Quand l’élève construit et argumente seul un ensemble d’extraits littéraires et cinématographiques pour appréhender par lui-même le sens et les enjeux de la question de corpus.

, par Daphné Jacamon

Cet article renvoie à d’anciens programmes, mais son contenu conserve toute sa pertinence sur le plan pédagogique.

Ce projet à destination d’une classe de seconde vise à mettre les élèves en position de sujets lecteurs pour qu’ils constituent et interprètent eux-mêmes des corpus élaborés au sein de la classe. On se propose ainsi d’introduire, grâce au numérique et en regard des œuvres intégrales abordées, des corpus que l’on nommera « hybrides » et « augmentés », corpus qui comporteront plus d’extraits qu’un corpus-type (10 extraits) appartenant à différents langages artistiques, notamment littéraires et cinématographiques. Les élèves ont été invités collectivement à élaborer un corpus d’étude à partir de ces extraits, en le problématisant autour de notions qui dépassent la seule convergence thématique comme dans les corpus proposés aux EAF. Ils ont été amenés à choisir eux-mêmes 3 ou 4 extraits parmi les dix que comporte le « corpus augmenté » et à justifier leur approche par la confrontation ou le dialogue que différents langages artistiques peuvent offrir sur une notion comme celle du registre ou sur des motifs comme ceux de l’espace ou du temps ou même encore sur des figures comme l’allégorie ou la métaphore. Le corpus « hybride augmenté » qui comporte de manière virtuelle plusieurs corpus possibles, cherche à éviter que l’élève ne s’enferme trop tôt dans une posture rigide où l’on attend seulement de lui qu’il entre dans l’intelligence d’un corpus déjà problématisé par l’enseignant. De même, ce corpus « augmenté », par le nombre limité d’extraits qu’il propose, se veut un cadre rassurant qui dispense l’élève de se perdre dans des recherches désordonnées lorsqu’on sollicite ses compétences de lecteur pour concevoir seul son corpus. La classe de seconde qui a expérimenté ce projet disposait de tablettes numériques. Ce projet a été mené en collaboration avec Mathieu Rasoli, conseiller cinéma pour la Délégation Académique à l’Action Culturelle.

Parcours didactique et pédagogique proposé

  • Travail de l’enseignant en amont de la séquence

En amont de la séquence, le professeur choisit cinq extraits de films et d’œuvres littéraires, soit dix extraits en tout, dont le thème commun entre en résonance avec une œuvre intégrale étudiée. On a ainsi choisi d’étudier cette année des corpus portant sur le mariage en écho à Andromaque de Racine, sur la guerre en contrepoint du Colonel Chabert de Balzac, sur la nature en lien avec un recueil de poésie romantique et enfin sur les animaux en regard du livre I des Fables de La Fontaine. L’introduction d’œuvres cinématographiques se justifie à différents niveaux : la narration cinématographique, plus immédiate, accompagne en effet l’élève dans son effort d’évocation d’extraits littéraires et lui permet d’actualiser des notions comme celles portant sur le registre ou les figures de style. En outre, la conduite du récit cinématographique éclaire celle de la narration littéraire par le travail spécifique qu’elle mène sur le cadrage, le montage ou la bande-son.

Pour faciliter l’analyse des extraits cinématographiques de deux minutes qui doivent seuls faire l’objet d’une analyse, on a pris soin de les associer à la bande annonce du film dont ils sont issus et de les intégrer à un extrait plus long de dix minutes. Les extraits littéraires, quant à eux, sont introduits de manière traditionnelle par un rapide paratexte qui situe l’extrait par rapport à l’ensemble de l’œuvre et donne, si nécessaire, quelques éléments sur la suite de l’intrigue.

Le déroulement de ces analyses peut se structurer en trois étapes distinctes.

  • Étape 1 : Choisir une entrée privilégiée pour procéder à l’examen du corpus

Pour éviter le double écueil de l’analyse stylistique détaillée et celui de la paraphrase, on propose de définir avec les élèves plusieurs entrées, thématiques, stylistiques ou rhétoriques qui favoriseront le travail de confrontation.

Démarche(s) expérimentée(s)

On a pu ainsi définir les motifs récurrents d’un thème par un travail d’écriture libre dont l’objectif premier était de clarifier l’horizon d’attente des élèves. Plusieurs approches peuvent être envisagées : on a par exemple invité les élèves à rédiger une brève scène de mariage, romanesque ou théâtrale, à partir ou non d’un personnage littéraire, scène qui pouvait laisser deviner si la vie conjugale des personnages serait heureuse ou malheureuse. La confrontation de ces productions a permis, d’une part de révéler quel était l’horizon d’attente de chaque élève sur ce thème, d’autre part de cerner les invariants d’une scène de mariage, en l’occurrence, la figure des mariés et plus particulièrement de la mariée, le récit de la cérémonie et l’atmosphère générale de la scène.

