Préparer à l’entretien de l’épreuve orale des EAF Vers un autre rapport aux œuvres littéraires au lycée

, par BERNAL Laurent, CALMET Céline, CARLIER-SIRAT Maud , FERNANDEZ Julie, GARCIA Lionel, MARY Ingrid , PLAISANCE Samy, PLATZ Leïla, POMMIER-MORAND Christel

Ressource réalisée par le groupe Fo de Fo Lycée

Lors des précédentes sessions des épreuves orales des EAF, la partie « entretien » a interrogé les professeurs examinateurs et leur a causé quelques difficultés : comment évaluer cette épreuve ? qu’attendre d’un candidat ?
Du côté des élèves, les enseignants ont pu remarquer qu’elle générait de l’anxiété : qu’est-ce que je dois dire d’un livre ? qu’est-ce qu’attend l’examinateur ? est-ce que ma réponse sera juste, ou plutôt légitime ?

« [L’entretien] [...] évalue l’expression orale, en réclamant du candidat une implication personnelle [...], une réflexion sur ses expériences de lecture. Elle se déroule en deux temps successifs, le premier n’étant qu’un point de départ pour les interactions qui le suivent et qui constituent l’essentiel de l’épreuve :
  • le candidat présente brièvement l’œuvre qu’il a retenue et expose les raisons de son choix ;
  •  le candidat réagit aux relances de l’examinateur qui, prenant appui sur la présentation du candidat et sur les éléments qu’il a exposés, évalue les capacités à dialoguer, à nuancer et à étoffer sa réflexion, à défendre son point de vue sur la base de la connaissance de l’œuvre.

[...] Évitant les questions fermées et trop ponctuelles, [l’examinateur] conduit l’entretien de manière ouverte, en dialoguant avec le candidat de manière à lui permettre d’expliquer, de justifier et ainsi de défendre son choix. »
Bulletin officiel spécial n° 7 du 30 juillet 2020 [1]

Les jurys des sessions 2021 et 2022 témoignent bien de difficultés des élèves lors de ce moment de l’épreuve :

  • La tendance à réciter un discours sur l’œuvre, qui ne témoigne pas d’une lecture personnelle, au risque de dénaturer cette partie de l’épreuve orale,
  • La présentation trop longue de l’œuvre, qui entrave la possibilité d’un dialogue authentique entre l’examinateur et le candidat,
  • Le plaquage d’un discours encyclopédique ou provenant de manuels et d’éditions scolaires, qui fait écran à la pensée propre du candidat.

Ces différents écueils traduisent un malentendu sur la nature de l’épreuve puisque les élèves ont l’impression qu’on leur demande lors de l’EAF un « exposé » complet, un compte-rendu exhaustif. Ils traduisent aussi les craintes des candidats concernant leur parole propre sur une œuvre littéraire, l’impression que leur lecture individuelle et personnelle, ce qu’ils pourraient dire, n’est pas assez légitime pour répondre aux attendus de l’épreuve.

 L’entretien aux épreuves orales de l’EAF engendre de fait de nouveaux questionnements à propos de nos postures, en tant qu’évaluateurs, mais surtout en tant que professeurs, et à propos de la place d’une parole authentique, que « nous nous autorisons à autoriser » chez nos élèves. Elle nous invite à dépasser une transmission de connaissances littéraires, pour faire entrer les élèves dans un rapport direct, sensible, et néanmoins nourri, aux livres dont nous proposons la lecture. 
Il est difficile d’envisager ce rapport aux œuvres comme objet de travail, tant il semble toucher à la subjectivité de l’élève-lecteur. Pourtant, justifier et défendre un choix, prendre conscience de ce qui se découvre lors de l’expérience de la lecture et s’autoriser à le dire, constitue une part importante de la vie de tout lecteur, de toute lectrice. En faire un objet de travail en classe peut donc représenter une chance pour que l’épreuve ne constitue pas la dernière rencontre de l’élève avec la littérature.
Nos élèves n’ont pas tous la même capacité, a priori, à se présenter, à l’oral, dans un rapport authentique et engagé à leur lecture. Cela implique un rapport au savoir et à la culture auquel tous n’ont pas accès, et qui ne peut s’improviser. Ce rapport, en revanche, peut s’élaborer dans une pratique régulière de l’oral en classe [2].

