Voltaire L’Ingénu - S’approprier l’œuvre

, par Inspection pédagogique régionale de Lettres

Ce parcours est conçu pour être mené intégralement à distance, tantôt en groupes, tantôt de manière individuelle pour à la fois partager la relecture et faciliter l’appropriation de chacun. Les régulations du professeur se font à chacun des moments de bilan sur un mur collaboratif qui devient progressivement le parcours de révision de la classe.

Présentation du projet

Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle.

Œuvre & parcours : Voltaire, L’Ingénu / Voltaire, esprit des Lumières.

Classe : première technologique

Durée : 5 séances

Objectifs :
Mobiliser l’expérience traversée, les sentiments, sensations et réflexions qu’elle engendre pour enrichir et aiguillonner la lecture des œuvres du programme limitatif ; exhausser à la faveur de cette lecture actualisée un trait saillant de l’œuvre et approfondir son appropriation.
Pour ce faire, il est proposé de remobiliser et d’approfondir les connaissances sur l’oeuvre en articulant le travail à un épisode central du roman et essentiel pour la construction du sens : l’Ingénu à la Bastille. On s’attachera tout particulièrement à comprendre la transformation du Huron qui s’y joue et à analyser quel est le prix de sa liberté.

Mise en œuvre

Temps 1 - Contextualisation de l’extrait et connaissance de l’œuvre intégrale

Distanciel
Ce premier temps consiste en un travail personnel de l’élève, mené à la maison.

À faire

  • Relire les chapitres IX à XIV de L’Ingénu.

Objectifs

  • Il s’agit d’établir des points de repère dans l’œuvre et d’interpréter sa structure

Questions

  • À la fin du chapitre IX, où est conduit l’Ingénu ? De quelle manière est désigné ce lieu ? Pourquoi ?
  • Faites une recherche rapide sur la réalité historique de ce lieu : citez quelques grandes figures intellectuelles et politiques qui ont pu y être emprisonnées.
  • Comparez ce lieu aux espaces des chapitres précédents : que représente-t-il ?
  • Quel personnage l’Ingénu rencontre-t-il dans ce lieu ?
  • À quelle activité essentielle le Huron s’adonne-t-il dans ce lieu et que découvre-t-il ? Donnez plusieurs exemples.

Bilan
La correction des questions pourra par exemple être présentée sur l’ENT.

Temps 2 - Actualiser et ouvrir la lecture de l’œuvre

Distanciel
Ce deuxième temps consiste en un travail personnel de l’élève, mené à la maison en amont de la séance in vivo prévue au temps 3.

Mise à disposition d’un corpus à lire et/ou consulter en amont de la séance.

  • Pascal, Pensées, 168, 1670.

Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où ils naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée, si chère, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Etc.

  • Rousseau, Les Confessions, Livre quatrième (1730-1731), 1782.

C’est une chose bien singulière que mon imagination ne se monte jamais plus agréablement que quand mon état est le moins agréable, et qu’au contraire elle est moins riante lorsque tout rit autour de moi. Ma mauvaise tête ne peut s’assujettir aux choses. Elle ne saurait embellir, elle veut créer. Les objets réels s’y peignent tout au plus tels qu’ils sont ; elle ne sait parer que les objets imaginaires. Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver ; si je veux décrire un beau paysage, il faut que je sois dans des murs ; et j’ai dit cent fois que si j’étais mis à la Bastille, j’y ferais le tableau de la liberté.

  • #culturecheznous  : plateforme mise en œuvre par le Ministère de la Culture [1]
  • « Usages culturels sur internet : une consommation en hausse pendant le confinement » [graphique et étude]
    Article proposé sur le site viepublique.fr [2].
  • « La culpabilité culturelle des confinés »
    Podcast sur France Culture dans l’émission La Théorie, par Mathilde Serrell (2 mns) :

[texte du podcast en ligne sur le site assorti de liens complémentaires].

Temps 3 - Micro-débat autour de l’œuvre

Modalités
Selon les possibilités et le contexte :
 travail en groupe-classe, en classe virtuelle ou en présentiel
 alternative : travail à distance, en petits groupes coopératifs, via des échanges téléphoniques par exemple. Dans ce cas, une correction des questions pourra être proposée sur l’ENT.

Objectifs
Ce troisième temps consiste en un travail en groupe-classe.
Dans le cadre d’un micro-débat autour de quelques citations de l’œuvre intégrale et du corpus mis à disposition, il s’agira de :

  • Interroger l’œuvre en actualisant ses enjeux ;
  • Activer une réflexion argumentée nouant lecture patrimoniale, corpus argumentatif et regard sur le monde contemporain (propédeutique de l’essai).

Corpus de citations

  • Chapitre X :

    Chaque jour la conversation devenait plus intéressante et plus instructive. Les âmes des deux captifs s’attachaient l’une à l’autre. Le vieillard savait beaucoup, et le jeune homme voulait beaucoup apprendre.

  • Chapitre XI :

    La lecture agrandit l’âme, et un ami éclairé la console. Notre captif jouissait de ces deux avantages, qu’il n’avait pas soupçonnés auparavant. « Je serais tenté, dit-il, de croire aux métamorphoses, car j’ai été changé de brute en homme ». Il se forma une bibliothèque choisie d’une partie de son argent dont on lui permettait de disposer. Son ami l’encouragea à mettre par écrit ses réflexions .

  • Chapitre XII :

    Le jeune Ingénu ressemblait à un de ces arbres vigoureux qui, nés dans un sol ingrat, étendent en peu de temps leurs racines et leurs branches quand ils sont transplantés dans un terrain favorable ; et il était bien extraordinaire qu’une prison fût ce terrain.

