Les personnages dans Si c’est un homme

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Les personnages dans Si c’est un homme

Primo Levi n’a évoqué, dans Si c’est un homme, que peu de personnages. Y sont nommés les amis et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, lui ont semblé emblématiques des effets du camp de concentration pour l’étude du genre humain et pour l’étude de ce qu’est l’humain, le sentiment humain.

Nous reprenons ici les éléments d’information disséminés par Myriam Anissimov dans l’ensemble de sa biographie afin d’éclairer les différents personnages de l’oeuvre.

Les quelques personnages dont Primo Levi fait mention sont nommés à deux titres : soit ils représentent ce que Primo Levi considère comme les archétypes des prisonniers au Lager, soit Levi souhaite ainsi leur rendre hommage pour l’aide que certains de ces hommes lui ont apportée pendant les mois de détention. Sont aussi nommés les quelques amis italiens dont on suit la destinée en parallèle de celle de Primo Levi.

Alberto Dallavolta

 Alberto s’est adapté à la vie du Lager et sait naturellement se faire respecter. Associé à Levi, il lui sera d’une grande aide et à tous deux, ils ont réussi au fil des semaines à mettre en place un système leur assurant la survie.

 Il était interné à Auschwitz avec son père. Ce dernier fut emporté dans la sélection de l’automne 44 et Alberto, pour sa part, disparut dans la marche d’évacuation de Janvier 45.

 Levi prit contact avec leur famille après son retour, mais la mère et le frère semblent s’être laissé bercer par un rêve éveillé, préférant s’inventer l’histoire d’un fils et d’un frère retenu prisonnier et ayant perdu la mémoire des siens, plutôt que d’affronter la réalité de sa mort et des conditions. Primo Levi préféra ne plus retourner les voir plutôt que de chercher à les sortir de ce rêve qui les aidait à vivre.

Charles Conreau

 Levi a passé avec Charles les derniers dix jours au Lager, entre le jour de l’évacuation du camp et le jour de l’arrivée des russes. C’est avec lui qu’il a mis en place le système de survie qui permit à une partie de la chambrée de s’en sortir.

 Ils se revirent en 1951. Charles Conreau avait repris son métier d’instituteur, à Provenchères, dans les Vosges, mais il était triste, marqué par ce qu’il avait vu et vécu.

Elias

 Primo Levi a gardé le souvenir d’un personnage, figure du camp, qu’il nomme Elias. Ce dernier s’est imposé dans le camp par sa force sauvage. « (...) ce nain doué d’une force extraordinaire, était à la fois dément, violent sauvage, jongleur et mouchard ». (Cité p.247)

 Elias Lindzin est un juif polonais originaire de Varsovie, portant le numéro matricule 141 565, si l’on en croit Levi.

 Un doute subsiste sur la véritable identité du personnage. Paul Steinberg en a également gardé le souvenir, mais pour lui il n’était ni polonais, ni juif, mais allemand. Il avait semble-t-il travaillé dans un cirque.

Henri : Paul Steinberg

 Paul Steinberg a 17 ans quand il est déporté à Auschwitz-Monowitz. Il y reçoit en arrivant le n° 157 239. Il est arrivé peu avant Primo Levi. Il doit sa survie à sa capacité à s’adapter rapidement et à la facilité qu’il a à mettre à distance.

 Le témoignage qu’il fit de cet épisode de sa vie se distingue par le ton adopté, souvent cynique, propre à mettre à distance, n’appelant en rien la compassion du lecteur.

 Primo Levi a gardé de lui un souvenir pour le moins sévère. Il finit par le comparer au Serpent de la Genèse.

 Myriam Anissimov fait une rapide biographie de Paul Steinberg(cf. p. 249-250)
Il a seize ans en 1943 et il est en première au lycée Claude-Bernard, à Paris. Il vit seul avec son père, sa mère étant morte en couches. Il est plus assidu au jeu et aux courses qu’à ses cours. Il se fait prendre par une rafle alors que la majeure partie de sa famille a pu se mettre à l’abri. Il semblerait qu’il aurait eu plusieurs occasions de se sauver pendant la période où il fut aux mains des autorités françaises, mais il bouda toutes les portes ouvertes. Il fut finalement déféré à Drancy.
Blessé à son arrivée à Auschwitz, il aurait dû être gazé sur le champ ; mais, né à Berlin, il parlait parfaitement l’allemand, avec un accent irréprochable, ce qui lui valut d’être épargné.
Il essuya un certain nombre de maladies dont il sortit vainqueur : ulcères à la jambe où il était blessé, hépatite, dysenterie, gale, érésipèle.

