Introduction
Nous n’avons pas ici l’objectif de construire des séquences complètes, mais de proposer des matériaux permettant de construire, dans la continuité du travail effectué au collège, une approche du théâtre dans ses caractéristiques de genre et dans une perspective historique où l’on abordera autant l’évolution du genre que l’évolution de ses rapports à la représentation.
Rappelons tout d’abord les principaux aspects du programme de collège concernant le théâtre :
– Les élèves sont censés avoir lu une farce en 5e (Farce du Moyen Age ou de Molière) où ils devaient étudier les spécificités d’un dialogue de théâtre (rapport du dialogue aux didascalies).
– En 4e, ils ont à lire une comédie de Molière (L’Avare ou Le Bourgeois gentilhomme) ou éventuellement Le Cid (pour les bonnes classes). Ils ont à étudier diverses formes de comiques (de gestes, de situation, de mots) et à voir la façon dont ces procédés débouchent sur une critique sociale chez Molière.
– En 3e, c’est l’aspect argumentatif du dialogue théâtral qui est privilégié. Molière reste au programme avec Les Femmes savantes (œuvre la plus étudiée) ou L’Ecole des femmes. Mais il est possible d’aborder le genre tragique avec Andromaque de Racine, ou de faire découvrir le théâtre du XXe siècle avec Antigone d’Anouilh. C’est pourquoi nous utiliserons ces dernières œuvres dans nos propositions, pensant ainsi qu’ elles pourront servir autant en fin de 3e qu’en début de 2e.
Le programme de 2e insère le théâtre dans l’histoire littéraire et culturelle des genres. Il distingue genre et registre.
– Nous définirons donc le genre comique et le genre tragique à travers les conventions théâtrales et dramaturgiques qui les constituent.
– Nous essaierons d’envisager, avec des références au théâtre du XIXe et du XXe siècle une évolution de chacun de ces genres. Il serait sans doute bon d’insérer les textes étudiés dans une chronologie.
– La notion de registre pose davantage de difficultés puisque les auteurs dramatiques du XVIIe siècle ne le séparait pas de la dramaturgie du genre correspondant. Nous relierons donc le genre comique aux stéréotypes théâtraux qui lui sont associés. Le registre tragique, notion inventée par le XIXe siècle, sera appréhendé dans ses effets spectaculaires.
L’analyse de l’évolution des techniques de mises en scène (costumes, décor, jeu des acteurs) montrera les changements dans les attentes des spectateurs vis-à-vis du registre tragique ou comique. L’évolution des conditions de représentation (théâtre de tréteaux, théâtre à l’italienne, salle sans cadre de scène contemporaine) peut être appréhendée grâce au livre d’André Degaine : Histoire du théâtre dessinée (Nizet, 1994). Nous ferons le plus souvent possible appel à des documents iconographiques (photos ou vidéos). A côté des diffusions de la Comédie Française que nous mentionnons, il existe au CNDP des cassettes dans la série Galilée qui comportent des extraits de mises en scène récentes de certaines pièces : dans la série Maîtriser le discours, Bérénice et Electre de Sophocle (cassette n°8), Dom Juan (cassette n°9) ; dans la série Les textes ont la parole, Le Misanthrope (cassette n°2), Tartuffe et Le Mariage de Figaro (cassette n°4)
I. Comédie et comique
1. La comédie comme genre
a) Les conventions théâtrales comiques : lire L’Illusion comique de Corneille
Cette comédie permet de travailler dès l’analyse du titre sur la définition de la théâtralité comme art de l’illusion et celle de la comédie, en tant que genre. Oeuvre baroque, elle permet aussi d’aborder l’histoire littéraire du début du XVIIe siècle. Les élèves de 2e connaissant au moins une comédie de Molière, il sera possible en fin de séquence d’établir des comparaisons et de définir une comédie classique.
– Les attentes du spectateur vis-à-vis d’une comédie :
- des personnages caricaturaux et ridicules : Matamore (II, 2)
- un amour impossible : analyse par exemple de l’aveu amoureux en II,6
- une intrigue et des ruses : Lyse fait évader Clindor de prison (IV,2)
- un dénouement heureux : comparaison entre I, 1 et V,5
– Une réflexion sur le théâtre et la théâtralité :
- le vocabulaire du mensonge, de l’illusion, de l’apparence trompeuse = l’exhibition de la théâtralité.
