Utiliser une messagerie instantanée comme moteur d’écriture en lettres Comment créer des passerelles entre les pratiques d’écriture numérique des élèves dans et hors de la classe à partir de l’outil Snapchat ?

, par THIERY Céline

Grâce au numérique, ces dernières années, l’écriture spontanée s’est considérablement développée. « Les enfants écrivent constamment sur leurs écrans », affirme Marie Claire Penloup lors de la conférence de consensus du CNESCO « Ecrire et rédiger ».
SMS, textes sur le web et les réseaux sociaux ou bien fanfictions..., nos élèves écrivent bien plus à l’ère du numérique. Ces écritures peuvent être un appui pour les productions d’écrit scolaire et doivent être « valorisées » ou encore « évaluer » pour permettre aux élèves de progresser. C’est l’enjeu de cette expérience utilisant Snapchat dans deux classes de troisième en début de séquence pour évaluer la compréhension d’une lecture cursive.

« Avec le développement du numérique, les pratiques d’écriture ont explosé dans tous les pays développés, les sollicitations à écrire se multipliant de manière exponentielle (réseaux sociaux, sites en tous genres) et de nouveaux genres d’écrits sont apparus (courriels, blogs, etc.). Les jeunes en âge d’être scolarisés sont extrêmement équipés (les 15-24 ans sont 93 % à utiliser un ordinateur et 35 % à recourir à une tablette) et ils sont nombreux à écrire quotidiennement, que ce soit sur les réseaux socionumériques ou à l’aide d’applications dédiées, applications qui concurrencent le SMS sans pour autant l’éradiquer » affirme Marie-Claude PENLOUP, professeure à l’Université de Rouen.
Et pourtant, à l’école, « les élèves français rédigent peu lorsqu’ils sont sollicités dans des évaluations pour produire des textes. Ainsi, l’étude met en évidence que 40 % des élèves de 3e ne rédigent pas ou très peu (Cedre 2015, Depp). « Par rapport aux élèves européens, les élèves français sont également moins nombreux à rédiger des réponses à des questions ouvertes (Pirls 2011) », pointe Nathalie Mons, Présidente du Cnesco, Professeure de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise.
Dans un ouvrage récent, Barré-de Miniac constate « une nette dichotomie » entre « l’écriture pour soi », libre de contraintes formelles et très investie par les adolescents et « l’écriture scolaire ou pour l’école » envisagée comme une contrainte et « sous contrôle tant de la langue que de l’institution ». Il utilise aussi le terme de « rupture quasi-schizophrénique » entre ces deux univers d’écriture.

Comment réinvestir alors ces pratiques extrascolaires dans l’écriture scolaire ? Comment permettre aux élèves d’approfondir leurs réponses en utilisant leur propre pratique d’écriture numérique ?
Mes élèves ont répondu : « Madame, et si on utilisait Snapchap ? »

Qu’est-ce que Snapchat ?

Aujourd’hui Snapchat est passé en tête des réseaux sociaux préférés des jeunes devançant Instagram, Twitter et Facebook. En France, ils sont presque 10 millions à se connecter quotidiennement au réseau social avec une grande majorité de moins de 25 ans. Les adolescents l’utilisent surtout comme un journal de bord, permettant à leurs contacts de savoir ce qu’ils font à toute heure de la journée. Débarrassés de la pression qualitative du contenu, les utilisateurs de Snapchat ont tendance à se « lâcher » complètement pour capturer « du vrai, du sans filtre » ou avec des filtres ridicules et offrir quelques secondes de leur intimité à leurs abonnés.

Un défi stimulant

Pour répondre à la demande des élèves, l’outil Snapchat a donc été choisi non pour échanger des messages, comme ils l’utilisent tous les jours, mais pour évaluer, individuellement, à partir d’écriture de messages privés destinés au professeur, la compréhension de la lecture de chaque élève d’une œuvre intégrale. Il fallait donc relever le défi d’utiliser le réseau social « snap » qui signifie « éclair » et « immédiat » pour faire réfléchir les élèves, leur permettre d’approfondir et d’allonger leurs écrits de compréhension.

