Un cabinet de curiosités en classe de 5ème Le projet TICE-LETTRES d’un Cabinet de Curiosités avec une classe de 5ème, réalisé tout au long de l’année scolaire 2012-2013

Cet article renvoie à des programmes qui ne sont plus d’actualité ; néanmoins, les démarches pédagogiques évoquées conservent tout leur intérêt.

Expérimentation menée par Marie-Sophie Ludwig, professeure de lettres modernes au collège Henri Sellier de Suresnes (92) dans le cadre des Travaux Académiques Mutualisés 2012-2013 (voir la présentation sur Eduscol).

Le cabinet de curiosités est en ligne ici

Le projet

Constat

Nos élèves aiment collectionner, et collectionner ce qui nous semble parfois « n’importe quoi ». Pourtant, le sens qu’ils accordent à l’objet dépasse bien sûr sa valeur économique ou « artistique » : la symbolique, la fable qu’ils construisent autour de la chose valident son exposition et la rendent précieuse. Pomian [1] emploie d’ailleurs le terme de « sémiophore » pour désigner ces objets qu’on n’utilise plus, mais qui, exposés, deviennent signifiants.

Les premiers cabinets de curiosités, ces meubles caractéristiques des curieux, constitués d’objets composites, naturels ou artificiels, abritaient des collections. Porteuses d’une signification, d’une symbolique, celles-ci réunissaient des objets sélectionnés pour leur intérêt spectaculaire, voire bizarre.

L’examen de ces meubles et de leur contenu a permis à une classe de Cinquième de comprendre ce qui, au XVème et au XVIème siècles, portait les signes d’une culture de l’insolite parfois, mais surtout d’un attrait pour l’élaboration d’une culture scientifique, à la lumière de l’héritage antique.

Refaire avec les élèves les inventaires de ces collections, c’était déjà pénétrer dans sa perspective anthropologique la culture humaniste en prenant en considération une foule de facteurs géographiques, politiques, sociaux…

Il était alors facile d’exploiter cette curiosité pour proposer aux élèves d’élaborer à leur tour la liste des trouvailles, des éblouissements de cette année, en sollicitant leur désir de voir, d’apprendre, de posséder : « la culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité ».

La culture humaniste

C’est le principe même qui a animé la culture humaniste : les élèves l’ont expérimentée en réclamant eux-mêmes que tel ou tel objet figure dans « leur » cabinet. Ce sont les limites de l’année qui ont imposé un cadre : on aurait pu continuer à amasser des objets dans ce « work in progress », une collection étant, par principe, en constante évolution.

Ils ont donc perçu, à l’échelle de leur temporalité, l’idée d’infini qui habite la recherche personnelle et culturelle, les liens qu’on ne cesse de tisser entre les disciplines.

« La culture humaniste permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité » [2]. Ils ont découvert d’eux-mêmes la généalogie de la culture savante : le cabinet est précurseur du « wunderkammern », chambre des Merveilles et du Temple des Muses, ou musée. Il annonce aussi l’Encyclopédie, qui substituera au principe de curiosité celui de la connaissance et de la recherche de la vérité, plus cartésien. En abordant les prémisses de la périodisation, nos Cinquièmes anticipaient ainsi l’étude des Lumières, qui sera menée en Quatrième.

Pour finir cette présentation, nous pouvons encore convoquer les principes qui animent l’esprit du socle commun des connaissances : « la culture humaniste enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines, invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments et suscite des émotions esthétiques. Elle donne aussi à chacun l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle par la lecture, par la fréquentation des musées, par les spectacles. Elle a pour but de cultiver une attitude de curiosité : pour les productions artistiques, patrimoniales et contemporaines, françaises et étrangères ; pour les autres pays du monde (histoire, civilisation, actualité). Elle développe la conscience que les expériences humaines ont quelque chose d’universel. »

Les séances

Il s’est agi de :

  • exploiter des compétences existantes,
  • mettre au jour des savoirs immédiatement mobilisables,
  • faire acquérir de nouvelles connaissances

Il est difficile de quantifier le nombre d’heures employées entre les premières recherches et les dernières réalisations, puisque tous les travaux de l’année (lectures, exposés, travaux d’expression écrite, recherches au CDI et en salle informatique), ont sous-tendu l’exécution du projet.