- la mise en abyme : la version tragique et théâtrale de l’amour d’Isabelle et Clindor dans l’acte V permet de définir la comédie par rapport à la tragédie
b) La comédie comme procédé de critique des mœurs
Il s’agira ici de faire la part entre discours argumentatifs et procédés comiques, et d’essayer de comprendre comment la thèse est servie à la fois par le dialogue et par le jeu et la mise en scène.
– Réflexions sur la condition féminine : lire L’Ecole des femmes de Molière
L’étude s’appuiera sur la vidéo du spectacle de la Comédie Française avec Isabelle Adjani et Bernard Blier (1973). Le CNDP diffuse également une mise en scène de 1995 avec Galabru. L’analyse sera centrée l’évolution du personnage de la jeune fille ignorante. Il s’agira de montrer comment un personnage conventionnel de la comédie prend ici des aspects originaux pour illlustrer la thèse. Pour commencer, les élèves auront à lire l’intégralité de la pièce afin de déterminer toutes les actions d’Agnès qui permettent de faire avancer l’intrigue et de les comparer avec son temps de présence sur scène.
- comparer la 1ère apparition d’Agnès (I, 3) et son récit enflammé et naïf de sa rencontre avec Horace (II,5) : la soumission et l’ardeur ; le sentiment de culpabilité avec le vol du ruban : quel jeu, quelles expressions du visage, quelles intonations ?
- Les 2 rivaux : (III,4) Horace lit à Arnolphe la lettre d’Agnès. Le jeu du jaloux. Evolution du personnage d’Agnès toujours vue à travers le regard d’un homme : Intérêt d’utiliser un récit et une lettre qui ne sont pas des procédés visuels théâtraux ?
- La révolte (V,4) : la jeune fille s’affirme. Face à elle, Arnolphe essaie de la dominer, puis de l’amadouer. Le ridicule du barbon amoureux. L’éducation amoureuse et son influence libératrice. Comparer le jeu d’Agnès dans cette scène avec son comportement dans l’acte II.
A la suite de l’étude de L’Ecole des femmes , on peut proposer un cours groupement de textes montrant un autre aspect du discours de Molière concernant les femmes et l’évolution de cette réflexion dans le théâtre du XVIIIe. On se posera aussi la question de l’évolution des personnages et du genre comique dont le discours devient plus nettement politique :
- Molière : Les Femmes savantes (1672) Deux discours antithétiques sur la vie des femmes ; l’affrontement d’Henriette et Armande en I, 1.
- Marivaux : La Colonie (1750) Sur le modèle de L’Assemblée des femmes d’Aristophane, des femmes constituent un gouvernement. Dans la scène 9, Arthénice explique ce que sont les femmes et le piège que représente la séduction.
- Beaumarchais : le Mariage de Figaro (1784) Marceline se justifie de sa conduite passée et accuse la société en III,16.
– La critique de l’hypocrisie : Lire Tartuffe de Molière
L’étude s’appuiera sur la vidéo de la mise en scène de Jacques Lassalle avec Gérard Depardieu (1984) ou l’une de celles proposées par la Comédie Française (une version datant de 1973 et une autre de 1998) et permettra de travailler sur le comportement physique de l’hypocrite : gestes et intonations de la dévotion, de la compassion, du repentir, du désir amoureux, du calcul.
- comparer les deux portraits de Tartuffe faits par Dorine (I, 4) et Orgon (I, 5) avec sa 1ère apparition sur scène (III, 2)==> les attentes concernant un personnage
- le 1e entretien entre Tartuffe et Elmire : mise en espace et en gestes du désir amoureux et de sa justification (III,3)
- la scène de repentir (III,6) : un retournement de situation
- une scène conventionnelle revisitée : le mari caché sous la table et le discours libertin (IV,5) Le jeu sur l’espace, le double discours d’Elmire adressé à Tartuffe et à son mari avec le spectateur pour complice.