Deux classes de 3e ont fait l’expérience de Snapchat comme outil pédagogique : les élèves ont créé les deux groupes privés eux-mêmes et ont ensuite intégré leur professeur à ces groupes. Seuls deux élèves dans chaque classe n’ont pas participé numériquement, mais sur papier, parce qu’ils n’étaient pas inscrits sur ce réseau et que leurs parents ne souhaitaient pas qu’ils s’y abonnent. Le professeur a ensuite ajouté ses élèves en « amis » pour recevoir leurs messages et créé son « bitmoji ».

Une évaluation formative

Cette évaluation est interactive et formative dans le sens où l’évaluation n’est pas figée, où l’élève peut compléter sa réponse, où l’enseignant accompagne l’élève dans la construction du sens. Olivier Rey et Annie Feyfan dans Evaluer pour (mieux) faire apprendre montrent que l’évaluation formative tente « de dépasser l’évaluation comme un instrument de contrôle de conformité », que c’est « une part du processus d’enseignement et d’apprentissage, [plutôt qu’une] activité séparée, intervenant après une phase d’enseignement ». L’enjeu est de « favoriser l’appétence et la motivation des élèves, en leur apportant un retour d’informations constant sur leur apprentissage mais dans un contexte favorisant leur sentiment d’efficacité personnelle ».
Elle s’intègre ici dans un chapitre sur l’autobiographie en milieu d’année sous la forme de trois questions ouvertes qui permettent d’évaluer les trois compétences suivantes : la réponse de l’élève est-elle compréhensible ? La réponse montre-t-elle que l’élève a compris le roman ? La réponse est-elle complète ?

Ces trois questions ouvertes ont un enjeu double :
- vérifier la compréhension du roman autobiographique Un Secret de Philippe Grimbert avant de commencer son étude en classe ;
- apprendre à compléter et approfondir ses réponses pour révéler les différents sens du roman.

1. Bonjour les 3*. Merci de répondre à cette première question en message privé. Comment expliques-tu la première phrase du roman : « Fils unique, j’ai toujours eu un frère » ? En quoi prend-elle tout son sens dans la suite du texte ?

2. Bonjour, deuxième question, toujours en privé. Comment comprends-tu la dernière phrase du roman : « Ce livre serait sa tombe » ? Sois précis et développe des hypothèses sans faire de fautes. A bientôt.

3. Bonjour, troisième et dernière question, encore en privé. Le roman devait s’intituler à l’origine « Le Cimetière des chiens ». Pourquoi ce titre convient-il bien à ce livre ? Attention à bien multiplier les sens… A dimanche sur Twitter pour une nouvelle aventure : Le Printemps des poètes.

Un temps fort

Les trois questions ont donc été envoyées à deux jours d’intervalle aux deux groupes d’élèves et le professeur a apporté des commentaires à chaque réponse. Cette expérience s’est donc déroulée sur un temps court (cinq jours) car pour les élèves comme pour le professeur, il faut être réactif et disponible. En effet, sur Snapchat, si le message n’est pas lu et conservé (double clic), il s’efface. De plus, chaque élève a un, voire deux jours pour répondre à chaque question. Enfin, comme l’enjeu est d’amener chaque élève à une écriture fluide et juste et à retravailler sa réponse, le professeur doit donner rapidement ses observations (et le « bitmoji » permet d’être rapide et concis) ; l’élève doit être prompt à répondre s’il veut améliorer son travail.
Quelques exemples de réponses sous forme de « bitmoji » :

Vers des réponses approfondies

Le choix de questions ouvertes a permis aux élèves de développer leurs réponses, d’émettre plusieurs hypothèses, de compléter la même question en plusieurs temps, par exemple, quand une idée leur vient un peu plus tard ou quand le professeur n’est pas entièrement satisfait de la réponse donnée. L’avantage de l’outil Snapchat a été de créer une écriture évolutive permettant de travailler la langue et de rendre visible les différentes hypothèses ou versions d’une réflexion en action et en temps réel. L’outil a rendu possible la rédaction et la lecture par le professeur des réponses approfondies des élèves. Quand le professeur note sur une copie : « Il faut approfondir votre réponse » ou « Allez plus loin », l’élève sait qu’il n’a pas assez développé sa réponse mais n’a pas véritablement la possibilité de répondre au professeur, voire de compléter son écrit…
Ici, ils sont en attente du conseil du professeur pour reprendre leur réponse.

