Les relations au sein de la phrase complexe Une séquence d’accompagnement personnalisé en seconde

, par JOUANNE Lucie

Présentation générale de la séquence

Questionnement didactique

Pour faire étudier la langue aux élèves de lycée, la professeure de français est amenée à se demander quels corpus utiliser. Doit-elle choisir des phrases tirées des textes littéraires, afin de ne pas cloisonner l’étude de la langue et celle de la littérature ? Mais un tel corpus ne risquerait-il pas de redoubler les difficultés des élèves, liées à la fois à la grammaire et à la compréhension littérale du texte ? Le langage littéraire leur apparaît souvent comme étant à décrypter, à décortiquer, parce qu’il vise à produire certains effets qui requièrent analyse et interprétation. Dès lors, le corpus littéraire ne risque-t-il pas de faire écran à un questionnement sur la langue de la part des élèves ? Nous nous demanderons s’il est pertinent de faire construire aux élèves leur propre corpus de phrases, à partir duquel ils pourront observer le fonctionnement de la langue afin de formaliser eux-mêmes une leçon de grammaire.

Contexte et objectif de l’expérimentation

Dans une classe de seconde, en début d’année, la professeure repère neuf élèves dont les écrits révèlent une faible maîtrise de la construction des phrases complexes et constitue un groupe d’accompagnement personnalisé pour une séquence de sept heures organisées en six séances. L’objectif est de faire acquérir à ces élèves des compétences linguistiques qui leur permettront d’améliorer leurs compétences langagières : produire des phrases grammaticalement correctes pour développer des écrits plus clairs. On choisit donc d’explorer avec ces élèves l’objet d’étude des « Relations au sein de la phrase complexe » [1], qui permettra de construire un continuum entre le collège et le lycée. Par des activités de production de phrases, de manipulation et de catégorisation, on cherchera à faire de ce groupe d’élève à l’expression faible un groupe d’experts, capables de construire une leçon de grammaire pour leurs pairs sur les relations au sein de la phrase complexe.

Déroulement de la séquence

Séance 1 : Définir la phrase

Préparation / Matériel :
  • Trois îlots de trois élèves.
  • Une quarantaine de post-its.
  • Trois feuilles de paper-board.
1. Produire un corpus de phrases

Il s’agit de partir des représentations des élèves pour s’interroger sur ce qu’est une phrase.

  • Chaque élève doit inventer ou collecter quatre phrases et écrit chacune d’elles sur un post-it.
  • Chacun des membres du groupe colle ensuite ses post-its sur le paper-board. Lien vers un extrait du corpus.
2. Observer le corpus
  • A partir de l’observation de ce corpus, les élèves pourront s’entendre entre pairs sur une première définition de la phrase, en complétant les syntagmes suivants sur la feuille de paper-board : « Une phrase c’est... » et « Une phrase peut être... »

  • Dans chaque groupe, un Rapporteur et un Scripteur viennent présenter à l’ensemble des élèves leur paper-board, avec les phrases produites et la définition qui en a été déduite. Le Scripteur note au tableau les propositions formulées oralement par le Rapporteur.

3. Stabiliser la définition
  • Au fur et à mesure des présentations, on négocie la définition de la phrase. Alors qu’un premier Scripteur avait noté au tableau qu’une phrase comportait toujours un verbe, le deuxième - dont le groupe avait proposé la phrase « Quoi, Un attentat ? » - précise qu’une phrase peut être verbale ou nominale.

  • A l’issue de ce travail, on a donc pu stabiliser la définition suivante :

Séance 2 : Distinguer phrase simple et phrase complexe

Préparation / Matériel :
  • Mêmes îlots que précédemment.
  • Les post-its corrigés [2] de la séance précédente.

  • Trois nouvelles feuilles de paper-board.
1. Classer les phrases

Chaque groupe d’élèves dessine sur une nouvelle feuille de paper-board un tableau en deux colonnes - « phrases simples » et « phrases complexes » - et y classe une douzaine de phrases écrites sur des post-its.

2. Observer et catégoriser pour formaliser la leçon

L’observation de ce classement permet de réactiver chez les élèves la notion de proposition. La mise en commun des travaux de groupe permet d’arrêter une catégorisation claire entre phrases simples et phrases complexes.

