être utilisés avec l’ENT. L’outil formulaire google a été utilisé ici ; il permet d’obtenir ensuite les réponses sous la forme d’un tableur. Edu-sondage, disponible sur l’Edu-portail de l’académie de Versailles permet aussi de réaliser des formulaires et d’obtenir les réponses sous forme de tableur.
On traitera ensuite les réponses des élèves en colorant ici en vert les mauvaises réponses. Les réponses attendues sont en jaune. Cela permettra d’identifier d’un coup d’œil les besoins des élèves et d’établir des îlots.

L’évaluation diagnostique ne sera pas corrigée en classe, elle sera de nouveau utilisée à la fin de la séance pour évaluer les progrès des élèves.

Lors de la première séance, en classe, le professeur distribue aux élèves un document recensant les étapes considérées comme des niveaux à valider pour maitriser la compétence. Ainsi chaque élève reçoit un modèle de cette fiche.

Travailler la phrase complexe en autonomie

L’évaluation diagnostique révèle de grandes disparités dans l’acquisition des connaissances syntaxiques. C’est pourquoi des groupes de besoins sont créés.

  • Le premier groupe travaille sur la phrase et doit expliquer aux autres ce qu’est une phrase et la différence entre une phrase verbale et non-verbale.
  • Deux groupes consacrent leur leçon à l’identification des propositions et à la différence entre la juxtaposition/coordination et la subordination.
  • Deux groupes travaillent sur la distinction entre la proposition subordonnée relative et les propositions subordonnées conjonctives.
  • Enfin un groupe se consacre à la leçon plus générale sur l’analyse d’une proposition subordonnée.

L’organisation est la même pour tous mais les objectifs sont différents. Une feuille de route présente l’objectif à atteindre - par exemple distinguer une proposition indépendante d’une proposition subordonnée - des liens vers des ressources, notamment des capsules [2], des exercices et un exemple d’évaluation.

Exemple de la fiche donnée au dernier groupe

L’objectif final est de préparer une leçon : être capable de reformuler le cours et d’expliquer aux membres des autres groupes comment réussir l’évaluation lors d’un marché des connaissances. Tous les élèves devront intervenir et seront à la fois apprenants et enseignants. Cela mobilise donc l’ensemble de la classe.

Prendre connaissance du cours

Dans un premier temps, les élèves sont autonomes. Ils ont donc accès à une capsule vidéo qui rappelle l’essentiel de la notion. Ils la visionnent plusieurs fois et notent sous la forme de leur choix ce qu’ils ont retenu et ce qu’ils n’ont pas compris. Ce travail pourrait se faire en amont à la maison. Ensemble, ils peuvent discuter de la vidéo et répondre à leurs interrogations.
De nombreux enseignants mettent en ligne leurs capsules. Il est aussi possible d’en créer à l’aide d’outils tels que Adobe Spark Vidéo ou Powtoon ; une fois enregistrée, la capsule est mise en ligne sur Scolaweb TV.

D’autres supports sont proposés : une leçon écrite, celle du manuel par exemple, et une infographie afin que les élèves puissent choisir le support qui leur correspond le mieux.

S’entraîner et expliquer

Les élèves ont ensuite à leur disposition une série d’exercices et des corrigés afin de s’entrainer et de s’assurer de la maitrise de la notion.
Pendant ce temps, l’enseignant passe voir les différents groupes qui vont lui présenter ce qu’ils ont retenu. Cette étape de métacognition permet aux élèves de verbaliser à la fois la notion, mais aussi les processus mis en place pour réussir l’exercice. Une séance d’accompagnement personnalisé est organisée avec un autre enseignant afin de permettre à l’ensemble des groupes de présenter leur travail. Lors de cette séance, ils appuient leur présentation sur un exemple d’évaluation proposé sur la feuille de route. L’enseignant valide alors la maitrise de l’étape qui leur était attribuée et leur permet de consulter les ressources concernant l’étape suivante. Ainsi le groupe 1, qui sait maintenant identifier une phrase et repérer les phrases non-verbales, peut consulter la ressource autour de la phrase simple et la phrase complexe et peut faire les exercices.

Une heure est consacrée à un marché des connaissances [3]. Les groupes se séparent et se répartissent pour en former des nouveaux. Les élèves ont ensuite 3 minutes pour présenter ce qu’ils ont appris sur la phrase à leurs camarades et leur expliquer la méthode pour réussir l’exercice de l’évaluation. Les autres élèves prennent des notes et passent ensuite à leur tour devant le groupe. Chaque élève sera donc tour à tour transmetteur et receveur de connaissances.

Évaluer sa progression

Avant l’évaluation finale, l’enseignant envoie de nouveau le formulaire de l’évaluation diagnostique afin que les élèves puissent mesurer leurs progrès. Une dernière séance est organisée afin de répondre aux questions que les élèves pourraient encore se poser.

Ce travail a donc mobilisé 3,5 heures de cours : 2 heures de préparation des leçons, 1 heure pour le marché des connaissances et 30 minutes de reprise.

Adapter l’évaluation

Ce travail est mené tôt dans l’année de 3e puisqu’il est censé porter davantage sur le programme de l’année précédente. Il sera ensuite poursuivi dans le courant du deuxième trimestre autour de nouvelles étapes telles qu’identifier la fonction du pronom relatif.
L’enseignant garde une trace des étapes validées par les élèves. Il fait ici le choix de donner la même évaluation à l’ensemble de la classe mais d’offrir la possibilité aux élèves qui étaient les plus en difficulté pour repasser la même évaluation un peu plus tard dans l’année si elle n’a pas été réussie afin qu’ils continuent d’être dans une démarche positive de progrès.

Quel bilan ?

Ce travail a pris du temps mais il a mobilisé l’ensemble des élèves qui se sont prêtés au jeu du marché des connaissances. Beaucoup ont approfondi ce travail à la maison afin d’être prêts et des élèves qui auraient pu être passifs pendant cette séance se sont bien investis.
Les élèves ont été dans l’ensemble assez autonomes et ont apprécié le moment d’échange privilégié avec l’enseignant. Ils ont tous constaté qu’ils avaient progressé, notamment après avoir repassé l’évaluation diagnostique.
Cependant, ce travail peut être contraignant pour l’enseignant qui doit être capable de passer d’un groupe à un autre tout en s’assurant que les élèves travaillent dans le calme. Il doit pouvoir consacrer le même temps à chacun des élèves. Il pourra être aidé d’élèves tuteurs qui auront pour tâche de fournir des explications aux élèves les plus en difficulté. D’autres outils, tels que le tétra’aide développé par Bruce Demaugé-Bost, permettent d’identifier rapidement les groupes qui ont besoin de notre attention.

D’autres séances de langue ont été organisée en classe inversée. Les élèves ont compris la méthode de travail et consultent volontiers la capsule à la maison. Ils apprécient de voir l’évolution de leur apprentissage entre l’évaluation formative et celle qui clôt la séance.

Voir en ligne : Attendus de fin d’année et repères de progression

Notes

[1Repères de progression et attendus de fin d’année publiés sur Eduscol le 28 mai 2019

[2Catherine Becchetti-Bizot, Marcel Lebrun et Julie Lecoq, présentent les capsules dans l’ouvrage Classes inversées : Enseigner et apprendre à l’endroit !, Éditions Canopé, 2016

[3Claire Heber-Suffrin et Sophie Bolo, Échangeons nos savoirs !, Syros, 2001

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