Rencontre avec Mohamed Mbougar Sarr Faire émerger le sujet écrivant

, par FEKI Hella

L’article rend compte d’une action de formation, proposée dans le cadre du Plan de Formation 2023-2024 dans l’académie de Versailles, qui s’est construite autour du dialogue avec l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr et a centré la réflexion sur la manière d’amener les élèves à se créer un ethos de sujet écrivant.

Descriptif du stage « Faire émerger le sujet écrivant »
À l’issue de cette formation, les professeurs stagiaires seront capables de proposer la construction de parcours littéraires intégrant l’écriture créative. De la même manière que nous nous intéressons depuis plusieurs années à la sensibilité personnelle des élèves dans leur part interprétative des textes, la perspective est de les amener à se créer un ethos de sujet écrivant. Une anthologie de textes d’auteurs sur l’acte de création sera proposée pour tous les genres (poésie, théâtre, récit), afin d’ancrer le geste d’écriture des élèves dans un être au monde. Une réflexion sera menée autour de la récolte des matériaux d’écriture, comme lieu d’investigation et d’appropriation des œuvres. Cet ancrage scriptural dans le cadre de partenariats culturels, d’intervention d’écrivains, favorisera la liaison collège-lycée, et les échanges entre élèves grâce aux outils numériques (écriture collaborative et augmentée).

Mohamed Mbougar Sarr a été l’invité d’honneur du stage « Faire émerger le sujet écrivant » que nous avons animé au collège Juliette Adam de Gif sur Yvette, le mercredi 24 janvier 2024. La formation s’est répartie en deux temps : un échange d’une heure et demi avec l’écrivain, et des temps d’atelier d’écriture autour du thème « Espace(s) et mémoire(s) ».

Entretien avec Mohamed Mbougar Sarr

J’ai initié l’échange avec Mohamed Mbougar Sarr sur sa conception de l’écriture, avant que celui-ci ne se poursuive avec l’ensemble des professeurs participant au stage :
Pour qui écrit-il ? Pour qui écrit-on ?
Quelle tension existe-t-il entre une écriture intime et une écriture touchant à l’universel ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que l’universel dans l’adresse au lectorat ?
Quel type d’écriture privilégier : celle de « l’écriture à programme » (« type d’écriture qui obéit à un programme préétabli et dont l’élaboration parcourt plusieurs écrits génétiques : notes documentaires, plans, listes, esquisses, brouillons ») ou celle de « l’écriture à processus » (« type d’écriture sans phase préparatoire, sans plan, toujours déjà textualisant ») ?

Je savais que je ne retournerais pas au Sénégal, Diégane : ma rupture avec le pays avait été trop profonde, et je sentais bien que ce malentendu ne se dissiperait pas avec le temps. Au contraire, il irait en se renforçant. C’est de ce malentendu que je devais naître comme écrivain ; c’est de lui, après cette naissance, que je devais encore écrire. »

La plus secrète mémoire des hommes

De quel malentendu s’agit-il ?
Qu’est-ce qui peut être considéré comme des sources d’inspiration ? Quelles sont les frontières entre le plagiat, les emprunts, les collages ? Écrit-on ex nihilo ? Que peut-on dire en ce sens du rôle que joue aujourd’hui l’intelligence artificielle dans l’écriture, et quelle influence sur la sphère des écrivains ? sur la sphère scolaire ? Au fond, qu’est-ce qu’écrire ?

Les apports de Mohamed Mbougar Sarr ont été très riches, d’autant plus que son dernier roman, La plus secrète mémoire des hommes (Éditions Philippe Rey, Prix Goncourt 2021) est une œuvre qui questionne les domaines de la création, de la littérature, de l’écriture, de « l’innutrition », inspiration inconsciente d’un artiste qui puise dans la culture dont il s’est imprégné. Une sélection d’extraits de son texte a été proposée en amont aux professeurs autour de ces thèmes, et certains ont été lus lors de cet entretien.


1er temps - L’adresse au lectorat
Pour qui écrit-on ? la question de l’universel et de l’intime, le malentendu constitutif de l’écriture.




2ème temps - La question de l’innutrition, des collages, des emprunts dans l’écriture
Comment écrit-on ? Comment lit-on ? Qu’a-t-on envie d’écrire et de lire aujourd’hui ? Quelle distinction entre le « texte de plaisir » et le « texte de jouissance » (Barthes) qui vient de l’inattendu ?




3ème temps - Échanges avec les participants : Qu’est-ce qu’écrire ?
À quoi fait face toute personne qui écrit, y compris tout grand écrivain ? Quel(s) déclic(s) dans le processus de l’écriture ? Quelle fabrique de l’écriture (sources d’inspiration, temporalité) ?



Atelier d’écriture

Ce temps de conférence dialogué s’est poursuivi par un atelier d’écriture que nous avons conçu en amont et qui s’inscrit dans l’esprit de cette formation. Celle-ci repose sur une série de trois questionnements qui renvoient à la fois à l’intime, l’introspection, mais qui ouvrent également à toutes les possibilités de genres, discours et registres d’écriture : écriture poétique, réflexive, narrative, comique, théâtrale, descriptive, etc.

Notre décision a été de questionner, chez les participants de l’atelier d’écriture, un certain rapport au monde, afin d’ancrer cette écriture dans de l’intime, autour du thème « Mémoire(s) et espace(s) » :

  • 1. Quel est le lieu de votre passé ?
  • 2. Qu’y a-t-il derrière la fenêtre ?
  • 3. Quel est votre souvenir d’un entre-deux ?

Ces trois interrogations ont constitué une amorce de l’écriture, à trois moments différents de la journée. La proposition de variations d’écriture sur un même thème permet des unités distinctes de textes, mais qui peuvent se fondre en un seul écrit si les participants le souhaitent. « Variation » vient du mot latin variatio, un exercice rhétorique, qui n’a cessé, au fil des siècles et dans toutes les cultures, de représenter la construction d’une poétique et la transmission d’une vision du monde par la multiplication des facettes d’un même objet littéraire.

La construction de l’atelier d’écriture en trois variations est partie de nos lectures croisées : Espèce d’espaces de Georges Pérec, Les Espaces du dedans d’Henri Michaux, L’Empire des signes de Roland Barthes, Poétique de l’espace de Gaston Bachelard, Les Détectives sauvages de Roberto Bolano, Le Livre des questions d’Edmond Jabès.

La formulation sous une modalité interrogative a permis de s’adresser directement au sujet écrivant et d’inviter à la réflexion, à l’introspection, au cheminement, à l’imaginaire. Jorge Luis Borges définit en effet six questionnements philosophiques qui se retrouvent dans la plupart des récits et qui correspondent aux grandes questions que se pose l’humanité : les thèmes universels du temps, de la mort, de l’amour, de la liberté, etc.

À l’issue de ces temps d’écriture, un échange collectif sur le vécu de l’expérience de création littéraire a précédé la lecture des textes de ceux qui souhaitaient partager leur(s) écrit(s).

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