  • Certains ont complété leur réponse :
Elève 1 : La phrase « Fils unique, j’ai toujours eu un frère » prend tout son sens au cours du récit. Servant de ce que l’on pourrait appelé de ’fil rouge’. En effet, le protagoniste est bel et bien fils unique, or on apprend au fil de l’histoire que celui-ci s’est inventé un frère pouvant faire tout ce dont il n’était pas capable. Cela montre l’imagination sans limite d’un enfant de son âge. Mais aussi la façon singulière dont il fait face aux difficultés de son enfance, tel que la relation avec ses parents. Ce frère peut donc être perçu comme un moyen de vaincre ces difficultés ou bien de les fuir. De plus, ce qui est d’autant plus intéressant dans cette phrase est la contradiction qu’elle représente. Au yeux de tous, il est fils unique. Néanmoins, à ses yeux, il a toujours vu et vécu avec un frère. Cela montre alors ces deux points de vue en seulement une phrase.
Professeur : Et la deuxième partie de la question ?
Elève 1 : Cette phrase prend tout son sens dans la suite du texte lorsque l’on découvre que le protagoniste avait effectivement un demi-frère par la première union de son père. Celui-ci était comme il l’avait imaginé, sportif et adoré de son père : son exact opposé. Dans ce cas, je pense que enfant, il avait peut-être eu inconsciemment l’information qu’il avait un frère. Trop jeune pour comprendre la véritable histoire, il s’est alors mit à l’imaginer pour faire face aux difficultés qu’il traversait.
Elève 2 : Troisième question : Le titre « le cimetière des chiens » aurait pu bien correspondre au livre puisque cela aurait rappeler la fin quand François se rend avec sa fille au cimetiere des chiens.
Professeur : Pour la troisième question, elle demanderait à être complétée.
Elève 2 : Je peux encore la compléter ou c’est trop tard ?
Professeur : Bien sûr !
Elève 2 : Je pense également que ce titre ferait référence a ce fameux cimetiere des chiens et montrerait que des chiens avait eux même le droit à des cimetières alors que les juifs eux n’avaient pas de cimietere mais était tous jetés dans un énorme trou et ensuite brûlés lorsqu’il y avait trop de corps.
Un peu plus tard…
Elève 2 : Mais le cimetiere des chiens ferait également référence au chien que Tania offre à Simon lorsqu’il est petit.
  • D’autres ont récrit leur réponse pour la préciser et se faire comprendre :
Elève 3 : Deuxième question : « Ce livre serait sa tombe » car il parle de son frère qu’il avait imaginé mais qui existe vraiment et vu que le livre parle en parti de lui et son frère c’est comme si toute son histoire était racontée dans ce livre ce qui explique le mot tombe. Je pense que le livre est en partie écrit pour rendre hommage à son frère.
Professeur : Seule la dernière phrase est compréhensible...
Elève 3 : Ce que je veux dire c’est que le livre c’est la tombe de son frère qu’il avait imaginé et dont il a appris l’existence donc la vie de son frère est dans le livre
Elève 4 : Je pense que le livre « Un Secret » de Grimbert devait s’intituler << Le Cimetière des chiens >> car à la fin du livre l’auteur dit << Devant ce cimetière, entretenu avec amour par la fille de celui qui avait offert à Simon un aller simple vers le bout du monde. >> La fille qui avait offert à Simon son chien en le comparant à un bout du monde mais ils ont changé le texte car avant tout ( l’idée principale de l’histoire ) et de trouver quel est le secret qui tourne autour de lui et de sa famille.
Un peu plus tard : Madame, vous n’avez toujours pas ouvert mon message
Professeur : La deuxième phrase est très longue et très confuse.
Elève 4 : En fait ce que je voulais dire dans la 2ème phrase et que Tania, à la naissance de Simon, lui a offert un chien en peluche << Sim >>, dans ce livre les chiens ont une grande importance car c’est le symbole donné au déportés et le livre devait s’appeler << le cimetière des chiens >> car il y a eu un grand nombre de déportés. Mais finalement ce livre s’appelle « Un secret » de Grimbert car avant tout le livre parle surtout du secret qui hante sa famille et lui.
J’espère que ce 2ème paragraphe explicatif aura été plus compréhensible que le 1er.
  • D’autres ont réécrit leur réponse pour corriger les fautes de langue :
Elève 5 : Cette phrase elle a un sens puisque dans le texte il sinvente un frr comme il se sens seul et dennuit il sinvente des dispute des histoire des aventure avec un frr inexowtant Et il a apri kil avai eu un frere mes il est mort
Professeur : Et en français ça donne quoi ?
Elève 5 : J’ai dit que a la fin il apprend qu’il avait eu un grand frere mais il est mort.
Professeur : c’est mieux mais encore incomplet…
Elève 5 : je ne sais plus, je peux redonner une réponse demain maintenant je dois rendre mon telephone.
  • Certains ont tenu compte des commentaires faits à la première question et ont approfondi les dernières questions et cité le texte.
Elève 6 : J’explique cette dernière phrase « Ce livre serait sa tombe » par deux façons. La première étant une tentative de faire son deuil pour ce frère, Simon, qu’il avait toujours imaginé. Ce livre lui permettant de tourner la page sur cette histoire et de faire face au futur. L’extrait « L’idée de ce livre m’est venue. Dans ses pages reposerait la blessure dont je n’avais jamais pu faire le deuil » p.180 exprime mon hypothèse par le fait qu’il affirme que ce livre est une façon de reposer ses blessures dont il n’avait jamais pu faire le deuil auparavant. Prouvant qu’il va par la suite passer à autre chose à l’achèvement de ce livre. Mais aussi pour prouver l’existence de ce frère qui a longtemps été secrète. La deuxième hypothèse est le fait qu’il veuille donner une tombe à son frère Simon. Soit, lui permettre d’avoir une preuve de son vivant et de son histoire sur terre après sa mort à travers un objet : le livre. Cela explique l’utilisation du mot ’tombe’ pour l’associer et le comparer au livre. La phrase « J’offrais enfin à Simon la sépulture à laquelle il n’avait jamais eu le droit » p.185 argumente cette idée car il montre la volonté du protagoniste de donner quelque chose de propre à Simon. Mais aussi de lui donner une sépulture correcte auquel il n’a ’jamais eu droit’ à travers ce livre.
Elève 7 : Le titre « Le cimetière des chiens » qui devait initialement être donné à ce livre convient bien selon moi pour deux raisons. Lors de l’épilogue, le protagoniste se retrouve dans un cimetière de chiens pour faire le deuil de son frère. Ainsi, ce lieu étant très marquant mais aussi plein de sous-entendus (qui sont expliqués dans la deuxième raison) prouve le sens très fort que ce lieu dégage. Ce dernier lieu auquel qui prend place à la fin du livre aurait pu être la justification donné pour ce titre. La deuxième raison est l’allusion au traitement des juifs pendant la guerre. Ainsi, l’auteur ferait une comparaison entre le traitement fait aux juifs et celui donné aux chiens. Alors que des chiens ont eu le droit à une sépulture et une propre tombe, les juifs n’ont pas eu le droit à de funérailles et ont vu leurs corps brûlés puis jetés dans des fosses communes. La comparaison fait entre ces deux traitements de faveurs entre un animal et un être humain ferait une bonne raison à l’auteur de donner ce titre à son oeuvre.