2. Le registre comique
Le registre comique joue sur des stéréotypes que les élèves ont souvent bien étudiés au collège : ils savent en général ce qu’est le comique de caractère, de situation ou de langage. Les groupements de textes que nous proposons ici serviront à prolonger ou à annoncer l’étude d’une œuvre intégrale. Ils permettront aussi de parcourir l’histoire du théâtre et de voir comment un même stéréotype évolue ou au contraire reste figé au fil du temps, ainsi que la thèse qu’il illustre.
a) Un personnage stéréotypé : la coquette
Le comique de caractère peut être étudié à travers différents types de personnages. Au collège, les élèves ont souvent étudié le bourgeois ridicule grâce au Bourgeois gentilhomme ou L’Avare. Le groupement de textes que nous proposons ici peut accompagner l’étude des Femmes savantes (comédie que l’on peut lire aussi bien en 3e qu’en 2e) ou de L’Ecole des femmes. Il peut aussi être mis en parallèle avec l’argumentation concernant la condition féminine. On repèrera dans chaque texte les informations récurrentes concernant le comportement des coquettes et ce qui fait le comique du dialogue : le point de vue de la servante (conflit de classe) ou la rivalité de deux femmes avec l’hypocrisie de la fausse amitié.
- Molière : Le Misanthrope (III,4). Le portrait que tracent l’une de l’autre Arsinoé et Célimène (la prude et la coquette)
- Marivaux : L’Ile des esclaves (scène 3) : portrait d’une coquette fait par sa servante.
- Goldoni : La Manie de la villégiature (II, 12) : Deux coquettes, victimes de la mode
b) Une situation stéréotypée : le jaloux trompé
Le comique de situation que les élèves de collège connaissent le mieux est le quiproquo. Nous avons cherché ici un groupement de textes qui permette en début de 2e de faire le point sur les conditions propres au théâtre : un espace, des accessoires, des comédiens en jeu qui dialoguent devant un public (double énonciation). Ce groupement peut accompagner une lecture du Barbier de Séville, de L’Ecole des femmes, ou de L’illusion comique. Il doit surtout montrer comment la situation comique s’appuie toujours sur une utilisation complexe de l’espace ou d’objets qui peuvent trahir, ainsi que sur la double énonciation, puisque le public est complice des amants et en sait plus que le jaloux. La lecture de textes allant du XVIIe au XIXe siècle montre une absence d’évolution de cette situation : le trio amoureux fonctionne toujours de la même façon, quelle que soit l’époque.
- Molière, Georges Dandin (III, 6) : jeu avec la porte de la maison : c’est d’abord Angélique qui est dehors, puis elle inverse la situation et Dandin se retrouve à la porte de chez lui.
- Beaumarchais : Le Barbier de Séville, ( II, 15) : jeu avec une lettre
- Beaumarchais : Le Mariage de Figaro ( II, 12,13) : Chérubin est caché dans le cabinet de la Comtesse. Comparaison avec la scène précédente : l’amant est devenu le mari jaloux.
- Labiche : Le chapeau de paille d’Italie (V,9,10) : une femme, un amant, un mari et un chapeau.
c) Un conflit stéréotypé : maître/valet
On s’attachera ici à travailler sur la mise en espace et en gestes du rapport dominé/dominant, ainsi qu’à la politisation progressive de la situation à travers l’histoire du théâtre.
- Molière, Dom Juan (I,2) : Sganarelle tente de faire la leçon à son maître. La version filmée de Marcel Blüwal avec Claude Brasseur et Michel Piccoli propose une mise en espace intéressante avec Dom Juan attablé et Sganarelle debout derrière lui.
- Marivaux, L’île des esclaves (1ère scène) : la perte progressive de l’autorité du maître ; l’inversion des rapports de force.
- Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (III,5) : le valet commence à revendiquer une certaine justice sociale.
