I. Réflexion historique et linguistique
1. La publicité dans le paysage urbain moderne
Composante du paysage urbain moderne, omniprésente avec ses jingles et ses images, la publicité est devenue un phénomène social dont l’importance croit au même rythme que la place prise par les médias dans la vie individuelle. L’exposition quotidienne aux médias est en effet de 6 heures, dont 3 à 4 devant la télévision. [1] Difficile dans ces conditions, d’échapper à l’impression de saturation et de confusion, comme le remarque abruptement Erik Vergroeven, président de TBWA Paris : « N’importe qui, dans sa vie, reçoit 500 à 800 messages publicitaires par jour. C’est pour cela qu’on nous paie. Pour qu’une marque sorte du lot. » [2]Comme ce travail de différenciation est des plus difficiles, le flux du discours publicitaire crée une sorte de bruit de fond indistinct. On n’entend plus, on ne voit plus la publicité, élément noyé dans un champ plus vaste, celui de la communication, qui interfère avec les activités industrielles et commerciales mais également avec la vie sociale, politique et culturelle. Comment lui (re)donner un peu de lisibilité ?
2. De l’anglais « advertising » à « l’entr’advertissement » de Montaigne
Passer par le détour de l’anglais peut-être un angle d’attaque intéressant. L’anglais utilise pour désigner la publicité un mot d’origine française, advertising, qui vient d’avertir, « faire remarquer », « donner un avis ». Suivons la piste linguistique : elle nous conduit tout droit à Montaigne, ou plutôt à son père, qui rêvait « d’avertissement » pour « faciliter les échanges entre les hommes, marchands ou non ».
« Feu mon père m’a dit autrefois qu’il avait désiré qu’il y eut dans chaque ville un certain lieu désigné où ceux qui auraient besoin de quelque chose puissent se rendre et faire enregistrer leur affaire par un officier établi . (...) Ce moyen de nous entr’advertir apporterait une grande commodité au commerce public . » [3]L’accent est mis sur le lien entre publicité et commerce, au sens le plus large du terme, et c’est bien ce qui nous intéresse. Premier constat : « l’entr’advertissement » a partie liée avec l’échange, la sociabilité puisqu’ elle permet de mettre en relation des gens qui ne se connaissent pas mais qui ont besoin les uns des autres et souhaitent entrer en relation. C’est peut-être la raison pour laquelle la publicité moderne a pu aussi aisément se mettre au service des causes sociales ou politiques. Le plus frappant est que, lorsque le discours publicitaire délaisse la promotion d’intérêts privés pour servir l’intérêt collectif, sa phraséologie s’appuie sur cette notion de commerce, de lien qu’il faudrait tisser ou retisser entre les hommes. En ce sens, la publicité est bien une dimension constitutive de la société]. [4]
En même temps, la réflexion de Montaigne permet de ne pas perdre de vue la dimension strictement commerciale de la publicité, dimension qui la rend si « commode ». Allons plus loin : la publicité est avant tout, « l’art d’exercer une action psychologique sur le public à des fins marchandes ». La définition du Robert vaut elle aussi comme avertissement : communication partisane, la publicité ne relève pas du discours explicatif ou argumentatif au sens strict du terme. La faire étudier aux élèves comme un exemple de discours informatif ou faire repérer à une classe, dans un pavé rédactionnel par exemple, les « arguments » de l’annonceur pose problème. La dénoncer comme simple technique de manipulation des esprits aussi.
3. La « publicité » à l’époque des Lumières
Pour mieux en rendre compte, on peut mesurer l’écart existant entre la publicité telle qu’elle existe et l’idéal libéral du « principe de publicité ». Rappelons que pour les philosophes des Lumières « faire de la publicité » a une acception précise : démystifier la domination politique devant le tribunal d’un usage public de la Raison. Dans les Salons, les personnes privées qui écoutent mais aussi discutent et débattent deviennent un public, devant qui les auteurs peuvent tester leurs œuvres encore inédites. Présentées sous forme de discours mené tambour battant sur le ton badin d’une conversation brillante, elles portent néanmoins sur des sujets sérieux et permettent l’essai du jugement public. La conversation s’aiguise en critique ; les bons mots s’affûtent et deviennent arguments, tandis que les hommes de lettres conviés à discourir s’affranchissent de la tutelle de leurs hôtesses, souvent aristocrates. C’est ainsi que l’opinion s’émancipe, remplace l’esprit, inféodé aux nobles et que la critique d’abord d’ordre littéraire peut devenir politique. En comparaison, la publicité d’aujourd’hui, même non marchande, quand elle informe par exemple sur des sujets de santé publique [5], ne porte pas en elle cette dimension critique qui favorise la fabrique éclairée de l’opinion. Elle se contente souvent de proposer des comportements-réponses dictés par un assentiment passif.
