Conférence sur le Conte du Graal

, par BAUMGARTNER Emmanuelle, professeur à l’Université de Paris-III

Quelques données

Le mécène

Dernier roman de Chrétien, inachevé et composé entre 1181 et 1191, date de la mort du mécène, Philippe d’Alsace, comte de Flandres et de Hainaut (un très puissant seigneur), mort en 1191 à Saint-Jean d’Acre, durant la 3e croisade (celle qui réunit contre Saladin Richard Cœur-de -Lion, Philippe Auguste et Frédéric Barberousse (mort sur la route de la croisade) pour la délivrance de Jérusalem.

On peut supposer (simple hypothèse) que Philippe d’Alsace (et déjà son père, Thibaut d’Alsace qui alla à quatre reprises en Terre sainte) a pu connaître et recueillir en Terre sainte les légendes apocryphes (qui n’apparaissent jamais dans le Conte du Graal) entourant le personnage de Joseph d’Arimathie (cité dans les Evangiles) et le vase dans lequel il aurait recueilli le sang du Christ, qui deviendra, à partir des Continuations seulement, le prototype du Graal. La lance qui saigne de Chrétien sera également assimilée à la Sainte Lance avec laquelle a été percé le flanc du Christ sur la croix par un centurion nommé Longin dans les traditions apocryphes.

Le titre

Chrétien titre toutes ses œuvres : ici Le conte du Graal (et non Perceval, les continuateurs diront « Perceval le vieil » ), conte s’opposant à livre, la source écrite confiée (soi-disant) par le mécène ; le terme de conte renvoie dans la « terminologie » médiévale à un texte n’appartenant pas à la culture savante, cléricale. Voir également le « conte d’Erec le fils Lac ». A noter, pour la première fois chez Chrétien, le « sujet » n’est pas un animé humain, mais un objet, le Graal, non commun plutôt rare à cette date, prosaïque (claie à égoutter les fromages, notamment), et qui devait d’emblée attiser la curiosité du lecteur médiéval.

L’inachèvement

Le statut très énigmatique du Graal, un somptueux plat de service porté par une très belle jeune fille dont on apprend ensuite qu’y « vient » une hostie qui nourrit depuis 15 ans le vieux roi, père du Roi Pêcheur (celui qui pêche à la ligne, car il est impotent (impuissant ?) mais qui a peut-être mérité ce châtiment parce qu’il est pécheur...), l’absence de dénouement aux aventures de Perceval, reparti en quête du château du Roi Pêcheur pour y poser enfin les questions attendues, a suscité dès la fin du XIIe siècle l’immense ensemble textuel (en vers) des Continuations.

Les Continuations sont tantôt centrées (Première Continuation) sur Gauvain, l’autre héros du Conte, tantôt (2e et 3e Continuations) sur Perceval qui mène sa quête à terme à la fin de la 3e et meurt en état de sainteté au château du Roi Pêcheur (qu’il a vengé, guéri et dont il a pris la place) tandis que disparaissent dans l’au-delà le Graal et la Lance qui saigne, désormais assimilés à des reliques de la Passion. Une autre Continuation, composée par Gerbert de Montreuil, s’insère entre la 2e et la 3e et adopte un ton très moralisant étranger aux autres récits.

La christianisation progressive du Graal et de la Lance qui saigne, c’est-à-dire l’assimilation assez chaotique dans le détail d’objets étranges (d’origine celtique, vase, corne d’abondance, lance de feu du roi guerrier etc.), aux propriétés inexplicables, à des reliques de la Passion -on va ainsi de l’inconnu merveilleux au connu/au rationnel chrétien- est essentiellement le fait des Continuations, qui ont également utilisé le texte en vers de Robert de Boron, le Roman de l’Histoire du Graal (trad. A. Micha), qui conte notamment la relation entre le Christ et Joseph d’Arimathie (après la Passion), la « naissance » du Graal et annonce son transfert dans l’Angleterre pré-arthurienne... Mais le point de départ de la christianisation du motif du Graal est bien l’hostie du Conte du Graal dont l’ermite révèle ex abrupto la présence (p. 220)dans le Graal à Perceval dans l’œuvre de Chrétien.

