Ecrire une nouvelle collective

, par BERTAGNA Chantal

L’ORDINATEUR INTÉGRÉ DANS UNE SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE
ÉCRITURE D’UNE NOUVELLE COLLECTIVE

(revue Enseignement et Multimédia, Informatique et Lettres, n° 1, janvier 1995)

I - CONDITIONS DE TRAVAIL

A - La classe

4e de 30 élèves scolaires, de bon niveau pour la majorité d’entre eux, moins coopératifs cependant au troisième trimestre.

B - L’origine du projet

En décembre, la demande d’un élève, vite relayée par l’ensemble de la classe, de l’écriture d’un récit collectif.

C - Les conditions matérielles

Accès à la salle de technologie comportant douze ordinateurs avec WORKS tantôt sous WINDOWS tantôt sous DOS ; dans la salle de français, un ordinateur PC avec WORD6 sous DOS et une tablette de rétroprojection ; chez le professeur, un ordinateur avec WORD5.5 sous DOS.

D - La maîtrise de l’ordinateur

2 élèves n’avaient jamais approché un ordinateur, 9 ne connaissaient pas le traitement de texte, 14 en avaient déjà un peu utilisé un, 7 étaient habitués à cette manipulation.

Aucune séance d’initiation n’a été organisée. Le professeur a distribué une feuille-guide d’utilisation de WINDOWS et de WORKS, limitées aux manipulations essentielles, les autres se découvrant au fur et à mesure des besoins. Ce papier s’est révélé amplement suffisant.

À noter aussi que le professeur, habitué à WORD sous DOS, s’est adapté sans difficulté sensible à WINDOWS et à WORKS.

Les transferts de fichiers d’un support à l’autre n’a pas posé de problème majeur hormis les inévitables erreurs de manipulation, toujours récupérables.

II - L’OBJECTIF PEDAGOGIQUE

Les élèves avaient demandé une écriture collective.

Pour une question de gestion du temps et d’ampleur de la tâche, le professeur a imposé la rédaction d’une nouvelle, genre littéraire qu’il envisageait de toutes façons d’étudier avec cette classe. Il en est résulté une attention portée à un genre littéraire, à ses procédés de construction et d’écriture.

Dès les premières séances, ont eu lieu des discussions acharnées pour le choix du type de nouvelle : horreur, policière ou fantastique.

Le professeur a alors à nouveau repris la direction des opérations en imposant son choix, tout en faisant réfléchir la classe à ces différents genres littéraires : le roman - et non la nouvelle - est le cadre habituel du genre policier ou de l’horreur ; il ne pouvait être question d’entreprendre une oeuvre aussi longue. D’autre part, les élèves n’avaient qu’une idée vague de la nouvelle et ne connaissaient pas les mécanismes du fantastique. La rédaction de leur texte serait donc l’occasion de s’approprier un genre littéraire de l’intérieur.

III - ORGANISATION DU TRAVAIL D’ECRITURE

A - Travail informatique

1- Séances en salle informatique :

Au total, dix séances d’une heure, réparties entre fin janvier et juin, à raison d’une séance toutes les semaines ou toutes les quinzaines selon les phases du travail.

2- Séances en classe entière avec ordinateur :

Six séances, soit entièrement occupées par le travail sur ordinateur soit alliant lecture des différents travaux, discussion pour un choix et travail avec la machine.

B - Travail sans ordinateur

Environ six heures consacrées en début de séquence à des travaux en classe entière et par groupes, puis, au fur et à mesure, à des temps de pause pour faire le point et rectifier les dérives.

IV - UNE SEQUENCE PEDAGOGIQUE : ARTICULATION AVEC LES AUTRES TRAVAUX DE LA CLASSE DE FRANÇAIS

A - Travaux de lecture

La rédaction d’une nouvelle fantastique passe par la connaissance de ce genre littéraire. Nous avons choisi de faire travailler les élèves sur Le Horla et autres contes d’angoisse de Maupassant [1]. Le Horla a servi de support à des activités de lecture dirigée et les autres nouvelles du recueil ont donné lieu à des travaux d’explication de texte.

On a notamment étudié la technique du portrait dans Héraclius Gloss, la situation initiale du récit du canotier dans Sur l’eau, la description du cadre fantastique dans Conte de Noël, les débuts de nouvelles par la comparaison de Magnétisme, Rêves et Le loup, le dialogue dans le récit dans La Main d’écorché.

Le Horla a permis de découvrir l’essence du fantastique au cours de plusieurs séances : rapports réel/surnaturel, progression de l’hésitation, rôle de l’énonciation du narrateur, des modalisateurs.

B - Etude de la langue

Plusieurs séances à dominante de grammaire, d’orthographe ou de vocabulaire sont venues s’organiser autour du travail de lecture et d’écriture.

