Image et narration avec le Jeu de Paume

, par SAULNIER Sophie, Lycée Jean Jaurès d’Argenteuil (95)

Projet réalisé par Sophie Saulnier, professeur au Lycée Jean Jaurès d’Argenteuil (95).

Il s’agissait de travailler en interdisciplinarité avec le professeur d’histoire-géographie sur l’image dans sa relation à la narration : la réflexion autour de la tension qui s’instaure entre image et narration s’inscrit aussi bien dans le cadre de la séquence sur le roman que dans celle qui prend pour objet d’étude la poésie.

Un projet de classe à PAC se monte avec des intervenants extérieurs. Le Jeu de Paume propose un partenariat intéressant par son coût relativement modeste (500 euros), la richesse des interventions et l’adéquation entre notre projet et les axes de travail du musée : « Les images dans l’art : narration et représentation : qu’est-ce qu’une image ? », « Histoire et représentations / Images et conceptions de l’histoire ». La collaboration est très étroite et se déroule sur la plus grande partie de l’année.

Dispositif proposé par le Jeu de Paume.

Pour l’année 2009-2010, le Jeu de Paume présentait trois expositions : Fellini, la grande parade. Lisette Model. Esther Shalev-Gerz.
Autour de ces expositions s’organisent trois moments :
 Les « visites préparées » des expositions, destinées aux enseignants, elles ont lieu le mardi de 18h à 20h : visite avec le (ou les) conférencier(s), suivie d’une réunion qui permet d’affiner les pistes de travail et les parcours avec les élèves en fonction des projets des enseignants.
 Les « visites-conférences » des expositions, destinées aux élèves :
Les élèves viennent visiter l’exposition accompagnés par le conférencier.
 Les « rencontres thématiques » dans les établissements scolaires :
Le conférencier vient dans le lycée sur un créneau horaire de deux heures pour retravailler avec les élèves sur l’exposition qu’ils ont vue.
 S’ajoutent à cela deux réunions à destination des enseignants :
En début d’année, une réunion de lancement qui permet à l’équipe du Jeu de Paume de présenter ses objectifs et ses modalités de fonctionnement ainsi que les expositions autour desquelles sont élaborés les contenus et les axes de travail du programme de l’année.
En fin d’année, une réunion-bilan durant laquelle les enseignants font état de leurs expériences et des travaux que ce partenariat leur a permis d’effectuer (réinvestissement et prolongements, satisfaction ou limites du genre).

Le projet : Image et narration, objectifs et attentes

Objectifs généraux internes aux disciplines
L’étude de l’image et de la narration appartient aussi bien au domaine de l’Histoire qu’au domaine des Lettres. Dans le cadre d’une réflexion sur les frontières entre les différents arts et disciplines, il s’agit de réfléchir plus précisément sur le(s) regard(s) que portent l’Histoire et la Littérature sur l’image et les usages qu’elles en font.
 Du point de vue des lettres. L’image est une figure essentielle de l’écriture. Mais l’étude de l’image relance aussi le débat entre les différents arts particulièrement les arts visuels et l’écriture. De la poésie (au sens large) et de la peinture qui l’emporte ? Qu’en est-il de ce débat à l’heure du numérique ?
 Du point de vue de l’historien et du géographe
Comprendre les conditions de production et les usages des images du XIXe siècle à aujourd’hui (en liaison avec le programme de 1ère S) à travers quelques exemples de photographes, d’images de propagande et de contre-propagande, d’analyse d’images-matrices ou d’images-sources.
 Du point des vue de l’Histoire des Arts
Le partenariat permet d’ouvrir nos disciplines au film, à la photo et aux images numériques. Le fait que le partenariat se déroule dans le même lieu, avec des artistes et des scénographies très différentes, permet de sensibiliser les élèves à l’utilisation de l’espace, à la mise en scène, et à la diversité des moyens utilisés par les artistes contemporains. Sont abordées les thématiques suivantes : l’art et les média, l’art et la mémoire, la fonction de l’art, la littérature comme art.

