Favoriser l’appropriation des œuvres intégrales au lycée

, par PASTORINO Sandra

Dans le cadre de la lecture de l’œuvre intégrale au lycée se pose la question de l’appropriation des œuvres par les élèves. Comment les aider à s’engager dans les œuvres, à en faire une lecture personnelle ?
En s’appuyant sur les travaux qu’il est possible d’organiser autour du Carnet de lectures [ florilège de citations, notes consignées au fil de la découverte, illustrations, photographies, quatrième de couverture, abécédaire, critiques collectées ou rédigées, nuages de mots … ]
quelles activités, quels projets proposer pour engager les élèves dans une lecture personnelle et vraie des œuvres ?

Perspectives
> Mémoriser l’œuvre (mémoires collectives, familiale, personnelle)
> Citer l’œuvre (raconter, paraphraser, restituer, sélectionner un passage / un vers)
> Favoriser la circulation du lecteur dans l’objet-livre
> Articuler l’exercice scolaire et l’expérience affective et singulière du lecteur

Certaines des propositions ci-dessous correspondent à des modalités pratiquées en classe, d’autres à des pistes de réflexion.

Accompagner la lecture

Co-construire un horizon d’attente

On peut avant d’entrer dans la lecture de l’œuvre penser à organiser une séance pour co-construire un horizon d’attente. On pourra notamment s’appuyer sur la présentation du contexte de l’œuvre ou de sa genèse. En 1ère, on définira avec soin l’intitulé du parcours associé à l’œuvre lue (programme limitatif et/ou lecture cursive), ce qui permettra de dégager des perspectives en amont de la lecture, notamment pour les lecteurs moins autonomes.

EXEMPLE
Alcools Apollinaire
La démarche présentée dans l’article Apollinaire Alcools - S’approprier les œuvres au programme de 1ère propose un ensemble d’activités qui peuvent, avant de lancer les élèves dans la lecture intégrale du recueil, favoriser la construction d’un horizon d’attente, collectif et personnel.

Entrer collectivement dans la lecture

On pourra consacrer une séance en classe à la lecture des premières pages (incipit d’un récit, exposition au théâtre, premiers poèmes d’un recueil), crayon en main & post-its à disposition, pour construire des habitudes de lecture active. Les objectifs de ces premiers repérages seront adaptés au niveau de la classe, au moment de l’année, au genre, et aux activités proposées en préambule à la lecture. On pourra ici différencier, en proposant des objectifs plus ou moins nombreux aux élèves selon leurs aptitudes de lecteur.

EXEMPLE
La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette
1. Les élèves ont été sensibilisés en amont à l’idéalisation du héros dans la tradition du roman médiéval.
2. La séance peut s’ouvrir sur un temps de réflexion collective sur ce qu’attend un lecteur des premières pages d’un roman (fonctions de l’incipit), afin d’orienter la lecture et de fixer des objectifs.
On pourra proposer de souligner les éléments qui répondent à ces attentes (éventuellement en catégorisant : informations sur le cadre / sur les personnages / sur l’atmosphère…).
3. Temps de lecture en classe : du début à l’apparition du personnage éponyme.
Ce temps de lecture doit être assez long pour laisser à chaque élève la possibilité d’entrer véritablement dans le roman ; il favorisera pour beaucoup l’engagement dans l’œuvre et la poursuite de la lecture.
4. Ce moment de lecture donnera lieu à un échange en fin de séance. Il permettra de verbaliser l’expérience de lecture. On invitera les élèves à citer l’œuvre selon des modalités diverses.
> Quelles informations la romancière donne-t-elle au lecteur au seuil du roman ?
> Quels aspects du récit vous ont marqué ? Pourquoi ?
> Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Quels outils peuvent permettre de les résoudre ? (on considérera par exemple l’élaboration d’une cartographie de la cour d’Henri II, à la manière de Claire Bouilhac et Catel dans leur adaptation graphique du roman).
5. Après lecture, éventuellement en prolongement pour la séance suivante, on pourra demander aux élèves de sélectionner un extrait court

SOIT de manière très ouverte – un passage qui leur semble particulièrement significatif ;

SOIT de manière plus contrainte – un passage qui semble représentatif de la cour d’Henri II, ou le portait d’un personnage qui les a davantage marqués).