Les quelques analyses et pistes pédagogiques qui suivent ont l’ambition de proposer ce rapport aux œuvres, comme objet de réflexion et de travail, avec nos élèves-lecteurs. Elles font le pari qu’une telle conception de la littérature en classe peut être féconde si elle ne se découvre pas, chez l’élève, au moment de l’épreuve, mais se construit et se nourrit au contraire tout au long des deux années de lycée. 
 À partir des constats que nous avons pu faire lors des dernières sessions des EAF, cet article propose quatre approches favorisant ce travail, des pistes de réflexion et d’activités à mener dès l’entrée en seconde, pour l’élève – mais aussi, pour nous familiariser, tant élèves que professeurs, avec ces postures nouvelles. Elles se fondent sur les attendus de l’épreuve en questionnant ce qui, malgré une simplicité apparente, soulève des questions complexes, qui engagent la place de l’examen dans la formation de l’élève.
 
Ainsi, pour aborder les différentes questions que soulève cet exercice encore récent, cet article présente quatre étapes dans la réflexion :

  1. Comment impliquer et accompagner l’élève dans son choix d’œuvre ?
  2. Au cours des deux années de lycée, comment préparer les élèves progressivement à la présentation de l’œuvre, et à la justification de leur choix ?
  3. Comment préparer l’élève à saisir les enjeux de l’entretien proprement dit, à entrer dans l’échange avec l’examinateur ?
  4. Comment créer les conditions du dialogue et de l’échange ? Les attentes à l’égard du candidat, la posture de l’examinateur.

Étape 1 - Comment impliquer et accompagner l’élève dans son choix d’œuvre ?

Julie Fernandez, Samy Plaisance

En première, les élèves lisent, selon les instructions officielles, huit œuvres : quatre œuvres intégrales étudiées en classe et autant de lectures cursives. À l’issue de ce parcours de lecture, l’élève doit opérer un choix ; et dans l’évaluation de la partie « entretien » de l’épreuve orale, la parole authentique de l’élève est appréciée en tant qu’elle reflète une implication personnelle. Selon quels critères l’élève, alors, doit-il faire son choix ? Comment l’impliquer et l’accompagner ?
Les critères spontanément mis en avant par beaucoup d’élèves sont multiples. Le choix peut être pour les uns, générique (« Je préfère le théâtre. »), pour d’autres, affectif (« Ce thème me parle, fait écho à ma propre vie, je m’identifie au personnage »). Il peut encore être lié à l’existence d’une adaptation plus accessible (« Je regarderai le film ou la captation. »), mais il peut aussi être scolaire et littéraire, dans le cas du choix de l’œuvre au programme (« J’ai des connaissances apportées en classe et je vais pouvoir les réutiliser »). Enfin, il peut relever d’une stratégie d’élève (« Combien de pages le livre fait-il ? », « Je fais le choix de l’originalité, peut-être que l’examinateur n’aura pas lu le livre ? » ou « Je choisis la même œuvre que mon camarade. », « Cette œuvre est sûrement connue et appréciée d’un professeur de lettres »). Or, ces critères que les élèves pensent « stratégiques », qui s’appuient notamment sur des attendus supposés des examinateurs, ne sont pas nécessairement compatibles avec un choix qui devrait se faire en fonction d’une expérience personnelle de lecteur.
Ainsi, à l’issue d’un parcours mobilisant différents critères, comment impliquer et accompagner l’élève pour faire son choix ? Si le choix final peut être parfois perçu par l’élève comme une décision de dernière minute validée par l’enseignant, il conviendrait de l’envisager davantage comme l’aboutissement d’un cheminement permettant d’exprimer un rapport individuel à la lecture.
Afin d’accompagner ce choix définitif, il convient de consacrer un temps réflexif où les élèves eux-mêmes en prennent conscience.
C’est la première activité que nous vous proposons. Mais il s’agit aussi de construire un cheminement sur le long terme. À ce titre, nous présenterons deux pistes pédagogiques : le speed booking et l’autobiographie de lecteur.

1- Comprendre les enjeux du choix à l’examen

L’expérience montre que les élèves, parfois, arrêtent un choix très tôt dans l’année et ne font même plus les lectures suivantes. Le professeur peut expliquer qu’un choix authentique, fait après différentes lectures, sera plus facile à défendre.

