Contextualisation de la séance
La séance, expérimentée à la fin du mois de mai 2019, s’appuie sur les programmes de français parus au Bulletin officiel n°9 du 30 septembre 2010. Elle pourra néanmoins être transposée dans les objets d’étude des nouveaux programmes de français [1], toutes les fois par exemple où un débat interprétatif pourra nourrir une réflexion sur les œuvres étudiées.
Avec une classe de 35 élèves de seconde, dans l’objet d’étude « La poésie du XIXème au XXème siècle : du romantisme au surréalisme » et pour une séquence portant sur le lyrisme et l’engagement, on étudie un poème de Victor Hugo, « L’Enfant », tiré des Orientales (1829).
Dans une séance précédente le poème a fait l’objet d’une explication de texte, à l’issue de laquelle les élèves se sont entendus pour dire que, dans ce poème, les éléments propres au registre lyrique étaient mis au service d’une dénonciation de la guerre.
En prolongement de cette étude, on propose une séance d’une heure pour développer les compétences orales des élèves, en faisant alterner le travail en petits groupes et en grand groupe.
Déroulement de la séance
En amont
Pour permettre à tous les élèves de travailler l’oral, il a semblé à la professeure qu’il fallait repenser la disposition des tables dans la salle de classe. Pour cette séance, elle est disposée en neuf îlots. En amont, on a formé huit groupes de quatre élèves et un groupe de trois. Afin d’harmoniser les productions des élèves, on a favorisé l’hétérogénéité au sein des îlots. Les élèves ont apporté en classe le texte de Victor Hugo.
1ère étape - Un oral de travail en petits groupes
On projette aux élèves le tableau d’Eugène Delacroix, Scène des massacres de Scio, familles grecques attendant la mort ou l’esclavage (1824), que les élèves doivent confronter au poème de Victor Hugo pour répondre à cette question :
Laquelle de ces deux œuvres vous semble-t-elle la plus efficace dans sa dénonciation du massacre ?
Dans chaque groupe, le débat doit permettre, si possible, d’aboutir à un consensus. En effet, chaque élève a son point de vue personnel sur la question mais son objectif devra être de convaincre ou de se laisser convaincre par ses pairs. Puisque nous sommes en fin d’année, les élèves de seconde savent qu’ils devront étayer leur point de vue et s’appuyer précisément sur les œuvres pour remporter l’adhésion.
Une quinzaine de minutes après le début du travail de groupe, la professeure circule d’îlot en îlot et observe que les avis sont assez partagés :
– dans trois groupes, on considère que c’est le tableau le plus poignant, contre quatre pour le poème ;
– dans deux groupes enfin, les élèves ne parviennent pas à un consensus.
Pour consulter le détail des arguments proposés par les élèves pour défendre leur thèse :
2nde étape - Un oral de restitution face au grand groupe
L’objectif est désormais de permettre aux élèves de développer des compétences qui ne relèvent plus de l’oral de travail mais plutôt de la prestation orale. Pour que cette deuxième étape puisse ensuite donner lieu à une réflexion sur l’oral, on distribue des rôles dans la classe.
- Les orateurs
– Chaque îlot choisit un orateur, porte-parole de son groupe, qui viendra présenter au reste de la classe une thèse étayée par des arguments pour répondre à la question initialement posée.
– Neuf orateurs, dont la parole personnelle se sera construite grâce au débat avec les pairs, se succèderont donc pour convaincre les autres élèves de la pertinence de leur thèse.
– Pour cet oral, ils ne disposeront que du poème de Victor Hugo et du tableau d’Eugène Delacroix, vidéo-projeté. En effet, selon Cyril Delhay, professeur et conseiller d’art oratoire à Sciences Po Paris, l’une des compétences fondamentales de l’oral est de savoir parler debout devant les autres et sans notes. [2]
- Les jurés
– Chaque îlot choisit également un juré. Les neufs membres du jury devront se placer devant un deuxième tableau, sur lequel on aura dessiné une « ligne d’adhésion ».
À la droite de cette ligne se positionneront tous les élèves qui considèrent que le poème de Victor Hugo est le plus convaincant dans sa dénonciation du massacre.
À la gauche du tableau viendront les défenseurs de la peinture de Delacroix. Ceux dont l’avis n’est pas tranché resteront au milieu.
– Au fur et à mesure des interventions des orateurs et à chaque fois qu’ils auront été convaincus par un discours, les membres du jury pourront se déplacer sur cette ligne d’adhésion.
- Les observateurs
– Restent, pour chaque îlot, deux élèves, qui ne sont ni orateurs ni jurés. Ils sont les observateurs. Leur rôle est d’écouter les orateurs et de regarder attentivement l’effet produit par leurs discours sur les membres du jury.
– Si l’on considère qu’un discours réussi est celui qui aura confirmé ou fait changer d’opinion les membres du jury, il leur faudra se demander : qu’est-ce qui a été susceptible de convaincre dans ce discours ?
– Les réponses qui seront apportées, en fin de séance, à cette question, pourront constituer une fiche de « méthode pour réussir un oral ».
Dresser un bilan : l’oral comme objectif d’apprentissage
Constat des élèves observateurs
Les observateurs constatent deux choses :
– d’abord que l’oral est une activité physique qui demande un engagement corporel,
– ensuite qu’un oral doit être préparé.
En effet, l’orateur convaincant est celui qui aura su garder en mémoire les arguments et les exemples qui lui permettront d’étayer sa thèse.
Bilan de l’expérimentation
Tout comme l’indiquait Caroline Pascal lors du séminaire sur « La prise en compte de l’oral au lycée » [3] , on a pu voir avec cette séance que l’oral embrassait trois types de compétences.
- 1. La première relève de la maîtrise de la langue : l’emploi d’un niveau de langue adapté, l’élargissement du vocabulaire, les constructions syntaxiques correctes sont des atouts pour l’orateur.
- 2. La deuxième concerne la confiance en soi, qui s’apprend et se travaille, et qui permet d’entrer en communication avec l’autre. L’élève apprendra ainsi à maîtriser son débit de parole, le niveau de sa voix, son souffle.
- 3. La troisième serait une compétence sociale, puisque l’oral permet l’échange, le débat, la construction des opinions et des valeurs, dans le groupe et par le groupe.
C’est peut-être ce dernier point qui a été mis le plus nettement en évidence lors cette séance : pour pratiquer l’oral en classe, il faut certes savoir poser sa voix, transmettre ses idées, être éloquent, mais il faut aussi savoir écouter l’autre. Aussi Cyril Delhay [4] précise-t-il que s’exprimer à l’oral, c’est
prendre en compte l’altérité dans l’élaboration [de sa parole] comme dans son adresse.
« L’oral pour réfléchir ensemble - Préambule »
Consulter l’article consacré à la deuxième expérience :
« L’oral pour interroger et problématiser la notion de « modernité poétique » dans une classe de première ».