Rendre les élèves acteurs pendant la lecture

Pour éviter qu’ils y voient seulement

des pages bourrées de lignes comprimées entre des marges minuscules, de noirs paragraphes entassés les uns sur les autres, et, par-ci, par-là, la charité d’un dialogue

D. Pennac Comme un roman

On pourra :

  • inciter les élèves à conserver une trace de leur lecture directement dans leur livre.
    On invitera les élèves à repérer des citations ou des passages, à insérer des posts-its sur lesquels ils pourront prendre quelques notes et conserver dans leur livre au passage y correspondant.
    Ces pratiques pourront être envisager en complément d’un carnet de lecteur, ou y suppléer.
  • établir un planning afin de fractionner la lecture.
    Cela permettra de mener en classe des bilans intermédiaires, pour que les élèves puissent échanger sur leurs expériences de lecture, les partager. Les élèves seront invités pendant ces temps d’échange à circuler dans leur livre et à l’utiliser comme support pendant la discussion. Ces temps seront aussi l’occasion de revenir sur les difficultés rencontrées, et de relancer la lecture. Ils engageront également une mémoire collective de l’œuvre dans la classe.
  • proposer aux élèves des pistes de réflexion ou des consignes en amont pour préparer ces temps d’échange et favoriser une lecture active.
EXEMPLE 1
Montaigne, Essais, « Des Cannibales »
On demandera aux élèves, au fil de la lecture, de noter :
leurs impressions sur la manière dont Montaigne décrit les Tupinambas.
Ils devront repérer 2 ou 3 courts extraits significatifs pour les illustrer.
Les élèves ayant de l’appétence et des aptitudes pour les arts plastiques pourront proposer à la place une représentation personnelle de la France Antarctique telle que Montaigne la décrit (qui puisse également être éclairée par 2 ou 3 courts extraits de l’œuvre).
quelques indices qui prouvent qu’on peut qualifier Montaigne d’humaniste.
3 citations qui les ont frappés, émus, fait réfléchir …
EXEMPLE 2
Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves
On fixera aux élèves une échéance de lecture par tome.
On leur demandera, au fil de la lecture de :
sélectionner un extrait de 20 à 30 lignes dans chaque tome, qui leur parait particulièrement important ou touchant ; préparer sa mise en voix expressive et être capable de justifier leur choix à l’oral.
Après la lecture de chaque tome, on prévoira un temps en classe afin de dresser un bilan de la lecture, de revenir sur les difficultés rencontrées et d’engager la réflexion. Ce temps sera l’occasion également d’entendre les extraits sélectionnés par quelques élèves volontaires, et de les fixer dans la mémoire collective de la classe.
être attentifs plus particulièrement à 2 aspects au choix du roman parmi la sélection proposée : la représentation de la Cour ; le rôle du personnage de Madame de Chartres ; la représentation de l’amour dans le roman.
Cette attention se concrétisera par le biais de citations ou d’extraits repérés dans l’œuvre, voire d’observations consignées dans un carnet de lecteur. Ces axes feront l’objet au fil de la séquence de temps de travail spécifiques consacrés à l’étude de l’œuvre.
EXEMPLE 3
Louise Labé, Œuvres poétiques, « Sonnets »
On demandera aux élèves pendant la lecture ou à l’issue de celle-ci de :
sélectionner 2 sonnets qui leur paraissent remarquables dans le recueil ;
en préparer la mise en voix ;
être capables de défendre leurs choix devant la classe.
C’est à partir de leurs propositions, et suite à un temps d’échange, que seront choisis collectivement les poèmes étudiés pendant la séquence.

Mener un projet, individuel ou collectif

L’idée essentielle consiste à faire des élèves les moteurs de l’étude de l’œuvre.

Le travail en ateliers

Pour que les élèves s’approprient l’œuvre, individuellement et collectivement, il convient de les amener à sa fréquentation régulière, et de leur ouvrir la voie d’un cheminement effectif dans l’objet-livre, en classe.
Pour que ces moments favorisent une réelle appropriation par le plus grand nombre, ils nécessitent du temps en classe et une certaine marge d’autonomie. On pourra ainsi dégager des axes de réflexion (proposés par l’enseignant ou co-construits, selon le moment de l’année et le niveau de classe concerné) et les confier à des équipes d’élèves chargées d’explorer l’œuvre pour en étudier un aspect et de préparer une synthèse (écrite, orale, accompagnée d’un diaporama…) à l’attention du reste de la classe.
Le temps de travail en atelier, puis de découverte des synthèses proposés par les autres groupes, permet d’inscrire l’appropriation de l’œuvre sur un temps long, de la rendre progressive, de multiplier les occasions de circulation dans l’œuvre et d’installer les élèves dans une posture de lecteur autorisé et compétent.