L’image et la classe de 1ère.

Intérêt pour l’Histoire : maîtriser l’analyse de documents iconographique (dans la perspective de l’étude de documents du Bac). Intérêt pour les Lettres : renouveler la réflexion sur la relation entre les différents arts. Image fixe, image en mouvement, poèmes et poèmes en prose. Analyse d’image. Ecriture d’invention. Ecriture argumentative.

Classe à PAC et vie de classe : participation à la production collective d’un contenu multimédia. Mise en relation de deux disciplines. Contact privilégié avec des personnalités n’appartenant pas au monde scolaire.

Réalisations envisagées et utilisation des TICE. Travail sur l’image et les médias numériques. Photographie. Production de documents. Création et gestion d’un blog (et/ou d’un site) comprenant des contenus multimédias (texte, image).

Le partenariat : trois expositions, trois visites du conférencier

L’intervention du conférencier au lycée est fondée sur le dialogue et la prise de parole des élèves. Dans un premier temps il demande aux élèves ce qu’ils ont retenu de l’exposition, il les fait parler et réfléchir sur les œuvres vues. Dans un second temps, il montre d’autres images produites par le même artiste, ou par d’autres, et instaure là aussi un dialogue avec les élèves.
 Fellini
Réflexion sur les médias : film/télévision/publicité/journaux. Analyse de deux séquences de la Dolce vita (le Christ et l’hélicoptère, la scène du miracle)
A partir du visionnage d’un document de travail filmé de Fellini. “bloc notes d’un cinéaste” de 1969, réflexion sur les genres documentation/ fiction et sur la mise en abyme,

 Lisette Model : le portrait de rue. Posé/non posé. Interprétation de l’image par rapport à l’arrière plan/ par rapport à sa place dans l’accrochage.
August Sander, les hommes du XXème siècle, hommes ou femmes en métiers (débardeur, boulanger, secrétaire) : ce qu’ils veulent dire d’eux, et ce qu’ils expriment d’eux, par leur manière de poser. Portrait volé/portrait posé.

 Esther Shalev- Gerz
Histoire/mémoire. Histoire collective/ histoire personnelle.
Documentaire/fiction/émotion.
Monument/mémorial : symbolisme des monuments
Monument contre le fascisme : Comment garder la mémoire du nazisme par un monument sans en faire la célébration ?

Insertion dans le programme EAF

On pourrait penser que ces visites dispersent l’attention des élèves et les détournent de l’objectif principal de la classe de première qui reste l’EAF ; il n’est en effet pas toujours possible de mettre en exacte correspondance une exposition et une séquence pour des questions de planning et de thématique, alors que l’idéal serait de pouvoir enrichir les descriptifs de toutes les séquences pour la partie entretien de l’oral. Pour cette année, le problème se posait particulièrement pour deux objets d’étude : l’argumentation et le théâtre. Il a donc fallu chercher dans les expositions ce qui pouvait éclairer, même de manière indirecte, les séquences.

Les correspondances :
Poésie / Fellini. La séquence sur la poésie, intitulée La poésie et le rêve ; entre images et récit est mise en relation avec « le cahier des rêves » de Fellini. La scène du Christ dans les airs de La dolce vita est mise en relation avec Songe de du Bellay (référence au christianisme, à la vanité ; superposition des Rome antique, moderne, chrétienne).

Roman/ Lisette Model. La visite de l’exposition correspondait au moment de l’étude des portraits et des paysages parlants dans Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était donc facile de faire des rapprochements et des comparaisons.

