Faire entrer le spectacle vivant au coeur de l’enseignement. Récit d’un partenariat avec le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.

, par Aurélie GELLÉ

En Accompagnement Personnalisé, les 1ES du lycée Jean-Jacques Rousseau s’emparent des outils numériques pour rendre compte de leurs expériences de spectateur.

Constats de départ

Depuis 3 ans, les projets mis en place au lycée Jean-Jacques Rousseau en Première ES ont dynamisé de façon significative la filière. Pour cette nouvelle année scolaire, il s’agit alors pour les enseignantes de Lettres de poursuivre le partenariat avec le TGP, le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (93). Depuis 2013, le lycée Jean-Jacques Rousseau et le TGP, soutenus par la DAAC et la DRAC, ont réalisé trois résidences d’artistes (2014-2015 : De l’improvisation à l’écriture de plateau avec le collectif In Vitro, 2013-2014 : Changer de Regard et 2012-2013 : Une saison au théâtre, deux ateliers d’écriture critique animés par Joëlle Gayot). Sur un créneau d’Accompagnement Personnalisé de 2 heures hebdomadaires, 15 élèves issus de 3 classes de 1ES se retrouvent pour parler théâtre (atelier d’écriture critique) ou pratiquer du théâtre (atelier d’improvisation et d’écriture de plateau).

Pour ce nouveau projet, les enseignantes ont souhaité revenir à un projet autour de l’écriture critique, pour développer l’expression, l’argumentation et l’organisation des idées, afin de pallier les difficultés à l’écrit des élèves. Il s’agit alors de reprendre un travail d’écriture critique initié dans les ateliers avec Joëlle Gayot (aller voir des pièces de théâtre, en parler, confronter les impressions, analyser, exprimer son point de vue sous la forme d’une écriture créative après échanges et discussions), aller plus loin dans la forme finale, et proposer une restitution différente d’une présentation théâtralisée des textes des élèves. Il s’agira cette année de rendre compte des réflexions et des débats autour du théâtre par le biais de films documentaires. C’est pourquoi les enseignantes s’entourent du producteur Mathieu Foubert, du réalisateur Patrick Muller et du comédien Jean Cartier pour réaliser ce projet. Ce sont eux qui accompagneront à chaque atelier les élèves dans leur découverte du théâtre et dans leur apprentissage de la maîtrise de la vidéo. Ils aideront les élèves à réaliser 4 capsules vidéo au cours de l’année, et un documentaire de 35 minutes pendant l’été, au festival d’Avignon.

Objectifs

Le premier objectif était d’abord d’ordre argumentatif.

Les élèves de l’atelier ne sont en effet pas sélectionnés sur leur connaissance du monde du théâtre, mais sur leur envie de participer au projet. La plupart d’entre eux n’a eu qu’occasionnellement la possibilité d’aller au théâtre. Il s’agit, à travers cet atelier, d’apprendre à exprimer son impression sur un spectacle, à débattre et confronter des avis parfois divergents. Ces compétences amènent ainsi les élèves à pratiquer l’analyse de mise en scène d’une façon vivante.

Exemples de séances de débat et d’écriture.
Après avoir assisté à la représentation de Un Fils de notre temps, mis en scène par Jean Bellorini, les élèves ont rencontré les comédiens de la troupe et ont pu leur poser des questions sur les choix de mise en scène, sur l’interprétation de l’intrigue et sur le métier de comédien. A l’issue de la première heure, les comédiens sont repartis et les lycéens ont traduit cet échange dans un écrit d’invention qui commençait par “Je m’appelle Ödon von Horvarth et j’ai écrit Un fils de notre temps parce que…”. L’objectif était de réinvestir ces textes pour les mettre en voix dans le documentaire. Ces textes sont assortis d’images filmées dans le lycée.

  • Perle et Manuel s’entraînent à filmer Elise pour le mini documentaire sur Un Fils de notre temps.
  • Kilian, Mohamed et Jessica font des prises de vue du lycée pour le mini documentaire sur Un fils de notre temps.
  • Kilian et Manuel s’entrainent à manier la caméra pour faire un portrait de Mohamed.

Après la représentation de Roberto Zucco mis en scène par Richard Bunel au Théâtre Gérard Philipe, les élèves ont fait une liste d’adjectifs qu’ils auraient pu attribuer au personnage principal. La lecture, la mise en scène et la mise en image de ces listes ainsi que les choix de montage sont réalisés par les élèves, et donnent naissance à une capsule vidéo originale oscillant entre l’expérimentation cinématographique et l’analyse imagée de l’œuvre.

