Présentation générale
Quel constat établir sur la relation des élèves de STI aux Lettres modernes et plus largement à ce qui relève du littéraire ? Quelles postures de travail adopter ?
On esquissera une réponse à ces questions à partir de l’analyse d’une double expérience menée avec une classe de 1STI dans un lycée ZEP (95).
Pour consulter le compte-rendu détaillé des deux projets :
- Le passage : traduction, interprétation ou la lecture comme geste
- Représentations des sciences et techniques en littérature et en peinture
Le constat
Les lettres occupent une part peu importante dans le cursus des premières technologiques. Peu importante par le coefficient qui leur est accordé (coef. 3 à l’EAF) par rapport à celui des matières technologiques des séries choisies par les élèves ; peu importante par rapport à l’intérêt que leur portent les élèves quel que soit le coefficient. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de désintérêt, quand il ne s’agit pas de rejet pur et simple.
Il y a évidemment de nombreuses raisons objectives pour expliquer ce désintérêt, et si un professeur gagne toujours en efficacité lorsqu’il se donne la peine d’interroger ces raisons, il a aussi à se demander comment faire avec cette réalité telle qu’elle se présente parfois brutalement à lui.
En tous les cas participent du désintérêt des élèves
- les problèmes d’expression (orale et écrite) ;
- les difficultés de lecture et d’accès au sens de textes qui à première vue ne devraient pas poser problème ;
- l’incompréhension quasi totale de l’exercice du commentaire dans sa pratique et dans ses finalités, exercice souvent considéré par les élèves comme une aberration ou un délire personnel du professeur.
Dans ces conditions, comment faire pour que les élèves envisagent avec plaisir de se rendre à leur cours de français ? Le professeur de Lettres a à résoudre cette question selon au moins trois enjeux que je présente ici grossièrement.
- Le premier est le plus ambitieux et a une visée à long terme : donner accès aux textes, au sens, faire réfléchir, ouvrir aux domaines littéraires, etc.
- Le second est plus immédiat et plus pragmatique : faire progresser les élèves dans les exercices écrits et oraux pour les amener à passer honorablement leur bac français et envisager une poursuite d’études plus aisée.
- Le troisième est plus terre à terre et relève de la simple survie : passer une année agréable avec ses élèves, sans trop de conflits.
Ces trois approches sont toujours étroitement liées.
Postures de travail
Pour prendre en compte ces approches tout en tentant de répondre aux besoins spécifiques des élèves, le professeur peut se donner les objectifs ci-dessous.
- Solliciter le désir des élèves, et tenir compte du plaisir du professeur
- Faire le lien Lettres-Matières technologiques
- Utiliser les connaissances technologiques des élèves au service des lettres
- Ouvrir à une culture humaniste entendue comme non séparation entre les lettres et les sciences
- Rendre les élèves créatifs et acteurs de leur travail
Précautions d’usage et mise en place des projets auprès des élèves
Les élèves sont souvent demandeurs de sorties et d’activités qui les sortent de la routine du lycée. Mais il ne s’agit pas d’acquérir leurs bonnes grâces en leur proposant des « activités » déconnectées du programme de 1ère. Au contraire, il me semble qu’il faut toujours insister sur le lien qui s’opère entre les sorties et le cours ; il faut l’expliciter. L’impératif de l’EAF doit être utilisé pour faire converger les travaux vers un même but. Le ou les projets doivent entrer en cohérence avec l’EAF, ils ne constituent à aucun moment un échappatoire.
Une bonne manière de montrer cette cohérence est d’intégrer les travaux des élèves dans les documents complémentaires du descriptif du bac (voir articles cités). Evidemment cette manière de faire ne plaît pas toujours aux élèves. Elle leur semble même parfois un travail supplémentaire qui ne ferait qu’alourdir leurs révisions pour le bac. Mais petit à petit ils se rendent compte que la partie entretien de l’oral se prépare aussi, et qu’il est nécessaire de la nourrir d’une réflexion personnelle.
Deux projets et leur impact auprès des élèves.
Les projets
Deux projets précis ont été menés cette année dans une même classe de 1STI. Ces deux projets proprement dits se sont déroulés sur un temps court : une journée pour le premier, deux journées pour le second (classe à PAC). Mais chacun des deux était relié explicitement à une séquence et prenait place dans une réflexion plus large sur la place des lettres dans le cursus d’une première technologique : ils invitaient les élèves à réfléchir à leur propre relation aux lettres et à la culture.
Le premier projet, Représentations des sciences et des techniques en art et en littérature, s’est déroulé en décembre.Le second (classe à PAC en partenariat avec la MGI), Passage : interprétation, traduction ou la lecture comme geste. s’est déroulé en juin. Les deux séances de travail encadrent donc l’année.
Impact auprès des élèves
– Le premier projet surprend un peu les élèves ; il leur demande un travail autonome mais il reste dans un univers d’exigences scolaires. Le second, qui se passe hors les murs du lycée, leur permet de s’exprimer autrement et plus librement même si les intervenants sont très présents, presque trop présents au goût de certains qui pensaient être plus libres dans leur travail. Mais les directives sont en effet nécessaires.
– Le premier projet a permis
- de faciliter la lecture de Micromegas (lecture cursive) ainsi que la compréhension de la problématique de la séquence sur l’argumentation « L’esprit scientifique au XVIIIème siècle » ;
- d’ouvrir sur l’nterdisciplinarité (électronique, physique, anglais). Les élèves découvrent avec surprise que les professeurs des disciplines scientifiques portent de l’intérêt aux disciplines littéraires et sont capables de les guider dans ces domaines.
- de travailler sur l’ora l : les élèves doivent exposer leur travail devant la classe.
- de mieux comprendre les enjeux et le fonctionnement de l’oral de l’EAF : pendant le bac blanc, les élèves voient l’intérêt que les examinateurs manifestent pour leurs travaux personnels. Ils comprennent que cela les valorise.
– Le second projet a permis
- d’effectuer un net progrès dans la lecture des textes ;
- de solliciter la capacité interprétative des élèves d’une nouvelle manière. Le commentaire commence à avoir sa raison d’être, à prendre sens. Les élèves en arrivent même à porter un regard admiratif sur le travail que l’écrivain effectue sur le sens et sur la langue.
- de déboucher sur des propositions des élèves pour rechercher dans le rap ou le slam des textes qui soient des arts poétiques, ou qui expriment la revendication d’une parole poétique. Je leur propose de mettre en regard les trois textes de Grand corps malade qu’ils m’ont apportés et des poèmes de Musset, Nuit d’octobre et de Hugo, Les Rayons et les ombres.
– De manière générale, les élèves ont une approche plus positive de la matière. Ils demandent, lors du conseil de classe de 3ème trimestre, à faire plus de sorties, mais l’année est terminée...
Ils demandent aussi des cours supplémentaires après l’arrêt des cours en juin.
Conclusion : quelle place pour les lettres dans un lycée technologique ?
– Sans prétendre que ce genre d’approche résolve tous les problèmes , - Il est évidemment resté des élèves totalement fermés à mes propositions - il peut grandement améliorer les conditions de travail et donner du sens au travail des élèves qui trouvent ainsi une relation apaisée avec les Lettres.
– Pour valoriser le travail des élèves, et réaffirmer la présence nécessaire des Lettres dans un cursus technologique, il est impératif de rendre visible leurs travaux et d’impliquer le plus possible d’autres professeurs. Les blogs peuvent intervenir dans ce sens. Un des rôles du référent culturel pourrait aussi être de rendre visible ce type de projets.