On proposera donc aux élèves, en fin d’année, quelque temps avant l’arrêt définitif des choix, de construire par petits groupes de 4 à 6 élèves, une carte mentale, sur les critères de leur choix : les choix stratégiques (toutes les raisons externes à l’œuvre, de sa brièveté à la connaissance rassurante d’un cours, qui poussent à la choisir), les goûts personnels, la fiction (les personnages, le cadre, l’intrigue), l’écriture (le style, le rythme...) et les idées.

Une mise en commun animée par le professeur permet alors de dégager plusieurs niveaux de justifications.
Les raisons pensées comme « stratégiques », même si elles témoignent d’une volonté de réussir l’examen, ne sont pas nécessairement pertinentes. Au contraire, un choix, dicté par l’intérêt pour un personnage ou lié au fait que l’œuvre fait écho à des questionnements personnels, permet un choix plus authentique. Le travail d’autobiographie du lecteur - présenté dans un dernier temps de l’article - sera alors reconvoqué pour affiner cette dimension personnelle.

Ainsi, on conduit l’élève à se positionner davantage comme individu-lecteur, et non seulement comme candidat à l’examen. Paradoxalement, c’est ce qui lui permettra le mieux de réussir.

2- Apprendre à témoigner de sa lecture : la pratique du speed booking

Choisir et expliquer son choix n’est pas un exercice scolaire ordinaire, consistant en une restitution de connaissances. Au contraire, même, le livre lui-même et les connaissances que l’élève en a peuvent faire écran au récit de cette expérience, en particulier quand le livre choisi a fait l’objet d’un cours. C’est ce que souligne Pierre Bayard (2007) :

« Le paradoxe d’une lecture littéraire est que dans le même temps où un livre peut mobiliser la pensée du lecteur, il peut aussi le séparer de ce qui, en lui, est le plus original ».

En quelque sorte, le livre étudié risque d’effacer le lecteur.

Il s’agirait donc de trouver des moyens de faire sortir les élèves de ce rapport scolaire au livre, tel qu’il peut être attendu dans d’autres exercices comme la dissertation. De plus, une des difficultés, évidentes quand on souhaite entraîner les élèves à ce témoignage individuel d’une expérience propre de lecture, c’est que le professeur se trouve face à une classe entière. L’individualisation demande sans doute trop de temps, et, dans le cadre de la préparation à l’examen, elle présente un risque normatif. En effet, les élèves peuvent être tentés de reprendre l’argumentaire d’un autre, qui servirait de modèle.
Pour éviter ces deux écueils, nous proposerons en classe de première une activité de speed booking, activité pédagogique qui se pratique dès l’école primaire. Elle favorise l’interaction entre élèves et permet de mieux appréhender ce temps d’échange avec l’examinateur, de l’envisager comme un véritable dialogue autour de l’œuvre choisie. Par ailleurs, se projeter dans la posture de celui qui questionne devient un moyen indirect de s’interroger sur ses propres choix.

En guidant les élèves à travers leur questionnement, cette activité permet de dégager des singularités dans les opinions des lecteurs et de souligner les raisons qui ont favorisé le choix du livre.

3- L’autobiographie de lecteur

Un choix personnel qui demande de se (re)connaître comme lecteur : l’autobiographie de lecteur

À ce titre, il convient que l’élève puisse se comprendre, se construire et s’affirmer comme sujet-lecteur, ce qui se travaille sur le long terme, dès la classe de seconde.
Si l’élève est amené à proposer un choix personnel, il doit le faire sur des critères qui lui sont propres. L’activité suivante propose à l’élève de forger son identité de sujet lecteur en se fondant sur la pratique de l’autobiographie de lecteur.

L’enseignant peut aussi profiter de cet échange pour adapter ses propositions de lectures cursives à sa classe. Le passage par l’autobiographie de lecteur a l’avantage de restaurer un rapport parfois perdu à une lecture plaisir. En effet, comme le souligne Annie Rouxel (2004/4), on connaît « la rupture que représente l’accès au lycée dans le parcours d’un jeune lecteur : transformation du corpus, transformation des horizons de lecture qui impliquent « le saut et la différence ». Sans être tout à fait le même, le lecteur adolescent garde cependant quelque chose du jeune lecteur qu’il a été. Ce premier temps permet donc de comprendre que le choix final ne peut être qu’un choix individuel.