Alternance

Tout en s’appuyant sur un corpus de motifs narratifs et de scénarios majoritairement issus des traditions et légendes celtiques, Chrétien a dans chaque roman remodelé ces scénarios et motifs hérités et a créé à partir d’eux un monde fictionnel, le monde arthurien, qui possède ses lois, ses coutumes, son mode de fonctionnement, ses institutions cultes comme la Table Ronde et où les personnages forment une sorte de « matériel roulant » (Gaston Paris) du récit qui se retrouvent d’un roman à l’autre et qui sont dotés de traits spécifiques constants : Arthur, ses chevaliers, sa femme, Guenièvre, son neveu Gauvain, son sénéchal Keu, toujours désagréable, toujours désarçonné par le héros titre etc. : l’ensemble constitue, comme dans certaines séries modernes, un horizon d’attente proposé à un lecteur qui se doit d’être sensible aux stéréotypes mais aussi aux variations opérées.

Mais chaque roman s’articule sur le choix d’un nouveau protagoniste (un chevalier de la Table Ronde, jusqu’au Conte du G) dont est rapporté l’itinéraire héroïque et sentimental (à la fois parcours aventureux et découverte plus ou moins initiatique du moi et du rapport du moi au monde, à la prouesse, à l’amour). D’un roman à l’autre, d’autre part, Chrétien a mis un soin constant à faire des variations sur cette structure sous-jacente, qui fait alterner la quête et l’errance, à explorer plusieurs modalités de structuration du matériau ; exploration par laquelle se manifeste la créativité de l’écrivain et s’impose le caractère totalement fictionnel d’un récit qu’il modèle et trame à son bon plaisir (voir E. Baumgartner, Romans de la Table ronde de Chrétien de Troyes, Foliothèque, Gallimard, 2003).

L’usage, au fond assez discret et souvent désamorcé/ rationalisé du merveilleux féerique est un moyen autre d’affirmer la liberté créatrice de l’écrivain, son droit à disposer comme il l’entend des normes spatio-temporelles (voir l’apparition jamais rationalisée, préparée, des lieux et des personnages qui leur sont liés : le château du Roi Pêcheur ou la cité dévastée de Blanchefleur , ou la cousine germaine de Perceval tenant sur ses genoux le cadavre de son ami, au bord du chemin où passe précisément le héros etc.), quand il en décide sans que soit proposée la moindre logique temporelle/causale, sinon parfois à l’occasion d’un bref récit rétrospectif (voir celui de la cousine qui a bien connu Perceval enfant et sa mère...p. 137). Le monde de Chrétien est entièrement régi par l’aventure, « ce qui advient », en dehors de toute programmation logique, de toute cohérence apparente, au gré de l’écrivain. Au héros/ au lecteur de chercher le sens, s’il existe, de la succession des aventures, de donner un sens au parcours spatial configuré par le récit. A noter que le motif structurant de la quête, du déplacement dans l’espace du héros a forcément des implications symboliques, la progression dans l’espace (ou son absence, le héros peut aussi tourner en rond, comme Gauvain avec la Maligne Demoiselle), la rencontre ou non d’aventures qui favorise ou empêche cette progression pouvant être facilement lu comme parcours initiatique. La quête comme bel exemple (et trouvaille de Chrétien) de « forme-sens »

