Journée Rimbaud - 15 décembre 2023 - Ateliers Comment favoriser la rencontre personnelle d’une œuvre poétique singulière ?

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Dans le cadre du renouvellement des œuvres au programme de 1ère pour les EAF, est concerné à la rentrée 2023 l’objet d’étude « La poésie du XIXe au XXIe siècle ». L’inspection de Lettres de l’académie de Versailles organise, comme tous les ans, une série de trois conférences consacrées aux œuvres entrantes.
 Journée Hélène Dorion, 10 novembre 2023 : Mes forêts Conférence - Ateliers
 Journée Rimbaud, 15 décembre 2023 : Cahiers de Douai
 Journée Francis Ponge, 1er mars 2024 : La Rage de l’expression

Voir l’article consacré à la conférence :

Animateurs de l’atelier : Maud Carlier-Sirat , Julie Fernandez, Lionel Garcia
Rapporteurs : Laurent Bernal, Samy Plaisance, Agnès Jauffrès

Les Cahiers de Douai peuvent apparaître comme une œuvre familière, parce que certains des poèmes qui la composent sont souvent étudiés, et ce dès l’enseignement primaire. Mais Rimbaud est aussi un poète difficile à comprendre. La dimension scandaleuse de son écriture, ses innovations formelles et ses prises de position politiques, réclament un étayage culturel important pour être perçues.

Comment, dès lors, sortir du canon des poèmes connus et familiers et accompagner les élèves dans une lecture complète de l’œuvre ?

On retiendra de plus comme points de vigilance les éléments suivants :

  • Le mythe de Rimbaud, dans ses différentes incarnations, prend parfois le pas sur la lecture de son œuvre ;
  • Les poèmes de Rimbaud se prêtent à des querelles universitaires qui ne doivent pas faire obstacle à la découverte personnelle de l’œuvre par les élèves.

Étape 1 - Accompagner la lecture globale de l’œuvre à travers une édition enrichie du recueil

Une proposition d’activité par les formateurs et formatrices

La lecture intégrale du recueil peut être accompagnée par des travaux, répartis entre les élèves d’une classe, portant plus spécifiquement sur un poème. La mutualisation des travaux produits par les élèves conduit à la mise en partage d’une ressource commune.

Mise en œuvre de l’activité avec les élèves
En début de séquence, les élèves se répartissent les poèmes du recueil (hormis ceux qui feront l’objet d’une analyse linéaire). Afin de bâtir une édition enrichie, ils créent et associent des contenus multimédias (graphiques, audios, vidéos) au poème qu’ils ont en charge. Ce travail de recherche et de création permet de rendre compte d’une lecture subjective ou de proposer un étayage historique favorisant une compréhension éclairée. Ces contenus sont ensuite rendus accessibles à tous les élèves sous la forme de marque-pages présentant des QR codes à scanner pour accéder aux contenus multimédias. L’objectif est de susciter la curiosité des élèves pour un maximum de poèmes en passant par la lecture de l’autre. Il s’agit aussi de (re)donner une place à l’objet livre, de travailler à une mise en relation sensible à lui.

Proposition de démarches
La restitution de la compréhension d’un poème peut prendre la forme d’une création littéraire, graphique ou vocale : mise en voix, moodboard, création vidéo.

  • La mise en voix d’un poème peut être pensée comme un travail de compréhension : au-delà de la réussite technique de la lecture, son rythme et sa mise en voix sensible expriment une conception du sens.
  • Le « moodboard » est un collage qui traduit une émotion à travers des images collectées et agencées dans l’espace d’une page. C’est la traduction d’un poème dans une image composite. Pour la réussite de cette activité, la palette gagne à être restreinte.
  • La création vidéo augmente le texte d’un poème par des images en mouvement, éventuellement par de la musique : c’est une composition qui peut traduire le sens d’un texte à travers des langages symboliques.

En accompagnement de leurs travaux, les élèves doivent prévoir une justification écrite ou orale de leurs choix créatifs en les mettant en relation avec les poèmes afin de rendre cette relation explicite.

Il est possible de proposer aux élèves, qui se sentiraient en difficulté devant l’idée d’une création, un travail de recherche historique et culturelle permettant la contextualisation d’un poème particulièrement difficile. Un exemple de ce type de travail a été présenté aux stagiaires.

Remarques sur la mise en œuvre de ces démarches

  • Les aspects techniques de ces activités peuvent impressionner par leur apparente complexité. Cependant, les élèves maîtrisent souvent des compétences numériques qui permettent une collaboration entre pairs.
  • Les productions des élèves gagneront à être partagées au sein d’une classe pour mutualiser les approches de l’œuvre au programme.
  • La plateforme La digitale met à disposition un ensemble d’outils numériques de création et de partage faciles d’accès et d’utilisation. Cette plateforme respecte les normes RGPD.
  • La lecture intégrale de l’œuvre doit être anticipée de manière à mener ces travaux assez tôt dans la séquence. Un temps de dialogue avec les élèves sur la forme de leur travail est indispensable pour les guider et les accompagner dans son élaboration.
  • L’évaluation des travaux, parce que ceux-ci sont d’ordres créatif et subjectif, est difficile. S’ils sont évalués, ce qui n’est pas une obligation, proposition est faite de ne noter que la justification des contenus.