- Brecht, Maître Puntila et son valet Matti : installation du rapport de classe
d) Un langage stéréotypé : le langage mondain et les conventions sociales
Les élèves de collège, s’ils ont étudié Les Fourberies de Scapin ou Les Femmes savantes connaissent l’utilisation comique que fait Molière des parlers régionaux. Nous avons cherché ici un groupement montrant l’utilisation critique de certaines formes de langage. Nous étudierons comment le dialogue théâtral déforme le code langagier de la conversation de salon pour en dénoncer la vacuité, la superficialité. Le théâtre renforce la théâtralité des codes sociaux pour en exhiber le fonctionnement. La comparaison de Molière avec des textes du XXe siècle montre des différences importantes dans les codes utilisés. Il faudra aussi imaginer les attitudes physiques des personnages. Pour Les Femmes savantes, il existe une version de la Comédie Française en cassette vidéo.
- Molière : Les Femmes savantes : La scène du sonnet (III,2)
- Ionesco : La Cantatrice chauve (scène 8) : le pompier raconte des anecdotes absurdes
- Tardieu : Un mot pour un autre extrait à lire avec un autre de Un geste pour un autre (Théâtre de chambre, Gallimard) qui permet de comparer code conversationnel et code gestuel.
II. Tragédie et tragique
1. La tragédie comme genre
Pour définir avec les élèves les conventions de la tragédie, on peut partir de la série de diapositives éditées par le CNDP : « Dire et représenter la tragédie classique », Théâtre aujourd’hui n°2.
Sur le site Internet de la Comédie Française (http://www.comedie-francaise.fr), on trouve des dossiers concernant l’histoire de la mise en scène de certaines pièces du répertoire qui permettent de comparer l’évolution des costumes et du jeu des acteurs. Des témoignages du XVIIIe ou du XIXe siècle expliquent la conception que l’on a de l’interprétation des grands rôles. Les tragédies concernées sont : Andromaque, Mithridate, Rodogune.
Enfin, le début du film Cyrano de Bergerac de Rappeneau montre une représentation de tragédie à l’Hôtel de Bourgogne historiquement assez fidèle. De même le film Molière d’Ariane Mnouchkine propose deux scènes de tragédie : l’une dans une grange sur des tréteaux (Molière découvre le théâtre en écoutant Madeleine Béjart), l’autre devant Louis XIV (Molière renonce définitivement à la tragédie qu’il est incapable de jouer).
L’étude des décors, des costumes, des attitudes des acteurs permet de donner une première idée de l’espace et du héros tragique ainsi que de leur évolution dans l’histoire de la représentation : les références à l’Antiquité laissent peu à peu place à une conception moderne où le décor devient la métaphore d’un univers tragique imaginaire. Le jeu exacerbé des grands tragédiens du XIXe (Mounet-Sully, Talma, Julia Bartet) disparaît peu à peu pour un jeu plus collectif (on ne vient plus seulement applaudir la vedette) où le metteur en scène met l’accent sur les tensions entre les personnages et sur leur rapport à un espace étouffant.
Un groupement de textes permettra ensuite de préciser les conventions tragiques repérées à travers ces documents.
a) Les conventions théâtrales tragiques
- l’espace tragique : un héros pris entre un espace extérieur qui représente la fuite ou la mort et l’espace scénique sans issue, où il affronte le dilemme tragique : Bérénice, (III, 1) Titus explique à Antiochus pourquoi il doit partir . (Antiochus tient un discours très proche en I,2)
- l’ héroïne tragique, victime pathétique : Junie face à Néron, Britannicus II,3
- La situation tragique : l’impasse ou le dilemme > l’argumentation d’Horace et de Curiace avant le combat : Horace (II,3) dont il existe une version vidéo de la Comédie Française, ou les stances du Cid (I, 6) dont il existe une version audio, toujours à la Comédie Française.
- Le dénouement tragique : les morts en série de la fin de Bajazet (V,11,12) Rôle du récit dans la tragédie. Il est possible de faire lire aussi des extraits de Beckett, En attendant Godot qui montre la dégradation du héros tragique et de ses attentes au XXe siècle.
b) L’exploitation des mythes antiques
Il s’agira de se demander quel est l’intérêt de situer, même dans les tragédies du XXe siècle, l’action dans l’univers mythologique grec. La tragédie nécessite, au contraire de la comédie, une distance temporelle et culturelle.