Étape 2 - Présenter l’œuvre et justifier son choix

Leïla Platz, Christel Pommier-Morand

Au cours des deux années de lycée, comment préparer les élèves progressivement à la présentation de l’œuvre, et à la justification de leur choix ?

La première partie de l’entretien, qui consiste à présenter et justifier l’œuvre de son choix, est un exercice difficile. On note ainsi plusieurs écueils : argumentation impersonnelle, développement trop long que l’examinateur doit interrompre... Par ailleurs, quand il s’agit d’une fiction notamment, les élèves ont tendance à « raconter » l’intrigue de l’œuvre choisie, à en décrire les personnages. En effet, les élèves sont rassurés - mais de façon illusoire - par cette dimension narrative. Le candidat a trop souvent en tête l’idée qu’il doit avant tout connaître très bien l’œuvre, sans penser qu’il doit en avoir fait une lecture personnelle. Étonnamment, quand il s’agit d’un recueil poétique ou d’une œuvre argumentative, les élèves sont plus performants dans la présentation de l’œuvre et développent davantage un point de vue personnel. La raison en est peut-être que, la dimension narrative étant moins présente, voire absente, la tentation de « raconter l’œuvre » disparaît.

Comment amener les élèves, à partir de la classe de seconde, vers une lecture et, en conséquence, une expression plus personnelles ?

On proposera une démarche progressive. Pour éviter, dès la 2nde, de fixer des attentes équivalentes à celles des EAF, il s’agit de formuler des compétences permettant de s’assurer que l’élève s’est approprié l’œuvre et sera en mesure de :

  • présenter l’œuvre brièvement : dans cette étape, il ne s’agit pas de résumer l’œuvre, mais d’en présenter les éléments principaux qui permettront de la définir et de la caractériser. La brièveté nécessaire rend l’exercice complexe, mais cette contrainte peut devenir stimulante pour l’élève. Ainsi, on peut lui demander de proposer une présentation propre à chaque œuvre, mais qui intégrerait a minima les éléments suivants : le nom de l’auteur/autrice et éventuellement une ou deux informations pertinentes le/la concernant, la date de parution, le genre et/ou la forme de l’œuvre, ce dont il est question. L’inscription dans un mouvement ou un contexte esthétique est également possible.
  • expliquer les raisons de son choix, ce qui peut être travaillé de manière spécifique.

1- Faire prendre conscience des postures de lecteur pour situer ses choix

Pour que les élèves puissent défendre une œuvre, on peut leur apprendre à déterminer les raisons qui les ont poussés à la lire et à la choisir. Pour que ces raisons soient personnelles et authentiques, il convient donc de les aider à avoir une lecture active et à se poser en véritable sujets lecteurs [3].
Dominique Bucheton (1999) détermine différentes postures du lecteur en fonction de son rapport au texte :

  • le texte tâche,
  • le texte action,
  • le texte signe,
  • le texte tremplin,
  • le texte objet
    Anne Vibert (2011) résume ainsi les postures distinguées par D. Bucheton :

    Posture 1. Le texte tâche. La lecture est ratée, le texte de l’élève a l’apparence d’une tâche scolaire, dépourvue de signification ou dangereuse (…)
    Posture 2. Le texte action. Le lecteur se situe au niveau des personnages qu’il prend pour des personnes. (…)
    Posture 3. Le texte signe. Le texte proposé est lu comme une fable et le lecteur prend le texte pour une métaphore du message de l’auteur qui reste à déchiffrer derrière la fable. (…)
    Posture 4. Le texte tremplin. Le lecteur utilise le texte pour se laisser aller à des réflexions personnelles. (…)
    Posture 5, ou posture lettrée : Le texte objet. Le lecteur se pose en dehors du texte et analyse le texte, ses formes, ses effets, la manière dont le texte s’y prend pour construire une signification ou séduire le lecteur. 


    On leur propose de situer leur propre relation au livre choisi en prenant appui sur les différentes postures de lecteur qui leur ont été présentées et en choisissant celle(s) qui les concerne(nt) le plus. Ainsi, on les aide à prendre conscience librement de leur rapport à la lecture [4].