Étape 2 - Produire des écrits d’appropriation pour élaborer une explication linéaire

Analyse d’activité et discussion collective

Mise en œuvre de l’activité avec les élèves
L’activité proposée porte sur les poèmes « Rêvé pour l’hiver » et « Vénus Anadyomène ». Elle est adaptable à tous les poèmes du recueil.

1- Une proposition à partir de « Rêvé pour l’hiver » : écrire à partir d’une musique

Le professeur donne le premier vers du poème « Rêvé pour l’hiver » :

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose

Il donne la consigne d’écrire un poème à partir de ce premier vers, en écoutant une composition musicale : « Sur un vaisseau » d’Erik Satie, interprétée par Alexandre Tharaud.
L’écriture, courte et improvisée, donne lieu à des productions qui seront lues en classe à voix haute. Cette lecture est exploitée immédiatement par la notation au tableau des éléments saillants, formels et thématiques, de l’écriture de chacun des poèmes lus à la classe.

Le dépouillement d’un corpus de copies présente par exemple :
  • Un usage varié des pronoms personnels : nous amenant parfois un « je » et un « tu », parfois un seul de ces pronoms ;
  • L’opposition entre un extérieur froid et hostile et un intérieur douillet ;
  • La sensualité à laquelle les élèves ont été plus sensibles que ce que les professeurs attendaient… ;
  • Un jeu avec les couleurs ;
  • Les thématiques croisées du temps et de l’espace.

Voici deux exemples de poèmes écrit par deux élèves de 1ère STMG :

Le poème d’Adrien
Le poème de Kloyne

L’explication linéaire est facilitée par ce repérage préalable : en effet, nombre d’éléments présents dans les poèmes des élèves se retrouveront dans le poème de Rimbaud. Les rapprochements et les écarts entre les poèmes écrits par les élèves et le poème de Rimbaud attirent l’attention sur l’écriture particulière de ce dernier : l’explication a ainsi été anticipée. La définition des mouvements du poème et la formulation de son enjeu émergent rapidement.


2- Une proposition à partir de « Vénus Anadyomène » : écrire à partir d’un tableau

Le professeur donne à voir le tableau de Suzanne Valadon « La Chambre bleue » et propose aux élèves d’écrire un texte libre à partir du tableau.

« La chambre bleue », Suzanne Valadon, 1923 - Musée national d’art moderne
Suzanne Valadon, Public domain, via Wikimedia Commons

Les élèves sont entièrement libres quant à la forme et au genre du texte qu’ils peuvent produire :

  • écrire un poème,
  • rédiger le monologue intérieur de la femme représentée,
  • proposer une description de l’image,
  • imaginer sa vie,
  • imaginer un dialogue avec une personne en dehors du cadre du tableau,
  • évoquer un lien avec une autre œuvre.

Les textes doivent être écrits spontanément et rapidement pour laisser émerger des impressions.

Le dépouillement d’un corpus de copies montre par exemple :
  • La perception du renversement des codes de la beauté classique ;
  • La perception de la posture lascive de la femme représentée sur le tableau ;
  • Une description précise du corps, avec des détails anatomiques ;
  • Des portraits organisés en allant de la tête aux pieds ;
  • L’expression de la féminité du modèle.

Ce travail d’invention à partir d’un tableau conduit les élèves à former un imaginaire du féminin qui prend en charge les canons de la beauté pour les contourner, les détourner ou les interroger. Un univers de référence est ainsi mobilisé. La composition d’un portrait conduit les élèves à s’interroger sur son organisation. L’écriture rapide et inventive éveille des impressions qui pourront faire l’objet d’une approche réflexive. L’explication linéaire du poème « Vénus Anadyomène » est approchée à travers ses enjeux esthétiques que les élèves auront été amenés à concevoir par eux-mêmes.

Voici deux exemples de textes écrits par deux élèves de 1ère Générale :

Texte de Jimmy
Texte de Saloua


En atelier lors de la formation
Des exemples d’écrits d’appropriation réalisés par les élèves en amont de l’ explication linéaire des poèmes « Rêvé pour l’hiver » et « Vénus Anadyomène » sont proposés aux professeurs participant à l’atelier.
Ces derniers sont invités à identifier, dans les écrits d’appropriation, des points d’appuis possibles pour conduire une explication linéaire.
S’ensuivent des échanges d’où il ressort que :

  • l’écrit d’appropriation, en sollicitant chez les élèves un geste créatif, permet la mise en relief de thèmes, d’enjeux d’écriture et de formes poétiques ;
  • cette mise en relief aiguise le regard du lecteur et facilite par la suite la mise en œuvre de l’analyse littéraire.

Étape 3 - Partage de ressources : établir une liste collaborative d’écrits d’appropriation

D’autres poèmes, d’autres tableaux, d’autres compositions musicales peuvent être des déclencheurs d’écriture. D’autres sujets d’écriture peuvent être proposés. La formation se termine sur un partage de ressources : les stagiaires proposent des consignes d’écriture, des œuvres d’art et des œuvres littéraires à même d’accompagner la lecture des Cahiers de Douai de Rimbaud. Ces œuvres génèrent un univers de référence et un univers imaginaire : elles apportent des éléments de contextualisation et facilitent la compréhension. Les hypotextes des poèmes de Rimbaud peuvent aussi être mobilisés.

Voici un florilège de ces propositions.

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