Comprendre le principe des déclinaisons grâce au TNI Comment faciliter l’entrée dans la langue en latin ?

, par Marc Michot

Il est souvent difficile, pour les élèves qui débutent en latin, d’accomplir le chemin linguistique nécessaire pour appréhender le fonctionnement d’une langue à déclinaisons. En latin, le modèle syntaxique de la phrase simple, appuyé sur la valeur et le rôle des marques casuelles, est très éloigné de celui du français, et engendre chez les élèves perplexité et incompréhension. Cela s’explique probablement, en partie du moins, par le manque de maîtrise des concepts grammaticaux en début de cycle 4 et par le poids de la tradition dans l’enseignement de la grammaire latine.
Toutefois, l’usage du TNI pour aborder ces questions peut aider les élèves à appréhender les déclinaisons. Cela favorise une approche qui permet d’entrer en profondeur dans la compréhension des structures, avant de demander aux élèves une mémorisation qui, sinon, s’avère vaine. Les connaissances supposées des élèves ne peuvent alors pas être convoquées dans le cadre des exercices de traduction et de lecture, car cela ne fait pas sens pour eux.

Une langue à déclinaisons

On rencontre souvent une difficulté, lorsque l’on enseigne le latin aux élèves de 5ème qui commencent cet apprentissage : faire comprendre le principe d’une langue à déclinaisons.

Du latin au français : la disparition des déclinaisons

En effet, en français, l’ordre des mots dans la phrase canonique est le suivant [1] :

sujet + verbe + complément d’objet

En français, c’est pour l’essentiel la place des mots qui permet de préjuger de leur fonction : et dans la situation d’une conversation, c’est ce positionnement des mots dans un ordre syntaxique qui permet à l’interlocuteur, en pleine possession de ses compétences langagières (quelles que soient ses compétences linguistiques), de percevoir les liens que les mots entretiennent entre eux et donc de construire le sens.

Comment, dans ces conditions, faire comprendre aux élèves qu’en latin, ce sont les désinences des noms qui permettent à l’interlocuteur de construire la syntaxe de la phrase, et donc son sens, et non leur ordre (ou du moins pas de manière essentielle dans une phase de découverte de la langue) ?

Des résistances

On a beau l’expliquer à travers de nombreux exemples, proposer aux élèves de nombreux exercices d’appropriation, il est souvent difficile de faire entrer les élèves dans la logique de cette spécificité de la langue.
Il y a à cela plusieurs raisons :

  • ils n’ont souvent pas conscience qu’en français, l’ordre des mots est primordial pour la construction du sens ;
  • l’anglais, qu’ils apprennent déjà au moment de commencer l’apprentissage du latin, fonctionne sur le principe d’un ordre des mots transparent lorsqu’on le compare au français ;
  • il s’agit d’une révolution dans la perception de la langue et de la construction du sens [2], d’autant plus que rares sont les élèves qui ont déjà été confrontés au phénomène des déclinaisons, par la pratique de l’allemand, par exemple.

L’approche que nous proposons permet de travailler parallèlement avec les élèves les structures syntaxiques des phrases simples en latin et en français : elle permet donc de faire de l’enseignement du latin en classe de 5ème une forme de remédiation pour l’acquisition des compétences linguistiques en français. L’enjeu est donc également de favoriser l’accès de l’enseignement complémentaire « LCA-Latin » à tous les élèves, indépendamment de leur niveau initial en grammaire française.

Notre démarche a consisté à explorer les usages possibles du TNI dont nous disposons aujourd’hui fréquemment dans les classes. Les manipulations permises par le TNI peuvent être un atout déterminant pour amener les élèves à la compréhension de ce qu’est une langue à déclinaisons : quelles pratiques du TNI, au-delà de sa fonction de tableau blanc, peuvent aider le professeur à faire comprendre le rôle de la désinence dans la phrase latine ?

Apport du TNI : démarche

L’outil informatique, en l’occurrence le tableau numérique interactif (TNI) ou le vidéoprojecteur interactif (VPI), présente l’intérêt de rendre plus sensible le mécanisme des déclinaisons grâce aux manipulations de langue qu’il autorise, devant les élèves d’abord, puis avec eux.