Comme le préconise Marie-Claude PENLOUP, cette posture d’évaluation est faite « en fonction des objectifs des écrits considérés » et donne la « possibilité de suspendre, parfois, un jugement normatif ». Elle permet aussi « d’amener les élèves à apprendre à relire leurs écrits ».

Un bilan positif

L’utilisation du réseau social a permis d’élargir les temps d’écriture et d’accroître l’autonomie des élèves qui ont répondu quand ils pouvaient et quand ils voulaient mais toujours hors de la classe.
L’écriture numérique des réseaux sociaux est aussi une écriture particulière entre l’écrit et l’oral, écriture finalement plus familière pour nos élèves qui l’utilisent tous les jours (environ 30 minutes par jour). Certains élèves qui écrivent très peu lors des travaux écrits en classe, n’hésitent pas à s’exprimer longuement voire à jouer avec elle. L’utilisation de l’oral maîtrisé (merci…de rien…) semble délier les langues, tout comme l’usage de Siri pour certains (comme pour le professeur) et facilite cette écriture instantanée et ici réflexive. L’utilisation du réseau Snapchat a réussi à stimuler l’envie d’écrire des élèves, elle a intéressé tous les élèves même les plus faibles : tous ont eu envie de participer aux réponses, même ceux qui d’habitude rendent copie blanche ou ceux qui n’ont pas lu le roman ! Une simple reformulation du professeur permet parfois d’obtenir une réponse tout à fait correcte.

