Constat
Écriture scolaire VS écriture créative
L’écriture des élèves est principalement sollicitée en classe pour de la prise de note, des écrits scolaires répondant à des exigences formelles académiques, tels que le commentaire littéraire, la dissertation ou l’écrit d’invention en cours de français. Mise à part l’écriture d’invention, les productions attendues sont essentiellement critiques, analytiques et réflexives. Les élèves ont rarement l’occasion de se couler dans les pas des grands auteurs pour exercer leur style personnel, ils ont rarement l’occasion d’adopter la posture de l’écrivain eux-mêmes. Ceci a pour conséquence la possibilité qu’ils entretiennent une relation extérieure à la littérature, qui demeure un objet d’analyse et de réflexion uniquement : il est rare qu’une place soit faite au ressenti de l’élève, face à des oeuvres dont la dimension esthétique et sensible est souvent évincée après le recueillement des premières impressions, au profit d’un ensemble organisé de considérations lexicales, grammaticales ou rhétoriques. C’est l’approche traditionnelle, mais une autre approche est possible en complément : celle des ateliers d’écriture en classe.
Écriture d’invention VS écriture créative
C’est ce manque que l’introduction de l’écriture d’invention dans les exercices du baccalauréat écrit avait pour but de combler lors de son instauration en 2001 : promouvoir une approche plus sensible, plus personnelle de la façon dont les élèves peuvent rendre compte de leur expérience de lecteurs. Cependant l’écriture d’invention et l’écriture de création (celle pratiquée au cours des ateliers d’écriture) ne partent pas des mêmes présupposés et donnent l’occasion de productions très différentes. En effet, l’écriture d’invention de type bac est destinée à être évaluée par une note : cela implique donc la définition d’un certain nombre de critères d’évaluation afin de pouvoir sanctionner dans quelle mesure l’élève a réussi ou non l’exercice. Ces critères vont souvent reposer sur l’identification dans le corpus des quatre textes donnés à l’étude du genres (théâtre, roman...), de registres et de procédés stylistiques, que l’élève sera invité à introduire dans son propre texte après les avoir clairement identifiés. La démarche d’analyse précède donc toujours l’écriture en elle-même, et le caractère littéraire d’un texte se trouvera donc toujours perçu comme résultant de la maîtrise d’un certain nombre de procédés qu’il faudra savoir reproduire.
Dans le cadre d’un atelier d’écriture, le professeur peut donc ponctuellement sortir de son rôle prescripteur pour laisser s’installer une expression plus spontanée, débridée et indépendante de tout critère d’évaluation, qu’elle soit positive ou négative, puisque dans un texte littéraire, la « faute », « l’erreur » peuvent faire sens. L’élève est alors invité à exercer sa créativité sous l’influence de grands auteurs que l’on peut proposer en exemples, plutôt qu’en modèles, sans qu’il soit attendu d’eux qu’ils reproduisent des procédés préalablement analysés. Les notions de plaisir d’écrire et d’appropriation du style sont alors davantages sollicités. Il y a davantage d’investissement de soi dans l’écrit de cette manière. L’élève cherche à produire certains effets sans prendre garde à en identifier ou à en nommer les éléments constitutifs. Comme le dit Véronique Breyer dans un article consacré à la promotion des ateliers d’écriture au sein d’établissements scolaires, « l’atelier est le lieu de l’inattendu, il ne s’agit en aucun cas d’obtenir un résultat précis issu d’un modèle attendu. Corrélativement, l’attente est du côté du multiple, non pas de l’un modélisant »
Le commentaire des textes
On peut proposer aux ateliéristes de conclure l’exercice de création par un retour critique sur les textes : les élèves découvrent qu’en partant d’une même consigne, ils ont produit des textes très différents, et affirment ainsi leur propre identité d’écriture. Enfin, ils sont invités à mettre en regard leur propre production et celle des grands auteurs. La découverte à travers leur propre expérience de similitudes avec les auteurs (dans la démarche, les effets, les procédés), les conduits à prendre conscience par la pratique d’éléments d’écriture qui font la spécificité d’un style.
Le caractère pertinent de cette démarche inversée semble légitimé par la disparition de certaines questions d’élèves, du type : « est-ce que vous pensez vraiment que l’auteur a fait exprès d’utiliser une anaphore ici ? » L’existence-même d’un tel questionnement prouve que l’entrée dans le texte par l’analyse uniquement revient peut-être à commencer par ce qui devrait être la conclusion. Ce type de question semble indiquer que les élèves ont confusément l’intuition d’un auteur écrivant avec plus de spontanéité que nous, les professeurs, ne le laissons apparemment croire lorsque nous les initions à l’explication de texte, que la maîtrise des procédés n’est pas obligatoirement une condition préalable à l’entrée en écriture. C’est au contraire en pratiquant l’écriture créative en ateliers que les élèves comprennent l’intérêt de développer une écriture consciente des techniques qu’elle met en oeuvre. L’analyse vient alors renforcer le plaisir du texte.