Contextualisation de la séquence d’apprentissage

Cette séquence d’apprentissage s’envisage ici comme une activité de langue autonome, d’une durée de deux heures environ hors de toute étude littéraire ou textuelle autre : le vocabulaire des exemples a été choisi dans un geste de tissage avec les autres séquences d’enseignement, mais la série d’activités proposées dans cet article constitue un tout autonome, afin de concentrer l’attention des élèves sur les objectifs visés.

Prérequis en langue : au moment de cette séquence d’apprentissage, les élèves ont travaillé sur la prononciation du latin et ont été confrontés à la lecture d’un texte latin pour travailler cette compétence. Le professeur avait traduit ce texte sous leurs yeux afin de procéder à une première imprégnation de la langue. Les élèves n’ont pas encore travaillé sur la conjugaison latine.

Les dieux de l’Olympe [3]
Juppiter, Saturni filius, deorum hominumque pater, caelum et terram imperio regebat. Neptunus mari imperabat, Pluto inferis. Phoebus-Apollo erat auctor lucis, idemque Musarum magister. Mars bello et armis praesidebat, Bacchus conviviis et vino. Vulcanus praefectus erat fabricandis Jovis fulminibus. Mercurius erat interpres Jovis et reliquorum deorum, ac nuntius aliger. Juxta deos in Olympo sedebant deae. Inter deos et deas regale solium obtinebat Juno, Jovis conjux. Vesta focis custos aderat. Pallas seu Minerva, belli pariter et pacis artibus praeerat, Ceres agriculturae, venatui Diana. Venus erat formosissima dearum.

Traduction
Jupiter, fils de Saturne, père des dieux et des hommes, gouvernait le ciel et la terre. Neptune commandait à la mer, Pluton aux enfers. Phoebus-Apollon était le créateur de la lumière, ainsi que le maître des Muses. Mars présidait à la guerre et aux armes, Bacchus aux banquets et au vin. Vulcain avait été préposé à la fabrication des foudres de Jupiter. Mercure était l’intermédiaire entre Jupiter et les autres dieux, et le messager ailé. Auprès des dieux, dans l’Olympe, siégeaient les déesses. Au milieu des dieux et des déesses, Junon, épouse de Jupiter, occupait le siège royal. Vesta était la gardienne du foyer. Pallas, ou Minerve, régnait sur les arts de la guerre comme sur ceux de la paix, Cérès dirigeait l’agriculture, Diane s’occupait de la chasse. Vénus était la plus belle des déesses.

Lors des deux premières étapes de cette séquence d’apprentissage, on travaille exclusivement avec du vocabulaire de la première déclinaison afin de faciliter la compréhension.
À partir de la quatrième étape, on introduit des noms issus des deuxième et troisième déclinaisons. L’identification des déclinaisons sera faite dans une deuxième séquence d’apprentissage, lorsque les élèves apprendront ce qu’est le génitif.

Organisation de la séquence d’apprentissage

  • Première étape : retour au français
    On cherche dans cette première étape à faire prendre au conscience aux élèves des raisons qui permettent aux locuteurs francophones de comprendre, dès la première écoute, le sens d’une phrase et pourquoi, en revanche ils sont potentiellement en difficulté face au latin. La difficulté naît, pour eux, de la rencontre d’un ordre nouveau et d’un fonctionnement autre de la langue, en latin.
    En classe de 5ème, en français, les élèves sont habitués à chercher les fonctions des groupes nominaux dans les phrases à l’aide de questions, plus ou moins précises, qu’ils ont apprises les années précédentes. Nous cherchons à leur faire comprendre que pour un locuteur francophone, à l’intérieur d’une conversation, nul n’est besoin d’une manipulation de langue pour comprendre la phrase : c’est l’ordre des mots qui permet de comprendre le sens, car nous en déduisons implicitement les fonctions grammaticales des groupes de mots. Pour ce faire, une manipulation au tableau numérique permet de faire réagir les élèves sur les effets de sens produits, et de leur faire déduire les changements grammaticaux qui ont été opérés.

Pour opérer cette manipulation sur le TNI, on utilise une astuce disponible sur la plupart des logiciels de tableaux blancs. Chaque syntagme est noté dans un bloc de texte qui lui est propre : les constituants de la phrase obtenus deviennent ainsi des objets autonomes, déplaçables à loisir en fonction de ce que l’on souhaite démontrer : évolution des positions syntaxiques, phrase incorrecte en français, etc.