Elève 8 : Madame je n’ai pas compris votre dernière question
Professeur : Il faut expliquer le titre en regard avec le texte.
Elève 8 : Troisième question : peut être que le mot « chien », était le nom qui était attribué aux juifs lors de la 2eme guerre mondiale et le mot « cimetière » fait référence aux nombre de mort juifs donc peut être que « cimetière des chiens » pourrait se traduire par les juifs morts lors de la 2eme guerre mondiale. Peut être aussi que le « cimetière des chiens » était le nom qui était attribué aux camps de concentration et d’extermination des juifs pendant la 2eme guerre mondiale.
Professeur : Les deux premières hypothèses sont validées...

L’utilisation de Snapchat a permis d’aider les élèves grâce à un accompagnement personnalisé, souvent en images et en temps réel , à l’opposé d’une correction écrite (qui n’est pas toujours lue) ou magistrale (qui provoque souvent l’ennui des élèves), qui arrive souvent bien trop tard. Le professeur fournit ici une correction courte en plusieurs temps, assez ludique (plaisir de zapper entre les différentes réponses en un clic) qui n’est pas plus chronophage que la correction des copies car le barème est simple tout comme le support (un simple tableau avec le nom des élèves). Pendant cette expérience, les élèves étaient impatients de lire les commentaires du professeur et se sont montrés très attentifs à ces observations, ce qui a engendré une progression visible entre les questions…

Exemples : « Je ferai mieux à la prochaine question » ou encore « Madame, vous n’avez toujours pas commenté ma réponse ».

Le choix du message privé a permis de faire naître une réflexion personnelle et une communication presque intime entre le professeur et l’élève, situation qui est somme toute assez rare car interdite en classe entière à l’oral puisque l’élève n’est pas seul, et impossible à l’écrit car il n’y a pas de véritable échange. Pour permettre à tous les élèves de compléter ou d’ajuster leurs réponses, certains snaps ont été diffusés rapidement sur le fil public de chaque groupe classe. C’est cette diffusion entre pairs, très attendue elle aussi, qui a servi de correction et les élèves ont lu et commenté le travail de leurs camarades avec plaisir.
Pour conclure, ce projet a permis un accompagnement personnalisé et une correction immédiate. Il ne peut toutefois être réalisé que sur un temps défini et relativement court car il demande au professeur comme aux élèves une disponibilité et une réactivité véritables.

Un exercice constructif

Cet exercice avec Snapchat a permis de résoudre plus facilement l’énigme du secret dans le roman et de relier l’histoire du narrateur à la « grande Histoire ». Beaucoup d’élèves ont pu réinvestir leur travail et voir se confirmer leurs hypothèses : le narrateur, dont la maigreur rappelle celle des prisonniers dans les camps de concentration, incarne le peuple juif et retrace son histoire, ce qui explique le titre initial « Le Cimetière des Chiens » et l’hommage rendu à ce frère caché.

Le secret est associé aussi à un champ lexical. Surlignez-le dans les passages suivants puis nommez-le. A quoi fait penser l’aspect physique du narrateur ? A quoi est alors liée l’histoire familiale du narrateur ?
P. 20 : J’en étais le fruit, mais avec une jouissance morbide je me plantais devant le miroir pour inventorier mes imperfections : genoux saillants, bassin pointant sous la peau, bras arachnéens. Et je m’effarais de ce trou sous le plexus dans lequel aurait tenu un poing, creusant ma poitrine comme l’empreinte jamais effacée d’un coup.
P. 25 : Le manque de sommeil creusait chaque jour un peu plus mes joues, l’éclatante santé de mes parents contrastait encore davantage avec mon aspect souffreteux.
P. 55 : Enfin le résultat de l’union des deux athlètes est là, recueilli dans un linge : bien différent de celui dont ils ont rêvé, c’est un enfant fragile qu’il faut arracher à la mort.

