Je me suis inscrite cette année à l’Atelier Annuel d’Écriture, via le Plan Académique de Formation. Il s’agit d’une opération engagée par la
DAAC, et l’Académie de Versailles peut s’enorgueillir d’être la seule en France à proposer une telle opportunité aux enseignants (de lettres, bien évidemment, mais cette formation s’adresse aussi aux PLP, aux professeurs des écoles, ou encore aux documentalistes...)
De quoi s’agit-il ? Comme son nom l’indique, l’Atelier Annuel d’Écriture est une formation longue, qui s’étale sur 16 séances, de novembre à mars. Le temps pour le stagiaire de développer une véritable réflexion sur l’écriture créative. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’écriture créative ! Le dispositif s’organise en plusieurs cycles, chacun centré sur un auteur actuel qui fait entrer le stagiaire dans son univers, et lui propose non pas de l’imiter servilement, mais de suivre des directives, à la fois ouvertes et exigeantes. On peut y aguerrir sa plume tout en s’interrogeant sur ce qu’implique l’acte d’écrire.. On est alors emmené sur des voies que l’on n’aurait pas exploré de soi-même, quand bien même on pratique l’écriture régulièrement à titre personnel.
Et ce n’est pas mon cas ! Et oui. Je suis un prof de lettres qui n’écrit pas, il y en a... Alors autant dire que cet Atelier d’Écriture a commencé dans la douleur... Mais c’était bien le but : bousculer un peu mes habitudes, mes idées reçues et voir ce qui en sortirait. Alors par quelles grandes étapes cette année a-t-elle été jalonnée ?
L’Atelier se déroule dans deux lieux prestigieux : le Louvre, et le théâtre de l’Odéon.
Novembre, le Louvre. Le premier intervenant est François Matton, un écrivain-graphiste, tel qu’il se définit lui-même, à l’univers minimaliste et laconique. Difficile entrée en écriture, pour moi en tout cas ! La concision me paraît une violence, je ne parviens pas à m’y plier, et quand je me force, ça sonne tellement faux que je refuse de lire mes textes. Pendant plusieurs séances. Je commence à m’interroger sur ma légitimité à participer à cet atelier... C’est un vrai blocage.
En plus, je trouve le choix du Louvre comme lieu d’écriture pour le moins déconcertant. Drôle d’idée, d’amener l’écriture au musée. Pourtant François Matton semble avoir à coeur d’exploiter les oeuvres d’art pour en faire non plus des objets d’admiration ou de connaissance, mais des déclencheurs d’écriture. Il ne s’agit plus de tout savoir sur Chardin ou l’art funéraire grec, ni de trouver ça beau ou laid, mais bien de nous approprier l’oeuvre en la faisant parler, en lui offrant notre voix. Malgré mes réserves, je pense à l’Histoire des Arts, qui a fait son entrée au collège, et arrive bientôt au lycée... Peut-être y a-t-il là une idée pour approcher l’oeuvre d’art en classe autrement ?
Puis, avec les mois d’hiver, arrive Véronique Ovaldé, proclamant haut et fort son amour des adjectifs ! Ouf ! Enfin le droit de faire des phrases. Ma plume se libère un peu, particulièrement grâce à la façon dont Véronique Ovaldé associe l’oeuvre sur laquelle elle a l’intention de nous faire écrire à un corpus de textes, connus ou méconnus, classiques ou contemporains, cohérents ou composites. Ça donne un point de départ, une double accroche pour l’écriture, littéraire et picturale. Beaucoup de belles histoires sont racontées : celle de l’Accordée de village (Greuze), celle du Tricheur à l’as de carreau (Georges de la Tour), de la Marquise de la Solana (Goya)... Je commence à être intimidée par certains de mes collègues-stagiaires, qui n’en sont manifestement pas à leur coup d’essai et m’impressionnent par la justesse avec laquelle ils parviennent à exprimer leur sensibilité face aux oeuvres.
