Présentation de la démarche

Quelques manipulations simples du tni peuvent permettre aux élèves de mieux comprendre le cheminement qui mène à la problématique d’un texte littéraire. En creusant un sillon dans le texte, un sillon visible en permanence au tableau, l’élève apprend à s’intéresser au signifiant. Il perce la surface plane et souvent aveuglante du texte littéraire pour appréhender le travail de l’artiste.

Le professeur intervient le moins possible. Il met son savoir à la disposition de l’élève mais le laisse déambuler dans l’extrait étudié. En effet, les transformations que l’élève opère devant ses camarades peuvent très bien être validées ou contestées par la classe. Le but est de rendre les élèves désireux de construire du sens. Ce sens, le professeur ne semble plus en être le seul détenteur. Il devient l’objet d’une quête commune.

Démarches pour une lecture analytique efficace

L’enseignant propose un certain nombre de gestes possibles pour mener une lecture analytique efficace. Ces gestes, ce sont ceux du lecteur expert qui apparaissent souvent moins clairement sans tni. Dès la sixième les élèves peuvent être initiés à cette méthode.

Premier geste : Construire la problématique d’un texte en mesurant l’écart entre « le texte attendu » et « le texte inouï » de l’écrivain.

Support : La scène de rencontre entre Frédéric Moreau et madame Arnoux dans l’Education sentimentale
Niveau : classe de troisième
Séquence : « Les scènes de coup de foudre ou comment parler d’un sentiment qui, par essence, relève de l’indicible »

Consigne et activité de l’élève

Geste demandé : Surligne au tableau en bleu (transcrit en gras) tous les mots et expressions qui sont attendus dans une scène de coup de foudre et en orange (transcrit en italique) ceux qui surprennent.

Fonctions TNI utilisées : L’élève, au tableau, utilise deux fonctions simples du TNI (surligner/gommer).

A l’aide des remarques de ses camarades et, en dernier recours, du professeur, il a obtenu le résultat suivant :

1840. Fréderic Moreau, un bachelier de 18 ans, aperçoit sur le bateau, qui le mène à sa ville natale de Nogent sur Marne, Mme Arnoux. Elle est la femme de Jacques Arnoux, un spéculateur débonnaire.

Ce fut comme une apparition.

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules  ; et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses, qui palpitaient au vent, derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait en plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpaient sur le fond de l’air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre  ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière.

Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait... Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites.

Analyse de la séance

En confrontant l’attendu et l’inattendu, les élèves peuvent entrevoir l’originalité de cette scène.

Certes tous les ingrédients du coup de foudre sont réunis (en bleu - ici en gras) mais l’adverbe de comparaison « comme », au milieu d’une phrase courte, constituant un paragraphe, introduit déjà une distance entre le ressenti du personnage et le jugement du narrateur omniscient.

L’élève entre alors en dialogue avec un narrateur qui s’amuse d’un personnage un peu gauche restant à la périphérie de la femme aimée. C’est que madame Arnoux n’est que la toile sur laquelle Frédéric dessine ses premiers émois amoureux.

Après avoir demandé aux élèves si la femme évoquée est originale, on peut également ôter les caches rectangulaires apposés sur les représentations des « femmes à l’ombrelle » et apercevoir la banalité d’une madame Arnoux que rien ne distingue. Le TNI est utilisé ici pour son effet de surprise : les rectangles blancs opacifiant les toiles de Monet avaient été placés en bas du texte, sans qu’on puisse soupçonner leur présence. Soudain la femme décrite littérairement apparaît trois fois, révélant ainsi sa banalité.

Claude Monet

• La Promenade, la femme à l’ombrelle, 1875, huile sur toile 100 x 81 cm, National Gallery of Art, Washington, D.C. Etats-Unis
• Essai de figure en plein air (vers la droite), 1886, huile sur toile 131 x 88 cm, Musée d’Orsay, Paris France.
• Essai de figure en plein air (vers la gauche), 1886, huile sur toile 131 x 88 cm, Musée d’Orsay, Paris France.

Pour trouver les reproductions

Très vite une problématique se dessine : la scène est en équilibre entre la touchante naïveté et le ridicule, entre la vérité de tout sentiment amoureux et l’amusement du narrateur. Au lycée, on peut lire dans ce qui est souligné en rouge (ici en italique) une façon pour Flaubert d’esquisser l’esthétique d’un roman circulaire, d’un « roman sur rien ». A la fin de la séance, l’élève doit retenir qu’un texte fait entendre deux voix : celle de nos représentations et celle, unique, de l’artiste. Mesurer l’écart entre ces deux voix, c’est problématiser.