Questions

  • À la lecture de ces trois citations, quelle transformation de l’Ingénu s’opère en prison ?
    Que pensez-vous de cette métamorphose ?
  • Plus largement, et en prenant appui sur le corpus « à lire et/ou consulter » mis à disposition (cf. Temps 2) ainsi que les trois citations de l’œuvre intégrale proposées ci-dessus, vous répondrez à ces deux interrogations :
     Pensez-vous que le fait d’être reclus, captif, en retrait ou confiné, modifie notre rapport à la culture et au savoir ?
     Croyez-vous que, comme le Huron, le confinement nous ait rendus plus cultivés et plus sages ?

Temps 4 - Retour sur l’explication linéaire

À distance, en classe virtuelle ou présentiel
Il s’agira de revenir sur les lectures linéaires menées avec la classe autour de l’épisode de l’emprisonnement.

Objectifs

  • Retravailler la lecture linéaire étudiée avec la classe.
  • Interroger le mouvement du passage et les nœuds d’interprétation de l’extrait à la lumière des échanges et des réflexions partagées dans le temps 3.

Temps 5 - Mise en perspective et prolongement

Ce travail de mise en perspectives et de prolongement dans l’œuvre se fait à partir du chapitre XIV « les progrès de l’esprit de l’Ingénu ».

Travail personnel en amont de la séance

En distanciel

À lire
Chapitre XIV, depuis « L’Ingénu faisait des progrès rapides dans les sciences, et surtout dans la science de l’homme », jusqu’à « ceux qui persécutent me paraissent des monstres ».

Objectifs
Dégager à partir de cette nouvelle lecture des caractéristiques de l’œuvre intégrale :

  • l’art du renversement dans L’Ingénu ;
  • la dénonciation de l’arbitraire ;
  • la satire du dévoiement abscons, inutile et parfois violent de l’intelligence.

Réflexion collective et/ou collaborative

Modalités
Selon les possibilités et le contexte :
 travail en groupe-classe, en classe virtuelle ou en présentiel
 alternative : travail à distance, en petits groupes coopératifs, via des échanges téléphoniques par exemple. Dans ce cas, une correction des questions pourra être proposée sur l’ENT.

Questions

  • Comment progresse l’échange entre l’Ingénu et Gordon ?
  • À quelle conclusion parvient le Huron ?
  • Comment se nouent culture, savoir, caractère et vérité dans l’extrait ?
  • Lisez la fin du chapitre XIV : vous semble-t-elle confirmer la dynamique de l’extrait ? En quoi ?

Approfondir la lecture et son appropriation

En distanciel

Objectifs
Faire réaliser une synthèse personnelle et/ou par groupe. Correction proposée sur l’ENT.

Sujet
Sous forme de synthèse, récapituler et approfondir les enjeux ainsi que la valeur de l’épisode de la Bastille dans l’œuvre à partir des cinq temps de travail précédents.

Éléments pour la synthèse

  • L’emprisonnement de l’Ingénu met un terme à la première partie du roman : les vastes étendues américaines et la Basse Bretagne laissent la place à l’espace étroit du cachot, où l’Ingénu accomplit un voyage différent, à savoir une descente en lui-même tout autant qu’une découverte du savoir et de la culture.
  • Le Huron captif connaît à la Bastille un apprentissage intellectuel, moral et philosophique aux côtés du janséniste Gordon : la mémoire, les mathématiques, le doute philosophique mais aussi la sensibilité et l’esprit critique jouent un rôle majeur dans son développement.
  • L’Ingénu toutefois se distingue surtout par la valeur d’un entendement affranchi des préjugés grâce à une éducation sauvage, qui le préserve de l’erreur et de l’intolérance, des absurdités métaphysiques et de l’arbitraire [cf. lecture complémentaire] ; il manifeste sans relâche un caractère impétueux et tourné vers l’amour de Mademoiselle de Saint-Yves, sous le signe duquel se clôt le chapitre XIV. Celui-ci marque le renversement définitif du rapport entre le maître et le disciple, à la faveur de cette expression sensible : « Enfin, pour dernier prodige, un Huron convertissait un janséniste ».
  • Les discussions entre l’Ingénu et Gordon laissent en suspens le problème métaphysique du mal, auquel les péripéties liées à l’emprisonnement de l’Ingénu et au dilemme affreux de Mademoiselle de Saint-Yves (cf. chapitre XVIII : « L’amour et le malheur l’avaient formée », « Son aventure était plus instructive que quatre ans de couvent ») ainsi que la conclusion de l’œuvre offrent une réponse ironique sur un mode déceptif : « Le bon Gordon vécut avec l’Ingénu jusqu’à sa mort dans la plus intime amitié ; il eut un bénéfice aussi, et oublia pour jamais la grâce efficace et le concours concomitant. Il prit pour sa devise : malheur est bon à quelque chose. Combien d’honnêtes gens dans le monde ont pu dire : malheur n’est bon à rien ! ».
  • « Le fusil à deux coups de Voltaire [3] qui structure et clôt le récit est aussi celui qui scelle le prix d’une philosophie « intrépide » (chapitre XX).

 Pour le temps 5 : la synthèse finale demandée peut être indiquée comme « une synthèse personnelle et/ou par groupes ».

Notes

[3Jean Starobinski, « Le fusil à deux coups de Voltaire » in Le Remède dans le mal : critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, Gallimard, « NRF Essai », 1989, p. 123-163. »

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