Problématiser sa lecture d’une autobiographie Partir des représentations des élèves pour construire une problématique

, par Marc Michot

Comment l’utilisation de l’outil numérique permet d’impliquer chaque élève d’une classe dans une démarche de problématisation littéraire.
Exemple d’introduction d’une séquence sur l’autobiographie en troisième.

Le cours de Lettres, lieu privilégié d’exercice de la parole, a pour objet de permettre de co-construire les notions, les lectures, les interprétations. Pour autant, dans le cadre d’une heure de cours, comment permettre au plus grand nombre des élèves d’une classe d’exprimer leurs représentations, et à l’enseignant d’en prendre connaissance de manière efficace ?

Le modèle du cours dialogué présente dans ce domaine des limites :

  • temporelles
  • liées aux difficultés de certains élèves pour lesquels prendre la parole en public est un exercice auquel il est douloureux de se livrer.

Aussi nous sommes-nous proposé, dans le cadre d’un chapitre consacré à l’autobiographie, d’expérimenter ce que l’utilisation d’un réseau social pouvait apporter.
Nous avons, quant à nous, utilisé le réseau social seesaw installé dans l’ENT de l’établissement. Mais il est à noter que de nombreux autres outils numériques permettent un type d’utilisation équivalent : autres fonctionnalités des ENT, Padlet, post-it, pad, chat, commentaires dans un blog ...

Introduire une réflexion sur l’autobiographie

Utiliser seesaw

À l’occasion du début de l’étude de l’autobiographie, en classe de troisième, on propose aux élèves de passer par la médiation du numérique : il se trouve en effet que cette classe bénéficie d’un réseau social (seesaw), qui permet de poster messages, documents et commentaires.
L’utilisation de cet outil facilitera l’expression de tous et permettra de déboucher sur une vision à la fois globale (que pense la classe du thème abordé ?) et particulière (que pense chaque élève du thème abordé ?) des représentations des élèves avant que le cours ne tente de les déplacer grâce aux dispositifs pédagogiques et didactiques mis en place.

Séance d’ouverture

En ouverture de chapitre
 On définit avec la classe la notion d’autobiographie par l’étymologie.
 On propose aux élèves le projet de rédiger leur autobiographie.
 Par un dispositif de relectures internes au sein de la classe, les élèves trouveront un lectorat au sein même de leur communauté.

Première étape de rédaction
Elle se fait directement en classe sous la forme d’un brouillon organisé en deux colonnes  :
 la première comporte la rédaction elle-même,
 la deuxième comporte les problèmes posés par cette écriture.

Poster sur le réseau social
Le soir, on demande aux élèves de reporter sur le réseau social de la classe les difficultés qu’ils ont rencontrées dans ce travail d’écriture de leur autobiographie, et notées dans la deuxième colonne de leur brouillon.

Analyse de productions d’élèves

Extrait des résultats produits par les élèves

Essai de typologie

La lecture des commentaires des élèves permet de rendre compte d’une typologie de leurs interrogations  :
 des questions relatives à la rédaction en tant qu’exercice scolaire
 des remarques « hostiles » à l’exercice, en guise de protection face à ce qu’il peut présenter de difficile
 des questions relatives au genre, qui sont déjà des manières de problématiser sur les enjeux littéraires de l’autobiographie.

Intérêt de la démarche

Le réseau social permet à tous de lire les commentaires des autres élèves : ainsi, chacun a pu constater que ses préoccupations pouvaient rejoindre celles des autres, ou bien, dans certains cas, s’en distinguer.
De plus, cette lecture des uns par les autres est susceptible de favoriser la naissance d’un conflit socio-cognitif qui permettra de déplacer les représentations des uns et des autres.

Pour quelle utilisation ?

Une fois la collecte de ces productions réalisée, quelle utilisation en faire en cours ?

Une reprise immédiate

Lors de la séance suivante, une reprise est faite :

 Le premier type de questions relatives à la rédaction comme exercice scolaire et portant sur des aspects non-spécifiques à l’objet d’étude, trouve des réponses qui permettent de rassurer les élèves : oui, il faut faire des paragraphes ; non, une production de cinq lignes ne permet probablement pas d’exprimer pleinement les attentes liées à une écriture autobiographique.

 Les remarques « hostiles » sont proposées à la classe pour les transformer en questions. On peut par exemple passer de « ma vie n’est pas passionnante. Je n’ai rien à raconter. » à un questionnement sur les manières de rendre « passionnantes » des banalités par la recherche de stratégies de la narration.

 Les questions qui sont déjà des problématiques littéraires - “Si on ne se souvient plus, peut-on inventer ?" - sont soulignées, reformulées.
L’ensemble des questions relatives au genre sont ainsi listées et serviront de leitmotiv tout au long de l’étude, comme autant de problématiques littéraires à explorer.

Le fil rouge du chapitre

Dans la suite du chapitre, un certain nombre de travaux proposés aux élèves s’attachent à résoudre (ou à approfondir) les questions qui ont émergé lors de ce début de réflexion :
 Lecture d’une œuvre complète : comment tel auteur a résolu les problèmes liés au genre autobiographique ?
 Etude d’extraits d’œuvres autobiographiques ou de critiques d’œuvres autobiographiques : comment tel texte propose une réponse théorique à certaines questions ?
 Rédaction d’épisodes autobiographiques : comment une pratique d’écriture autobiographique va permettre de donner une réponse particulière aux questions soulevées ?

De la séance inaugurale à la clôture du chapitre

En fin de chapitre, on propose aux élèves de revenir sur les questions qu’ils avaient posées en début de travail, et d’y apporter des réponses éclairées par leur double expérience de lecteur et de scripteur : la négociation collective de ces réponses pourra donner lieu à une validation institutionnelle, à une trace écrite à retenir.

Écriture et réseaux sociaux

Impliquer les élèves dans le cours de Lettres

Comment tirer parti d’un usage numérique familier des élèves pour les amener à une implication dans le cours de Lettres ?

 Donner du temps
Le premier effet bénéfique de l’utilisation de l’outil numérique est de permettre d’impliquer davantage d’élèves dans une parole autour de l’objet étudié, en particulier au début de la séquence : le temps limité du cours n’est plus un obstacle à la prise de parole de tous les élèves.

 Désinhiber
La fonction qui permet au professeur de valider le commentaire de l’élève au moment où il le souhaite lève le frein du regard des autres.
Au moment où il écrit, l’élève n’est pas lu dans ses hésitations ; il n’est publié que lorsqu’il a finalisé sa proposition. Et il ne peut pas comparer sa production avec celles de ses camarades, qui n’ont pas encore été publiées par le professeur.

 Garder une trace
L’outil permet un retour simplifié sur cette parole en fin de séquence : les commentaires sont là, visibles, faciles d’accès.

Modifier la posture

On constate en outre la situation particulière de l’écrit sur les réseaux sociaux :
 la parole de l’élève est écrite avec un souci marqué de correction de la langue (malgré les difficultés de certains) ;
 en même temps on voit affleurer des marques d’oralité.
Ce sont, nous semble-t-il, les signes que la parole sur les réseaux sociaux s’inscrit à une place particulière du continuum entre l’écrit et l’oral. Ces signes peuvent être interprétés comme les garants de l’implication des élèves qui s’expriment, et donc de leur entrée sincère dans la réflexion. L’utilisation de l’outil numérique permet ici de dépasser la posture généralement impliquée par la production écrite sur papier : on passe d’une parole contrainte par la posture scolaire d’un élève cherchant à formuler une réponse attendue par le professeur, à une parole qui engage l’élève à prendre position dans une réflexion qui lui a été proposée.

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