4. La publicité et le commerce selon Habermas
Si la publicité favorise le « commerce », c’est de manière bien problématique. C’est sans doute le philosophe J.Habermas qui l’explique avec le plus de netteté en replaçant dans une perspective historique cette tendance lourde, structurelle, du discours publicitaire. Dès 1850, en effet, apparaissent les premières agences de publicité, qui ne sont encore que des bureaux d’annonces prenant en charge la réclame commerciale. Leur étroite collaboration avec la Presse les amène à acheter leur surface d’annonces par abonnement. De cette sorte, leur pouvoir financier est tel qu’ils prennent le contrôle d’une part non négligeable de la Presse. Dès cette époque -et c’est encore plus vrai aujourd’hui- s’est produite une certaine confusion -J. Habermas parle même de collusion- entre fonctions journalistiques et impératifs publicitaires, la publicité de grande envergure ne se contentant plus d’être « commerciale » pour la seule raison qu’elle représente une part décisive du budget des journaux. Elle intervient dans le contenu de la ligne éditoriale. Elle tend à s’emparer des organes de presse existants, puis des autres médias, quand elle ne crée pas ses propres journaux, revues, catalogues et, plus tard, émissions télé. Ainsi, dès sa création en 1857, l’agence Havas, ancêtre de l’agence France Presse, exerce un double contrôle, économique et éditorial : elle vend des informations aux journaux et leur achète des espaces publicitaires en quantité déterminante pour leur survie. De manière différente mais tout aussi significative, les annonceurs essaient eux aussi d’assurer leur emprise sur l’opinion. Procter a inventé les soaps et les a imposés aux chaînes de télévision financées par ses achats d’écrans publicitaires pour maîtriser l’univers psychologique de ses marques. Quant à Unilever, son principal concurrent, il a racheté les droits de « La Roue de la Fortune » en 1986 pour les mêmes raisons.
5. La publicité, « discours du commerce »
La citation de Montaigne ne permet pas de définir la publicité mais elle aide à en circonscrire le domaine d’extension moderne. Ni simple technique de manipulation, ni « art utile » au service d’un pur discours argumentatif, c’est le « discours du commerce », un peu bâtard, jamais autonome, toujours contextualisé, reposant sur ses propres codes. Il s’inscrit dans la société : même s’il ne soude pas l’assemblée des citoyens, il a à voir avec le lien social. La publicité ne sert-elle pas de plus en plus de culture de référence, au détriment de la Culture générale classique, pouvant lier les gens entre eux ? Puisque la publicité est une référence commune et partagée, puisque, dans une société post-moderne, les valeurs comme le progrès et la raison perdurent mais ne représentent peut-être plus le seul modèle possible [6] , le discours publicitaire en vaudrait un autre. Il peut s’ancrer dans la mémoire collective [7] ou, à tout le moins, devenir un sujet de conversation universel. On discute des derniers spots de publicité aussi bien dans les cours de récréation qu’au bureau (et les chanter en chœur renforce le sentiment d’appartenance) et le Journal de 20 heures peut les présenter comme des faits de société. Ainsi, le procès opposant Luc Besson à un annonceur manifestement trop inspiré par Le Cinquième Elément a dernièrement défrayé la chronique et suscité des articles pertinents, relançant le débat sur la propriété intellectuelle, dans les pages « Communication » des grands quotidiens ainsi que dans les journaux spécialisés. [8]
Pour ces raisons, il peut être intéressant de décrypter le discours publicitaire, d’apprendre aux élèves à le lire en le replaçant dans son contexte, à défaut de pouvoir le définir avec netteté.
II. La campagne publicitaire
1. Les forces en présence
Une publicité n’existe jamais seule : elle est l’élément le plus visible d’une stratégie de communication mettant différentes forces en présence.
A l’origine d’une campagne de publicité
Quand l’annonceur (l’entreprise ou l’institution qui paie la campagne) s’adresse à une agence de publicité, son chef de produit entre en collaboration avec quatre équipes différentes.
Quatre équipes de travail
Il rencontre celle des commerciaux, dirigés par le chef de publicité. C’est à ce dernier qu’incombe la lourde tâche de coordonner l’ensemble des opérations.
Dans ce cadre, il met l’annonceur en relation avec la recherche, chargée des études quantitatives (comme les études de marché) et qualitatives (comme les études de motivation).
Le commanditaire rencontre aussi le concepteur-rédacteur et le directeur artistique, responsables, l’un pour le texte, l’autre pour l’image, de la création. Ce tandem supervisera, en aval, et sous la férule du gestionnaire, les achats d’art (photographes, illustrateurs, mannequins...), la fabrication (composition, exécution, imprimerie, labo photo...) ainsi que la production (producteur de film, réalisateur, comédiens, techniciens).
Enfin, l’annonceur travaille avec l’équipe « média » qui sait choisir le ou les bons médias (en élaborant un média-planning) et négocier l’achat d’espaces publicitaires. C’est une étape décisive, tant les coûts sont élevés. Ainsi, si l’on veut qu’une affiche en 4x3 ait l’occasion d’être vue par 80% de la population française, il faut compter 300 000 panneaux.