Même avant d’avoir vu le film Un Secret de Claude Miller, certains élèves ont lancé dans le groupe public sur Snapchat une discussion « à la manière des hommes de lettres » sur l’intérêt de lire un roman ou d’en voir le film et ont ainsi introduit le thème du débat oral et du sujet de réflexion du chapitre à savoir : L’adaptation cinématographique d’un roman peut-elle en remplacer la lecture ?

L’application Snapchat permet également aux utilisateurs de créer une « story » ( histoire). C’est une juxtaposition de plusieurs photos/vidéos. Une « story » peut être vue autant de fois que l’utilisateur le souhaite, mais chaque élément de la « story » possède une durée de vie de 24 heures. Peut-être pour une prochaine expérience…

Sitographie

Explorer l’évaluation pour la formation, c’est essayer de dépasser l’évaluation comme un instrument de contrôle de conformité à une sorte de parcours de réussite pédagogique modèle, défini ailleurs, pour un élève « moyen » (moyen étant entendu comme la représentation qu’on se fait à un moment donné de ce que doit être un élève moyen).
L’évaluation formative est ainsi vue comme une part du processus d’enseignement et d’apprentissage, plutôt que comme une activité séparée, intervenant après une phase d’enseignement (Looney, 2011). Elle cherche avant tout à favoriser l’appétence et la motivation des élèves, en leur apportant un retour d’informations constant sur leur apprentissage, mais dans un contexte favorisant leur sentiment d’efficacité personnelle, pour reprendre la théorie de Bandura.
Les travaux de recherches récents décrivent la diversité des méthodes d’évaluation formative et évoquent les notions de régulation, de rétroaction (feedback). Il est par exemple important d’apporter à l’élève un feedback circonstancié et approprié aux moyens de franchir une étape ou de surmonter un obstacle (« comment faire »). Au contraire, un retour général centré sur la personne ou l’effort mais déconnecté de l’objectif cognitif peut avoir un impact négatif à terme. Il en est ainsi des retours formulés en termes de « il faut plus travailler », « le problème n’a pas été compris », « tu as bien travaillé », etc. (Looney, 2011).

En revanche, si les élèves développent des compétences au sein de leurs pratiques extrascolaires de l’écriture, qu’elles soient traditionnelles ou numériques, il semble que celles-ci soient peu réinvesties dans l’écriture scolaire.
Dans un ouvrage récent, Barré-de Miniac synthétise les résultats des enquêtes portant sur le rapport à l’écriture des élèves. Les premiers travaux menés dans les années 1990 auprès d’élèves scolarisé.e.s à l’école maternelle, élémentaire ou au collège ont fait apparaitre une nette dichotomie entre deux catégories d’écriture, qui apparait très tôt dans la scolarité : l’écriture pour soi, libre de contraintes formelles et très investie par les enfants et les adolescents d’une part, l’écriture scolaire ou pour l’école envisagée comme contrainte et « sous contrôle tant de la langue que de l’institution », d’autre part (Barré-de Miniac, 2017). Ainsi, Barré-de Miniac (1996) souligne le peu de lien entre les écrits des sphères scolaire et extrascolaire, et évoque « une rupture “quasi-schizophrénique” entre deux univers d’écriture ». Une autre image est donnée par Penloup (2003), celle de l’« acrobatie douloureuse pour passer de l’une à l’autre.

Dans la vie quotidienne de nos sociétés, l’écriture occupe une place de plus en plus importante, en partie en raison du développement des technologies numériques.
Cette complexité est accrue par le fait que la production écrite est, en général ou la plupart du temps, une activité monogérée, obligeant le scripteur à élaborer des hypothèses quant à la lisibilité et la clarté de son message en l’absence de destinataire, ou encore à détecter seul des erreurs, par exemple d’orthographe, en l’absence d’un relecteur.

Ainsi une tablette peut servir non seulement à écrire dans un environnement interactif, mais également et simultanément, à analyser le flux de l’écriture pour fournir, en fonction des exercices réalisés, une évaluation objective de l’efficience des traitements mis en œuvre par l’élève.

