Doubler un péplum en latin

, par BACH Sarah

La preuve par l’image : un exemple de doublage

Production d’élèves : Doublage Actium
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Compétences.

Cette activité a été entreprise avec une classe de latinistes de Troisième, sachant donc déjà produire des énoncés simples en latin ainsi que lire et prononcer distinctement le latin. Les élèves ont traduit en latin un dialogue extrait du péplum Cléopâtre de Joseph Mankiewicz (1963) et retravaillé par moi en amont de la séance. Ils ont ensuite dit ce dialogue, qui a été enregistré et a servi de doublage à l’extrait.

Le travail initialement prévu n’était pas une activité orale, mais entrait dans le cadre de l’histoire des arts. Il s’agissait de comparer deux extraits filmiques de genres différents, un docu-fiction sur la bataille d’Actium (extrait de Le destin de Rome) et l’extrait de la même bataille dans Cléopâtre, afin d’analyser la différence entre ces deux genres et de s’interroger sur ce qui fait la qualité d’une restitution historique. L’aspect caricatural et fautif de l’exposé de la stratégie de Marc-Antoine dans le péplum, alors que son efficacité filmique dépasse grandement celle du docu-fiction, a décidé les élèves à corriger l’extrait de Cléopâtre. Le besoin des élèves d’entrer dans l’histoire par l’image et la nécessité de leur apprendre à faire des liens entre les oeuvres, au fondement de la création de la séance initiale, a ainsi été détourné par les élèves au profit de la nécessité d’avoir à leur disposition des outils d’apprentissage à la fois artistiquement marquants (péplum) et historiquement corrects (documentaire). L’interrogation sur le statut de l’image, sa véracité et son pouvoir de persuasion a primé.

Il s’est alors agi, dans l’activité de doublage comme dans l’activité de correspondance, de pratiquer l’écriture en développant l’utilisation des connaissances des élèves. Là encore, il importe de montrer aux élèves que le dictionnaire ou le professeur ne sont qu’un second recours après leurs propres connaissances. L’activité a permis, par mon retravail en amont du dialogue à traduire, d’introduire des connaissances nouvelles en langue latine autour du champ lexical du combat.

A cette activité de traduction s’est ajouté un travail d’oralisation du latin. Comment mettre en voix cette langue dont nous ne disposons pas d’enregistrement, dont la restitution orale fait universitairement débat et aux accents complexes ? L’activité proposée n’a été qu’une initiation à l’oralisation, en ce qu’elle n’est pas entrée dans ces problématiques, mais s’est contentée d’exiger des élèves une prononciation du latin correcte et fluide, une syntaxe proprement segmentée et un ton adéquat au sens. La compréhension du phrasé latin devient ainsi une étape à part entière de la compréhension du sens du texte.

Démarche.

Les deux séances d’histoire des arts et de traduction/doublage ont été menées à la suite. Le travail aura duré environ 4 heures.

Visionnage de deux extraits filmiques complémentaires et analyse de ces extraits

Les élèves analysent ces deux extraits en notant leurs points communs et leurs différences. Ils s’interrogent sur les outils utilisés par les réalisateurs pour rendre plus efficace le message transmis. Suite à cette analyse, le documentaire semble plus crédible, le péplum plus intéressant. Un danger est mis au jour : la fiction, par l’intérêt plus grand qu’elle éveille chez le spectateur, marque davantage et risque d’être prise par lui pour la réalité. Les élèves réfléchissent à la manière de contrer ce danger : que manque-t-il au documentaire pour être plus intéressant ? Comment contrer l’effet mensonger du péplum ? La stratégie du docu-fiction, basée sur un effet de réel à travers les personnages qui parlent en latin, semble un outil intéressant. Il s’agit également de dénoncer les mensonges du péplum en rétablissant l’Histoire.

Rédaction et traduction du dialogue en latin

Les élèves choisissent l’extrait de l’exposé de la stratégie de Marc-Antoine par les généraux (2’14-2’50) comme exemple des erreurs historiques contenues dans le péplum. J’ai donc transcrit cet exposé, qui prend la forme d’un dialogue, et l’ai modifié afin qu’il soit traduisible par les élèves. Est ressorti immédiatement le champ lexical du combat, notamment naval, que j’ai complété en modifiant quelques phrases, afin d’en faire un axe d’apprentissage. En groupes, les élèves traduisent les dialogues en latin, nous nous assurons en commun de la cohérence et de l’absence d’erreur de ces traductions.

Rédaction d’une vignette introductive.