3. Repérer et délimiter les propositions dans la phrase complexe

Afin qu’ils puissent explorer les différents types de relations entre les propositions, la professeure demande aux élèves de les repérer précisément dans leurs phrases en les mettant entre crochets. [3]

Séance 3 : Distinguer les différents types de relations au sein de la phrase complexe

Préparation / Matériel :
  • Mêmes îlots que pour la séance 2.
  • Le paper-board avec les post-its classés au cours précédent.
1. Observer et catégoriser les liens possibles entre les propositions
  • Dans la colonne « phrases complexes », les élèves classent les propositions en fonction du lien qui les unit. Ils subdivisent cette colonne en trois parties, nomment et définissent aisément les liens de coordination et de juxtaposition, plus difficilement le rapport de subordination.

2. Transformer des phrases simples en phrases complexes

Cette activité permet à la fois de consolider les connaissances précédemment acquises et d’étoffer le corpus de phrases complexes, en prévision de la prochaine séance.

  • La professeure demande aux élèves de prendre les phrases simples qui sont dans la colonne de gauche de leur paper-board. Ils doivent les transformer en phrases complexes.

  • Elle ajoute une contrainte : il faudra écrire une phrase dont les propositions seront coordonnées, une phrase dont les propositions seront juxtaposées, trois phrases dont les propositions seront subordonnées.

    Lien vers les phrases modifiées.

Séance 4 : Approfondir l’analyse sémantique et syntaxique des phrases complexes

Préparation / Matériel :
  • Mêmes îlots que précédemment.
  • Un nouveau paper-board par îlot.
  • Un corpus d’une quinzaine de phrases complexes produites à la dernière séance, présentées sur des post-its corrigés et dupliqués pour chaque groupe.
1. Distinguer les propositions indépendantes et les propositions subordonnées
  • On demande aux élèves de classer dans un nouveau tableau de deux colonnes, intitulé « Phrases complexes », d’une part des phrases aux propositions coordonnées et juxtaposées, d’autre part des phrases dont les propositions présentent un rapport de subordination. Les élèves sont ensuite invités à réfléchir sur ce nouveau classement des phrases complexes : en quoi les relations de juxtaposition et de coordination sont-elles comparables ? En quoi diffèrent-elles de la subordination ?

  • Pour qu’ils soient capables de répondre à cette question, la professeure leur propose de transformer les phrases complexes en phrases simples.

    Les élèves observent que, dans les deux premiers cas, il n’y a qu’une modification à faire : le signe de ponctuation ou la conjonction de coordination sont remplacés par un point.

    Je mange beaucoup car je suis en pleine croissance.
    Je mange beaucoup. Je suis en pleine croissance.

    En revanche, la manipulation est nettement plus difficile pour les cas de subordination et les élèves se découragent bien vite : cela démontre que dans ce type de relation, les propositions sont imbriquées et dépendantes l’une de l’autre.

    C’est un message auditif que je vous conseille d’écouter.
    C’est un message auditif. Je vous conseille d’écouter le message auditif.

    Cette distinction faite, on traitera les différentes relations entre les propositions en deux catégories plutôt qu’en trois.

2. Etude sémantique des liens de coordination et de juxtaposition
  • Les phrases qui présentent des propositions coordonnées ou juxtaposées sont classées en fonction du sens de l’outil qui les relie. La professeure propose, pour aider les élèves à repérer les différentes catégories, de substituer des conjonctions de coordination aux signes de ponctuation. Dans « Sortez, vous n’êtes pas chez vous », en remplaçant la virgule par la conjonction « car », on comprend qu’elle exprime la cause.

  • Les élèves repèrent dans leur corpus quatre relations sémantiques différentes dans les propositions coordonnées et juxtaposées : la cause, la conséquence, l’opposition et l’addition. Il a été difficile, dans certains groupes, de nommer le sens du lien qui unissait les propositions. Le moment de mise en commun a toutefois permis d’aboutir à une catégorisation satisfaisante.

3. Définir les différents types de propositions subordonnées

L’objectif est d’aboutir à une distinction sommaire et schématique des différents types de subordonnées.

  • Pour ce faire, on demande d’abord aux élèves de distinguer, pour chacune des phrases où les propositions sont subordonnées, la principale et la subordonnée en les plaçant entre crochets. Le repérage est de plus en plus aisé au fil des séances.

  • On demande enfin aux élèves de remplacer la subordonnée par un autre mot ou groupe de mot, afin de comprendre sa fonction dans la phrase.

