Productions écrites et appropriation d’une œuvre longue Comment tirer profit de l’hybridation ?

, par CARLIER-SIRAT Maud , MARY Ingrid

Cet article est le compte-rendu d’un atelier qui s’est tenu lors de la journée des formateurs du 7 avril 2022 organisée par l’Inspection Académique de Lettres de Versailles.
Si donc la réflexion est menée avec les formateurs qui est ici le public visé, néanmoins l’expérience conduite peut profiter à tous.

Voir le compte-rendu de l’ensemble des ateliers

Problématisation : le dilemme du professeur de Paloma

Les participants ont été amenés à observer l’extrait d’une production d’élève en Première HLP. Invitée à produire un « carnet de lectrice » pour accompagner la lecture du roman Ce qu’il advint du Sauvage blanc, de François Garde, l’élève a en effet produit certaines pages qui peuvent déconcerter les enseignants qui se lancent dans l’expérimentation des écrits d’appropriation autour d’une œuvre longue. Ces pages, en effet, suivent le fil de la lecture de l’œuvre, mais l’élève dérive sur des souvenirs biographiques qui ont un lien plus que ténu avec l’œuvre. L’œuvre n’est ainsi plus que le prétexte à une fuite hors de l’œuvre .
Les formateurs et formatrices ont essayé de comprendre quel était le dilemme du professeur de l’élève, qui pouvait être tenté d’abandonner l’expérience, ne sachant comment exploiter cet écrit qui semble dévier de son rôle. En effet, l’élève s’est engagée dans l’écriture, a noté ses pensées durant le temps de la lecture, et le fait même d’avoir évoqué des souvenirs d’enfance, même s’ils ont peu de choses à voir avec l’œuvre, est la preuve que la lecture a eu un effet puissant sur ce « sujet-lecteur ».

Comment, alors, accueillir cette écriture et cette lecture particulières sur le temps long ? Comment en profiter pour aider l’élève à se construire à la fois une appropriation de l’œuvre partageable avec d’autres et à élaborer son identité de lectrice ?
Les participants tombent d’accord sur le fait de ne pas en rester à cette lecture, qui a son intérêt si elle est considérée comme une première étape de lecture et d’écriture, si elle est rejouée dans la confrontation avec d’autres expériences, si elle invite à revenir à l’œuvre, de manière collective et personnelle. L’intérêt de l’expérience, c’est de montrer qu’il y a plusieurs manières de lire.

Hybrider ?

On réfléchit alors à l’accompagnement de la lecture longue par l’écriture, et on se demande comment l’hybridation peut être un levier pour :

  • encourager la lecture sur le temps long ;
  • articuler l’indispensable solitude de la lecture / de l’écriture et la tout aussi indispensable confrontation d’expériences avec ses pairs, avec l’enseignant ;
  • accompagner les métamorphoses de l’écrit où se joue et se rejoue la lecture de l’œuvre.

Pour ce faire, on se propose de réfléchir au sens premier du mot « hybride » :

« 1. [En parlant d’animaux, de plantes] Qui provient du croisement naturel ou artificiel de deux individus d’espèces, de races ou de variétés différentes. Ex : un mulet. » [1]

Ressort l’idée suivante : est « hybride » ce qu’on a l’habitude de penser comme limites, frontières. Par exemple, ce qu’on fait « en classe » et « hors la classe », « dans la solitude », « chez soi » et « collectivement ».

On peut y retrouver une manière de penser plus formelle de l’enseignement hybride :

L’enseignement hybride est “une combinaison ouverte d’activités d’apprentissages offertes en présence, en temps réel et à distance, en mode synchrone ou asynchrone” [2]

.

Ainsi, pour comprendre ce qu’est une pratique hybride, on peut retenir l’idée d’estomper les frontières entre les différents temps et les différents espaces de l’apprentissage.

https://www.ac-versailles.fr/l-enseignement-hybride-121545

Deux cas pratiques pour lancer la réflexion

L’atelier se poursuit en proposant aux formateurs et formatrices deux activités différentes d’accompagnement de la lecture.

Pour chaque activité, les groupes se posent les questions suivantes :
 1. Quel est l’intérêt de cette activité ? Quelles sont ses limites ?
 2. Quelles autres activités pourriez-vous proposer pour compléter l’activité, la prolonger ou l’améliorer ?