En particulier, les dernières pages du Horla ont servi à travailler sur les complétives et la valeur de leurs modes (importance du subjonctif après des verbes comme « il me semble que »), sur les compléments de manière qui traduisent la façon dont le narrateur agit et perçoit les événements ainsi que l’orthographe de « tout » , ce mot étant particulièrement présent pour traduire l’état de surexcitation du narrateur.

Par ailleurs, en liaison avec l’étude de La Main d’écorché, on a travaillé sur le dialogue dans le récit, les différents discours rapportés, les problèmes de syntaxe qui s’y rattachent, les verbes introducteurs.

Enfin, on a consacré une séance au travail sur le vocabulaire de la peur.

C - Travaux de rédaction

Indépendamment de la nouvelle, pendant plusieurs semaines les devoirs d’expression écrite, en classe ou à la maison, ont eu un rapport avec l’oeuvre collective : portrait d’un personnage de la nouvelle, rédaction de la situation initiale d’une nouvelle fantastique (à l’issue des travaux de groupes décrits ci-dessous), récits comportant un dialogue, suite à donner une nouvelle réaliste de Maupassant, inventer un autre récit du canotier Sur l’eau.

Les meilleurs portraits et la meilleure description (après correction collective) ont été réutilisés dans la nouvelle.

V - LE TRAVAIL D’ÉCRITURE

A - Mise en place

Dans un premier temps (une demi-heure), la classe a établi une liste de personnages, de lieux, de moments possibles. Cette liste a été notée au tableau et sur l’ordinateur de la classe (la tablette de rétroprojection n’était pas encore installée). Cette liste (voir Annexe n°1) a servi de document de départ pour les travaux de groupes.

Par huit groupes de quatre ou cinq, les élèves ont élaboré un « scénario » de nouvelle en s’aidant du schéma narratif qui avait été distribué et commenté en classe (voir Annexe n°2). Les différentes propositions ont été présentées à la classe, notées au tableau et sur ordinateur (pour en avoir une trace).

On a retenu pour le scénario général les éléments communs tels que la forêt, en hiver, une maison abandonnée, puis une discussion s’est instaurée pour trouver un compromis, ce qui a donné lieu à un premier plan (voir Annexe n°3).

B - Va-et-vient écriture par petits groupes - correction collective

C’est à ce stade - essentiel - du travail que l’ordinateur a été indispensable.

En effet, les élèves rédigent en salle informatique une demi-page à une page en suivant le plan retenu. Grâce à cette démarche ils ont appris à distinguer situation initiale, péripéties, situation finale, adjuvants et opposants. Chaque groupe a une disquette sur laquelle il enregistre son texte, ce qui permet une lecture sur d’autres ordinateurs que ceux de la salle de technologie, souvent occupée.

Puis le professeur relit et tire sur imprimante les douze textes ; suivant les cas, il choisit le meilleur d’entre eux ou établit une sorte de puzzle des meilleurs fragments.

Ce texte (débarrassé de ses fautes d’orthographe) est alors présenté en rétroprojection à la classe qui l’améliore : travail sur la cohérence, la chaîne référentielle, les connecteurs, le vocabulaire, la syntaxe.

Ainsi ont été utilisées les possibilités du traitement de texte : fusion de fichiers, suppression, insertion et déplacement. Sans l’outil informatique, il aurait quasiment impossible de passer ainsi des différents travaux d’élèves à la version collective corrigée qui, à son tour, a servi de base aux travaux de groupes ultérieurs. En effet, une fois la version collective arrêtée, celle-ci est tirée sur papier pour qu’il y ait une trace dans le classeur et copiée par le professeur sur chaque disquette-élève.

C - Le comportement des élèves

L’attitude des élèves en salle informatique a dans l’ensemble été studieuse. L’appropriation de la machine a été assez facile et les appels pour problèmes techniques se sont vite réduits.

La longueur des textes a sensiblement varié selon la dextérité au clavier des élèves et, surtout, en fonction des phases du travail. En effet, à plusieurs reprises, les élèves ont eu la tentation de préférer l’horreur au fantastique. Ils ont donc eu à reprendre leurs textes de manière à en éliminer les flots de sang qui s’y répandaient. Ces séances de correction ont été nettement moins productives que les heures de création, l’imagination étant bridée, encadrée.

En classe entière, l’attitude a varié selon les séances et les élèves : ce ne sont pas toujours les mêmes qui ont fait des suggestions. Vraisemblablement, le degré d’implication était lié à l’adhésion plus ou moins grande de chacun à la version retenue pour la correction collective.

VI - L’INTERDISCIPLINARITÉ

Le professeur d’arts plastiques a demandé aux élèves de faire le portrait des personnages et d’illustrer plusieurs scènes de leur récit. Ces dessins seront passés au scanner intégrés en tant qu’illustrations.

Il est prévu aussi de retravailler la mise en page à l’aide du logiciel de PAO, Publisher.