Dans le Conte du Graal, un mode nouveau de structuration du matériau romanesque est l’alternance des héros, Perceval et Gauvain, qu’ au départ tout oppose. P. le sauvageon est un inconnu et un ignorant (un nice) face au très connu, très courtois, très expérimenté Gauvain. Mais alors que Perceval entreprend un parcours qui lui permet d’entrer peu à peu dans l’univers de la chevalerie et d’être reconnu et admis par le monde arthurien (2e rencontre avec la cour d’Arthur, logée en plein champ à la Pentecôte dans une plaine enneigée...), Gauvain, en contrepoint, abandonne peu à peu ses certitudes et ses stéréotypes de conduite durant son voyage vers Escavalon, puis sa quête (inachevée) de la Lance qui saigne. Reste qu’au terme du récit, Perceval n’a pu encore mener à terme sa quête tandis que Gauvain, qui a accepté de se « mettre en aventure », de repartir à zéro en quelque sorte, arrache le Château des Reines (des Belles au Bois Dormant) à un immobilisme mortel, y restaure le cours d’un temps suspendu jusqu’à son arrivée. N.B. je ne crois pas, comme certains critiques à l’échec de Gauvain au terme du récit... Je pense que si ce qui est au centre ultime du Conte du Graal est la confrontation des héros avec le mystère du temps, de la vie qu’il renouvelle (voir la reverdie initiale), qu’il arrache à son figement, à une stérilité toujours menaçante, les deux héros mènent/ devaient mener à bien leur tâche : Perceval : mettre un terme à la menace de la terre « gaste » (dévastée, non fertile) (ne pas oublier qu’il est le fils de la Veuve Dame de la Gaste Forest soutainne, ce qui est un héritage lourd à porter) et réparer son échec au château du Roi Pêcheur, qui doit entraîner, selon la cousine et la Demoiselle Hideuse cette dévastation ; Gauvain, réintroduire le monde arthurien dans le cours normal du temps : les valets deviennent chevaliers, les jeunes filles vont se marier, etc. Tout repart et même le récit (les Continuations)

Quelques approches

<L’Incarnation

Le christianisme, la grille de pensée qui sous-tend l’univers mental des écrivains du Moyen Age, est une religion de l’Incarnation. Le dieu s’est fait homme et ceci implique que la chair/ le monde terrestre, l’expérience sensible etc. sont le mode nécessaire, le passage obligé d’accès au monde spirituel. On pensera dans cette perspective le motif du graal, plat de service dispensant une nourriture abondante (Perceval bâfre au château du R. P et sombre donc dans un lourd sommeil.) mais aussi la nourriture essentielle qu’est l’Eucharistie. A chacun , personnage et lecteur, de choisir son graal, d’en rester à la lettre (le plat de service) ou de s’interroger sur ce dont ces objets font signe. Pourquoi la lance saigne-t-elle ? A qui (à quoi) « sert » le graal...A quel mystérieux savoir de l’origine et de la fin renvoie-t-il ? Le texte de Chrétien, au reste, n’apporte aucune solution. D’où sans doute la raison d’être des Continuations, autant d’élucidations plus ou moins réussies du motif. D’où sans doute la dimension mythique acquise par cet objet textuel qui cristallise pour des siècles l’interrogation sur le mystère de...Au lecteur, à l’écrivain de mettre ce qu’il veut derrière le « de »...la solution « chrétienne » (les mystères de Dieu, le drame de la Passion, le sacrement de l’Eucharistie, etc.) étant évidemment la plus immédiatement disponible, la plus assimilable (cf supra) dans un univers chrétien.

Lecture selon la lettre : le Conte du Graal, un roman d’éducation

.... ou comment un jeune rustre, ignorant tout de la chevalerie (mais l’ayant dans le sang voire dans la peau...) devient un chevalier de grande valeur et doué d’un minimum de courtoisie, sur le modèle de Gauvain.