  • Deuxième étape : le principe de la désinence
    Faire comprendre aux élèves que penser la phrase latine constitue une sorte de « révolution copernicienne ». L’ordre des mots ne prime plus, c’est la désinence des noms qui mène l’interlocuteur vers le sens de la phrase, car elle indique explicitement la fonction du syntagme dans la phrase. Pour ce faire, on projette au tableau numérique la manipulation de langue équivalente à celle de la phrase précédente. À partir du moment où ils en ont compris le principe, certains élèves viennent eux-mêmes au tableau réaliser ces manipulations pour faire deviner à leurs camarades le sens de la nouvelle phrase qu’ils viennent de créer. On travaille sur la désinence -M de l’accusatif singulier, puis sur la désinence -S de l’accusatif pluriel.

On le voit à travers les deux premières étapes de la démarche, le TNI s’avère ici déterminant pour faire comprendre le fonctionnement de la langue à déclinaison. En effet, loin de fonctionner comme un simple espace d’écriture, il devient le théâtre dynamique de la manipulation de la langue, sur la scène duquel les élèves voient le déplacement en train de se faire : déplacement de désinence, certes, mais aussi déplacement de sens. En allant au tableau pour agir sur les phrases proposées, les élèves explorent eux-mêmes leur pouvoir de modification de sens à travers la manipulation grammaticale. Ils découvrent ainsi la dimension syntaxique de la déclinaison.

  • Troisième étape : théorisation, construction du cours, et trace écrite.
    La trace écrite se concentre sur :
    • la comparaison des fonctionnements syntaxiques respectifs du latin et du français
    • l’explicitation du rôle des désinences
    • l’introduction de la notion de « cas » (c’est-à-dire une explication du titre du cours).
    • La conclusion en est le tableau des désinences suivant :
Cas SingulierPluriel
nominatif (sujet du verbe) voir dictionnaire  ?
accusatif (COD du verbe) -M - S
  • Quatrième étape : pratique de traduction
     Partie 1
    Pratique guidée de la traduction de phrases, et introduction des noms de la deuxième et de la troisième déclinaison, sans les nommer : on indique simplement que ce qui permet de connaître le cas d’un nom se joue dans l’écart entre la forme trouvée dans la phrase et la forme trouvée dans le lexique, qui est systématiquement donné aux élèves [4]. Dans cette phase, on prend garde à ne pas introduire de noms neutres, de façon à ce que la forme de l’accusatif se distingue visuellement et phoniquement ce celle du nominatif.
    Proposition de corpus
     Servus puellam videt.
     Servus puellas videt.
     Puella servum videt.
     Servum videt puella.
     Servos puella videt.



     Partie 2
    Pratique autonome de la traduction de phrases : selon les contextes de classe, cette phase de traduction peut se faire seul ou en binômes d’entraide.

     Partie 3
    Cette étape est facultative, car elle est un outil de différenciation pédagogique ; elle permet aux élèves les plus rapides d’expérimenter leur pouvoir d’écrire de nouvelles phrases, pendant que les autres se concentrent sur la traduction des phrases de l’étape précédente. Avec le vocabulaire du corpus, on leur demande à leur tour d’écrire des phrases et de les traduire, avant de les soumettre à l’examen sagace de leurs camarades.

  • Cinquième étape : entrée dans la mémorisation
    Encart de mémorisation et vidéo : cliquez ici pour voir la vidéo de mémorisation, sur la chaîne YouTube de l’auteur.
    On demande aux élèves de répondre aux questions de la vidéo afin de favoriser une mémorisation active des contenus du cours. Dans un premier temps, ils réfléchissent à la réponse sans écrire, pour eux-mêmes, avec pour consigner d’essayer de retenir les réponses ; dans un second temps, ils répondent par écrit aux questions qui sont posées.
    Cette étape de mémorisation est renouvelée à intervalles expansés lors des séances suivantes, même si les nouvelles séquences d’apprentissage abordent d’autres questions. Ce moment de mémorisation peut se dérouler à l’aide de la vidéo ou à l’aide de cet encart de mémorisation, qu’ils utilisent pour s’interroger mutuellement. Elle permet aux élèves de mémoriser les prérequis qui seront nécessaires à la séquence d’apprentissage suivante en langue : le génitif et sa place dans la présentation des mots dans le dictionnaire.