Activité 1 - Accompagner la lecture de L’Ingénu de Voltaire

En classe de première STMG

  • Le document d’accompagnement proposé aux élèves
  • Exemple de production d’élèves

Activité 2 - Accompagner la lecture d’Alcools d’Apollinaire

En classe de première ST2S

Projet : Réaliser des marque-pages illustrés pour accompagner la lecture d’Alcools d’Apollinaire.

Chaque élève travaille sur un poème du recueil et doit réaliser un marque-page comportant un tableau et la justification du lien entre le tableau et le poème (pourquoi avez-vous choisi ce tableau ? en quoi le tableau éclaire-t-il votre compréhension du poème ?).
On distribue à tous les élèves les marque-pages réalisés. On divise la lecture du recueil pour proposer de lire, chaque semaine, 6 poèmes.

Consignes du travail à distance asynchrone.
1. Lire les 6 poèmes suivants en s’aidant des marque-pages illustrés réalisés par des élèves de la classe : « Le Pont Mirabeau », « La Chanson du Mal Aimé », « Rosemonde », « Les Colchiques », « Annie », « La Loreley ».
2. Sur le Pad sur l’ENT, répondre à ces questions :
 Quelle vision de l’amour les poèmes proposent-ils ? Cette vision de l’amour vous semble-t-elle correspondre à la vision de l’amour proposée par les six tableaux des marque-pages ?
 Quel poème préférez-vous parmi les six ? Pour quelles raisons ?

Présentation des productions d’élèves Sic

Exemple d’échanges entre élèves Sic

En complément, voir sur La Page des Lettres
Apollinaire Alcools - S’approprier les œuvres au programme de 1ère

Synthèse de l’atelier

À partir des propositions qu’il a émises, le groupe est invité à faire le bilan :
  • Pour accompagner la lecture d’œuvres par l’écriture, quels liens tisser :
     Entre l’individuel et le collectif ?
     Entre lecture et écriture ?
  • Quel rôle peut jouer l’hybridation ?

Hybridation de l’accompagnement à la lecture

Premier constat : les avantages du numérique dans l’hybridation de l’accompagnement à la lecture par l’écriture

  • L’hybridation favorise les écrits de travail : les supports comme le pad ou le blog autorisent une écriture spontanée et des productions plus courtes. Ils sont l’équivalent d’un écrit de travail, plus libre qu’un écrit qui aurait une situation d’énonciation plus scolaire. Le format numérique permet de se sentir davantage autorisé à actualiser l’œuvre.
  • L’hybridation permet une écriture dialoguée entre élèves : le numérique permet de créer des moments de « rencontre » au cours de sa lecture, des moments où l’on peut plus facilement faire le point sur sa lecture et échanger avec les autres élèves. Les supports comme le pad ou le blog amènent les élèves à réagir aux avis des autres et à y répondre.
  • L’écriture numérique permet des formats multimédias : image, son, écriture. Interactions, liens entre supports qui permettent de construire une culture personnelle.
    => Idée de transfert, de décloisonnement : entre objets culturels, entre ses pratiques culturelles personnelles et les pratiques scolaires.

Aller au-delà de l’expression spontanée ?

C’est là un point sur lequel porter son attention.

  • Chaque élève, pour dépasser la simple expression spontanée d’un ressenti premier, a besoin de la classe, du groupe, mais également de la médiation de l’enseignant. Le besoin se fait également sentir d’une métacognition. Il est par exemple nécessaire de faire prendre conscience aux élèves qu’il y a plusieurs sortes de lecture et que chacune répond à un objectif donné.
  • Il est fécond de savoir qu’on peut, grâce à l’hybridation, abolir ou rétablir ces frontières, ménager des temps individuels de lecture et d’écriture, des temps d’échanges, oraux ou écrits, et des temps, également, où l’on retrouve préservée la « chambre à soi » de l’écriture. Pour aller vers une lecture littéraire, l’élève a besoin de penser à la fois ce qui est personnel, immersif, et ce qui est partageable, distancié, dans sa lecture. Ce retour réflexif peut être occasionné par les retours des pairs, ou les apports plus savants du professeur.

Voir en ligne : Faire lire des œuvres longues

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