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2- Entraîner les élèves à justifier leur choix

Quelles compétences développer ?
Formuler un avis personnel [5] sur l’œuvre consiste, pour l’élève, à mettre à distance le texte et à prendre « conscience des aspects de l’œuvre qui sont entrés en résonance, et en correspondance, avec sa propre subjectivité́ » (Bénédicte Shawky-Milcent, 2014). 
Comment favoriser cette mise à distance nécessaire pour permettre à l’élève de motiver son choix ?

Quand on demande à un élève de formuler la raison pour laquelle il a choisi un livre, c’est le verbe « aimer » ou sa forme négative « ne pas aimer », qui va revenir, concentrant toutes les émotions qu’il a éprouvées à sa lecture. On peut alors lui proposer, notamment en ce qui concerne des œuvres littéraires contemporaines, de réfléchir de façon plus précise sur ce qui fait que le livre est lu et choisi par lui, en passant par des écrits intermédiaires, enrichis au fur et à mesure, grâce aux interactions avec ses pairs.

Étape 3 - Saisir les enjeux de l’entretien

Céline Calmet, Maud Carlier-Sirat

1- Saisir les enjeux de l’entretien et entrer dans l’échange

Comment préparer l’élève à saisir les enjeux de l’entretien proprement dit, à entrer dans l’échange avec l’examinateur ?

Les comptes rendus des EAF pour les sessions 2021 et 2022 témoignent des difficultés rencontrées par les candidats pour entrer dans un véritable échange avec l’examinateur lors du deuxième temps de l’entretien. L’élève s’est peut-être focalisé sur la préparation de l’oral en continu, provoquant parfois des présentations trop longues qui empiètent sur ce moment, ou encore ne croit pas en la légitimité de sa parole sur une œuvre littéraire et se raccroche à des connaissances préparées en amont, qui font obstacle à l’écoute indispensable à un échange fructueux. Dans sa posture d’élève, il s’imagine face à un examinateur qui en sait forcément plus que lui sur le livre présenté et qui attend des savoirs ou des données incontournables à restituer. Il s’imagine difficilement devant un examinateur qui n’aurait pas lu l’œuvre et qui attendrait justement de l’entretien qu’il lui donne envie de le faire.
La difficulté provient aussi du fait que l’on demande aux candidats de se préparer pendant l’année, mais de produire, le jour de l’épreuve, un oral spontané. Mais l’oral spontané n’est pas synonyme d’oral non préparé, et il y aurait dès lors un équilibre à trouver pour que la préparation ne se transforme pas en bachotage et pour qu’une parole pleinement authentique, mais nourrie, puisse émerger. Il est donc indispensable que l’élève puisse, afin d’être en position d’écoute, se préparer à être disponible pour des questions qui vont l’amener à interroger sa relation à l’œuvre.
Il s’agit donc, dans un premier temps, de modifier les représentations des élèves sur ce temps de l’oral des EAF, de clarifier les différences existant avec d’autres types d’oraux qu’ils ont été amenés à pratiquer durant leur scolarité et de les rassurer sur le caractère légitime de leur propre parole. Pour leur permettre de cerner les contours de l’échange et ses enjeux, il paraît intéressant de leur proposer d’opérer un renversement et d’adopter la posture de l’examinateur ; ainsi les élèves pourront réfléchir à la variété des questions posées, à la manière d’y répondre mais aussi s’interroger, à travers leurs propres attentes « d’interrogateurs », à la façon dont on peut se préparer à cette partie de l’entretien.

2- Piste pédagogique : inverser les rôles entre professeur et élèves

Cette piste pédagogique propose de travailler l’entretien dès le début d’année scolaire de Première (sans attendre que les élèves aient lu tous les livres de l’année), et même dès l’année de Seconde.