Néanmoins, des moments précis ont enraciné la recherche :

Séance-imprégnation en salle informatique

  • Les élèves déambulent à travers le réseau de sites qui évoquent le thème de l’année : le cabinet de curiosités. Ils font la visite virtuelle des meubles exposés au Louvre et procèdent à la description physique et à la notation de l’usage de ceux-ci. On a particulièrement procédé à l’étude d’un site : Cabinet de curiosités des XVI et XVIIèmes siècles Les élèves comprennent, grâce à la qualité de ce travail d’universitaire, ce qui fait la nouveauté, l’originalité et l’intérêt d’un tel engouement au XVème et au XVIème siècle. Certains détails, sur les superstitions notamment, les amusent beaucoup.
  • Voilà un détail intéressant : on pourra utiliser leurs questions pour formuler une problématique sur un discours religieux, ésotérique, qui rend visible l’invisible, qui veut donner une logique à tout dans ce monde de la Renaissance.
  • La problématique retenue est une conceptualisation issue de la remarque faite par les élèves : L’objet a des rapports avec l’invisible (une histoire, une croyance) ; comment devient-il « figura » symbolique, puis allégorique ?
  • Les élèves observent les titres, l’arborescence : quel fonctionnement ? Que veut-on nous montrer ? A quels aspects sommes-nous sensibilisés ? Quel était l’objectif d’un tel site ? Qui est « derrière » un site ? Quelle est la thèse de l’auteur ? N’y a-t-il pas d’autres pistes ? Il est important de comparer et de recouper des informations. La classe peut alors intégrer dans son fonctionnement une charte des « bons usages » du numérique Pilier 4 Socle. [3]

Séance-conceptualisation : en classe

Nous procédons à la mise en commun de propositions pour alimenter la boîte à idées :
 Quels objets étudiés cette année voudriez-vous voir figurer dans le cabinet de curiosités ?
 Quel est leur intérêt ?
 Comment les mettre en valeur ?
 Avons-nous le « droit » de leur inventer une histoire (question intéressante, puisque la fable établit justement la fonction symbolique) ?

Les élèves ont retenu un premier objet : l’anneau de jaspe vert d’Iseult. Ils ont beaucoup aimé le roman de Tristan et Iseult dont ils viennent de terminer l’étude. Nous redisons l’histoire des amants à la lumière du souvenir de l’objet-lien (quand apparait-il pour la première fois ? est-il décrit précisément ? à quels moments-clé reparait-il ?). Nous nous penchons sur l’écriture du point de vue en fonction d’un personnage, d’un objet.

En cliquant sur l’image de la bague à pierre verte, dans le cabinet virtuel, on trouve un exemple de ce premier travail où les élèves ont résumé le roman de Tristan et Iseult en concentrant l’histoire autour de cet anneau.

Un tel objet qui est donc devenu symbolique puisqu’il renferme toutes les représentations à venir des objets de cristallisation du désir. Il est l’Anneau de tous les amants séparés.

Séances-recherche : en salle informatique

  1. Les élèves seuls ou en binômes concentrent autour de l’objet sélectionné toutes les informations, comme pour un exposé, et se livrent d’abord à un travail de description « ut pictura poesis », en utilisant le vocabulaire des sensations dont on travaille les variations.
  2. Puis le travail de recherche débute : les élèves recherchent dans l’histoire de l’objet les légendes qui s’y attachent, ils observent les évolutions de la représentation : sur un plan synchronique : qu’en disent la littérature, la science, la foi, la philosophie, pour une époque donnée ? sur un plan diachronique : que représente l’objet dans l’antiquité ? Puis au Moyen-Age ? Comment les auctoritates fondent-elles un syncrétisme pagano-chrétien ? On examine des documents originaux, on se livre à des enquêtes : quelques élèves se concentrent sur des questions de « culture » sous la forme de : « le saviez-vous ? ».
  3. Les élèves sont invités à observer l’évolution de la représentation du monde à partir de la cartographie avec le site de la BNF. Ils comparent les enjeux et les « dessous » des cartes : donner un sens religieux ou philosophique, voyager, découvrir, mais aussi marquer, limiter, posséder le monde, le rêver… Ils confrontent leurs savoirs « scientifiques ».
  4. Le professeur s’appuie sur ce qu’ils connaissent et communique avec ses collègues du département scientifique. [4]

Si vous observez les trois ouvertures du bas dans le cabinet, vous lirez, en cliquant les textes d’une élève, qu’elle a bien compris cette évolution entre une représentation théologique du monde (carte en T), une vision influencée par la conquête au XVIème siècle (qui anticipe toutes les colonisations à venir), et cette photographie prise de satellite, qui relativise poétiquement les ambitions humaines.