Le résultat de ces séances se traduit par les documentaires réalisés par les élèves :
Documentaire->https://vimeo.com/155895548] Un fils de notre temps, d’après le roman de Ödon von Horvath, mise en scène de Jean Bellorini.
Documentaire->https://vimeo.com/166810908] réalisé à partir des séances sur Roberto Zucco :

Le second objectif était d’apprendre à mener une interview, depuis le choix des questions jusqu’à la captation vidéo.

Le travail se déroule en deux temps : une première séance est consacrée au questionnement sur le spectacle et à la construction de questions pour l’interview à venir. Cette séance peut susciter des débats entre les élèves tant sur le spectacle que sur la formulation des questions. Aucun des encadrants ne cherche à répondre à leurs questions, mais tous les accompagnent dans leur réflexion collective. A l’issue de la séance, une série de questions est retenue et organisée par thèmes. La séance suivante est consacrée à la réalisation et à la captation de l’interview. Il s’agit d’abord de créer un espace favorable à la discussion, un cadre agréable pour les personnes interviewées. Les élèves choisissent une petite salle de classe, qu’ils décorent avec les affiches des spectacles qu’ils ont vus. Les projecteurs et les réflecteurs de lumière créent une atmosphère propice à l’interview tout en instaurant un cadre professionnel. Sur l’exemple de l’interview du Collectif In Vitro, quatre premiers élèves se placent derrière la caméra pour interviewer deux comédiens pendant que les autres élèves et les autres invités discutent de façon informelle dans une autre salle de classe.

  • Julie Deliquet, metteure en scène du Collectif In Vitro, se prête au jeu de l’interview pour parler de sa création Catherine et Christian.
    Puis c’est au tour de quatre autres élèves d’interviewer la metteure en scène, le dernier groupe interroge deux autres comédiens. Ainsi, tous les élèves sont passés derrière la caméra et ont pu poser les questions établies auparavant sans pour autant s’y limiter. L’avantage d’un tel dispositif repose aussi sur l’intimité créée entre les élèves et les comédiens interviewés.

Voici les exemples de films documentaires réalisés pendant les séances de l’atelier : Catherine et Christian du collectif In Vitro., Tempête sous un crâne d’après Les Misérables de Victor Hugo, mise en scène de Jean Bellorini.

Ce dispositif d’interview a évolué au fur et à mesure de l’atelier, surtout après le visionnage du documentaire Human de Y. Arthus Bertrand. Ce que les élèves en ont retenu, c’est la simplicité et l’efficacité du fond noir et du cadrage, très proche des personnes interviewées. Très enthousiastes, ils ont souhaité reproduire ce dispositif pour leurs interviews tout en gardant le théâtre comme sujet central, mais en déplaçant la question de l’analyse critique vers celle du rapport intime et émotionnel au spectacle vivant.

  • Jessica passe devant la caméra pour une interview sur fond noir.
  • Jean Bellorini, directeur du Théâtre Gérard-Philipe, se livre au jeu de l’interview pour parler de ses spectacles Un fils de notre temps et Tempête sous un crâne que les élèves de l’atelier ont vus.

Le dispositif sur fond noir a été réutilisé dans un cinquième documentaire Tout un art, réalisé à Avignon, pendant le festival.