L’activité consiste en un jeu de rôles qui permet d’inverser les rôles habituels : les élèves jouent le rôle des examinateurs et l’enseignant joue le rôle de l’élève interrogé à l’EAF.
Ce jeu de rôles permet d’exploiter le parallélisme qui, somme toute, existe entre l’élève qui doit, pour l’entretien de l’EAF, choisir un livre parmi ceux proposés pendant l’année par le professeur, et le professeur qui, à son bureau, opère un choix parmi les œuvres susceptibles d’entrer dans sa programmation de l’année, entre contraintes institutionnelles, intérêt des œuvres pour sa classe et goûts personnels, ce qui l’amène à ressentir des tensions entre les logiques mises à l’œuvre et à opérer des compromis.
C’est la raison pour laquelle il peut être intéressant, par cette activité d’inversion des rôles, de donner accès à « la boîte noire » du professeur. Il peut mettre en avant, plus encore que dans d’autres activités, son statut de lecteur, et évoquer face aux élèves ces tensions, les raisons de ses choix, et parmi elles, le plaisir ressenti à la lecture de l’œuvre.

L’activité proposée s’inscrit dans une démarche de pédagogie explicite, puisqu’il s’agit de faire expérimenter aux élèves la posture du professeur, puis de les faire réfléchir sur ce qu’ils viennent de vivre pour déterminer ensuite, a posteriori, les attendus de l’épreuve.
Il a été proposé aux élèves, lors d’une autre séance, une exploitation spécifique de l’enregistrement qui a été fait de la séance. Deux extraits seulement ont été retenus, l’un sur une question fermée, l’autre sur une question ouverte, afin de permettre aux élèves d’observer la manière dont on répond à chacune d’elles.
Au terme de cette activité pédagogique, les élèves ont été sensibilisés à la spécificité de l’échange par rapport au premier temps de l’entretien (présentation et justification du choix). Ils retiennent qu’une pluralité d’interprétations d’une même œuvre est possible et que les échanges se fondent sur cette richesse. Ils ont compris, par la pratique, les attendus de l’épreuve et sont parvenus à une meilleure perception de la manière de s’y préparer.

Étape 4 - Comment créer les conditions du dialogue et de l’échange ?

Laurent Bernal, Lionel Garcia

Quelles attentes à l’égard du candidat ? Quelle posture pour l’examinateur ?

1- Un écart entre les attendus de l’épreuve et les attentes de ses acteurs

L’entretien consiste en une discussion ouverte à propos d’une œuvre choisie par le candidat. La note de service [6], qui définit le format de l’épreuve, indique que le dialogue doit s’élaborer à partir d’« expériences de lecture » dont le candidat rend compte. L’examinateur est tenu d’évaluer « l’expression orale » ainsi que « l’implication personnelle du candidat », une manière de « faire partager une réflexion ». L’expérience des précédentes sessions des EAF fait cependant émerger des écarts entre les attendus de l’épreuve, les attentes des examinateurs et son déroulement effectif au fil des interrogations.
Nous nous proposons d’interroger la posture de l’examinateur et ses effets sur le déroulement de l’entretien. En effet, par les questions qu’il pose et par ses relances, l’examinateur peut favoriser un discours de réception à propos de l’œuvre choisie. Comment, dès lors, impliquer le candidat dans la restitution de sa lecture ? Il peut être utile d’interroger tout d’abord les représentations associées à l’épreuve de l’entretien.

2- Des représentations à interroger

Le Bulletin Officiel rappelle que « le candidat présente brièvement l’œuvre qu’il a retenue et expose les raisons de son choix ». L’expression subjective d’un choix semble se heurter à des obstacles de natures diverses, liés aux situations dans lesquelles l’entretien est mené. Nous souhaiterions lever certaines inquiétudes des examinateurs.

a. Comment interroger plusieurs candidats successifs sur une même œuvre ?
En cas de présentations successives d’une même œuvre par plusieurs candidats, un principe, valable en toutes circonstances, s’applique a fortiori : l’examinateur s’appuie, pour formuler ses relances, sur le caractère personnel et singulier du propos des candidats, pour éviter le risque d’une trame unique et prédéfinie associée à l’œuvre présentée.

b. Comment interroger un candidat sur une œuvre que l’examinateur n’a pas lue ?
La diversité des œuvres intégrales proposées peut conduire l’examinateur à interroger un candidat sur une œuvre que lui-même n’a pas lue. Dans ce cas, ses questions viseront à éprouver la capacité du candidat à rendre compte de l’œuvre avec précision aussi bien qu’à donner envie de la lire par les questionnements qu’elle soulève durant l’entretien. La posture d’interrogateur consiste alors à épouser la curiosité de tout lecteur et à vérifier la capacité du candidat à exposer, synthétiser, argumenter sa lecture sur la base de sa connaissance de l’œuvre. S’il ressort de l’entretien que l’examinateur a envie de découvrir l’œuvre, le pari sera réussi.