Séance(s)-écriture

Nous avons établi quelques bonnes conduites pour entamer l’acte d’écrire, ce qui a établi une convergence entre le projet et les leçons traditionnelles sur la ponctuation, le système des temps, l’usage des liens temporels et logiques, les homophones…toutes connaissances immédiatement remises en pratique dans les travaux d’écriture :

« L’élève doit maîtriser suffisamment les outils de la langue que sont le vocabulaire, la grammaire et l’orthographe pour pouvoir lire, comprendre et écrire des textes dans différents contextes. On met en fiches les connecteurs logiques usuels (conjonctions de coordination, conjonctions de subordination, adverbes) ; on se fixe des objectifs que chacun tentera de remplir à son rythme : rédiger un texte bref, cohérent, construit en paragraphes, correctement ponctué, en respectant des consignes imposées : récit, description, explication, texte argumentatif, compte rendu, écrits courants (lettres...) ».

La maîtrise de la langue française, tout premier pilier du socle, est ainsi convoquée comme préalable à tous les exercices dont nous allons garder la trace.

Puis la phase de rédaction débute, en binôme ou seul, au rythme d’une heure par semaine, avec des exercices variés : savoir résumer, écrire une lettre, écrire « à la façon de », pasticher, mettre en mots ses émotions avec la poésie…

Le professeur veille à ce que chaque élève, dans cette thématique, trouve sa production valorisée.

On assiste à des métamorphoses : un élève rétif à l’autorité, ou étiqueté pour ses résultats inquiétants devient « le » poète de la classe, ou tel autre est reconnu comme « la » référence en matière de nouvelles technologies. Quelqu’un encore s’est emparé de l’histoire du Rémora et invente une histoire d’explorateurs perdus en plein océan ; il réinventerait presque le mythe du « Hollandais Volant ». Tel autre encore communique avec courage ses émotions de débutant à une audition de musique.

Séance-constatation

De retour sur l’exposition de la BNF avec évaluation personnelle : les élèves constatent que désormais ils se déplacent avec fluidité : ils savent « de quoi on parle ». Les textes étudiés en séquence « résonnent » avec les objets exposés et sont redécouverts. Un questionnaire par binômes est proposé : on évalue les compétences développées à la lumière du plier 5 (La culture humaniste) :

- avoir des repères historiques ;

- évaluer et comprendre les différentes périodes de l’histoire de l’humanité, « les événements fondateurs caractéristiques », permettant de les situer les unes par rapport aux autres en mettant en relation faits politiques, économiques, sociaux, culturels, religieux, scientifiques et techniques, littéraires et artistiques.

L’étude des textes de la Renaissance permet de faire le lien avec ce qui a été étudié en 6ème, « par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité (l’Iliade et l’Odyssée, récits de la fondation de Rome, la Bible) » et consacre un phénomène très novateur qui se libère en même temps de ce carcan par une réinterprétation des œuvres, avec le néo-platonisme, et par la Réforme.

Celle-ci, en prétendant revenir aux sources, développe une forme de pensée autonome, un rapport individuel avec le texte, et cela peut être montré à travers des itinéraires singuliers, comme celui de Jean de Léry. Son style alerte, son sens de l’humour et son questionnement permanent sur la relativité de la culture en ont fait pour la classe un modèle d’écriture et de curiosité, un commensal éclairé qui a servi de modèle bien souvent.

Réflexions et questionnements

L’emploi des TICE s’est révélé indispensable

Dans le travail de recherche, tout d’abord : il fallait voir, comprendre, visiter des expositions en ligne, trier, sélectionner, résumer. La méthodologie de la recherche a été un préalable pour ne pas se laisser submerger par l’abondance des sources : la Toile est un extraordinaire cabinet de curiosités certes, mais son usage impose des contraintes pour restituer quelque chose de précis, digne d’intérêt, « exposable » donc.

Dans le travail d’écriture personnelle ou collective : écrire avec le traitement de texte offre une satisfaction immédiate : les écrits gagnent en clarté, l’image vient collaborer en étant signifiante et non plus décorative.

La correction vient de l’outil lui-même, qui propose des améliorations orthographiques, et les élèves en grande difficulté ont été désinhibés par les logiciels de correction. Les progrès de certains doivent d’ailleurs plus à l’usage du clavier qu’aux exercices traditionnels d’orthographe ou de grammaire…

Le travail est donc soumis à un tamis de lectures, de retraits et d’ajouts, facilités par l’envoi en ligne avec réactivité de part et d’autre : on attend et on ne redoute plus la correction du professeur…

Trop corriger ou pas assez ?