  • Les élèves repèrent ainsi des subordonnées qui donnent des indications sur un nom de la principale, d’autres qui complètent son verbe, enfin celles qui précisent les circonstances dans lesquelles se déroule l’action de la proposition principale. Ils observent que certaines subordonnées sont supprimables et/ou déplaçables, tandis que d’autres sont indispensables au sens de la phrase. On nomme la relative, la complétive et la circonstancielle, sans aller plus loin pour l’instant : l’exploration des prochains objets d’étude nous permettra d’approfondir le travail sur les subordonnées.

Séance 5 : Réaliser une leçon de grammaire accompagnée d’exercices pour les pairs (2 heures)

Préparation / Matériel :
  • Disposition frontale des tables.
  • Toutes les traces écrites des séances précédentes sont disposées sur les rangées : les paper-boards, les post-its, les feuilles de cours des élèves.
  • Un ordinateur avec une connection internet et un vidéoprojecteur.
1. Formaliser la leçon grâce à une carte mentale
  • Cette avant-dernière étape de travail permet aux élèves de stabiliser leurs connaissances en formalisant la leçon sur les relations au sein de la phrase complexe avant de la présenter aux autres élèves de la classe.

  • Pour rendre compte de façon claire de cette leçon, on choisit d’en faire une présentation arborescente en utilisant une application de carte mentale [4]. C’est à partir des différentes traces écrites et de façon collégiale que la carte mentale est réalisée par les élèves. A chaque « Noeud » est associé une note qui explicite la notion et l’illustre par un exemple du corpus. On n’en présente que deux ici, dans un souci de lisibilité.

2. Réaliser une fiche d’exercices numériques

Nous utilisons ensuite l’application La Quiziniere sur laquelle les élèves conçoivent des exercices [5] qui permettront à leurs pairs de tester leur compréhension de la leçon. En réalisant ce travail, les élèves mettent de nouveau à l’épreuve leurs connaissances et leur compréhension de la leçon de grammaire. Ils sont désormais, par rapport au autres élèves de la classe, des experts en relations au sein de la phrase complexe.

Ci-dessous, la fiche d’exercices réalisée par les élèves :

Séance 6 : Restituer la leçon et accompagner les pairs dans la phase d’exercices

Préparation / Matériel :
  • Neuf îlots pour 35 élèves, avec un expert par groupe.
  • Un ordinateur avec une connexion internet, un vidéo-projecteur.
  • Chaque élève se munit d’un téléphone portable.

Tous les élèves de la classe sont conviés à cette séquence d’accompagnement personnalisé portant sur « Les Relations au sein de la phrase complexe », qui sera animée par les experts.

1.Présentation orale de la leçon par les experts

En début de séance, un expert fait une présentation orale de la leçon, illustrée par la carte mentale. Un temps est ensuite prévu pour que les élèves de la classe puissent poser des questions ou demander des précisions. La professeure n’a pas à intervenir dans les échanges : les autres experts prêtent main forte à l’Orateur au besoin.

2.Des exercices d’application et de consolidation
  • Les élèves accèdent ensuite à la fiche d’exercices numériques en flashant un QR code sur leur téléphone portable [6].

  • Sur chaque îlot, un expert est présent pour accompagner les élèves qui pourraient être en difficulté. Il a été assez jubilatoire pour ces experts de constater que les exercices qu’ils avaient réalisés mettaient parfois en difficulté les autres élèves de la classe, alors qu’ils craignaient au contraire que cela ne soit « trop facile » pour eux. Ils ont ainsi pu mesurer les progrès qu’ils avaient accomplis lors des séances d’accompagnement personnalisé.

  • La correction des exercices devant la classe entière est prise en charge par les experts, qui répondent assez bien aux doutes ou aux difficultés de leurs pairs.

3.Résultats
  • Accompagnés par les experts, tous les élèves de la classe ont participé volontiers à la séance et ont pris plaisir à découvrir les exercices réalisés par leurs pairs. Quant aux experts, ils étaient satisfaits d’expliquer à leurs camarades comment ils avaient procédé au cours de la séquence d’accompagnement personnalisé pour réaliser le corpus de phrases, la leçon puis les exercices.

  • Les résultats des exercices ont été directement transmis à la professeure via l’application La Quizinière. Les élèves ont obtenu des scores de 70 à 100% de réussite. Les difficultés les plus importantes ont concerné les exercices qui demandaient de distinguer les différents types de subordonnées.

Conclusion de l’expérimentation

Prolongements à envisager

Il sera nécessaire, pour tous les élèves de la classe, de revenir sur les notions étudiées lors de cette leçon, notamment pour ce qui concerne la subordination. On pourra le faire en proposant le plus régulièrement possible des moments de grammaire, qui permettront de revenir sur la syntaxe d’une phrase produite par un élève, à l’oral ou à l’écrit, ou rencontrée dans un texte.