c. Comment orienter les questions de l’entretien ?
Plutôt que par un questionnaire, l’entretien pourra être guidé par des attentes qu’illustrent par exemple les questions suivantes :

  • Le candidat est-il impliqué à l’oral par la manière dont il habite sa parole ?
  • Le candidat développe-t-il un avis personnel, incarné, authentique ?
  • Le candidat mobilise-t-il des références précises à l’œuvre qu’il a choisie ?
  • Lorsque le candidat présente une œuvre au programme, parvient-il à construire un regard personnel sur cette œuvre ?
  • Lorsque le candidat présente une œuvre proposée en lecture cursive, de quelles connaissances sa parole est-elle nourrie ?

Ces questions, l’examinateur peut se les poser à lui-même avant de relancer la parole du candidat.

3. Susciter un véritable échange avec le candidat

Comment définir la posture de l’examinateur ?

Les textes officiels insistent sur l’aspect dynamique de la parole durant l’entretien. La posture de l’examinateur y est définie par le « dialogue » ; celle du candidat y est fondée sur un engagement.
Comment la posture de l’examinateur peut-elle le lui permettre ?

Une brève typologie des modes de relance de la parole en donne une idée :

  • Une question ouvrant le champ à l’expression d’un jugement ;
  • Une invitation à argumenter pour étayer une idée, une impression ou un jugement ;
  • Une invitation à nuancer une idée ou un jugement précédemment exprimés ;
  • Une invitation à sélectionner un exemple ;
  • Une invitation à préciser une allusion ou à définir le sens d’un terme employé (« Qu’entendez-vous par… ? ») ;
  • Une suggestion d’interprétation faisant contrepoint à celle que le candidat propose (« Si l’on vous dit que…, qu’en pensez-vous ? ») ;
  • La reprise d’un terme employé par le candidat pour lui demander d’en développer l’idée ou le sens.

Comme on le voit, il est question pour l’examinateur de parvenir ainsi à se déprendre de son savoir pour laisser s’exprimer un point de vue original, parce que personnel et inattendu. Son expertise s’exerce davantage sur une parole déposée par le candidat que sur la vérification d’un contenu de savoir. En nourrissant un échange attentif à la réception d’une œuvre, en favorisant l’expression de la subjectivité d’une lecture, l’examinateur crée et maintient les conditions d’un dialogue.

4- Mises en œuvre pédagogiques

Deux principes peuvent guider l’entraînement des élèves, futurs candidats, à la situation de l’entretien.

a. Apprendre à interroger, apprendre à s’interroger
Le professeur peut présenter à ses élèves des exemples de questions préparées afin de les inviter à imaginer les réponses possibles qu’ils pourraient formuler. Cependant, il paraît plus intéressant de mettre les élèves en situation de formuler eux-mêmes des questions adressées à un camarade, y compris à propos d’une œuvre qu’ils n’ont pas lue. Cet exercice peut être prolongé par l’identification de grands types de questions possibles, quelle que soit l’œuvre, selon son objet d’étude, son époque, le mouvement dans lequel elle s’inscrit. À travers cette mise en activité, le rôle et la posture de l’examinateur peuvent être explicités. Ainsi, c’est la dynamique de l’entretien, l’écoute inventive qu’il suppose, qui est travaillée et progressivement intégrée à la préparation de l’épreuve orale.

b. Pratiquer la situation d’entretien
L’organisation d’oraux blancs dans les établissements permet, outre l’indispensable entraînement dans les conditions réelles, une évaluation formative et une nécessaire précision des attendus de l’épreuve. Cette organisation pourrait ainsi prévoir un temps de retour sur la prestation de l’élève, par exemple en accordant une demi-heure de passage par élève dont 10 minutes d’évaluation formative et de conseils. Il sera alors utile de revenir sur l’explicitation des attendus de l’examen et des capacités évaluées, notamment l’expression subjective d’une compréhension globale de l’œuvre à laquelle ne peut se substituer l’évocation de quelques passages marquants.
Enfin, l’enregistrement d’entretiens lors de sessions d’oraux blancs ou lors d’une interrogation menée en classe, à condition d’en informer les élèves et de s’assurer de leur plein accord, permet une écoute réflexive de sa propre parole par le professeur. Cette écoute pourra contribuer à l’évolution de sa posture et de ses questionnements adressés aux candidats.