Le rôle du gestionnaire : les enjeux financiers
Inutile de préciser que les enjeux financiers sont suffisamment lourds pour que le hasard ou la pure créativité esthétique ne prévalent pas : les quatre équipes forment le carré, vraie figure de guerre visant l’efficacité, tenue d’une main de fer par « le gestionnaire ». Il faut lire dans Publicitor [9] toute la galerie de portraits présentant les hommes et les métiers de la communication. La description du gestionnaire est la plus réjouissante. On le reconnaît d’abord à son plumage : « Il est habillé très sobrement, le plus souvent avec élégance et on peut dire que c’est la plus grande influence qu’a pu avoir sur lui son appartenance au milieu de la publicité » (par rapport aux gestionnaires des autres métiers, réputés pour ne savoir pas s’habiller).
« L’homme média est, à côté du gestionnaire, un joyeux plaisantin et un bouffon sans scrupule... En effet, celui qui a la charge de la bonne gestion d’une agence de publicité en est vraiment le bouc émissaire. Il a la plus sombre des réputations qui l’assimile le plus souvent à tous les poncifs bien connus, allant du « CRS » au « SS ». (...) Il n’est jamais d’accord quand on lui affirme qu’il faut savoir payer cher un photographe, qu’il ne faut pas hésiter à aller très loin, au soleil, dans les îles, pour tourner un film sur les pâtes, qu’inviter un client dans un grand restaurant est capital pour les bonnes relations » .
[10]
2. Les étapes d’une campagne publicitaire
Chaque équipe joue un rôle déterminant, on l’a vu. Tout est important : le choix de la cible, la connaissance des marchés et des médias. Bien sûr, l’élément essentiel reste la pertinence du message lui-même et, s’il est difficile d’expliquer ce qui ne s’explique pas, la « création » elle-même, du moins peut-on présenter succinctement les différentes étapes permettant la naissance d’une publicité cohérente. On peut repérer quatre étapes, se déroulant sur une durée de sept à neuf mois.
De la mise en compétition à l’élaboration d’une stratégie
L’annonceur en mal de communication, représenté ou accompagné par son chef de produit et son équipe de communication interne, prend contact avec plusieurs agences. Rien de solennel dans cette phase de repérage : ce peut-être au cours d’un déjeuner, d’un rendez-vous professionnel ou personnel que le D.G de l’agence de publicité apprend, incidemment et souvent par la bande, qu’il pourrait être consulté pour obtenir le budget d’une entreprise.
On peut lire, à ce propos, le récit enlevé d’un journaliste s’étant fait passer pour un « copywriter junior » [11] . Embauché par Havas Conseil (aujourd’hui Euro RSCG), il a pu « infiltrer » la profession pendant six semaines et découvrir les arcanes de la création publicitaire. Il raconte dans le détail comment, après moult tentatives d’approche décevantes, le D.G de l’agence reçoit un coup de téléphone miraculeux lui annonçant qu’il pourrait obtenir le budget de Maison du café, soit 15 millions de francs. C’est alors que la bataille entre agences commence : Havas n’est pas seule en lice. Deux ou trois agences ont été pré-sélectionnées et inscrites sur ce qu’on appelle la short-list. Tout est encore ouvert. Ce n’est qu’à l’issue d’une première présentation que l’annonceur choisira son partenaire. Chaque agence, en travaillant sur ce premier projet, se sait en compétition avec la concurrence, compétition en aveugle puisque chacune garde ses informations et ses idées secrètes, tout en laissant circuler les rumeurs. Compétition fiévreuse aussi, selon le témoignage de notre taupe :
« Je demande à consulter les carnets de rendez-vous de ceux qui vont intervenir, côté agence. Je suis stupéfait à leur lecture : plus de quinze rendez-vous avec le client en sept semaines, trente « points de rencontre » d’une durée minimum de trois heures à l’intérieur de l’agence, quatre week-ends entiers mobilisés, plus de vingt personnes sollicitées, des centaines d’heures de travail et d’angoisse.
Tout cela pour une idée, plus exactement pour avoir le droit de démarrer une collaboration, ou encore avoir la chance d’être publié ou affiché, pour gagner des honoraires que l’on espère immenses ! Quelle grandeur ! Quelle dérision ! »
[12]
Avant même de rencontrer son client potentiel, l’agence liste les premières tâches. Elle collecte des informations sur le contexte : qui est l’annonceur, comment se présente le marché, que peut-on dire sur le produit et ses consommateurs... Ce travail d’enquête et d’analyse permet de mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la demande du commanditaire. Le but est de poser le problème de communication susceptible d’être résolu par la publicité. A titre d’exemple, pour Havas et Maison du Café, le problème était facile à poser mais difficile à résoudre : quelle idée créative pouvait faire décoller la marque et lui faire rattraper Jacques Vabre, marque leader sur le marché ?
Lors de la première rencontre, tout le personnel de l’agence écoute. L’annonceur a rédigé un « briefing » (le premier d’une longue série !). Cela permet de formuler la demande et le point de vue unifié de tout le management de l’annonceur, de son Président au chef de produit qui gère la marque. C’est aussi l’occasion de fixer des délais et un budget raisonnables. Une fois l’exposé terminé, les discussions vont bon train : elles ont pour but de mieux cerner la demande de l’annonceur. L’agence complètera sa compréhension du problème par ses propres études et recherches afin d’établir un brief approfondi. Véritable cahier des charges, ce document de 5 à 6 pages dactylographiées sert de « bible » à toutes les équipes, bible qui peut être amendée. Son rédaction n’a rien de définitif : au fil des rencontres et des relectures, les recommandations de l’agence à l’annonceur ne cessent de s’affiner et le brief porte la trace de cette évolution.