– Comparer Antigone de Sophocle et Antigone d’Anouilh
Les élèves liront au préalable les deux tragédies et feront une fiche comparative portant sur l’intrigue, les personnages présents, les différences qu’ils perçoivent en première lecture dans l’attitude d’Antigone et Créon, ainsi que dans le langage utilisé.
- Comparaison des dialogues entre Antigone et Ismène : mettre en évidence les enjeux différents de la tragédie. Chez Anouilh, Antigone se présente d’emblée comme la révoltée de la famille, alors que chez Sophocle, elle est dans une logique religieuse et familiale.
- Les deux récits de l’arrestation d’Antigone : le geste d’Antigone, chez Anouilh, est réduit à celui d’une « petite bête », elle insiste sur sa « petite pelle. » Malgré le matériau mythique, Anouilh enracine son personnage dans la banalité.
- Comparaison des deux scènes d’affrontement entre Antigone et Créon : chez Anouilh, Créon essaie de la persuader, alors que chez Sophocle, il est avant tout le chef de la cité. Anouilh place l’enjeu du dialogue autour de l’idée de bonheur, tandis que Sophocle argumente sur ce qui est juste.
En conclusion, il est important de noter la désacralisation du mythe chez Anouilh. Le tragique moderne est dans la résistance individuelle à l’autorité, et dans le refus d’un bonheur fait d’acceptation et de compromissions ; le tragique antique était l’affrontement de deux idées de la justice, et une réflexion sur le destin humain soumis à la volonté divine (interventions du chœur qu’Anouilh a pratiquement supprimées).
– Lire Iphigénie de Racine
Pour se faire une idée de la tragédie d’Euripide qui a servi de modèle à Racine, Iphigénie à Aulis, il est possible de voir le film réalisé en 1977 par Cacoyannis intitulé Iphigénie. Les élèves devront d’abord avoir fait une recherche sur l’ensemble du mythe des Atrides dans un dictionnaire de mythologie. Il existe une série de diapositives éditées par le CNDP sur le travail d’Ariane Mnouchkine concernant ce mythe et les tragédies grecques qui le racontent : « La tragédie grecque. Les Atrides au Théâtre du Soleil », Théâtre aujourd’hui, n°1. L’étude s’efforcera de montrer l’adaptation du mythe antique aux conventions de la tragédie classique( personnages et situations) et à la morale du XVIIe siècle (noblesse des sentiments, vertu, morale héroïque).
- le dilemme tragique d’Agamemnon (I,3)
- le personnage d’Eriphile inventé par Racine : la passion tragique vouée à l’échec et à la mort (II,1)
- un héros au courage exemplaire : Achille (III,6)
- une héroïne pathétique : Iphigénie face à son père (IV,4)
- le conflit de l’honneur et de l’amour : Achille /Iphigénie (V,2)
c) La réflexion sur le pouvoir politique
La tragédie comporte un discours argumentatif sur le problème de l’exercice du pouvoir, ou sur le conflit entre l’individu et l’Etat qu’il doit servir, entre bonheur individuel et honneur.
– Figures de rois
Ce groupement de textes peut accompagner une lecture d’Antigone d’Anouilh, de Britannicus de Racine ou de Cinna de Corneille. Le roi tragique oscille entre deux figures, celle du tyran cruel et sanguinaire, et celle du prince déchiré par le conflit entre la raison d’Etat et ses sentiments personnels (attachement au personnage du traître). Il est celui qui met en marche la violence tragique capable de broyer le héros. Comme le père de la comédie classique, il est l’obstacle de l’intrigue. La réflexion politique est donc indissociable de la tension tragique. Il est aussi intéressant de confronter l’image du prince au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV à celle des tyrans du XXe siècle . On peut aussi ajouter à ce groupement un extrait de Shakespeare, par exemple Jules César (III,1)
- Britannicus : Dialogue entre Néron et Agrippine (IV,2) à comparer avec le début de la scène suivante où Néron révèle son machiavélisme.
- Cinna (IV,2) : Monologue d’Auguste
- Antigone d’Anouilh : dialogue entre Créon et le garde lorqu’il apprend que le corps a été enseveli.