Bilan et perspectives

Bilan

Cet atelier a permis d’organiser une prise de parole qui au départ était souvent brouillonne. En effet, le cadre particulier - 15 élèves, au moins deux intervenants à chaque atelier, des travaux en groupes - facilite la prise de parole, l’écoute et la réflexion entre pairs tout en favorisant le débat autour d’œuvres théâtrales.
Dans ces prises de parole et ces débats, les élèves ont pu acquérir et apprendre à maîtriser trois langages différents : le langage du théâtre, le langage de la critique et la construction du discours, ainsi que le langage de la vidéo.
A l’intérieur de ce cadre, une grande liberté a été laissée aux élèves pour retranscrire et rendre compte de leurs réflexions et leurs débats sur le théâtre. Cette volonté de faire place à la créativité pour en tirer une œuvre s’est traduite par une grande qualité et une originalité des vidéos tournées par les élèves.
Il faut également noter la fierté des élèves de regarder le produit fini de leur travail. Les objectifs étaient ambitieux, notamment compte tenu le temps imparti. Finalement, les élèves ont réussi à réaliser plusieurs films documentaires, de l’écriture au montage, en passant par la prise d’images.
Lorsqu’on a interrogé les élèves après la restitution de leur projet, huit mois après le début de l’atelier, leurs réactions portent sur trois aspects : la confiance en soi acquise tout au long du projet, les échanges et les retours positifs avec le public à l’issue de la restitution et le plaisir de présenter son travail à d’autres. Ainsi Dijle explique qu’elle n’assumait pas sa voix sur la vidéo quand elle l’écoutait pendant les ateliers, “mais sur scène ça a été, preuve que j’ai avancé”. Roselyne est d’accord avec Dijle sur la prise de confiance en soi, sur l’assurance qui progresse l’atelier. Elles ont beaucoup aimé le fait de “partager tout ce qu’on a fait toute l’année à d’autres, on est fier”. Jérémie, qui avoue avoir eu le trac au moment de la restitution, a trouvé que “les retours étaient très chouettes”, Mohammed exprime un doute “j’ai eu peur que les gens ne comprennent pas le projet”, Jean-Pierre ajoute : “ Au début, je n’étais pas satisfait des films présentés, je n’avais pas conscience du travail, je n’étais pas fier à première vue. Mais en fait les gens étaient contents, donc je me dis qu’on a fait du bon travail !”. Jessica parle quant à elle du “plaisir de présenter les films au public”, repris par “que du plaisir” “que du bonheur” par les autres.

A l’issue de la restitution au mois de mai, les élèves ont donné du sens au projet : ils savent qu’ils vont avoir à tisser toutes les compétences acquises au long de l’année lors des trois jours à Avignon, en plein festival. Ils auront à réaliser un documentaire, des prises de vue et des interviews dans la rue et sur fond noir pour rendre compte de l’ambiance de cette ville en plein festival qui vit au rythme du théâtre pendant quelques semaines. Les élèves sont alors conscients de travailler sur le long terme, et de s’investir en dehors des cours. Les trois jours à Avignon ont lieu pendant les vacances d’été, une des pièces de théâtre pour laquelle les élèves ont été invités par le Théâtre Gérard Philipe est une pièce de 5 heures, la première des Frères Karamazov, mis en scène par Jean Bellorini. Et ils ont les codes pour vivre au même rythme que les plus passionnés théâtreux : leur année d’atelier leur a donné l’expérience d’un comportement de spectateur averti. Au cours de ces trois jours, les élèves ont tourné les images qui ont servi à la réalisation du documentaire de 35 minutes intitulé Tout un art.

  • Le travail se poursuit pendant la journée dans les rues d’Avignon avec des interviews d’artistes, de journalistes et de spectateurs afin de réaliser le documentaire « Tout un art ».
  • Dans la salle d’interview à Avignon, les élèves sont à la fois acteurs et spectateurs, pour questionner le comédien Jean-Christophe Folly qui joue Dimitri dans les Frères Karamazov mis en scène par Jean Bellorini.
  • La carrière Boulbon, lieu majestueux à proximité d’Avignon, où les élèves ont eu la chance de voir la Première des Frères Karamazov.
  • Le salut au public des artistes, avec Jean Bellorini (en chemise noire) et, à sa droite, Macha Makeïeff, qui a réalisé les costumes.

Perspectives

 En plus de la restitution au TGP en mai 2016, une restitution au lycée a eu lieu fin septembre 2016 afin de présenter l’ensemble du documentaire tourné à Avignon.
 Les documentaires sont accessibles sur vimeo à l’adresse suivante :, sur le site du lycée et sur celui du TGP.
 Il s’agit maintenant aux élèves de s’emparer de cette expérience pour la valoriser sur un curriculum vitae ou lors d’un entretien.
 Certains élèves de l’atelier vont présenter l’épreuve de Théâtre en candidat libre au Baccalauréat, en présentant ce projet au jury.

Remerciements :
Amélie Beaufour, professeure de lettres modernes
Ingrid Benel, professeure de lettres modernes
Mathieu Foubert, producteur Ishad
Patrick Muller, réalisateur vidéaste
Jean Cartier, comédien
Caroline Foubert-Gauvineau, chargé de relations avec le public au TGP
Philippe Bonneville, proviseur du lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles
Annie Denibas, Proviseure du lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles
Jean Bellorini, Directeur du TGP
Le Collectif In Vitro
Les comédiens deUn fils de notre temps et des Frères Karamazov qui se sont prêtés aux interviews des élèves
Les artistes, les journalistes et les spectateurs qui ont participé aux interviews du documentaire « Tout un art »
La DAAC
La fondation Casino

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