Prolongement de la séquence d’apprentissage

La troisième séquence d’apprentissage de langue en latin portera sur la conjugaison et permettra aux élèves de réactiver leurs réflexes de traducteurs tout en ajoutant une nouvelle difficulté : celle de reconnaître la conjugaison des verbes.

La quatrième séquence d’apprentissage de langue portera sur le génitif :

  • Elle permettra aux élèves d’appréhender la présentation des noms dans le dictionnaire en latin ;
  • Elle permettra aux élèves de découvrir qu’il existe plusieurs déclinaisons, reconnaissables par leur génitif singulier (on travaillera spécifiquement sur les trois premières déclinaisons). C’est à ce moment de la progression que l’on indiquera aux élèves que les désinences de l’accusatif, au singulier et au pluriel, se différencient (plutôt que -M / -S : -AM / AS pour la première déclinaison, - UM / -OS pour la deuxième déclinaison ; -EM / -ES pour la troisième déclinaison) ;
  • Elle permettra de s’intéresser à la notion de « complément » en grammaire, en insistant sur la différence nécessaire entre complément de nom et complément de verbe ;
  • Elle permettra d’enrichir la structure des phrases que les élèves sont capables de traduire en y intégrant des mots au génitif.

Là encore, l’usage du TNI pourra être convoqué de façon à faire réfléchir les élèves sur la place - la plus fréquente - du génitif et sur l’ambiguité d’un génitif placé entre deux substantifs.

Proposition de corpus
 Puella servum videt.
 Puella domini servum videt.
 Servus villam videt.
 Servus domini villam videt. (ambigu)
 Domini servus villam videt.

Repenser la progression grammaticale en latin

  • L’utilisation du TNI dans la perspective où nous l’envisageons dans cet article pousse, nous l’avons vu, à repenser la progression grammaticale du cours de latin en 5ème, au moment où les élèves débutent. En effet, plutôt que de privilégier une approche qui observerait d’abord le tableau de correspondance des cas et des fonctions, puis ferait apprendre la première déclinaison, puis la deuxième déclinaison, on privilégie une approche frontale des trois déclinaisons, mais cas par cas. Cette progression permet d’entrer dans une compréhension fine de la syntaxe [5] de la phrase en évitant la surcharge cognitive des élèves, et en permettant au cours d’aborder du vocabulaire issu des trois déclinaisons.
  • Cette manière de procéder permet d’obtenir une proportion plus élevée d’élèves qui accèdent à la compréhension du fonctionnement de la phrase simple en latin. D’autre part, après avoir abordé trois cas de cette manière (nominatif, accusatif et génitif), les élèves comprennent mieux et plus vite le fonctionnement des cas restant lorsqu’ils sont étudiés.
  • Finalement, c’est en fin de 5ème ou en début de 4ème que les tableaux complets des déclinaisons sont donnés à apprendre aux élèves. Ces derniers sont alors plus à même d’en comprendre l’intérêt et l’importance pour leur appréhension de la langue latine. Quand le tableau d’une déclinaison, de pensum difficile à mémoriser, devient une aide pour la traduction des textes, il cesse d’être un ennemi de l’élève et celui-ci se l’approprie d’autant mieux.
Articles connexes
Impliquer les élèves dans la mémorisation du cours
Compétences en lettres et outils numériques
Rendre sensibles les processus linguistiques par le numérique

Notes

[1(voir à cet égard la remarque de la page 13 de la terminologie grammaticale en vigueur depuis 2019)

[2Voir Terminologie grammaticale, page 13, encadré

[3Texte extrait du manuel Latin 5ème, Hatier, Les Belles Lettres, 2005. Texte adapté d’après Henri Lantoine, Abrégé de l’histoire grecque, Armand Colin, 1914. Traduction des auteurs du manuel.

[4Ceci est aisé à réaliser rapidement grâce au lemmatiseur Collatinus

[5Dans son manuel pour débutants en grec ancien, Vive le grec !, éditions ellipses, 2012, Joëlle Bertrand procède également à une approche au cas par cas, afin de favoriser une entrée en profondeur dans les subtilités de la syntaxe de la phrase grecque.

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