L’agence prépare ensuite la stratégie marketing et la stratégie de communication.
De la stratégie à la création
Quand le problème de communication est compris et analysé, l’agence sélectionne une ou plusieurs équipe de créatifs (C’est souvent le cas dans les grosses agences, où le principe d’émulation vaut comme règle absolue). Le concepteur-rédacteur et le directeur artistique entrent en scène. C’est devenu une habitude de les faire travailler en tandem, comme si message écrit et message visuel avaient besoin de ce jeu de miroir pour se développer.
Pour guider les créatifs dans leur démarche, on met à leur disposition un P.T.C (Plan de Travail Créatif [13] ). Il s’agit d’un document synthétique résumant ce que le message publicitaire veut communiquer et reprenant les éléments essentiels du brief. La plupart des agences utilise le modèle formalisé par Young and Rubicam, à l’inchangeable structure. Fait principal, présenté comme un diagnostic clair et dense, problème à résoudre, objectif de la publicité, stratégie créative (cible, concurrents, promesse [14] , supports [15] ), instructions et contraintes éventuelles (par exemple : respect de la loi, reprise obligatoire d’un logo) : telles sont les cinq incontournables rubriques qui balisent les sentiers de la création. Tandis que les deux créatifs élaborent les premiers scénarii, sont montés le plan média général, les programmes de promotion, le planning des relations publiques. Après environ huit semaines d’intense activité, toutes les données sont croisées et peut avoir lieu la première présentation, en grandes pompes, devant l’Etat Major de l’annonceur.
Si l’agence est retenue, plusieurs semaines de réécriture sont à prévoir tant la logique d’ajustement perpétuel semble prévaloir en matière de création publicitaire. Les créatifs doivent en effet intégrer les remarques de l’annonceur mais aussi tenir compte des premiers tests soumettant la campagne publicitaire à des consommateurs (pré-tests) et les avis de leurs collègues exposés dans de nombreux briefings créatifs.
Production
Après une seconde présentation à l’annonceur, valant validation, la troisième phase peut débuter : celle de la production de la campagne. Il faut généralement deux semaines pour élaborer les maquettes et établir les devis. Ensuite, il semble que le tempo s’accélère. Deux semaines suffisent pour enregistrer un spot radio, trois pour concevoir une pub magazine ou une affiche et tout au plus un mois pour tourner une pub cinéma. Une fois de plus, ce sont les négociations avec l’annonceur qui prennent le plus de temps ainsi que l’exécution proprement dite. Six semaines sont nécessaires pour inclure des effets spéciaux, faire le montage, lancer les travaux d’impression et de copie, par exemple.
Diffusion
Une fois les copies remises aux médias, deux à huit semaines de délais légaux peuvent être requis avant diffusion parmi tout ou partie des cinq grands médias que sont la presse, l’affiche, la télévision, la radio ou le cinéma. Depuis peu, les responsables du « plan média » ajoutent Internet à cette liste. Bien sûr, on peut faire passer le message autrement, par le recours au hors média : le mécénat, le parrainage, le marketing direct, les jeux. Le hors média est plutôt efficace auprès d’une cible circonscrite. Ainsi, ddp, marque de vêtements pour jeunes, a conçu des jeux sur un site Internet plus ou moins confidentiel pour son cœur de cible, le garçon adolescent qui aime à ce qu’on lui renvoie l’image qu’il a de lui-même : celle d’un initié.
3. Création publicitaire et stratégie commerciale
Choix artistique / choix stratégique
Mener une campagne ne s’improvise pas et la « création » publicitaire, qu’il s’agisse d’un spot T.V ou d’une publicité magazine, n’existe pas en tant que discours autonome. Elle n’est qu’une étape, subordonnée aux autres et il est difficile de commencer l’analyse d’une publicité sans se poser les mêmes questions que ses stratèges : Quel est le produit ou le service dont on assure la promotion ? Quelle est la cible visée ? A quelle catégorie socioprofessionnelle appartient-elle ? Quels sont ses comportements ? Quel est le média utilisé ? Bien sûr, on pourrait objecter que les publicités les plus intéressantes, nées de la collaboration avec des artistes, ne sont pas le fruit de la réflexion stratégique. Quand Fernand Léger, par exemple, s’enthousiasme pour la création publicitaire, il présente ce qu’il tient pour un langage pictural à part entière comme un choix artistique et un engagement politique en faveur de la modernité : « Cette affiche jaune et rouge, hurlant dans ce timide paysage, est la plus belle des raisons picturales nouvelles qui soient ». [16] Mais la publicité n’a que rarement de ces fulgurances, où, peintre de la vie moderne, elle capte l’éternel en célébrant le transitoire et il semble que l’époque du Bal du Printemps, saisissante affiche de Cassandre chantée par Prévert, soit révolue. La publicité moderne n’existe pas en dehors d’une stratégie.