Deuxième geste : Construire la problématique d’un texte en étudiant les mouvements (moments) du texte

Support : Apparition de Stéphane Mallarmé
Niveau : classe de quatrième
Séquence : « La poésie et le rêve »

Consigne et activité de l’élève

Geste demandé : en vous appuyant sur les ruptures de ton, sur vos impressions successives, isolez les différents moments du texte en justifiant votre choix.

Manière de procéder : Les impressions des élèves sont notées et classées au tableau, les phrases marquant une rupture sont soulignées, le texte est alors étudié mouvement après mouvement.

La capture d’écran ci-dessus :

• montre les vers de rupture (l’élève au tableau surligne en jaune),
• fait apparaître trois moments distincts du texte.

N.B. : l’élève au tableau flèche les mots qui interpellent le plus la classe, un camarade au clavier note les remarques.

Remarques techniques

– La manipulation du TNI ici est légèrement plus complexe que pour le geste précédent :

• l’élève au tableau doit maîtriser la transparence de la flèche (afin qu’elle laisse le texte lisible)
• l’élève au clavier doit assez vite maîtriser les problèmes de couleurs, taille de police etc…

–  Conseil : il existe la possibilité de rendre les mots du texte inamovibles grâce à la fonction « mettre en fond ». A utiliser pour éviter erreurs de manipulation et perte de temps. En effet, le texte est alors figé comme en format image et ne peut en aucun cas êre altéré.

– En quelques jours de pratique, ces manipulations sont pour les élèves un jeu d’enfant.

– Le canevas de ce cours peut être téléchargé au format .pptx.

Troisième geste : repérer dans un texte si une figure de style domine et chercher les raisons de son omniprésence

Support : « Les stances du Cid »
Niveau : quatrième
Séquence : « Le Cid, de la morale en action »

Consigne et activité de l’élève

Geste demandé : utiliser la capture partielle du tni (icône appareil photo) pour faire ressortir la figure de style dominante dans ces stances. Chercher ensuite les raisons de son omniprésence.

La capture partielle (icône appareil photo) permet de faire ressortir en gros un élément du texte. Ici, ce sont deux vers qui mettent en valeur le parallélisme de construction et la parfaite symétrie des hémistiches.

Analyse de la séance

L’élève comprend vite que cette figure de style insiste sur le choix cornélien. Par son questionnement, le professeur peut l’amener (selon les niveaux de classe) à une problématisation plus fine du texte : plus la symétrie est rigoureuse, plus elle met en lumière la réflexion aporétique de Rodrigue, comme si l’ordre et la mesure étaient des garde-fous permettant d’éviter l’éclatement du moi. L’équilibre formel pour retrouver un équilibre mental.

Remarques sur l’utilisation du TNI

Des gestes pour entrer dans la lecture analytique d’un texte

– Il existe bien sûr de très nombreux gestes possibles à effectuer sur un texte. L’essentiel est de concevoir des manipulations simples au TNI pour permettre aux élèves de conduire de manière plus autonome une lecture analytique, et ce selon le texte et les objectifs retenus.

– Il pourrait du reste être intéressant d’imaginer la constitution d’une carte heuristique qui recenserait les différents gestes possibles, en fonction peut-être du type de texte. Cela permettrait d’élaborer une sorte de méthode active pour aborder un texte de façon autonome.

Apport du TNI

– La maîtrise technique d’un logiciel interactif ne doit pas inquiéter car elle n’est pas le but premier. L’intérêt est de se demander quelles manipulations mentales permettent de problématiser un texte et de voir si le TNI permet de rendre visibles, palpables ces manipulations.

– Le professeur comme l’élève doivent accepter de lâcher prise. Le professeur doit accepter que telle finesse du texte n’aura pas été entrevue et l’élève doit se lancer seul dans la lecture.

Mes élèves témoignent de leur crainte au début de l’année mais, très vite, ils me semblent plus concernés par le cours, plus responsables de l’élaboration du sens.

– Autre avantage du Tni que j’ai pu remarquer en étudiant le même texte avec et sans tni : les élèves peu auditifs et très visuels suivent beaucoup mieux.