L’expression de la négation : première approche

, par Arnaud AIZIER, IA-IPR

L’expression de la négation au programme de 1ère - Quelques remarques

Extrait du programme de français de seconde et de première
L’expression de la négation (classe de première)
Il s’agit d’étudier les différentes formes de construction de la négation ; l’examen de la phrase négative, de la préfixation et de l’opposition lexicale (antonymie) permet de travailler sur des unités de niveaux différents (mot, proposition) et s’ouvre naturellement à l’expression écrite et orale. À l’échelle des textes, on peut observer le fonctionnement pragmatique de la négation (négations partielles, énonciations implicites, etc.) et les niveaux de langue utilisés.

Difficultés posées par la négation

L’expression de la négation est depuis la rentrée 2019 au programme d’étude de la langue en classe de première. Cette question soulève des difficultés différentes, selon que les élèves y sont confrontés en situation de production orale et écrite ou en situation de réception :

  • En situation de réception, donc de compréhension, les difficultés des élèves tiennent à ce que d’abord dans les textes littéraires en particulier, les négations apparaissent sous des formes inusitées pour eux, soit qu’elles se réduisent à de simples « ne », soit qu’elles se combinent et se cumulent au point que l’on peine à savoir si une phrase dit une chose ou son contraire. Les élèves ont en outre besoin d’identifier la portée d’une négation afin de bien interpréter, dans un contexte donné, des énoncés ambigus, voire polysémiques. Enfin, l’identification de la dimension pragmatique [1] de la négation est dans de nombreux cas nécessaire pour donner à un énoncé son sens et sa portée véritables.
  • En situation de production orale ou écrite normée, la principale difficulté apparaît avec l’omission fréquente de « ne », à quoi s’ajoute une méconnaissance de l’éventail des moyens lexicaux et syntaxiques d’exprimer la négation. Les élèves doivent connaître les différentes manières de construire la négation, comprendre que ses formes varient selon les situations d’oral et d’écrit où l’on se trouve, comprendre enfin la signification des éléments qui la constituent, afin de la manier d’une manière plus maîtrisée, plus riche, plus nuancée.

Présentation de la proposition pédagogique

Aussi bien la proposition ci-après s’attache à la situation de production orale et écrite. Le volume important des activités écrites proposées rend une grande partie de ce travail exploitable dans le cadre de l’enseignement à distance : les étapes prévues à l’oral en classe ordinaire peuvent également se dérouler dans le cadre de classes virtuelles, pourvu qu’elles ménagent des moments d’observation sur des supports visuels et des moments dévolus aux interactions orales ou écrites entre les élèves. Une partie de ces activités peuvent également trouver leur place dans la mise en œuvre d’un dispositif de classe inversée.

Objectif

Comprendre de quels éléments se compose une négation pour mieux l’utiliser à l’oral et à l’écrit.
Durée indicative : 3 h
L’objectif du travail d’observation et de comparaison proposé ci-après est de faire mesurer aux élèves, en ce qui concerne l’expression de la négation, la différence entre l’oral ordinaire et l’oral / l’écrit normé, afin qu’ils emploient mieux la négation et disposent d’un éventail plus large de moyens de l’exprimer.

ÉTAPE 1 - Comparer et classer des phrases négatives

Présentation de l’activité

Modalités
À l’écrit, puis à l’oral.

Objectif
Réfléchir aux différentes manières de construire la négation selon que l’on se situe dans un oral ordinaire, un oral ou un écrit normé.

Consignes

  • Quelle est, au plan grammatical, la caractéristique commune aux phrases suivantes ? [2] Quelle est la différence ?
  • Classez-les en plusieurs catégories dans le tableau ci-dessous.
  • Proposez un titre pour chacune des catégories.

Corpus

a. « T’en fais pas » ;
b. « Nous ne nous étions pas aperçus que le jour déclinait et que nous ne pouvions plus espérer rentrer avant la nuit. »
c. « Y a pas photo » » ;
d. « Nous ne pouvons plus sortir. »
e. « T’inquiète. » ;
f. « Il n’aurait pas fallu qu’il insiste beaucoup plus pour que j’accepte sa proposition. » ;
g. « Il n’eût point fallu qu’il insistât davantage. » ;
h. « On a rien à faire » ;
i. « J’en sais rien » ;
j. « T’as pas vu Marie ? – Non. » ;
k. « Je sais pas combien ils étaient. » ;
l. « Il a rien compris » ;
m. « On a vu personne » ;
n. « On peut plus sortir » ;
o. « Rien n’y fait. » ;
p. « Tu n’as pas vu Marie ? – Marie ? Non, je ne l’ai pas vue. » ;
q. « On s’était pas vus depuis trois mois » ;
r. « On ne s’était pas vus depuis trois mois. » ;
s. « Nous ne nous étions pas vus depuis trois mois. » ;
t. « Ne t’en fais pas. » ;
u. « Ne t’inquiète pas. » ;
v. « Il n’a rien compris. »
w. « Nous n’avons vu personne. » ;
x. « On n’a vu personne. » ;
y. « Rien ne va plus. » ;
z. « Je n’en sais rien. » ;
aa. « Nous n’eûmes plus guère d’occasions de le revoir. »