C’est là une des questions qui restent ouvertes et en débat. Je suis beaucoup intervenue pour que les textes soient vraiment agréables à lire, mais toujours en concertation avec les élèves : nous avons travaillé sur les répétitions avec un dictionnaire des synonymes, nous avons créé un « gueuloir », et souvent l’acte d’oralisation facilitait la correction : l’élève trouvait lui-même où se logeait l’erreur de temps, le barbarisme, le pléonasme.

Quelle(s) évaluation(s) possible(s) ?

En faisant faire aux élèves un travail d’écriture longuement corrigé, remanié, on se met dans une posture de remédiation individuelle qui proscrit la note sur 20.

Évalue-t-on un travail de premier jet ? Après une correction ? Deux ? Davantage ? À la fin ? Pourquoi obliger les élèves à en être tous à un « niveau donné », à un moment donné, et « fabriquer » de l’échec scolaire ?

L’évaluation par compétences s’impose d’elle-même, et elle est bien plus gratifiante car les élèves, dans leur grande majorité, savent désormais produire un travail de rédaction, ils sont capables de lire des sites, des articles, des légendes pour en distinguer les perspectives communes. Pour certains, le travail était validé dès le début de l’année, pour d’autres, cela a eu lieu au 2ème ou même à la fin du 3ème trimestre : quelle importance ?

La plupart des compétences du socle ont été validées par tous les élèves. Il m’est plus difficile de déterminer qui a effectué un travail méritant 13, 15, ou 18/20…

La dynamique d’écriture s’est en tous cas trouvé accentuée, et a engagé un certain nombre d’élèves peu enclins au travail personnel, à travailler de chez eux pour « finir les textes ».

Dans le travail de construction de la virtualité : grâce au travail effectué sous la direction du professeur d’Arts Plastiques, les élèves ont été les artisans de leur cabinet, fabriqué en carton, imitant de façon à peine actualisée les réalisations des meubles du XVème siècle.

Ce cabinet a ensuite été photographié et les niches ont pu être dotées d’images des objets sélectionnés par les élèves. La réalisation finale permet, en cliquant sur chacune de ces images, d’accéder aux textes qu’ils ont écrits.

 Chacun d’entre eux est ainsi propriétaire de la collection et du travail communs.

 Chacun reconnait également sa participation individuelle.

 Tous veulent voir le cabinet virtuel utilisé et mis en ligne.

Un exemple de fiche donnée aux élèves, mêlant une évaluation chiffrée et une évaluation par compétences :

Fiche élève
Fiche donnée pour un travail d’exploration d’une exposition virtuelle.

Conclusion

Il restera de ce travail d’une année des satisfactions de plusieurs ordres :

 tout d’abord l’impression que les élèves ont adhéré à un projet dont ils sont fiers.

 ils sont visiblement beaucoup plus à l’aise dans l’exercice de plusieurs types d’expression écrite (compte-rendu, résumé, écriture épistolaire, poétique, d’invention, suite de texte, liste…)

 personne ne s’est trouvé à l’écart du projet : chacun a écrit un texte ou une partie de texte qui figure dans le cabinet virtuel.

 tous ont été les circumnavigateurs d’un voyage immobile :

« Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,

L’univers est égal à son vaste appétit (…)

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;

Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! » (…)

Étonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires

Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !

Charles Baudelaire, « Le Voyage », in Les Fleurs du Mal

Sitographie

Le site du Louvre

Le site Cabinets de curiosités des XVIème et XVIIème siècles

Le site de la BnF : l’exposition virtuelle Histoire de la cartographie

Notes

[1auteur de l’ouvrage Collectionneurs, amateurs, curieux : Paris-Venise, XVIe - XIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987

[2Pilier 5 du Socle commun

[3Socle :
« La culture numérique implique l’usage sûr et critique des techniques : s’approprier un environnement informatique de travail ; créer, produire, traiter, exploiter des données ; s’informer, se documenter ; communiquer, échanger ; une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible. »

[4Pilier 3, la culture scientifique et technologique, est sollicité, « distinction entre faits et hypothèses vérifiables d’une part, opinions et croyances d’autre part, tout élève doit avoir une représentation cohérente du monde reposant sur des connaissances, c’est à dire savoir que la planète Terre est un des objets du système solaire, lequel est gouverné par la gravitation, et les opinions et croyances d’autre part. »

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