Impliquer les élèves dans la mémorisation du cours La « classe prolongée »

, par Marc Michot

Comme les élèves ont peu d’habitudes en matière d’apprentissage - pratiques de mémorisation peu diversifiées, voire pas de pratiques de mémorisation - il semble nécessaire de leur proposer un accompagnement dans ce domaine. Cet accompagnement leur permettra d’acquérir aussi bien des éléments du cours que des éléments de méthode pour apprendre.

Cet article propose une expérimentation dans ce domaine par l’utilisation de « flashcards » au format vidéo.

Constats

Apprendre le cours ?

On constate, en particulier en cours de Lettres, qu’un nombre non négligeable d’élèves n’apprennent pas le cours à la maison.

Il y a à cela plusieurs raisons.
 La culture scolaire
Beaucoup d’élèves pensent, à en croire les témoignages reçus dans les salles de permanence ou dans les séances d’aide aux devoirs, que « faire ses devoirs », c’est faire les tâches écrites qui ont été demandées. Comme on a souvent expliqué aux élèves que la réalisation de ces devoirs était une aide à la mémorisation des cours, ces derniers ont tendance à penser que la réalisation des exercices vaut mémorisation des cours, ou du moins suffit à la mémorisation.
 La représentation que les élèves ont de la matière
En français, on pourrait se passer d’apprendre, parce que l’inspiration suffit à réaliser les travaux proposés.
 La question des techniques de mémorisation
À part la relecture ou la récitation par cœur, les élèves ne pratiquent pas de techniques de mémorisation qui pourraient leur faire gagner en efficacité.
 La difficile recherche des éléments à retenir dans le cours
En pratiquant l’accompagnement à l’apprentissage des leçons en aide aux devoirs, par exemple, on voit clairement que pour les élèves qui présentent des difficultés, la sélection dans le cours des éléments à retenir est, avant même la question des techniques de mémorisation, un problème.

Les limites des flashcards

Dans un premier temps d’expérimentation, avec la conviction qu’il fallait “réinternaliser” [1] les apprentissages, nous avons tenté d’aider les élèves à la mémorisation en particulier par l’utilisation de logiciels de « flashcards » comme Anki.

Toutefois, avec ces logiciels, on se heurte à une difficulté majeure : le logiciel Anki fonctionne très bien pour la mémorisation de réponses courtes, faciles à comparer avec la réponse proposée lorsque l’on clique sur le bouton qui permet d’obtenir le retour d’information [2], mais ne fonctionne plus de manière aussi efficace lorsque la réponse est composée de plusieurs éléments. Il y a alors nécessité de passer par l’écrit, afin que l’élève puisse comparer sa production avec les éléments notés dans le retour d’information.

Nous avions donc besoin d’un dispositif pédagogique et didactique qui permette :
 de maintenir une activité de mémorisation active dans le temps et l’espace du cours,
 de passer par une phase d’écriture sans pour autant que ce dispositif devienne trop envahissant.

Nous nous sommes donc posé la question d’un dispositif pouvant concilier ces deux exigences.

Proposition de solution : des « flashcards » au format vidéo

Principes

 Nous proposons aux élèves des vidéos leur présentant des questions sur les essentiels du cours : ces questions restent affichées les quelques secondes nécessaires pour autoriser la production écrite des élèves, puis la réponse apparaît, afin que l’élève puisse immédiatement confirmer ou rectifier sa réponse.
 Le média est attractif pour les élèves, qui sont habitués à le consulter. Il permet d’engager tous les élèves dans la réflexion, et pas seulement les quelques élèves qui lèvent habituellement la main.
  La plus-value du format vidéo est de trois ordres :

  • Limiter le temps du rituel de début d’heure : la vidéo est fournie par l’enseignant, le temps est limité à celui de la projection.
  • Transmission aisée du lien de la vidéo sur l’ENT des élèves, également accessible aux parents.
  • Constitution d’une base de données d’essentiels de cours réutilisables pour les révisions et les pré-requis sans risque de perte du côté des élèves les moins organisés, qui ont des difficultés à conserver leurs classeurs dans un état lisible ou à se souvenir d’un code d’accès (nécessaire pour Anki, par exemple).

Conception des vidéos

Outils pour concevoir les vidéos

 Les vidéos sont réalisées avec un logiciel de présentation, qui permet de transformer les diaporamas en vidéos.
 Il est possible d’héberger les vidéos crées sur scolawebtv, la plateforme officielle d’hébergement de médias de l’Académie de Versailles ou sur toute autre plateforme d’hébergement de vidéos.