La cohérence des signes
Le spot ou l’affiche ne sont qu’un élément de la campagne. De même, il est rare qu’une publicité s’inscrive dans un territoire vierge. Elle est dépendante du contexte dans lequel elle s’inscrit. Même lorsqu’il s’agit de lancer sur le marché un produit, une marque, un logo inédits, les signes publicitaires créés pour l’occasion doivent trouver leur place dans un territoire déjà marqué par les messages des concurrents [17] . Les interférences sont plus nombreuses encore lorsqu’un annonceur propose une nouvelle campagne, s’ajoutant aux communications antérieures.
L’exemple de la RATP
On peut prendre l’exemple de la création d’un logo désormais classique : celui de la RATP. En 1989, le nouveau P.D-G, Christian Blanc, entend créer une identité visuelle unificatrice. En effet, depuis 1900, les signes communicationnels les plus différents se sont accumulés sans souci de logique ni même de cohérence. Ainsi, en pénétrant dans une seule et même station, l’usager peut admirer un superbe portique Art Nouveau, signé Guimard, classé monument historique. Il peut voir aussi du mobilier urbain orange vif, datant des années 70 et se fier à une signalétique où dominent le brun et le jaune, couleurs de la campagne « T’as le ticket chic », datant des années 80.
Comment donner à l’ensemble une harmonie, une unité ordonnée ? A ce problème d’identité visuelle, s’ajoutait un problème d’identité tout court. Jusque là, la culture de l’entreprise était plutôt une culture de l’ingénieur, développée autour de l’idée de performance technique. Creuser des tunnels, faire fonctionner un réseau, gérer des flux : autant de défis relevés qui faisaient la fierté des 40000 agents et entretenaient leur attachement à leur mission de service public. Mais, développement de l’égosphère aidant, l’entreprise a voulu, sans se renier, passer d’une culture d’entreprise à une culture de service.
Pour traiter ces deux problèmes, Christian Blanc a misé sur la création d’un logo, celui que nous connaissons aujourd’hui, apposé sur tous les supports comme l’estampille unique, garante d’une identité supérieure. Ce logo est un réel tour de force car il peut se lire simultanément de deux manières et cette heureuse coïncidence permet d’harmoniser différentes strates de communication, jusque là désaccordées. On peut interpréter le cercle traversé par une ligne zigzagante et surmonté de l’acronyme RATP comme un double système de signes.
Dans le premier cas, la dimension historique du métropolitain, maillant et organisant le territoire parisien depuis sa création, est bien gardée. On peut lire le logo comme un plan simplifié de la capitale : le cercle représente la Ville, ceinte par le périphérique. Ce territoire est traversé par la Seine dont le tracé descendant, perçant le cercle de part en part, exprime l’idée d’écoulement et de mouvement. Cette première lecture réaffirme l’ancien message, l’ancienne culture de l’entreprise : la RATP est capable, techniquement, de dominer un territoire.
Coexiste une seconde lecture : on peut interpréter la ligne comme un profil anonyme, plutôt féminin. Le visage ainsi tracé est celui de l’usager. Renversé en arrière, les yeux clos sur une sorte de béatitude narcissique, il est réfugié dans sa bulle, le cercle l’isolant des tracas inhérents à tout déplacement en métro, tels que le bruit, les cahots, la promiscuité... Le savoir faire technique de la Régie est donc mis au service de l’usager, placé très concrètement, très visuellement, au centre de toutes les préoccupations. Les créatifs ont su garder la teneur même des anciennes communications et la faire coïncider très exactement avec un discours nouveau, annonçant une évolution radicale : le passage d’une culture technologique à une culture de service.
Notons enfin que le logo vise deux cibles en même temps : il est destiné aux usagers, bien sûr (communication externe) mais aussi aux employés, qui devaient se retrouver dans cette icône (communication interne). Le logo tient deux discours en même temps, avec densité et cohérence. C’est pourquoi il est a pu, dès sa naissance, être apposé sur les supports les plus différents, les plus disparates, leur apportant ce qui pouvaient leur faire défaut : une identité complexe mais forte.
Cette petite saga a une portée démonstrative : une image publicitaire, en l’occurrence un logo, ne peut s’analyser seule. Elle est ancrée dans un passé (l’histoire de la marque, l’évolution de son identité...) dont on ne peut faire table rase ; elle s’intègre dans un ensemble de choix graphiques antérieurs qui ont marqué, délimité un territoire. Sans une vraie réflexion stratégique sur ces contraintes, nul doute que la cohérence qui fait l’efficacité du logo eût été plus limitée. Lorsqu’on décrypte une image publicitaire, tenir compte des informations et problèmes de communication qui ont gouverné les choix créatifs est assurément utile.