L’apprentissage se fait en deux temps, d’abord catastrophique lorsque, suivant à la lettre les conseils rudimentaires de sa mère, le héros applique les gestes du monde courtois (prendre un baiser, s’approprier des armes) sans en saisir le sens/l’esprit ; la rencontre avec Gornemant puis avec Blanchefleur invite le héros à dépasser le stade des pulsions primaires, à intérioriser ce qu’est la chevalerie, à éprouver de la pitié pour Blanchefleur, à être capable de « penser » à l’aimée en dehors de sa présence, en s’attardant sur le signe, au reste lourd de sensualité et de violence, des trois gouttes de sang sur la neige, épisode qui précède/introduit le second passage à la cour d’Arthur mais qui signe aussi le moment où le nouveau chevalier « courtois » est livré au risque du désespoir par la malédiction de la Demoiselle Hideuse.

La scène du graal

Cette scène, bien évidemment moment de bascule du récit, fait éclater, aux yeux du lecteur, les limites de cet apprentissage accéléré. Appliquant les conseils qu’on lui a donnés, Perceval se tait, est incapable d’inventer par lui-même une réponse, une réaction à la scène qui se déroule sous yeux, se fige dans un mutisme, une absence de dialogue, qui entre en résonance avec l’immobilisme forcé du R. Pêcheur. Tout pourtant dans le spectacle qui se déroule devant lui incite au questionnement, au jeu des questions réponses puisque lui sont dérobées l’origine des objets (d’où viennent-ils, où vont-ils), leur fonction (à qui sont-ils destinés), la raison d’être de leur assemblage hétéroclite : une lance qui saigne et deux plats de service, le graal et le tailloir (plat à découper la viande). Dans cette scène le merveilleux, l’insolite est donc utilisé comme le point de résistance, l’énigme auquel devrait s’affronter un héros qui démissionne aussitôt (à l’inverse d’Œdipe , bien entendu...). Les raisons invoquées pour l’échec restent obscures : le péché de la mère - p. 220- le péché qu’a commis Perceval en « tuant » sa mère par son départ, ou le péché (lequel ?)qu’aurait commis la mère, engendrant la série de catastrophes qu’elle dévoile à son fils peu avant son départ... ou la non maturité d’un héros qui n’a pas pris encore conscience de sa mission au monde, éradiquer la violence en lui-même et au monde, comme le lui dira l’ermite ?

Un héros qui dit « tot el » (tout autrement)

Comme il est de règle dans les romans de Chrétien, si une première partie s’achève par l’échec du héros, la seconde lui permet de se reprendre, de repartir et de mener à bien son parcours. (ex. : Erec et Yvain essentiellement). Ce schéma chute/rédemption se retrouve dans le Conte du Graal : après son échec, que lui révèle sa cousine en lui changeant immédiatement le nom qu’il vient de se découvrir (Perceval le Galois devenu Perceval le Chaitif, le malheureux) et malgré la malédiction de la Demoiselle hideuse (p. 177), Perceval
1. refuse les aventures chevaleresques classiques que propose la Demoiselle -Gauvain en accepte une, mais ne pourra finalement l’entreprendre (p. 178),
2 « tient un tout autre discours » p. 178 et persévère dans sa quête ; une quête qu’il ne mène pourtant pas à bien dans le récit tel qu’il est. Comme le lui révèle en effet l’ermite, une quête menée selon les normes ordinaires de la chevalerie, entreprendre des aventures aussi difficiles soient-elles mais qui consistent à conquérir des chevaliers et à les envoyer à la cour d’Arthur (et ce durant cinq ans) tout en oubliant Dieu (p. 216 et ss.) n’a pas de sens. Il y a une conversion à faire. Non pas devenir un ermite ou un saint : le chevalier Perceval doit rester un guerrier, c’est sa mission au monde, mais s’humilier devant Dieu (en renonçant au péché d’orgueil, à la quête d’une gloire personnelle) et surtout s’ouvrir, dans la charité, « vertu » qui relie l’homme à Dieu, à la douleur et au malheur de l’autre, du faible, de l’infortuné(e) p. 220-221. Sans doute Chrétien propose -t-il dans ce dernier roman une autre mission à la chevalerie, mission que développera aussi au XIIIe siècle le Lancelot en prose, et qui consiste essentiellement à éradiquer les formes de violence dans un monde arthurien présenté comme le double du monde réel. D’une certaine manière, mais sur un mode plus ambigu, plus ludique parfois (le tournoi et la demoiselle aux manches étroites) Gauvain remplit dans la fin du texte la même mission - mais sans qu’aucune instance religieuse n’apparaisse- en traitant avec compassion tous ceux et celle (l’Orgueilleuse de Logres - la Maligne Demoiselle) qui s’acharnent contre lui ou qui lui demandent aide et protection et en tentant l’aventure périlleuse du Lit de la Merveille, brisant ainsi les enchantements du château des Reines.