Déjà le mois de février. Nous quittons le Louvre, qui commence pourtant à nous être aussi familier que notre salon, pour le Théâtre de l’Odéon. Là, c’est François Bon qui ouvre le bal. Finies, les histoires ! On passe à une écriture plus poétique, en tout cas moins linéaire, déclenchée par les expérimentations d’un Perec ou d’un Michaux. Et surtout par le formidable charisme de François Bon, qui sait vous bousculer avec bienveillance, mais sans complaisance. Quelques séances étourdissantes où je me surprends à ... écrire ! Et à être fière de ce que je produis. Est-ce que je vais devenir écrivain ? Non, certainement. Mais je commence à comprendre qu’un processus s’est enclenché en novembre, un long processus de désapprentissage. J’avais écrit auparavant, certes, des kilomètres de dissertations et de commentaires composés. Mais toujours contre la littérature. Et tout à coup, en pratiquant une écriture créative, je me rends compte que pour comprendre un auteur, il n’y a pas que la méthode universitaire, consistant à produire le discours critique le plus pertinent sur son oeuvre. On peut également écrire sous son influence, être soi-même, tout en se mettant dans le sillage du grand écrivain. Là encore, quelques idées germent pour ma pratique d’enseignante... Je vais les expérimenter en Accompagnement Personnalisé...
La tornade François Bon séloigne, et laisse place aux dramaturges de l’Odéon : Valère Novarina, Olivier Py, et Joël Pommerat. Le théâtre nous convie grâcieusement aux créations de ces auteurs : Le Vrai Sang (Valère Novarina), Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] (Olivier Py), et Ma Chambre froide (Joël Pommerat), et nous donne l’occasion de rencontrer trois écritures théâtrales contrastées. Nous nous essayons à la prolifération verbale de Valère Novarina, puis nous tentons de nous couler dans la quête de simplicité de Joël Pommerat, en passant par l’écriture plus rhétorique, toute en tension dramatique d’Olivier Py. Autant d’univers différents qui nous permettent de nous interroger sur les enjeux du théâtre contemporain. C’est Daniel Loayza, conseiller littéraire du théâtre de l’Odéon, qui nous aide avec simplicité et brio à faire des liens entre ces trois dramaturges, tout en les inscrivant dans un héritage littéraire, en établissant des perspectives génériques et thématiques. Je me sens enfin à ma place, je voudrais que ça continue...
Mais nous sommes déjà le 30 mars. L’Atelier Annuel d’Écriture prend fin, et il est temps pour moi de m’interroger sur ce parcours, qui a commencé par un blocage, et s’est terminé par une complète adhésion et une profusion d’idées.
Je me rends maintenant mieux compte de la difficulté, mais aussi du bénéfice qu’il y a à développer une écriture personnelle, créative : je suis parvenue à m’approprier le style d’auteurs, ou certains éléments d’écriture que je n’avais jamais abordés que par le biais du commentaire universitaire, et qui peuvent paraitre si abstraits aux élèves. Cette révélation me conduit à m’interroger sur la façon dont je peux réutiliser cette nouvelle approche en classe. J’ai bien fait quelques tentatives, notamment en Accompagnement Personnalisé, puisque nous avons désormais cet espace de liberté pour expérimenter. Je pense à cette élève, réputée « mauvaise en français », à qui j’ai demandé de retranscrire le flux de pensée de madame Monet sur son canapé, et qui a réinventé le monologue intérieur, sans le secours de textes-support, parce qu’elle a laissé libre cours à ce qu’elle a cru juste, parce qu’elle a tenté de reproduire le mouvement de sa propre pensée. Quels procédés ne va-t-elle pas comprendre, maintenant ? Ai-je besoin de faire un cours technique et austère sur le discours narrativisé, l’analyse de la syntaxe, les coq-à-l’âne ? Il ne me reste qu’à mettre des mots sur ce qu’elle connaît déjà, puisqu’elle vient de l’expérimenter par elle-même.
Ma réflexion sur ce que j’ai à retirer de cet atelier n’est pas terminée. Il s’agit d’une façon de voir tout à fait nouvelle pour moi, pour laquelle je n’ai pas été formée par des années d’université. Mais les deux approches, l’écriture de commentaire et l’écriture créative, si elles semblent opposées, ne s’excluent pourtant pas, elles me semblent même complémentaires, maintenant. Reste à trouver le bon équilibre, le but premier et même unique étant de permettre aux jeunes une véritable appropriation du texte littéraire. Je vais certainement continuer d’avancer par tâtonnements, et connaître quelques râtés, mais quel bonheur d’avoir trouvé un biais pour permettre aux élèves de produire un authentique acte littéraire !...