Les dissociations
A la séquence sur l’argumentation n’a correspondu aucune visite au musée. La séquence sur le théâtre consacrée à l’analyse de L’Avare de Molière n’avait pas grand-chose à voir avec l’exposition d’Esther Shalev-Gerz. Mais c’est finalement cette dernière exposition qui s’est révélée la plus enrichissante : Argumentation : le couple « convaincre vs persuader » a été mis en relation avec les couples « information vs émotion », « art et argumentation ».
Théâtre : les dispositifs de l’artiste ont permis de réfléchir à la mise en scène d’un monologue ; au rôle du silence ; aux manières de montrer l’émotion ; au travail sur le son.
Finalement on est revenu au Rapport de Brodeck et on a pu reposer la question du « je » autobiographique vs le « je » fictif et de la place de l’art dans la mémoire de l’Histoire. Ce qui nous a permis de rappeler que la littérature est aussi art.

Prolongement et pratique des élèves

Après la seconde exposition le professeur d’histoire-géographie lance un travail photo en trois temps.

1. Les élèves ont pour mission de photographier des lieux dits vacants.

2. Sur cette photo brute, ils doivent apporter des modifications à l’aide de logiciels. La photo brute et la photo modifiée sont accompagnées de commentaires de l’élève expliquant ses choix : choix du lieu, travail de transformation.

3. Chaque élève choisit une photo de l’un de ses camarades et doit rédiger un texte ; la rédaction est libre : il peut s’agir d’un récit comme d’une analyse ou de l’expression d’une réaction personnelle. Je ne devais intervenir qu’à la fin et sur le travail d’écriture. Nous pensions exposer le travail des élèves au CDI.
En fait, après la visite de l’exposition d’Esther Shalev-Gerz, le professeur a proposé d’utiliser le blog de la classe pour faire une exposition virtuelle à partir de la connaissance que les élèves avaient acquise des trois scénographies très différentes qu’ils avaient vues. On a distribué les rôles : les commissaires, une équipe chargée de l’organisation, une autre de la communication (carte d’invitation et mailing aux professeurs, aux élèves, aux parents), deux conseillers techniques, des rédacteurs (page de présentation), on a discuté de la stratégie d’accrochage (ordre chronologique ou ordre thématique ; séparer ou assembler), etc. On a choisi de montrer d’abord les lieux vacants (vides de sens) puis les lieux transformés et réappropriés par le travail sur l’image, puis réinvestis de sens par le travail sur le texte. On peut voir le résultat en cliquant sur le blog de la classe.
Le blog permet le commentaire : le conférencier a pu réagir sur certaines photos valorisant ainsi le travail des élèves en leur donnant le statut d’image que l’on peut analyser au même titre qu’on pourrait analyser une œuvre réellement exposée dans un musée.

Bilan

Les points positifs sont aisés à lister : - transdiciplinarité - connaissance approfondie d’un lieu de culture - construction d’un savoir sur l’image et la photographie - apprentissage de la lecture d’image et développement de la capacité d’interprétation - réinvestissement des connaissances littéraires – et, réciproquement, réinvestissement des savoirs acquis lors des visites dans le programme de français – pratique artistique en relation étroite avec l’histoire-géographie et les lettres.

Les difficultés et les remèdes
Le manque de temps pour le professeur de français dans une classe à examen est compensé par le travail en collaboration avec le professeur d’histoire-géographie qui, lui, dispose de module et n’a pas d’examen en fin d’année.
La très grande richesse et la diversité des expositions impliquent de faire des choix, mais aussi de savoir improviser liens et mises en relation, ce qui constitue un travail intellectuel formateur pour les élèves.

Une question en suspens
Pour les visites du conférencier au lycée, on peut se demander s’il faut mieux prendre en compte le travail oral de débat et d’argumentation et préparer en amont les élèves à ce genre de situation ou s’il faut laisser les choses évoluer d’elles-mêmes, et mettre les élèves directement en situation.

Une remarque
Comme pour tout projet, les attentes sont très différentes des événements dans leur réalisation. Il faut donc une grande capacité d’adaptation, surtout lorsqu’il s’agit d’une première expérience de ce type de partenariat.

Voir en ligne : Musée du Jeu de Paume

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