- Caligula de Camus : la justification du tyran (III,2)
– Lire Cinna de Corneille
A ma connaissance, il n’existe qu’une version audio de cette tragédie vendue par la Comédie Française. Pour les enjeux scéniques, il faudra donc s’appuyer sur les photographies existant dans les des éditions de poche.
Il s’agira, dans notre étude, de montrer la façon dont la monarchie est défendue comme meilleur système politique, et comment sont présentés les dangers inhérents à l’exercice du pouvoir. Sur le plan spectaculaire, on essaiera de se demander de quelle façon, la mise en scène peut montrer la grandeur du personnage d’Auguste. Il serait intéressant de comparer avec des figurations de Louis XIII ou Louis XIV.
- l’argumentation en faveur d’un monarque contre une république : réplique de Cinna, II, 1, vers 565-620.
- Le dilemme de la conjuration : dialogue Cinna / Emilie, III, 4, 979-1066
- La solitude du monarque : monologue d’Auguste, IV,2
- La confrontation finale : V,2
2. Le registre tragique
Au XVIIe siècle, le mot « tragique » signifiait : « qui appartient à la tragédie », ou « ce qui est funeste ». Ce n’est qu’au XIXe siècle, qu’on commence à s’intéresser à l’essence du tragique. Pour les dramaturges du XVIIe siècle, le tragique est donc indissociable de ses effets spectaculaires. Leurs préoccupations consistaient à trouver la meilleure façon de construire une tragédie. Les catégories du « tragique » que nous définirons ici doivent donc être associées à une étude des moyens scéniques les mettant en œuvre.
a) Les effets pathétiques dans une tragédie : Lire Andromaque de Racine
Il est possible de faire un groupement de textes réunissant des portraits d’héroïnes tragiques pathétiques comme Bérénice, Junie, Iphigénie. Nous préférons nous attacher à une seule œuvre (que l’on peut étudier en 3e ou en 2e) afin de déterminer tous les éléments produisant des effets pathétiques : caractère, destin du personnage, situation (une victime innocente et impuissante livrée au bon vouloir d’un tyran). On étudiera aussi le langage pathétique : interrogations rhétoriques soulignant l’impasse, exclamations, vocabulaire hyperbolique. La comparaison ponctuelle avec des scènes de tragédies grecques permet de montrer l’évolution des conventions spectaculaires du pathétique.
- Une situation pathétique : une mère à qui l’on propose un marché impossible (I,4)
- Une rivale cruelle et prête à tout : Hermione (II,1)
- La scène conventionnelle de supplication rejetée (III,7) que l’on peut mettre en parallèle avec une scène similaire par exemple dans Hécube d’Euripide où la supplication avait une valeur religieuse contraignante.
- Le dilemme tragique : rôle de la confidente pour accentuer le pathétique (III,8)
- Le dénouement inattendu : Racine sauve Andromaque et son fils, alors qu’Euripide dans Les Troyennes raconte l’exécution d’Astyanax. (comparer les 2 versions)
b) Une vision tragique du monde chez Racine
La tragédie classique racinienne est une réflexion pessimiste sur la condition humaine, sur le destin. Elle la montre soumise à des forces qui la dépassent : transcendance, passion, prince tyrannique. Le héros tragique, porte en lui la culpabilité d’une faute qu’il n’a pas commise sciemment. Quoi qu’il fasse, il court inexorablement à sa perte. D’un point de vue dramaturgique, chaque action débouche sur une péripétie qui rapproche le héros de la catastrophe finale. Le groupement que nous proposons ici pourrait être accompagné d’une étude de photographies de décors de mises en scène modernes de la tragédie. En effet les scénographes traduisent souvent cette idée d’écrasement de l’individu par des décors sombres, très hauts, vides, où les personnages semblent errer sans trouver d’issue.
- La passion irrépressible et destructrice : Phèdre, (I,3)
- L’héritage difficile d’un père ambigu : le rapport Thésée/Hippolyte, Phèdre (I,1)
- Un vengeur coupable quoi qu’il fasse : Oreste, Andromaque (III,1, fin de la scène)
- Les héros sous le contrôle du tyran : le sadisme de Néron dans Britannicus (II,3) 1