III. Analyser une publicité
La publicité s’inscrit dans un ensemble de codes linguistiques et iconiques : là encore, l’autonomie sémiologique n’est pas de mise. Il est loisible au publicitaire de s’engager dans deux pistes. En suivant les codes de lecture de l’image, il facilite la compréhension de son destinataire et crée avec lui une certaine connivence : l’œil, en terrain connu, circule aisément et, semble-t-il, avec plaisir. En s’en écartant, il fait le pari de la différenciation et gagne en impact, au risque de n’être compris que des initiés. Si les publicités Diesel sont couronnées de prix dans tous les festivals professionnels, leur diffusion reste confidentielle et leur compréhension, erratique. C’est pourquoi créer son propre code visuel n’est l’ambition que des très grandes marques (comme Evian, par exemple) ou des outsiders. La plupart des marques tentent de trouver le point d’équilibre entre l’innovation visuelle, qui seule fait exister la marque en lui donnant de la visibilité, et le respect de codes publicitaires bien établis puisque appris dans les écoles de pub. Quels sont les codes avec lesquels les publicitaires aiment à jouer ?
1. Le rapport entre le texte et l’image
L’un des intérêts de l’analyse de l’image publicitaire est de faire comprendre les relations entre le visuel et le verbal, relations déterminantes dans une société de l’image. Quelques questions simples peuvent fournir les linéaments d’une grille d’analyse.
On peut demander aux élèves quel espace occupe le texte par rapport à l’image. On constate souvent que la proportion est de 1/3 pour le texte et 2/3 pour l’image. Cela en dit assez long sur le poids de l’image par rapport au texte. Ces proportions ne sont pas anodines. La composition d’un visuel par tiers reprend les canons de la peinture occidentale. Du coup, une publicité qui ne respecte pas ces proportions, qui les inverse par exemple, suscite l’interrogation. S’agit-il d’une tentative subversive pour se faire entendre, pour se démarquer dans la cacosémie ambiante ?
Les exemples de publicités décalées ne manquent pas et l’inversion des proportions texte/image est sans doute un des procédés les plus subtils. On peut penser à la campagne très offensive de l’ELCS (Elus locaux contre le Sida) réalisée par Fmad/Frédéric Maillard. Sur un tiers de page, on peut admirer la photographie en quadrichromie d’un superbe ragondin. Sur les deux tiers restants se déploie un argumentaire parodiant les publicités pseudo-scientifiques où se mêlent sans solution de continuité informations vérifiées et « arguments » sentimentaux [18] . On ne demande bien quel peut être le sens de cet exposé de science naturelle. On ne doute plus lorsqu’on lit un paragraphe typographié en caractères gras, interrompant brutalement le discours naturaliste en ces termes : « Ah oui, au fait, le SIDA devrait tuer 8000 personnes par jour (... ) ». Le décalage entre l’image et la phrase finale renforce encore ce jeu d’inversion des codes publicitaires, destinés à attirer l’attention d’un lecteur blasé.
Plus simplement, faire porter le poids de la communication sur le texte permet de conférer à la publicité une certaine rigueur, un certain sérieux, à l’image du produit ou de l’institution dont elle assure la promotion. Les exemples ne manquent pas. Elmex, dentifrice vendu en pharmacie, se positionne comme un produit quasiment médical. Les publicités vantent ses qualités dans de très longs pavés rédactionnels, réduisant la photographie du produit à la portion congrue. Le texte accumule les preuves scientifiques comme autant d’arguments valides. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas un texte argumentatif destiné à convaincre -ou pas seulement- : il n’est pas, de l’aveu même des publicitaires, destiné à être lu mais à provoquer, par sa masse, l’impression du sérieux et de la respectabilité scientifique.
A l’inverse, l’absence de texte donne une impression de dilatation spatiale et incite à la rêverie, surtout si elle s’étale sur une double page ou une grande affiche. C’est peu de dire que le texte ne vaut pas pour son seul contenu mais aussi pour l’effet visuel qu’il produit.
2. Les composantes de l’image publicitaire
Les questions permettent aussi aux élèves de découvrir tout seuls que le visuel comporte des éléments fondamentaux, dont la combinaison fait de la publicité une forme concrète et codée de la persuasion.
L’image : plan, ligne, point
Le plan
Que représente l’image ? Pour faire trouver aux élèves les éléments importants du visuel, on peut leur demander de la décrire en termes de plans. Prenons l’exemple de la publicité pour la Mégane. La scène est construite en profondeur. A l’arrière plan, se découpant sur un ciel d’encre, on aperçoit la planète bleue. La voiture, roulant sur le sol lunaire, est au premier plan, autant dire sur le devant de la scène. Elle entraîne tout de suite le spectateur dans un univers particulier, celui de la marque. Le photomontage (sans doute réalisé avec Photoshop) propose une mise en scène originale et poétique. L’objet de consommation est représenté comme un objet de rêve, avec lequel on peut décrocher la Lune, à la lumière d’un clair de Terre. On ne voit pas d’être humain : point d’identification possible avec le conducteur. C’est la voiture seule qui occupe un espace irréel, qui sollicite l’imaginaire et le rêve.