Principes de conception

Pour la conception des vidéos, nous avons cherché à respecter un certain nombre de principes propres à favoriser la concentration des élèves sur l’exercice de la réactivation de leurs connaissances :
 Sobriété de présentation pour permettre une concentration des élèves sur le propos. La présentation est uniforme d’une vidéo à l’autre afin de favoriser l’installation des élèves dans le rituel et de leur permettre de gagner du temps dans la compréhension de l’interface : ils peuvent ainsi se concentrer sur l’exercice lui-même.
 Musique de fond pour favoriser la concentration des élèves. Il est possible de dire aux élèves, en classe, que la musique doit pouvoir être entendue ; c’est alors un signe de calme et de concentration. On s’est également gardé la possibilité de couper le son.
 Sélection rigoureuse des informations à retenir (les essentiels du cours [3]).
 Informations sourcées, en particulier dans le domaine de la langue : les grammaires de référence qui sont convoquées sont indiquées.
 Temps adapté pour une réponse écrite sous forme de prise de notes de la part des élèves.

Exemple de vidéo

 En cours de français au collège, il semble que la question de la mémorisation soit un enjeu crucial dans le cadre de l’enseignement de la grammaire. C’est la raison pour laquelle nous avons spécifiquement testé le dispositif dans ce domaine. On peut cependant imaginer de l’étendre à d’autres domaines, en particulier la méthodologie et la culture littéraire.
 Voici un exemple de vidéo, à propos de la catégorie des pronoms, à l’attention d’une classe de troisième [4] :

Présentation du dispositif pédagogique

Mise en œuvre

 Les vidéos sont utilisées comme rituel d’apprentissage en début d’heure, avec reprise des notions selon un rythme expansé, afin de déplacer le moment de mémorisation dans l’espace de la salle de classe pour l’accompagner méthodologiquement [5] :

  • en début de séance juste après le cours
  • après un intervalle d’une semaine
  • après un intervalle de quinze jours
  • après un intervalle d’un mois
  • tous les deux mois
     En plus de l’apprentissage et des révisions en cours, le lien de la vidéo à réviser est donné sur l’ENT : en effet, de plus en plus d’élèves ont pris l’habitude de consulter les devoirs à faire sur l’ENT, ainsi que les parents, si bien que cette action permet d’ajouter une révision supplémentaire.

Effets recherchés

Les effets recherchés étaient de trois ordres :

 Donner aux élèves des habitudes et des méthodes d’apprentissage (apprendre à apprendre). Dans le domaine des habitudes et des méthodes d’apprentissage, on se rend compte que les élèves apprennent parce qu’on les accompagne, en cours, dans l’apprentissage. Finalement, à l’âge du collège, on peut penser que cette béquille, cette aide apportée par le fait de déplacer une partie de la mémorisation en cours est nécessaire si l’on veut inclure tous les élèves, en gommant au maximum les origines sociales des élèves, dans la mémorisation des essentiels.
 Permettre aux élèves de développer des habitudes de mémorisation active pour dégager du temps en cours : par exemple, dans le cadre d’un enseignement spiralaire de la grammaire, l’objectif était de gagner du temps lors de la phase de réactivation des pré-requis, pour en passer davantage sur la manipulation des énoncés du corpus. On constate de fait une différence en classe lorsque l’on revient sur une notion déjà vue pour l’approfondir : davantage d’élèves lèvent la main quand on utilise les connaissances vues lors des cours précédents. L’effet de l’accompagnement dans la méthode de mémorisation et dans la programmation des dates de mémorisation est donc réel : les élèves retiennent mieux les éléments du cours.
 Créer un rituel de début d’heure permettant une meilleure mise au travail. Cet objectif du rituel de début d’heure, quant à lui, est moins nettement atteint. Le dispositif permet aux élèves de se projeter dès l’entrée en cours dans ce qu’ils vont faire, dans l’activité d’apprentissage. Toutefois, le degré élevé de concentration demandé ne produit pas l’effet de calme attendu qui aurait pu rendre les élèves disponibles pour les apprentissages de la séance, mais rend nécessaire une courte pause après l’exercice avant de reprendre le cours.

Effets non recherchés

Les effets non-recherchés sont à prendre en considération car ils sont révélateurs des avantages, mais aussi des limites du dispositif.

 Un effet inattendu est de permettre de soulever des questions : en effet, à l’issue de la projection de la vidéo, il n’est pas rare que les élèves aient des questions de compréhension à poser, alors qu’ils n’en avaient pas pendant le cours lui-même. La reprise proposée par la projection de la vidéo, un certain laps de temps après le cours, permet aux élèves de prendre un recul réflexif et de faire émerger les éléments d’incompréhension. C’est alors le moment de revenir sur les éléments les plus difficiles, ou du moins qui ont été les moins bien compris. Cet effet du dispositif est donc particulièrement intéressant à exploiter en cours.
 Ce dispositif permet de faire évoluer le statut de l’écrit en cours : en effet, le cours traditionnel est moins nécessaire comme support d’apprentissage des élèves, puisqu’ils disposent des cours en libre accès sur internet, ce qui permet de consacrer une plus grande partie des écrits réalisés en cours aux écrits de travail [6] : brouillons de mémorisation des éléments vus en cours, cartes mentales à partir de ce qui a été appris, exercices d’entrainement ou de production, écrits réflexifs sur les apprentissages.
 Pour leur apprentissage, les élèves disposent à présent de plusieurs supports de cours : cartes mentales réalisées en classe, flashcards en vidéo. Toutefois, certains élèves de Troisième, très habitués au format de cours traditionnel, se sont montrés perdus : il ne faut pas les négliger mais leur apporter aussi le support dont ils ont besoin pour se rassurer - et parfois rassurer les familles.