Enfin, les connaissances et les compétences des élèves pourront être approfondies par l’étude de deux autres objets du programme de grammaire en seconde, imbriqués à celui que nous venons de traiter :

  • La syntaxe des propositions subordonnées relatives, « en insistant, par exemple, sur ce qui les distingue des subordonnées conjonctives ». [7]

  • La concordance des temps, qui supposera de réactiver les notions de subordonnées relative et conjonctive.

Bilan

A la question de savoir s’il est pertinent de faire construire aux élèves leur propre corpus de phrases, la réponse est oui, à la condition que l’on n’hésite pas faire un tri entre celles qui permettront de véritablement réfléchir sur la langue et celles qui, présentant des « cas limites », risqueraient de mettre en difficulté élèves et professeur.

L’expérimentation révèle aussi que l’accompagnement personnalisé en classe de seconde offre un temps privilégié pour faire étudier la langue aux lycéens, avec son effectif réduit et son autonomie par rapport aux objets d’étude littéraires.

Mais une telle pratique ne serait-elle pas transposable au cours de français en classe entière ? Ne pourrait-il pas être pertinent, dans la mesure du possible, de construire une progression annuelle pour les objets d’étude de la langue qui serait dans un premier temps cloisonnée par rapport à celle des objets d’étude littéraires ? Si le « Moment de grammaire », qui doit intervenir de façon régulière, pourra trouver naturellement sa place au cours de l’étude d’un texte littéraire ou d’une remise de devoir par exemple, la « Leçon de grammaire » n’a-t-elle pas tout intérêt à s’appuyer sur un corpus qui permette aux élèves de se questionner de façon naturelle et dynamique sur la langue qu’ils parlent et écrivent, afin de pouvoir les aider à l’améliorer ? N’est-ce pas dans un second temps que nous pourrons les convier à réactiver leurs connaissances et leur compétences en les invitant à se frotter à la langue littéraire ? « Transmettre la connaissance et le goût de la langue » pourrait peut-être ainsi permettre aux élèves d’accéder « au plaisir de la littérature » [8].

Bibliographie, sitographie et autres ressources

Grammaires de référence :

  • D. Denis, A. Sancier-Château, Grammaire du français, Librairie Générale Française, 1994.
  • M. Riegel, J.-C. Pellat, R. Rioul, Grammaire méthodique du français, Quadrige, PUF, 1994.

Etude de la langue :

Didactique générale :
Jean Charles Cailiez, La Classe renversée – L’innovation pédagogique par le changement de posture, Ellipses, 2017.

Notes

[1Extrait du programme de français de seconde générale et technologique :

« L’analyse syntaxique de la phrase complexe, déjà abordée au cycle 4, doit être consolidée et complétée : l’étude des rapports entre les propositions (juxtaposition, coordination, subordination) qui a été menée au collège s’enrichit d’une étude sémantique de ces rapports permettant de rendre compte avec précision de l’interprétation des textes. »

[2La professeure corrige au besoin l’orthographe et la conjugaison, voire la syntaxe, afin que les phrases du corpus puissent constituer une base de réflexion pertinente. Certaines phrases, jugées inexploitables, sont d’ailleurs écartées.

[3

Difficulté observée : Ici, on n’avait pas anticipé l’écueil que pourraient constituer certains exemples produits par les élèves. Ainsi pour cette phrase, « La seule lumière blanche que je veux voir, c’est celle des projecteurs », l’emploi d’une tournure présentative a rendu le repérage de la proposition enchâssée très difficile. On en a déduit que, si l’on voulait faire travailler les élèves à partir de leurs productions, il ne fallait pas hésiter à les modifier. Dans une autre classe, la phrase « La seule lumière blanche que je veux voir est celle des projecteurs » n’a pas posé de problème particulier.

[4Nous utilisons l’application proposée sur l’espace numérique de travail de « monlycee.net ».

[5Sont choisis, parmi les exercices proposés sur le site, les textes à trous et les questions à choix multiples, qui nous semblent les plus adaptés.

[6Ce QR code est généré par le site La Quizinière. Il suffit de le vidéo-projeter pour que les élèves puissent tous le scanner. Il existe des applications gratuites pour flasher les QR code.

[7Voir les Programmes et ressources d’accompagnement pour les voies générale et technologique du lycée, « Secondes générales et technologiques ».

[8Extrait du B.O. spécial n°1 du 22 janvier 2019.

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