Toute la violence du monde

Comme le western classique, le roman arthurien dans son ensemble peut se lire comme la tentative toujours recommencée pour éradiquer toutes les formes de violence, c’est la mission spécifique du chevalier, et imposer un nouvel idéal de civilisation, de vie en société que désigne globalement le terme très large de courtoisie. L’originalité du Conte du Graal est de montrer comment un jeune homme pétri de violence (et déjà dans son langage peu châtié) et qui commence par des actes de violence (le « viol » de la demoiselle de la tente, l’assassinat du Chevalier Vermeil) prend peu à peu conscience du mal qu’il a fait et emploie sa force en de plus justes combats (épisode Blanchefleur), mais sans vraiment pouvoir remonter jusqu’aux causes premières de cette violence, que symbolise peut-être en texte la lance qui saigne. Ou, plus gravement peut-être, en refusant durablement de s’interroger sur ses origines : à la différence de Gauvain, qui cherche à démonter les mécanismes de la violence (avec l’Orgueilleuse de Logres, surtout), à réparer le tort causé à Gréoréas, Perceval n’entend pas le discours de sa mère, son rappel de la blessure (de l’impotence) du père et de la mort insolite de ses frères (p. 47-49) ; il n’entend pas le discours du charbonnier et les menaces qui pèsent sur Arthur ; il n’entend pas « l’appel » du Roi Pêcheur et ne participe nullement à sa souffrance, ni à celle de sa cousine berçant le cadavre de son ami ; il ne pleure pas sa mère, lorsqu’il apprend sa mort. Ce n’est que par fragments qu’il s’ouvrira à cette charité qu’exalte le prologue, en prenant pitié de Blanchefleur et de la demoiselle à la tente, en réparant, mais de façon somme toute facile, les torts qu’il a commis (comme Gauvain avec Gréoréas). Reste la violence ancienne...et les crimes commis entre la mort d’Uter et l’avènement d’Arthur, qu’évoque la mère, et qui ont peut-être également provoqué l’insolite départ de la reine Ygerne pour ce château si bien protégé, hors du monde et hors du temps. Mais jamais ce « désastre obscur » n’est élucidé dans le texte de Chrétien

Le chevalier et le roi

Dans les précédents romans de Chrétien, le chevalier reste dans l’orbite d’Arthur et de sa cour. Dans le Conte du Graal en revanche, Perceval est élevé hors du monde arthurien, il n’est pas adoubé par Arthur, mais par Gornemant, et sa carrière s’achevait sans doute en dehors de ce monde. Au reste, l’élu du Graal, Perceval ou plus tard Galaad, ne fait jamais que traverser le monde arthurien. Sa destinée s’achève ailleurs... Est-ce une manière de jeter un certain discrédit sur un roi, sur un monde, qui n’a plus rien de neuf à proposer aux « jeunes », sur une forme épuisée d’écriture romanesque ? Pourtant rien n’est jamais simple chez Chrétien : obligé par le mystérieux roi d’Escavalon de partir en quête de la lance qui saigne dont on apprend tout à coup qu’elle doit détruire le royaume de Logres, Gauvain, finalement, renoue avec Arthur et sa cour. Pour certains critiques, cette ultime phase du récit signifierait la mise à mort du monde arthurien, attiré par Gauvain dans l’au-delà du Château des reines (qu’il a cependant revivifié). Qui plus est, l’auteur ou les auteurs de la Première Continuation en ont décidé autrement (ont fait une autre lecture) et recommencé autour de Gauvain et en intégrant plutôt mal que bien le motif du graal le jeu encore ouvert des aventures arthuriennes. Dans les autres Continuations, Perceval reprend sa quête et l’achève, sans que meure pour autant le monde arthurien, qui survivra à l’achèvement de la Quête du Graal, mais s’effondre, miné par la haine, la jalousie, les luttes de clan, dans le récit intitulé « La mort du roi Arthur ».