 Myrima Anissimov rapporte la réaction de Paul Steinberg à la lecture de Si c’est un homme :
« De sa description, ressort l’image d’un individu assez antipathique,stérilisé, qu’il trouvait certes de compagnie plaisante, sans éprouver toutefois le désir de le revoir jamais. (...) Sans doute a-t-il vu juste. J’étais probablement cet être obnubilé par l’idée de survivre. (...) En observateur neutre de mon image, telle qu’il l’a perçue, j’étais sûrement ainsi, férocement déterminé à tout faire pour vivre, prêt à faire usage des moyens à ma disposition, et du don d’éveiller la sympathie d’autrui. (...) Je ne saurais jamais si je suis en droit de solliciter la clémence du jury. Est-on tellement coupable de survivre ? »

 Il semble que Paul Steinberg et Primo Levi ont travaillé dans le même laboratoire de chimie à la Buna. Mais, curieusement, ils ne se rappellent pas l’un l’autre.

Lorenzo Perrone

 A la faveur d’un bombardement, Primo Levi a fait la connaissance d’un ouvrier italien, travailleur civil non volontaire : Lorenzo Perrone. Lorenzo Perrone est originaire de Fossano. Il est logé dans un camp civil. En tant qu’ouvier civil, il reçoit un salaire, bénéficie d’une permission le dimanche et de deux semaines de congé. Il peut envoyer et recevoir, de l’argent, des colis, des lettres.

 Trois jours après avoir rencontré Levi, il lui apporte une gamelle de deux litres de soupe. Et, pendant 6 mois, il apportera ce complément de nourriture tous les jours, ce qui contribuera à sauver Levi.
Pendant le temps qu’il passa comme travailleur civil à Auschwitz, Lorenzo porta secours à un certain nombre de détenus du Lager, dont Primo Levi.

 Dès le 1er Janvier 1945, les employés civils du camp italien ont été libérés. Lorenzo, en compagnie d’un ami, Peruch, prit la direction du Brenner à pied, en se guidant sur une carte des chemins de fer et en ne progressant que la nuit. Le 25 Avril, après quatre mois de trajet, ils passèrent le Brenner. Lorenzo parvint finalement à Turin où il rendit visite à la mère de Primo Levi pour lui donner des nouvelles en lui laissant entendre qu’il l’avait laissé au camp, malade, avec de maigres chances de survie, puis il prit la route de Fossano, où il vivait.

 Voir Auschwitz, sans y être interné, lui avait ôté le goût de vivre. Il cessa, à son retour, de travailler comme maçon et se fit ferrailleur. Il avait pris l’habitude de fuir la réalité au bistrot.
Primo Levi essaya de lui porter secours. Il lui trouva un emploi de maçon à Turin, mais Lorenzo refusa, habitué à dormir dehors et à vivre en toute liberté, à sa guise et sans contrainte. Il finit par tomber malade et Levi le fit hospitalisé, mais sans pouvoir le sauver. Primo Levi commente ainsi la mort de Lorenzo dans Lilith (cité p.436) :
« Lui qui n’était pas un déporté, il était mort du mal des déportés ». « Le monde, il l’avait vu, il ne l’aimait pas, il le sentait crouler autour de lui ; vivre ne l’intéressait plus ».

Luciana Nissim

 Elle fut arrêtée en compagnie de Primo Levi et de Vanda Maestro et déférée ensuite à Birkenau avec Vanda Maestro.

-Parce qu’elle était Médecin, elle fut affectée au block médical en qualité de médecin, ce qui la préserva en partie, contrairement à Vanda qui finit par y laisser la vie.

 Dès son arrivée, une détenue lui révéla ce qu’étaient devenues les autres femmes, arrivées avec elle, mais qui avaient été placées dans l’autre groupe. Lors de la révélation, elle ne voulut pas le croire. Mais très rapidement, elle comprit ce qu’il en était.

 En qualité de médecin, elle bénéficiait d’un régime amélioré. Elle dormait dans une chambre avec cinq autres collègue et bénéficiait d’un lit individuel. Elle était libre de ses mouvements le soir après l’appel.

 Au mois d’Août 44, elle se porta volontaire pour accompagner en tant que médecin un transport de häftlinge devant aller travailler à Kassel. Puis, en Avril 1945, elles furent emmenées à Leipzig. L’évacuation fut ensuite décidée. Une colonne de plusieurs milliers de femmes fut constituée. Luciana Nissim et une camarade profitèrent de la situation pour s’évader en se cachant dans la forêt. Elles finirent par rencontrer des travailleurs français du STO qui leur trouvèrent une place chez une femme vivant à l’écart où elles faisaient le ménage, la vaisselle.