Les pratiques d’écriture personnelles, c’est à dire ce qu’un individu fait de l’écriture en dehors de toute contrainte institutionnelle, sont l’objet d’intérêt depuis le début des années 90, avec les travaux d’anthropologues et de sociologues mais aussi de psychologues, de littéraires et de sociolinguistes1 qui ont mis le projecteur sur une écriture appelée aussi « domestique » ou « ordinaire ». Ils ont contribué à faire sortir de leur invisibilité les pratiques d’écriture, à montrer combien elles innervaient le quotidien, et à interroger la frontière entre l’écrit littéraire et l’écrit ordinaire. Dans la mouvance de ces recherches, des travaux à orientation didactique ont surgi qui ont orienté le regard vers les investissements extrascolaires de l’écriture par les enfants et les adolescents et interrogé le lien entre les pratiques scolaires et extrascolaires2. L’irruption du numérique vient réactualiser ce questionnement.
Avec le développement du numérique, les pratiques d’écriture ont explosé dans tous les pays développés, les sollicitations à écrire se multipliant de manière exponentielle (réseaux sociaux, sites en tous genres) et de nouveaux genres d’écrits sont apparus (courriels, blogs, etc.). Les jeunes en âge d’être scolarisés sont extrêmement équipés (les 15-24 ans sont 93 % à utiliser un ordinateur et 35 % à recourir à une tablette) et ils sont nombreux à écrire quotidiennement, que ce soit sur les réseaux socionumériques ou à l’aide d’applications dédiées, applications qui concurrencent le SMS sans pour autant l’éradiquer. Dans l’enquête conduite en 2012 par R. Joannidès4 auprès de 479 élèves de troisième de l’Académie de Rouen répartis dans 5 collèges représentatifs de terrains diversifiés, 91 % déclarent être équipés d’un téléphone portable au moment de l’enquête, 89 % avoir un compte Facebook et 84 % une adresse mail. Ils sont 38 % à affirmer envoyer entre 100 et 200 SMS par jour. Ils déclarent aussi une pratique intensive de l’ordinateur, ce qui va dans le sens des résultats de l’enquête d’O. Donnat5 montrant une durée hebdomadaire moyenne de 13h d’utilisation d’un ordinateur à des fins personnelles chez les jeunes de 15-19 ans.
La comparaison effectuée entre leurs réponses et celles obtenues auprès de collégiens de la même académie en 1997 à des questions identiques sur leurs pratiques d’écriture6 montre, tout d’abord, une augmentation du nombre de scripteurs, les pratiques en amateur de l’écriture étant vraisemblablement « à la hausse », comme l’analyse O. Donnat, mais aussi un élargissement et une modification des genres de l’écrit. L’écriture personnelle sous forme manuscrite, même si elle est en recul, se maintient, mais elle cohabite avec une écriture numérique7 qui s’impose de plus en plus. Par ailleurs, et c’est une évolution importante, même si l’écriture personnelle reste très majoritairement une affaire de filles, la communication électronique semble favoriser l’entrée des garçons dans l’écriture, au moins pour certains genres d’écrits.
Dans ce contexte de développement très rapide d’une littératie numérique qui « trame » la vie des adolescents8, « l’école », affirme D. Bucheton9 « se doit d’être à la hauteur » de « l’explosion des pratiques d’écriture ».

Sylvie Plane montre que les nouveaux outils modifient les pratiques d’écriture. On est passé de l’écriture longue et lente au SMS c’est à dire une écriture instantanée qui n’est plus réflexive. Les jeunes écrivent beaucoup plus mais de façon différente.

En réalité il y a eu une véritable explosion de l’écrit. « Les enfants écrivent constamment sur leurs écrans », dit Marie Claire Penloup (université de Rouen), que ce soient des SMS ou des textes sur le web, des fanfictions par exemple.
MC Penloup écarte tout de suite l’idée que l’écriture SMS détruirait l’orthographe. Au contraire les études montrent que les jeunes qui produisent le plus de SMS sont meilleurs en orthographe que ceux qui n’en produisent pas ou peu.
Elles montrent que cette écriture a ses règles et qu’elle nécessite des apprentissages qui aident les jeunes à comprendre que la langue varie et qu’elle est liée à un contexte socio culturel. Enfin celà valorise l’écrit des jeunes. Pour MC Penloup, ces écritures spontanées peuvent être un appui pour les productions d’écrit scolaire.

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