VII - BILAN PÉDAGOGIQUE

A - Les problèmes

Le premier est externe à la rédaction du texte. Le hasard a voulu qu’en avril de nombreux cours soient supprimés en raison du Brevet blanc, de voyages pédagogiques. Cette « parenthèse » a changé l’attitude de la classe dans de nombreuses disciplines et a cassé le rythme de création, ce qui a retardé le travail.

Parallèlement, les élèves ont eu tendance dans la deuxième moitié de la nouvelle - alors que l’étude de Maupassant était finie - à préférer l’horreur au fantastique, en dépit de ce qui avait été décidé au début et des conseils prodigués par le professeur.

Cela a entraîné des reprises d’autant plus nécessaires que les textes produits n’étaient vraiment pas bons. Il s’en est suivi une certaine tension parfois entre les élèves et avec le professeur.

B - Les intérêts

Ils dépassent largement les inconvénients. D’abord, il y a lieu de souligner que les élèves se sont livrés à un travail gratuit pendant de nombreuses heures, alors que la classe est particulièrement attachée aux notes. Le plaisir d’écrire, de se lire, d’écouter aussi les relectures par le professeur l’a emporté sur le rendement scolaire. Cet intérêt parfois passionné pour leur création s’est traduit par des querelles sur la façon de poursuivre le récit.

En effet, lors du travail en groupes, les élèves se sont livrés à des discussions très vives pour le choix des actions ou des mots ; en classe, les échanges se sont surtout portés sur la cohérence du texte (la chaîne référentielle, l’ enchaînement chronologique, la logique des actions par rapport aux précédentes et à celles prévues ultérieurement) ; ils ont aussi concerné le vocabulaire, en particulier le champ lexical de la peur, les verbes introducteurs du discours et la façon de créer l’incertitude fantastique. Il y a donc eu un véritable travail de réflexion en vue d’améliorer l’écriture, une habitude de la relecture critique et active.

De même, dans la salle informatique les élèves ont souvent eu recours au dictionnaire des synonymes de WORKS. Dans un souci du mot juste ou expressif, ils ont aussi souvent fait appel au professeur pour qu’il leur explique tel mot proposé par la machine ou leur en propose un autre. On peut parler d’une réelle attention aux mots tout au long de ce travail.

À remarquer par ailleurs le rapport à l’orthographe des différents groupes : certains, faute de temps ou par paresse, n’ont pas recouru au vérificateur orthographique ; d’autres au contraire ont systématiquement fait vérifier leur texte par la machine ... pour conclure qu’elle ne corrigeait pas grand-chose puisque le professeur trouvait encore des scories, et qu’il valait mieux travailler leur orthographe !

On a pu constater l’habitude du réinvestissement des connaissances et des savoir-faire : certains ont astucieusement plagié Maupassant (pour l’introduction et la conclusion de la nouvelle, pour l’épisode de la main, pour des détails du texte avec le réemploi de certaines tournures). Peut-être plus intéressant : le professeur a pu remarquer que dans leurs rédactions traditionnelles nombre d’élèves réutilisaient des idées ou des mots qui avaient été vus lors des corrections collectives.

Enfin, les plus faibles - un groupe en particulier- a fait de gros progrès : au début, ces élèves étaient incapables de repérer leurs erreurs et ne parvenaient même pas à les comprendre quand le professeur les leur montrait ; peu à peu, ils ont réussi à les remarquer, guidés d’abord puis seuls, et finalement à essayer de les corriger de façon de plus en plus autonome. Notamment, ils sont parvenus à améliorer l’expression de la chronologie, l’emploi des termes anaphoriques et la différence entre les registres de langue, éléments qu’ils ne maîtrisaient absolument pas en début d’année. Les uns ont su transposer ces capacités nouvelles au travail manuscrit ; un autre, au profil assez complexe, n’y est pas encore arrivé.

En conclusion, cette oeuvre de longue haleine dans laquelle nous nous étions aventurée avec une certaine inquiétude ( comment gérer la diversité, la profusion des textes pour aboutir à un ensemble cohérent, tout en n’oubliant pas les objectifs d’apprentissage de l’expression écrite en 4e ? ) a été bénéfique pour tous. L’outil informatique permet de fondre ces textes disparates - même si on a recours à des situations classiques de lecture sur papier lors de la comparaison des tirages sur imprimante ou de la lecture orale à la classe des versions à départager en vue d’une sélection -. Les élèves se sont entraînés à mieux écrire sans jamais avoir l’impression de traquer la faute : c’est la forme nouvelle, celle qu’on peut essayer à l’écran avant de la garder ou de la rejeter, qui a été l’objet de leur attention. Enfin l’ordinateur, par le recul qu’il apporte face à la production écrite, s’il n’a pas - heureusement - gommé les passions, a permis de les dépasser. Seul est resté le plaisir d’écrire « le livre », pour reprendre le lapsus fréquent et révélateur commis par nombre d’élèves : l’écrit sacralisé par eux-mêmes et non plus l’écrit-corvée.

Notes

[1Collection Garnier Flammarion

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