Les lignes de force
Pour approfondir cette première lecture, on peut s’intéresser aux lignes de force verticales, horizontales, courbes, obliques ou diagonales qui organisent la morphologie de l’image [19]. L’idée de stabilité, par exemple, est rendue sensible par la prédominance des lignes droites. Elle peut être renforcée, pour ne pas dire mise en abyme, par la présence d’un « blanc tournant », d’un cadre blanc qui entoure l’image et rassure le consommateur. A l’inverse, des lignes obliques rendent l’image dynamique, surtout lorsqu’elles sont orientées de la gauche vers la droite. [20]
Les points d’intersection
On peut proposer le même travail sur les points d’intersection. A l’intersection des lignes, et même sur la section d’or [21], se trouvent les objets ou les personnages les plus importants, ainsi mis en valeur. Quelles sont leurs formes dominantes ? Les formes carrées et stables, rondes et sensuelles ou les contours plus coupants, plus dynamiques, introduisant des ruptures ? [22]
Cet effet est-il renforcé par un jeu entre les codes photographiques, c’est-à-dire par un travail significatif de la lumière que l’on peut se poser et poser (en termes plus simples) aux élèves.
Les signes graphiques
Le logo
On peut poursuivre et demander aux élèves de relever les signes graphiques. Pour rendre l’élève sensible à ces choix, commencer par faire repérer le logo n’est pas très difficile. Incarnant l’identité visuelle de la marque, il figure forcément sur le support publicitaire. Pour devenir la carte d’identité de la marque, il associe le nom de l’entreprise (ou ses initiales), un graphisme spécifique, un système de couleurs et parfois un symbole. Arrêtons-nous à l’exemple du logo du Crédit Agricole : la lettre « C » est en italique, dans une typographie proche de l’écriture manuscrite connotant l’idée de proximité. Son inclinaison évoque l’énergie du geste, encore soulignée par le tracé d’une petite virgule rouge, pleine de panache. A l’inverse, la lettre A est toute droite, dans une typographie bâton, sans empattement. Elle prend appui avec stabilité sur une barre verte, couleur des origines rurales et terriennes de la banque. Le logo évoque donc la rigueur mais aussi le dynamisme, l’ancrage mais aussi la modernité.
Les autres signes graphiques
D’autres signes graphiques sont remarquables. On a déjà vu que le texte était un élément graphique à part entière, dont l’impact était fondé sur la rupture du syntagme au profit de certains éléments du message. Que peut-on dire aussi de la typographie, des sigles, des graphèmes présents sur le produit ? En quoi sont-ils adaptés à la marque et à la cible (à l’idée que l’on s’en fait) ? Ces choix graphiques sont tellement importants dans le façonnage de l’identité de la marque qu’ils sont consignés dans un document normalisé et prescriptif, la charte graphique.
Les éléments linguistiques
Ce sont les plus difficiles à analyser. Dans un premier temps, on peut déjà les répertorier.
La phrase d’accroche
Située en haut, à gauche, la phrase d’accroche, forme moderne du slogan est destinée à attirer l’attention en premier lieu, comme le ferait un titre. On peut donc se demander si elle est en accord avec l’image et si c’est le cas, en quoi.
La base-line
La phrase d’accroche peut être relayée par une phrase située en bas, à droite. C’est la base-line, qui précise l’une des qualités du produit ou de la marque. Elle est appelée ainsi parce qu’elle est souvent à la base de l’annonce ou de l’illustration. Phrase ou expression courte, bien rythmée, elle est donc porteuse d’un message simple. Jeux de mots, rimes, assonances et allitérations, parallélismes de construction et anaphores ... sont les procédés d’écriture qui la rendent aisément mémorisable et accroissent son pouvoir de suggestion, de séduction.
L’argumentaire
Elle peut être développée (et éventuellement complétée) par un argumentaire, qui se veut explicatif ou argumentatif. Analyser l’effet produit par toutes les figures de style est pertinent : les choix d’écriture éclairent les élèves sur les techniques de la persuasion. Mais on peut être plus particulièrement attentif aux formules qui rendent la publicité plus suggestive et moins informative. C’est en effet une évolution de fond de la publicité.
Jusqu’aux années 70, l’approche rationnelle du consommateur a prévalu. Elle a conduit à créer une publicité s’appuyant sur des faits et des preuves pour mieux convaincre, encore utilisée pour les produits utilitaires.
« Ce n’est pas une publicité strictement informative, résume J.Lendrevie, car l’objet de la publicité ne peut jamais être réduit à l’information seulement mais c’est une publicité qui fait appel au bon sens, à la logique, au calcul, qui apporte des arguments objectifs. » [23]
Il existe une autre approche, fondée sur les concepts psychosociologiques de motivation et de frein [24] . Cette publicité ne cherche pas à informer mais à désinhiber et à motiver. Pour cela, elle n’énonce pas, elle suggère ; elle ne parle pas le langage de la raison mais celui des affects.