EXEMPLE
Montaigne, Essais, « Des Cannibales » et « Des Coches »
On pourra répartir les élèves en atelier en leur proposant de choisir ou de tirer au sort l’un des axes de réflexion suivants.
1. Montaigne & l’Antiquité
Repérez les références à l’Antiquité dans le chapitre ; à quoi servent-elles ?
2. Montaigne & l’écriture
« Je veux qu’on me voie là tel que je suis dans ma forme simple, naturelle et ordinaire, sans effort et sans artifice : car c’est moi que je peins » (« avis au lecteur »).
Définissez la structure de ce chapitre. En quoi est-il révélateur de la démarche d’écriture de Montaigne ?
3. Montaigne & les « sauvages »
« Il me semble que ce que nous voyons par expérience chez ces peuples non seulement surpasse toutes les peintures par lesquelles les poètes ont embelli l’âge d’or, et tout ce qu’ils inventent pour imaginer une heureuse condition humaine, mais que cela surpasse encore les conceptions idéales et le désir même des philosophes. » La description des Amérindiens dans ce chapitre vous semble-t-elle idéalisée ?
4. Montaigne, les Européens & les autres
« Voilà des hommes bien sauvages, car il faut, ou bien qu’ils le soient vraiment, ou bien que ce soit nous qui le soyons. »
Ce chapitre invite-t-il le lecteur européen de Montaigne à se remettre en question ?
5. Lectures de Montaigne
Dans une lettre à Louise Colet (28 octobre 1853), Gustave Flaubert écrit : «  Je relis du Montaigne. C’est singulier comme je suis plein de ce bonhomme-là ! Est-ce une coïncidence, ou bien est-ce parce que je m’en suis bourré toute une année à 18 ans, où je ne lisais que lui ? »
Selon vous, pourquoi est-il intéressant de lire (et relire) Montaigne, à 18 ans ou après ?

La construction d’une édition numérique

On pourra demander aux élèves, sur une œuvre courte, de préparer l’édition numérique augmentée de l’œuvre.
On peut envisager d’observer avec les élèves quelques exemples d’éditions parascolaires pour identifier les éléments constitutifs de cette édition et de répartir ensuite les tâches au sein de la classe.

EXEMPLE 1
Les Onze de Pierre Michon
On pourra se référer au travail proposé par Ariane Bach sur Les Onze de Pierre Michon, sur La Page des lettres de l’académie de Versailles
EXEMPLE 2
Louise Labé, Œuvres poétiques, « Sonnets »
Après la présentation et la lecture du recueil, on proposera à la classe de réaliser son édition numérique comportant par exemple :
Des éléments de contextualisation : biographie de Louise Labé, présentation de l’École Lyonnaise…
Des apports permettant de comprendre l’intertextualité de l’œuvre : Platon, Pétrarque…
Un dossier thématique (dont les axes peuvent être définis avec la classe)
Des illustrations (œuvres plastiques ou musicales)
Les 24 sonnets présentés conjointement dans leur version originale et en français modernisé (translation réalisée par les élèves), accompagnés de notes de bas de page explicitant notamment le vocabulaire et les références antiques.

La démarche d’investigation

On favorisera ici un retour critique sur l’œuvre, qui nécessite à la fois de s’appuyer sur la mémoire du lecteur et sur une circulation fine dans l’objet-livre, afin d’en approfondir les enjeux.