Mise en commun

Les échanges peuvent aboutir au tableau à deux colonnes ci-dessous, qui met en évidence la proximité, sous le rapport de l’expression de la négation, entre l’oral normé et l’écrit normé. On fera observer aux élèves que toutes les phrases d’une colonne n’ont pas leur pendant dans l’autre colonne.
Il est également possible d’introduire une troisième colonne contenant des exemples relevant exclusivement de l’écrit normé, voire littéraire (phrases négatives au passé simple : « Nous n’eûmes plus guère d’occasions de le revoir » ; concordance des temps : « Il n’eût point fallu qu’il insistât davantage. »)

* En violet, phrases relevant plutôt de l’écrit normé, mais possibles dans un oral normé.
** En bleu, deux phrases relevant exclusivement de l’écrit normé, la première, de la langue soutenue et littéraire, la seconde, du récit (littéraire).

N.B.
Les élèves peuvent identifier dans « T’as pas vu Marie ? » et « Tu n’as pas vu Marie ? » deux interro-négatives, plus naturelles et plus d’aujourd’hui que « N’as-tu pas vu Marie ? » ou « Est-ce que tu n’as pas vu Marie ? ».

Bilan de l’étape 1
  • L’omission de « ne » est habituelle dans un oral ordinaire authentique et dans un oral recréé ou simulé à l’écrit. Dans les textes littéraires (théâtre, récit, voire poésie), cette omission est dictée par le souci de réalisme, de justesse de ton, dans un dialogue par exemple, ou encore de style parlé que l’auteur veut donner à son écrit.
  • L’utilisation de « ne » est attendue dans un oral normé (authentique ou simulé/recréé dans les textes), ainsi que dans un écrit normé.
  • Sous le rapport de l’emploi de la négation, l’oral normé et l’écrit normé sont proches.

ÉTAPE 2 - Connaître les formes de construction de la négation et leurs significations

Modalités
À l’écrit, puis à l’oral

Production écrite

Les élèves écrivent, dans une perspective d’écrit normé (hors dialogue, donc) ou d’oral normé trois phrases contenant les négations, locutions négatives qu’ils connaissent (comportant « rien », « personne », « plus », « aucun », « jamais »).
Ils doivent varier à chaque fois la locution négative.
Une même phrase peut combiner les négations.
Cette production écrite prend appui, pour l’écrit normé, sur l’étude récente d’un texte relevant de la littérature d’idées, pour l’oral normé, sur un dialogue (de théâtre ou de récit).
Le professeur aide les élèves en leur proposant les négations auxquelles ils ne pensent pas spontanément.

Mise en commun et mise en tableau

En prenant appui sur les productions des élèves, dont certaines ne contiendront sans doute pas l’adverbe « ne », on rappelle que, dans un oral ou un écrit normé, la négation, dans sa forme discontinue, se compose de l’élément « ne » et d’un autre élément « négatif ». On récapitule dans un tableau les négations existantes. On fait repérer celles dont les éléments ne peuvent se présenter que dans un seul ordre.

Réflexion collective à l’oral sur le sens des marqueurs de négation

Le professeur

  • met en évidence — mais les élèves auront pu préalablement faire une recherche dans leur dictionnaire ou leur grammaire — l’élément « ne » qui, dans ces séquences, porte chaque fois la valeur négative ;
  • fait remarquer le sens positif originel de chacun des « seconds » éléments [3] : « pas » (petite distance, celle d’un pas) ; « rien » (du latin rem : chose) ; « jamais » (un jour [cf. « Si jamais… ]) ; plus (= davantage) ; « guère » (du francique waigaro : « beaucoup ») ; « personne » (= une personne) ; « aucun » (du latin aliquem unum : quelqu’un) ;
  • peut enrichir cette liste de négations, plus rares, qu’on rencontre dans les textes littéraires et dont on peut, là encore, mettre en évidence le sens positif lié à un petit espace, à une petite quantité : « ne… point » (= un point) (« Je ne l’ai point encore rencontré. » ; « Ne forçons point notre talent : nous ne ferions rien avec grâce » ; « La Mort ne surprend point le sage. ») ; « ne… goutte… » (= une goutte) (« On n’y voit goutte. » ; « Je n’y entends goutte. ») ;

Les élèves sont invités à émettre des hypothèses sur les causes de la disparition de « ne » dans un oral ordinaire et sur cette évolution paradoxale qui fait que le terme qui subsiste est le terme à l’origine positif.