Les erreurs du péplum sont signalées sur une vignette introductive, rédigée par un groupe d’élèves. Il s’agit de rétablir la vérité historique. La traduction latine de cette vignette n’a pas eu lieu, faute de temps.

Entraînement à l’oralisation.

Les élèves écoutent une oralisation de la première Catilinaire de Cicéron, dont ils connaissent le texte car il a fait l’objet d’une étude lors de la séquence précédente. Le côté caricatural de cette mise en voix, qui appuie sur les accents, si elle fait rire, permet en contrepartie de replacer le travail d’oralisation dans son contexte expérimental : il s’agit d’une proposition, d’une tentative, pour les élèves aussi. Les élèves lisent le dialogue qu’ils ont traduit, on s’enregistre, la classe réécoute et commente, plusieurs fois. La segmentation est problématique, même pour un texte que l’on a traduit soi-même. Ceux qui disent bien sont aussi ceux qui ont compris leur phrase en latin. Ils deviennent experts de leur phrase à la place du professeur, en expliquent la structure à la classe. On reprend aussi les bases de la ponctuation française, de l’intérêt notamment de la virgule. Quand l’ensemble semble suffisamment clair, l’enregistrement a lieu.

Des TICE.

Les TICE ont tout d’abord été utilisé ici dans leur emploi le plus évident, celui de média. Le TNI a permis le visionnage des deux extraits filmiques, ainsi que leur analyse croisée par les possibilités d’annotation qu’offre le logiciel interactif. Il a également permis l’écoute de la mise en voix de la première Catilinaire.

Le travail d’oralisation a également gagné en efficacité grâce aux TICE, par la possibilité de s’enregistrer. L’écoute répétée du phrasé de l’autre permet d’en repérer les imperfections ou au contraire les qualités. De la même manière que le traitement de texte permet de réécrire sans difficulté, pouvoir enregistrer sans compter dédramatise la prise de parole en langue étrangère. L’écoute répétée de sa propre production orale permet également de prendre conscience de certains tics oraux, grande inspiration forcée avant de se lancer, accélération sur la fin de la phrase, claquements de langue.

Enfin, le montage final a été effectué grâce au logiciel Imovie (son équivalent, Windows Movie Maker, offre des possibilités similaires). J’ai effectué le montage dans un souci de gain de temps. Néanmoins, la facilité d’utilisation de Windows Movie Maker permettrait tout-à-fait de faire réaliser l’intégralité du montage aux élèves.

Réflexions.

Quelle vision de l’histoire ?

Les élèves sont manichéens. L’image, par la caution des média qui la transmettent, est pour eux facteur de vérité, d’autant plus si elle porte le nom de documentaire. La réflexion sur la qualité de l’image documentaire ne se conçoit pour eux qu’en terme de vrai ou faux, et notre activité a trouvé là sa limite : à trop insister sur les défauts du péplum, les élèves en sont arrivés à voir dans le documentaire l’expression d’une vérité absolue. Il a fallu réinterroger le sens de la recherche historique, expliquer qu’elle fournissait parfois davantage de suppositions, de reconstitutions basées sur des éléments possibles mais pas forcément prouvés, que de vérités. L’écoute de la mise en voix de la première Catilinaire a permis de revenir sur ces questions.

Il a également fallu réinterroger le statut de l’œuvre d’art : quelle part avec la réalité historique doit avoir un péplum ? L’art peut-il se passer d’informer dans le but de distraire ? Les élèves ont sur ce point une opinion tranchée, l’information erronée prenant immédiatement la dimension d’un mensonge.

Quelle place de l’oral ?

Comment poursuivre une telle activité ? Le travail de l’oral en latin demande-t-il, au collège, d’entrer dans des considérations complexes d’accentuation ? Peut-on se risquer à oraliser de la poésie ? Les limites qui se posent sont celles de la difficulté de l’apprentissage de l’accentuation latine (doublée des complexités de la scansion pour la poésie) et de l’impression d’initier les élèves à l’oral davantage que de leur apprendre une réalité de la langue. L’oral me semble cependant intéressant en ce qu’il consiste en un moyen de compréhension de la langue latine davantage qu’en un exercice en soi : il ne s’agit pas de faire parler latin, mais peut-être davantage de faire « phraser » latin.

Comment évaluer ?

Là encore, l’évaluation ne s’est pas faite en notant la production finale, puisqu’elle était collective. J’ai évalué plusieurs items de la compétence 5 du socle commun en tenant compte des prises de paroles des élèves en classe. Comme pour l’activité de correspondance, nous avons décidé que les élèves se verraient attribuer une note d’implication dans le travail plutôt qu’un résultat chiffré de leur production.

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