EXEMPLE 1
Baudelaire, Les Fleurs du Mal
On pourra partir de l’un article publié dans Le Figaro du 5 juillet 1857, où le journaliste Gustave Bourdin décrit ainsi Les Fleurs du mal :
« L’odieux y coudoie l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect. »
On pourra diviser la classe en deux équipes d’enquêteurs, chargés
> pour certains de collecter des preuves dans le recueil de la justesse de cette critique,
> et pour les autres d’au contraire y recueillir des indices permettant de contredire ce jugement.
Ce travail d’enquête pourra déboucher sur la mise en scène :
> d’un nouveau procès des Fleurs du Mal ,
> ou à moindre échelle d’un concours de plaidoiries
> ou d’un débat confrontant les deux lectures du recueil.
EXEMPLE 2
Claudel, Les âmes grises
On pourra demander aux élèves d’élaborer un dossier d’enquête afin de définir quel personnage est, selon eux, coupable : liste des suspects, recherche de preuves accablantes ou disculpatoires seront autant d’occasions de retour sur l’œuvre, de sélection d’extraits significatifs, d’échanges.
On joue ici sur l’expérience personnelle de lecture, à la frontière entre les faits racontés (dans une lecture qui peut être naïve, reposer sur l’illusion référentielle) et leur mise en récit, pour s’interroger ensuite le travail d’écriture du romancier et la vision de l’homme qu’il véhicule dans son œuvre fictive.
Il conviendra en prolongement d’accompagner les élèves dans cet approfondissement.

Proposer la mise en œuvre de mini-projets

La mise en oeuvre de mini-projets individuels permet de concrétiser l’expérience singulière du lecteur et d’en conserver une trace. Il s’agira, pour les élèves, de réaliser, à partir d’une lecture, un projet personnel qui favorisera l’appropriation de l’œuvre : son analyse, son interprétation, sa mémorisation.
Ce travail permettra en outre le développement de compétences transversales dépassant le strict cadre scolaire : construction autonome d’une production aboutie, créativité, utilisation d’outils divers en vue de communiquer, formation de l’esprit critique, organisation & persévérance, etc.
On pourra imposer un format ou en proposer plusieurs au choix. On insistera sur la double visée du projet : caractériser l’œuvre et rendre compte d’une lecture personnelle. Quelle que soit la forme prise par le projet, les élèves seront conduits à sélectionner des passages, choisir et évoquer des personnages marquants, traduire l’atmosphère générale, rendre compte de leurs émotions & réflexions au fil de la lecture, émettre un jugement sur l’écriture. Et c’est bien l’essentiel visé.

EXEMPLE 1
Réaliser une « planche d’inspiration » (moonboard)pour rendre compte d’un recueil poétique.
Il s’agit d’un montage (ou collage) d’images variées qui rendent compte de manière visuelle de votre lecture de l’œuvre.
Aux élèves de jouer ensuite avec le choix des images, leur disposition, leur taille, l’ajout ou non de mots ou de phrases, pour communiquer au mieux leur lecture.
La présentation visuelle peut être accompagnée d’une notice, d’un écrit d’une page explicitant le projet de manière synthétique.
EXEMPLE 2
Réaliser une vidéo
Sur le format « booktube » [projet individuel]
Il s’agit de réaliser une vidéo dans laquelle l’élève se filme face caméra pour présenter l’œuvre lue et son avis dûment argumenté. Il est invité à y insérer des extraits lus de l’œuvre, des effets sonores ou de la musique. Le style adopté doit être direct et dynamique.
Sur le format « booktrailer » [projet collectif – 3 élèves maximum]
Il s’agit de réaliser la bande-annonce du livre lu. Il faudra pour cela établir un scénario précis, filmer les séquences y correspondant ou rechercher des images permettant de l’illustrer, puis procéder au montage de la vidéo. Ce format se prête davantage à un récit, ou à une pièce de théâtre.
EXEMPLE 3
Écrire
Une « fanfiction » [projet individuel]
Il s’agit de prolonger l’œuvre et de la compléter, en conservant ses caractéristiques (genre, style, thèmes et/ou personnages). La nature et la longueur du prolongement seront à définir en fonction de l’œuvre originale. Elle pourra être accompagnée d’un rapide préambule explicitant le projet.
Une lettre à l’auteur [projet individuel]
Il s’agit de rédiger une lettre adressée à l’auteur de l’œuvre lue, pour partager avec lui ses impressions de lecture : ce qui a marqué, plu ou déplu, mais aussi les difficultés rencontrées ou les questions qui se posent à l’issue de la lecture. Ce format convient évidemment davantage à une œuvre contemporaine, et prend tout son sens si les lettres ainsi écrites peuvent être envoyées ou remises à l’auteur.
EXEMPLE 4
Enregistrer une chronique radiophonique
Il s’agit d’écrire, puis d’enregistrer une chronique littéraire de 4 minutes, qui présente l’œuvre : son contenu, éventuellement son contexte de production & de réception, les éléments qui selon l’élève font sa singularité, de courts extraits illustrant son propos, et ses impressions de lecture.

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