Vers une nouvelle organisation du cours de français ?

Cette expérimentation peut conduire à repenser certains aspects des cours de français.

Le travail sur les pré-requis

 Le travail sur les pré-requis et les révisions avant d’aborder un nouveau cours est facilité : on peut demander aux élèves, comme dans le cadre de la classe inversée, de réviser chez eux sur une vidéo une notion vue antérieurement, ce qui permettra aux ressources d’être mobilisées au moment du cours sur la notion nouvelle (particulièrement utile dans le cadre d’un cours de langue).

Gagner du temps, pour quoi faire ?

Ce rituel et la mise à disposition des vidéos auprès des élèves permettent d’envisager une remise en perspective des pratiques de cours :
 la leçon écrite devient moins nécessaire ;
 les écrits des élèves pendant le temps de cours peuvent passer du statut de leçon (en « bonne et due forme », selon une tradition scolaire du cours presque magistral) au statut d’« écrits de travail » ou « écrits intermédiaires » (Bucheton & Chabanne) qui favoriseront l’acquisition des connaissances et compétences visées.

Pour l’étude de la langue, ces écrits de travail peuvent être :

  • écrits favorisant la mémorisation produits au moment du rituel,
  • écrits pour comprendre (par exemple, noter le cours sous forme de carte mentale),
  • écrits pour manipuler les énoncés des corpus de langues,
  • productions écrites mettant en jeu la notion abordée,
  • réécritures.

Vers une « classe prolongée » ?

 On peut conceptualiser ce dispositif sous le nom de « classe prolongée ».
En effet, à travers ce dispositif, ce sont les prolongements du cours qui sont envisagés :

  • en amont en tant que travail sur les pré-requis
  • en aval en tant qu’outil de mémorisation
  • tout au long de l’année comme outil facile d’accès pour favoriser un enseignement spiralaire efficace.

 On peut souligner l’intérêt de ce dispositif du côté de l’élève.

  • Le dispositif permet à tous les élèves, y compris ceux qui n’en avaient pas l’habitude, d’expérimenter la mémorisation des cours.
  • Le dispositif permet aux élèves de prendre conscience de l’intérêt et des techniques de la mémorisation - voire de se les approprier.
  • Les élèves disposent du cours partout, tout le temps via leurs smartphones ; les élèves qui présentent des difficultés d’organisation ne perdent plus leurs cours, qui se trouvent toujours disponibles sur Internet.

 On peut aussi souligner l’intérêt du dispositif du côté de l’enseignant.

  • Le professeur est amené à penser son cours en termes d’essentiels : si l’on s’oblige à concevoir des vidéos qui n’excèdent pas 7 minutes, on peut être amené à segmenter des cours qui auraient risqué dans un autre contexte de plonger les élèves dans une surcharge cognitive insurmontable. La démarche favorise l’enseignement spiralaire préconisé.
  • Le professeur organise son cours non plus en soi, pour lui-même, mais en fonction de ses prolongements  : de quels concepts a-t-on besoin pour aborder ce cours avec les élèves (pré-requis) ? Quels concepts de ce cours seront réutilisés lors de la suite ? De quelle manière ? Selon quel éclairage définitionnel faut-il aborder les notions lors de ce premier cours pour qu’elles soient opératoires lors des cours suivants ?
  • Le dispositif invite le professeur à rechercher des définitions justes, au plus proche des capacités d’abstraction des élèves.
  • Il semble que le dispositif montre une réelle efficacité pour l’enseignement de la grammaire : pourquoi ne pas l’étendre aux autres domaines de notre enseignement ? Culture littéraire, éléments de méthode, outils d’analyse de texte.

Notes

[1Pour emprunter un terme utilisé par Patrick Rayou à propos des devoirs

[2Pour les collègues qui souhaitent approfondir les recherches sur cette question, la recherche scientifique s’effectuant en anglais, on pourra chercher le terme “feed-back”. Pour approfondir sur les piliers de l’apprentissage en sciences cognitives, voir le livre de Stanislas Dehaene Apprendre !, Pairs, Odile Jacob, 2018

[3Voir à ce propos cette fiche du site sciences-cognitives.fr

[4On peut trouver d’autres vidéos semblables, sur d’autres sujets, sur cette chaine YouTube

[5Conformément aux recommandations constatées d’après la courbe de l’oubli d’Ebbinghauss

[6Voir en particulier sur ce point les travaux de Dominique Bucheton et Jean-Charles Chabanne Chabanne, J.-C. & Bucheton, D. (2008). « Les “écrits intermédiaires” pour penser,
apprendre et se construire ». Québec français, (149), 60–62. ; voir aussi cet éclairage sur le site éduscol pour le cycle 3, qui peut facilement être étendu à l’ensemble du secondaire

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