Bibliographie et sitographie

Bautier, Elisabeth (2016). « Et si l’oral pouvait permettre de réduire les inégalités ? », Les dossiers des sciences de l’éducation
[En ligne], 36 | 2016, mis en ligne le 15 juillet 2017.
URL : http://journals.openedition.org/dse/1397

Bayard, Pierre (2007). Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Paris : Les éditions de Minuit

Bucheton, Dominique (1999). « Les postures du lecteur ", in Demougin (Patrick) et Massol (Jean-François), coord., Lecture privée et lecture scolaire, CRDP de Grenoble.

Bucheton, Dominique (2000) « Devenir l’auteur de sa parole », extrait de l’université d’été « Prendre la parole. Apprendre la parole. Apprendre par la parole. » organisée par la direction de l’enseignement scolaire en collaboration avec les Cahiers pédagogiques à la faculté des sciences Gavy-Océanis, Saint-Nazaire, du 12 au 17 juillet 2000.
https://langage.ac-creteil.fr/IMG/pdf/devenir_auteur_de_sa_parole_bucheton-2.pdf

Le Manchec Claude, Annie Rouxel & Gérard Langlade (éds ; 2004). Le sujet lecteur. Lecture subjective et enseignement de la littérature. Actes du colloque Sujets lecteurs et enseignement de la littérature, Rennes, janvier 2004. Université Rennes 2 et IUFM de Bretagne

Picard, Michel (1986). La lecture comme jeu : essai sur la littérature, Paris : Les Éditions de Minuit, collection Critique

Rouxel, Annie (2004). « Autobiographie de lecteur et identité littéraire », in Le Manchec Claude, Annie Rouxel & Gérard Langlade (éds.) : Le sujet lecteur. Lecture subjective et enseignement de la littérature. Actes du colloque Sujets lecteurs et enseignement de la littérature. Rennes, janvier 2004. Université Rennes 2 et IUFM de Bretagne, 2004 ;
compte-rendu disponible sur la Page des lettres, « Le sujet-lecteur ou comment redonner place à la subjectivité dans la pédagogie de la lecture », https://lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article980

Rouxel, Annie (2004/4). « Autobiographies de lecteurs à l’entrée au lycée », Le Français aujourd’hui 2004/4 (n° 147)

Shawky-Milcent, Bénédicte (2014). L’Appropriation des œuvres littéraires en classe de seconde, Littératures, Université de Grenoble-Alpes

Vibert, Anne, Intervention au séminaire national de mars 2011 : « Faire place au sujet lecteur en classe », https://eduscol.education.fr/document/5687/download

Notes

[2Voir sur cette question les travaux d’Elisabeth Bautier (2016)

[3Le Manchec Claude, Annie Rouxel & Gérard Langlade (2004), pp. 201-203 : « Les frontières de la littérature telle qu’elle s’enseigne ».

[4Cette manière de procéder permet de réintroduire la notion de plaisir au sens large (intellectuel, esthétique, affectif, éthique). Il est intéressant de noter avec les élèves que la notion peut paradoxalement s’accompagner d’autres émotions ꟷ la curiosité, l’étonnement, l’impatience, le sentiment de dépaysement, le trouble, le dérangement, l’irritation, … ꟷ, celles-ci pouvant naître d’attentes en un sens déçues et d’habitudes de lecture bousculées, mais indiquant une vraie rencontre du sujet lecteur avec le livre et son univers.

[5« Être un sujet scolaire, c’est avoir construit le sens de ce qu’on fait à l’école, c’est l’avoir accepté, c’est participer avec des émotions, des affects, un langage, un parcours, la capacité à avoir un point de vue, à être auteur », Dominique Bucheton (2000).

[6Bulletin officiel spécial n° 7 du 30 juillet 2020 : https://www.education.gouv.fr/bo/20/Special7/MENE2019312N.htm

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