Bilan de l’étape 2
C’est l’élément « ne » qui, dans une négation disjointe, porte à l’origine la valeur négative.
Le « second » élément de la négation, qui peut être premier dans l’ordre d’apparition, a toujours un sens originel positif. Il est donc logique que la présence de « ne » soit nécessaire dans un oral ou un écrit normé.
Concernant la disparition de « ne », plusieurs réponses, cumulables, sont possibles :
  • l’accent tonique en français tombe sur le second élément (« pas », « jamais », « plus »), ce qui le rend plus sonore et repérable que le « ne » ;
  • le « n’ » devant voyelle se confond avec la liaison (cf. « On (n’)a rien vu. ») ;
  • le « ne » associé avec « nous » et, éventuellement, un second « nous », a un coût articulatoire lié à la répétition du son [n] : « Nous ne nous étions pas aperçus… » est plus difficile et long à prononcer que « On s’était pas aperçus… »).

ÉTAPE 3 - Production de phrases négatives contenant la négation complète

Modalités
À l’écrit

Production écrite

Les élèves se voient proposer , dans une perspective d’oral normé ou d’écrit normé, le tableau suivant :

Ils doivent produire, pour chaque cas, deux phrases en se conformant aux consignes.

  • Cas 1
    > une phrase avec « personne » comme sujet,
    > une avec « personne » comme complément
    « Personne ne l’avait vue jusqu’ici dans un tel état de découragement. »
    « Non, je n’ai rencontré personne. »
  • Cas 2
    > une phrase avec « rien » comme sujet,
    > une avec « rien » comme complément.
    « Rien n’est comme avant. »
    « Elle n’avait rien vu là d’anormal. »
  • Cas 3
    > une phrase avec « aucun » déterminant dans un groupe nominal sujet,
    > une avec « aucun » pronom en fonction de complément.
    « Aucun nuage ne venait déranger le bleu profond du ciel. »
    « Tous étaient devant lui ; il n’en voyait aucun. »
  • Cas 4
    > une phrase avec « nul » déterminant ,
    > une avec « nul » pronom
    « Nul doute qu’elle réussisse à le faire. » / « Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense. » / « Nulle volonté n’est assez forte pour venir à bout d’une telle difficulté. »
    « Nul n’est censé ignorer la loi. » / « À l’impossible nul n’est tenu. »

    -* Cas 5
    deux phrases qui cumulent les négations.
    Au choix :
    > « jamais » et « rien »
    « Je n’ai jamais rien vu d’aussi méchant que ce maudit vieillard. »
    > « rien » et « plus »
    « Rien ne sera jamais plus comme avant. »
    > « plus » et « guère »
    « On ne trouve plus guère de champignons dans la région. »)
    > « personne », « plus » et « aucun »
    « Plus personne ne fait aucun effort. »
    > « plus » , « jamais », « aucun »
    Je ne prendrai plus jamais aucun risque.

N.B. S’il se fait en classe, le travail peut être mené par groupes : chaque groupe a la responsabilité de deux phrases et vient les inscrire dans le tableau quand il les a trouvées.

ÉTAPE 4 - Réfléchir sur la place des mots négatifs

Modalités
À l’oral

Consignes
Les élèves

  • collectent dans les textes déjà étudiés ou lus des exemples de phrases où les termes négatifs se présentent, pour les uns dans l’ordre habituel, pour les autres dans un ordre inhabituel ;
  • comparent les phrases et émettent des hypothèses sur l’effet produit par l’ordre adopté.

Exemple

« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec autant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. » (début de La Princesse de Clèves)

« Jamais cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits. » La Princesse de Clèves

Bilan des étapes 3 et 4
Hormis dans les séquences « ne…pas… », « ne…… guère… », « ne…… nullement », dont les éléments sont toujours disposés dans cet ordre-là, les éléments négatifs ont une place variable.
La place des pronoms (« personne », « aucun », « rien ») et des déterminants (« aucun ») varie selon la fonction (sujet ou objet) occupée dans la phrase.
La place des adverbes négatifs (« plus », « jamais ») varie plutôt en fonction des effets de mise en relief recherchés (« Je ne l’oublierai jamais. » vs « Jamais ne l’oublierai. ») ou de l’usage (« Plus rien ne l’arrête. » plutôt que « Rien ne l’arrête plus. »).
Tous les mots négatifs peuvent se combiner ̶ jusqu’à quatre, « ne » compris.
« Plus rien ne pourra jamais les séparer. »
« Personne n’y comprenait plus rien »
« Il n’a plus guère donné signe de vie. »

̶ hormis « pas » et « point », qui ne s’associent qu’avec « ne ».

Notes

[1On s’intéresse ici à la négation en tant qu’elle constitue, dans une situation de communication donnée, souvent l’interlocution, un acte de discours.

[2La question ainsi formulée suppose que le professeur n’ait pas encore annoncé un travail portant sur la négation.

[3Dans de nombreux cas, le « second » élément négatif peut en réalité se présenter le premier.

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