 Lorsque les américains arrivèrent dans la région, elles se firent connaître et Luciana, ayant fait savoir ses compétences de médecin, travailla à l’hôpital dans un camp à côté de Rima.

Maurice : Mosrek Resnyk

 Primo Levi lui rend hommage dans le chapitre intitulé Le Travail.

 Il s’était engagé dans la légion étrangère et avait combattu en Algérie et au Maroc. Démobilisé et rapatrié après la défaite, il trouva finalement un poste de bûcheron dans le Maine-et-Loire, grâce à sa forte carrure. Le groupe de bûcherons travaillait pour la résistance. Ils furent tous arrêtés et les juifs internés à Drancy. Il fut transféré à Auschwitz par le convoi 64, immatriculé 167 644 et affecté au Kommando 85 (transports), particulièrement difficile.

 Tailleur de son état, il reprit son métier après la guerre, dans le Marais, à Paris.

Piero Sonnino : Lello Perugia

 Lello Perugia apparaît trois fois dans l’oeuvre de Primo Levi, une fois sous le nom de Lello Sonnino dans Si c’est un homme et deux fois sous le nom de Cesare dans La Trêve et dans Lilith.

 C’est un jeune homme de 24 ans, présenté comme vif, intelligent et débrouillard. Il est arrivé à Auschwitz le 30 Juin 1944 et a été immatriculé A-15 803.

 Lello Perugia était communiste et faisait parti du groupe international de partisans combattants Banda Liberty depuis le 8 septembre 1943. Il fut arrêté avec ses quatre frères par la Gestapo à Tufo di Carsoli, dans les Abruzzes, le 14 Avril 1944. Il fut interrogé et torturé pendant quinze jours, puis deux jours, dans des centres d’internement différents, puis déféré vers Birkenau, et enfin Auschwitz.. Trois des frères périrent, deux dans les chambres à gaz, le troisième des suites de la gangrène contractée dans les camps.

Pikolo : Jean Samuel

 Jean Samuel est un jeune étudiant alsacien en pharmacie. Il parle couramment le français et l’allemand.

 Il a été raflé par la gestapo à Dosse avec l’ensemble de sa famille. Cette dernière a été entièrement déssimée, soit dès la sélection première, soit petit à petit par les maladies et les sélections successives. Sont les seuls survivants Jean et son oncle Maurice qui succombera à la marche d’évacuation.

 Il est en fait le plus jeune prisonnier du Kommando 98, le Kommando de chimie ; il a été nommé à ce titre Pikolo. Ce poste suppose les fonctions de livreur, commis aux écritures, responsable de l’entretien de la baraque, de la distribution des outils, du lavage des gamelles, de la comptabilisation des heures de travail.

 Jean Samuel et Primo Levi ont fait connaissance un jour de bombardement, en Mai 1944. Restés cachés dans le même abri le temps du bombardement, ils ont eu l’occasion d’échanger des confidences qui faisaient alors les liens entre les détenus.

 Bien que Prominent puisque « pikolo », Jean était apprécié de ses camarades. Il aida du reste les uns et les autres comme il put. Il confia ainsi à Levi la charge d’aller chercher la soupe avec lui, ce qui dispensait Levi de son travail, pendant quelque temps, et lui permettait de s’économiser. C’était aussi l’occasion de longs échanges, des moments hors du temps, des parenthèses de survie prise sur le Lager. Pendant ces « promenades », Levi récita ainsi à Jean Samuel par bribes Le Chant d’Ulysse issu de La Divine Comédie de Dante.

Schlome

 Jeune juif polonais arrivé au camp enfant.

 Il accueille Levi et lui donne quelques conseils à son arrivée.

 Il représente pour Levi le premier contact avec les juifs de l’est aux yeux desquels il ne peut être juif puisqu’il ne parle pas yiddish.

Vanda Maestro

 Elle fut arrêtée en même temps que Primo Levi. Après la séparation des hommes et des femmes à l’arrivée à Auschwitz, Primo n’eut jamais de nouvelles.

 Elle fut amenée à Birkenau en compagnie de Luciana Nissim. Comme les hommes, elles subirent à l’arrivée une enquête rapide d’identité : âge, profession, langues connues ...

 Affectée à un block travaillant à l’extérieur, elle s’affaiblit rapidement et fit partie de la dernière des sélections pour les chambres à gaz au mois d’octobre 1944.

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