Le Graal, un mythe ?

Dans les Continuations en vers, le Graal et sa quête sont essentiellement des motifs qui permettent d’alimenter le récit et de le structurer. Conter l’histoire du Graal, sa « naissance », son transfert, sa quête et sa conquête donne au récit une structure qui se déploie dans le temps chronique. Mais pour éviter un trop rapide achèvement du récit (retour de Perceval chez le R.P.), les auteurs ont été amenés à multiplier les aventures, les errances de Perceval (et d’autres chevaliers) sur la voie de la quête. A mon avis, le Graal ne se constitue en mythe qu’à partir du texte en prose nommé La queste du saint Graal, qui fait partie intégrante du Lancelot-Graal, et dans laquelle l’élu devient Galaad, fils bâtard de Lancelot et de la fille du Roi Pêcheur. Dans ce texte très complexe et très moralisant, le Graal devient à la fois un moyen de représenter les grands mystères de la foi chrétienne, qui se « montrent » aux élus : 1 Galaad, 2 Perceval, 3 Bohort (cousin de Lancelot) et n’apparaissent que de manière incomplète aux chevaliers de moindre mérite (Lancelot, amant adultère de Guenièvre) et un motif qui permet de penser une quête du savoir ultime, celui du commencement, de l’origine de la vie (savoir qui, au XIIIe s., ne peut bien entendu s’articuler qu’en Dieu. On notera cependant que ce mythe est un mythe de classe, réservé à la classe chevaleresque qui, outre sa fonction guerrière accède ainsi, du moins l’unique élu, au dernier degré de la connaissance. Mais l’élu meurt en constatant que la vision du mystère est indicible...

Une très bonne lecture complémentaire serait bien entendu le Parzifal de Wolfram, texte du début du XIIIe s. dont s’est inspiré Wagner, qui a relancé le mythe au XIXe s. Voir aussi le Roi Pêcheur de Julien Gracq et sa très belle préface sur le Moyen Age comme lieu de création mythique, de création de « mythes ouverts », qui aident l’homme à s’accomplir au lieu de l’écraser comme le font les mythes antiques.

Eléments de bibliographie

Traduction de référence

 Perceval ou le Conte du Graal (lecture accompagnée par Didier Lechat) La bibliothèque Gallimard, 2003. (Ici utilisée et qui nous semble proposer un parcours clair, mesuré et fort bien documenté du texte, à partir de l’excellente traduction de Daniel Poirion)

Choix (très restreint) d’études

(il en existe dans toutes les traductions proposées... )

 E. Baumgartner, Le Conte du Graal, PUF, coll. Etudes littéraires, 1999
 F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale. L’autre, l’ailleurs et l’autrefois, Champion, 1979 (important et pour le Conte du Graal et pour le motif du graal en général)
 Jean Frappier, Chrétien de Troyes et le mythe du Graal (étude fondatrice), 2e éd. SEDES 1979 (1972)
 Paule Le Rider : Le chevalier dans le Conte du Graal, SEDES 1978
 Michelle Szkilnik, Perceval ou le Roman du Graal de Chrétien de Troyes, Gallimard, Foliothèque, 1998.
 Autour du Graal, Droz 1977 (très important recueil d’articles sur l’ensemble des textes du Graal)
 Le Conte du Graal ou l’art de faire signe, Champion, 1998.

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