Chacun de ces motifs constitue donc une entrée qui n’élude pas les autres approches mais permet de structurer la démarche comparative sans se perdre dans l’évocation particulière de chaque intrigue.

On propose ensuite l’analyse en classe de deux extraits, l’un littéraire, l’autre cinématographique, pour vérifier la pertinence des entrées choisies, introduire ou réviser les modes de narration spécifiques aux langages littéraire, cinématographique et préciser ce que signifie « comparer des extraits ».

A ce stade du projet, on communique aux élèves l’intégralité du corpus hybride augmenté.

  • Étape 2 : Construire son propre corpus

Dans cette deuxième étape, les élèves sont invités à construire leur propre corpus avec comme consigne de chercher dans le corpus hybride enrichi trois ou quatre extraits qui illustrent chacun une approche différente du motif étudié. Il s’agit de construire un corpus qui montre par exemple comment varie la construction d’un personnage, « figure des mariés », comment les extraits jouent avec des codes de représentation, ou enfin quels indices l’atmosphère d’une scène peut donner sur le devenir conjugal des personnages. La construction de ce corpus se fait donc non par addition mais par soustraction. Il s’agit pour les élèves de mettre de côté les extraits qui jouent le rôle de doublon par rapport à l’entrée choisie, ou ceux qui n’en accordent qu’un traitement secondaire, afin d’identifier ceux qui proposent une approche originale du motif étudié.

Ce travail, qui peut être mené seul ou en groupe, donne lieu ensuite à un travail d’écriture argumentative dans lequel le(s) élève(s) justifie(nt) son (leur) choix. On lui/leur demande alors de formuler une question qui mette en valeur l’intérêt du corpus proposé.

  • Étape 3 : Argumenter et échanger sur les différents corpus.

Chaque élève est invité à répondre à la question proposée par son ou ses camarade(s) et à commenter le choix des extraits retenus. Deux situations peuvent alors se présenter : soit l’élève travaille sur un corpus qui correspond à une approche différente de la sienne, soit il travaille sur un corpus qui s’appuie sur l’entrée qu’il a lui-même choisie et dans ce cas, il se confronte à d’autres sujets lecteurs qui n’ont pas opéré les mêmes choix que lui. Dans tous les cas, l’exercice met les élèves en situation réelle de comprendre ce qui justifie la possibilité de différents corpus.

Exemples de corpus hybrides

Sur le thème de la guerre : corpus associé à l’étude du Colonel Chabert de Balzac.

Texte A : Voltaire, Candide ou l’Optimisme, extrait du chapitre 3, du début à « boucherie héroïque », 1759
Texte B : Stendhal, La Chartreuse de Parme, extrait du chapitre 3, de « Mais le tapage devint si fort » à « le brave des braves », 1839.
Texte C : Victor Hugo, Les Misérables, IIème partie, livre 1, extrait du chapitre 9 de « Alors on vit un spectacle formidable » à « cela traversa la bataille comme un prodige », 1862.
Texte D : Guy de Maupassant, Boule de Suif, du début à « la marche des lignards » 1880.
Texte E : Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, extrait du chapitre 2, de « une fois qu’on y est » à « j’avais pas dû m’en apercevoir », 1932

Extrait de film 1 : Charlot soldat, Charlie Chaplin, 1918
Extrait de film 2 : La ligne rouge, Terrence Malick, 1998
Extrait de film 3 : Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg, 1998
Extrait de film 4 :Troie, Wolfgang Petersen, 2004
Extrait de film 5 : Ni le ciel, ni la terre, Clément Cogitore, 2015

Lien vers le corpus sur la guerre comprenant les extraits de textes et de films

Sur le thème du mariage : corpus associé à l’étude d’Andromaque de Jean Racine

Extrait de film 1 : Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino, 1978, de 41’55’’ à 45’55’’.
Extrait de film 2 : Peau d’âne, Jacques Demy, 1970, de 1h21’00’’ à la fin.
Extrait de film 3 : L’Enfer, Claude Chabrol, 1994, de 3’25’’ à 5’05’’.
Extrait de film 4 : La Reine Margot, Patrice Chéreau, 1994, de 4’35’’ à 7’35’’.
Extrait de film 5 : Love actually, Richard Curtis, 2003, de 2h03’00’’ à 2h06’40’’.

Texte A : Andromaque, Jean Racine, 1668, Acte V scène 3, vers 1499 à 1520.
Texte B : L’Ingénu, Voltaire, 1767, chapitre VI, du début à « un frein que la vertu s’est donné elle-même. ».
Texte C : L’Assommoir, Emile Zola, 1876, chapitre III, de « Tout en marchant très lentement » à « se décida à sortir encore cinq sous ».
Texte D : Une vie, Guy de Maupassant, 1883, chapitre 4, de « Les deux semaines qui précédèrent le mariage » à « le grand soleil luisait durement dans le ciel tout bleu ».
Texte E : Bel-Ami, Guy de Maupassant, 1885, Deuxième Partie, Chapitre X, de « Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. » à la fin.

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