Exemple d’activité
Ci-dessous un exemple d’activité conduite avec des élèves de Première au cours de l’année scolaire.
Écrire dans un autre lieu
L’acte d’écrire, dans cette perspective créative, semble bénéficier d’une délocalisation : en effet, l’école est par définition le lieu de l’écrit scolaire. Accompagner les élèves dans un autre lieu pour les faire écrire est un bon moyen de les émanciper ponctuellement de tout critère d’évaluation. Ils se permettent d’écrire plus librement lorsqu’ils savent que leur texte ne sera pas considéré comme « bon » ou « mauvais », « juste » ou « faux » par le professeur.
Le texte de départ
Au cours d’une séquence sur les réécritures, les élèves ont abordé le mythe de Salomé. Un des textes qu’ils ont rencontré est l’extrait d’À Rebours (Huysmans), où le personnage principal, Des Esseintes, décrit le tableau de Gustave Moreau représentant la danse de Salomé devant Hérode. Le texte a été discuté librement en classe, sans que l’on cherche à en faire un commentaire organisé. Les élèves ont été ensuite invités à se rendre au Musée Gustave Moreau, à Paris, où ils ont pu découvrir ce même tableau. On leur a alors demandé de choisir un autre tableau de Gustave Moreau représentant un mythe, et d’écrire face à l’oeuvre, au sein même du musée. Aucune autre directive spécifique n’a été donnée : la consigne d’écriture était volontairement très vague, et à aucun moment il ne leur a été demandé explicitement de reproduire les procédés d’écriture mis en oeuvre par Huysmans dans l’extrait d’À Rebours.
Les productions des élèves
Les textes obtenus ont été publiés ensuite en ligne sur Calaméo, en regard d’une reproduction du tableau choisi. Tous les élèves ont joué le jeu, et les textes étaient tous intéressants. Certains ont même révélé de vrais talents de plume, même si cela n’était pas l’objet de l’exercice.
Le commentaire
Une fois les textes publiés, nous sommes revenus en classe et avons alors commenté les productions des élèves. Beaucoup avaient plus ou moins consciemment utilisé des éléments d’écriture empruntés à Huysmans. Mais ce n’était pas leur objectif premier : leur première intention était véritablement de rendre compte de leur expérience du tableau et de proposer un texte personnel. Ils avaient pourtant utilisé pour certains des énumérations très longues tentant d’épuiser les nombreux détails des tableaux de Moreau, pour d’autres du vocabulaire sophistiqué qui leur semblait adapté aux multiples détails de l’image, pour d’autres encore une structure en deux partie (description du tableau puis rêverie libre sur le mythe), à la façon de Huysmans, d’autres encore ont éprouvé le besoin de terminer leur texte à la maison pour pouvoir rechercher les sources littéraires du mythe qu’ils avait choisi, ce que Huysmans fait également dans À Rebours... La mise au jour de ces éléments d’écriture réutilisés de façon intuitive par les élèves au départ a naturellement conduit à revenir au texte de Huysmans : c’est à ce moment que nous avons formalisé le commentaire littéraire. C’est en passant par les écrits des élèves que nous sommes revenus à celui de l’auteur : cela a permis de bien fixer les éléments d’écriture d’Huysmans, puisque les élèves en avaient fait l’expérience dans leurs propres textes.
L’éducation aux médias
Un problème secondaire mais important est apparu au cours de cette séquence de travail. Certains élèves, particulièrement fiers de leur création, se sont inquiétés de la mise en ligne de leur texte, de la possibilité de le voir leur échapper. Cela a été l’occasion d’aborder la problématique des droits d’auteurs à l’heure du numérique, et de les informer sur les licences Creative Commons, les moyens de sécuriser leurs publications, mais aussi d’utiliser des images en ligne.
Les limites
La première limite qui est apparue est le risque d’intrumentaliser la production des élèves, pour en faire de simples prétextes à l’analyse du texte de l’auteur. Certains se sont éloignés du style d’Huysmans, et cela était parfaitement légitime, dans la mesure où il n’y avait pas de contrainte spécifiquement exigée. Tous les textes ont été commentés, et chacun a pu constater le caractère littéraire de son écrit.
La deuxième limite tient au fait que certains élèves ont éprouvé des difficultés à sortir de l’écrit scolaire, et ont produit des commentaires d’images analytiques, comme ils sont habitués à le faire en classe : adopter une posture d’écrivain ne leur a pas été possible cette fois-ci. Leurs textes ont cependant aussi été valorisés puisque certains points intéressants avaient été vus : on a essayé d’imaginer comment ces éléments auraient pu être mis au service d’une écriture plus créative que critique.