Le plus probant est peut-être de s’intéresser au vocabulaire du désir. C’est bien connu : la publicité crée des besoins insatiables et attise les désirs, à commencer par tous ceux qui permettent la valorisation de soi : besoin d’estime, d’appartenance ou de reconnaissance des autres à travers les produits que j’acquiers et qui « me » disent. Jean Baudrillard s’est livré à ce petit exercice de style, avec un brio aussi ironique que distancié. Pour conduire sa démonstration, il cite deux pavés rédactionnels flattant chez la consommatrice le même désir de différenciation, de personnalisation :
« Il n’est pas une femme, si exigeante soit-elle, qui ne puisse satisfaire les goûts et les désirs de sa personnalité avec une Mercedes-Benz ! Depuis la couleur du cuir, le garnissage et la couleur de la carrosserie jusqu’aux enjoliveurs et à ces mille et unes commodités qu’offrent les équipements standards ou optionnels. Quand à l’homme bien qu’il pense surtout aux qualités techniques et aux performances de sa voiture, il exaucera volontiers les désirs de sa femme, car il sera également fier de s’entendre complimenter pour son bon goût (...) »
« Avoir trouvé sa personnalité, savoir l’affirmer, c’est découvrir le plaisir d’être vraiment soi-même. Il suffit souvent de peu de chose. J’ai longtemps cherché et je me suis aperçue qu’une petite note claire dans mes cheveux suffisait à créer une harmonie parfaite avec mon teint, mes yeux. Ce blond, je l’ai trouvé dans la gamme du shampoing colorant récital. Avec ce blond de Récital, tellement naturel, je n’ai pas changé : je suis plus que jamais moi-même ».
Les deux femmes mises en scène dans la publicité pour la prestigieuse Mercedes 300 SL et le shampoing colorant ne se rencontreront sans doute jamais : toute la hiérarchie sociale les sépare. Pourtant, le lexique de la « valeur personnelle » est le même pour toutes les deux et même pour nous « qui frayons notre voie dans la jungle personnalisée de la marchandise optionnelle », cherchant désespérément la différence qui nous fera être nous-même :
« Toutes les contradictions de ce thème, fondamental pour la consommation, sont sensibles dans l’acrobatie désespérée du lexique qui l’exprime, dans la tentative perpétuelle de synthèse magique et impossible. Si l’on est quelqu’un, peut-on « trouver » sa personnalité ? Et où êtes-vous, tandis que cette personnalité vous hante ? Si l’on est soi-même, faut-il l’être « vraiment » - ou alors, si l’on est doublé par un faux « soi-même », suffit-il « d’une petite note claire » pour restituer l’unité miraculeuse de l’être ? Que veut dire ce blond « tellement » naturel ? L’est-il, oui ou non ? Et si je suis moi-même, comment puis-je l’être « plus que jamais » : je ne l’étais donc pas tout à fait hier ? »
On a bien l’impression que tous ces efforts de rhétorique publicitaire sont tendus vers un seul but : faire exister la Personne, telle que toute la tradition occidentale l’a forgée comme mythe organisateur du sujet. Seulement, cette instance est censée prendre corps dans des petits signes dérisoires : la petite note claire, le cuir de la Mercedes ou bien encore la sonnerie de téléphone portable. [25]
C’est en analysant ces textes que l’on peut inciter les élèves à prendre du recul sur la publicité comme technique de persuasion et sur eux-mêmes, sur ce qu’ils cherchent et perdent dans l’achat de marques qui permettraient de se démarquer.
3. Le trajet de lecture
Une fois repérés les éléments iconiques et linguistiques d’un visuel publicitaire, on peut s’interroger sur le trajet de lecture. La publicité a beau se réclamer du simultanéisme, en même temps image et texte, il n’en demeure pas moins qu’elle se lit, ce qui suppose un certain procès. L’oeil, après s’être arrêté sur l’élément majeur, est guidé dans son parcours pour découvrir toutes les composantes essentielles de l’image publicitaire.
En toute logique, la lecture commence par la phrase d’accroche. C’est le point de départ. Ensuite, on peut suivre les lignes de force de la construction iconique, fléchant le parcours vers des relais, en l’occurrence les objets ou personnages importants.
Dans une construction focalisée, par exemple, toutes les lignes de force convergent vers un seul objet ou personnage. Pour peu qu’il soit placé en pleine lumière et que les fonds soient gommés, on peut dire que le produit est mis en relief de manière emphatique.
Dans une construction séquentielle, cinétique, le regard passe par plusieurs éléments, situés à l’intersection des lignes de force. Il s’arrête à l’endroit où cesse l’exploration, en bas, à droite, dans la zone de verrouillage où sont placés les éléments à mémoriser (logo, signature), d’ailleurs repris dans toutes les déclinaisons et répétés à chaque campagne, selon les principes éprouvés du behaviorisme.
C’est, en définitive, la notion de parcours de lecture qui permet le mieux de comprendre à quel point le message publicitaire est construit et qu’il s’appuie sur une grammaire simple, disposant de quelques signes savamment orchestrés pour progresser.
On pourrait faire remarquer que notre grille de lecture n’a rien de nouveau et qu’elle peut aussi bien s’appliquer à l’analyse d’autres images, non publicitaires. Il est vrai que n’importe qu’un tableau peut être appréhendé en terme de plan, de lignes, de points. Cependant, il semble que le discours publicitaire systématise. Ainsi le logo est-il toujours placé en zone de verrouillage. D’autre part, ces principes simplifient de manière radicale la réalité, qui se trouve dite, contenue dans quelques signes-porteurs-de-sens. Le problème est que le réel semble disparaître au cours de cette assomption des signes et reculer sans fin dans un lointain hors de portée. Il n’en reste plus que quelques artefacts, organisés en spectacle, gai et coloré, fédérateur aussi puisqu’il alimente sans fin les conversations, les échanges, le commerce.