Le Grand Robert électronique en salle informatique réseau

, par JULIEN Jacques, Collège Guy-Moquet, Gennevilliers

Conditions matérielles de l’expérimentation :

Il s’agit ici d’une utilisation de la version réseau du Robert Electronique : le CD-ROM est installé dans un lecteur externe connecté directement au serveur, et dessert les 15 stations de travail de la salle informatique, ce qui permet un travail à 2 élèves par poste. Le Robert est monté automatiquement au lancement du serveur, et il est accessible par un menu du réseau, qui se trouve être un réseau Novell 3.11.

Le présent article fait le point sur une expérimentation d’une année, en classe de 5e et 3e en français, en classe de 4e et 3e en latin. Le collège fait partie d’une ZEP, et est donc représentatif d’une réalité pédagogique plutôt difficile, en particulier quant aux capacités de lecture des élèves ou à leur expérience de l’ordinateur. J’avais accès à la salle informatique 2 heures par semaine et par classe en moyenne.

Objectif :

La brochure L’Informatique au service de l’enseignement des Lettres publiée par le Ministère en 1991 - et l’article de Chantal Bertagna (Le Grand Robert électronique en vidéoprojection) ici même - fait état des multiples utilisations pédagogiques du Robert Electronique en monoposte : découverte de la structure même du dictionnaire, études des familles de mots, et particulièrement travail sur les suffixes, travail sur l’orthographe ou la conjugaison, préparation d’un devoir d’argumentation, aide à la compréhension des textes... Les potentialités sont énormes : non seulement un gain de rapidité, mais des recherches impossibles sur dictionnaire classique, grâce à la fonction joker, qui permet par exemple d’afficher instantanément tous les mots comportant un même suffixe - ou grâce à la recherche de citations par thèmes, qui transforme ce dictionnaire de langue en mine encyclopédique.

Mais une limite apparaît : le professeur prépare soigneusement un parcours du dictionnaire à travers lequel, même si de temps en temps il « fait appel à un élève volontaire » ou fait semblant de « découvrir en même temps que ses élèves » quelque merveille dans le fonctionnement de la langue, il apparaît d’une certaine manière comme un magicien, fascinant ses spectateurs par sa dextérité à faire apparaître sur l’écran de rétroprojection le lapin qu’il veut bien ainsi exhiber : la technologie, valorisante sans doute pour le professeur manipulateur, garde son caractère intimidant, et l’élève assiste, avec l’idée d’imiter ou d’aller plus loin encore pour les meilleurs d’entre eux, mais il est prévisible que les élèves en échec - situation souvent majoritaire en Z.E.P. - se comporteront devant l’écran de l’écran de rétroprojection de la même manière, passive, distraite, voire bruyante que devant un tableau, même si la nouveauté du spectacle fait momentanément diversion.

Ce qui semble intéressant dans une utilisation en réseau est de réintroduire, devant un instrument beaucoup plus riche et ouvert qu’un logiciel moyen, les aspects positifs déjà connus de l’informatique : activité manuelle, confrontation sans honte à l’essai et à l’erreur, trajet individuel de recherche et de mise en forme.

A travers quelques exemples, je voudrais essayer d’évaluer dans quelle mesure ces objectifs ont pu être atteints, et quelles surprises l’expérience a ménagées à l’expérimentateur autant qu’aux usagers.

Prise en mains et évolution :

Le maniement du logiciel ne pose pas de problème majeur aux élèves. Au bout de la deuxième heure d’utilisation, il n’y a plus de dysfonctionnement grave : les erreurs portant sur la place du caractère joker, ou le fait d’appuyer sur Entrée au lieu de F2 dans le cas de recherches globales - utilisant précisément le caractère joker - sur tel ou tel préfixe ou suffixe, ne font perdre que quelques secondes. Seule la recherche de citations par thème, avec la confusion fréquente de Référence (thème dans le titre de l’oeuvre) et Citation (thème dans le texte de la citation) occasionne quelques impatiences ou découragements.

Activité :

Le premier effet de la version réseau est de permettre une manipulation continue, et de relancer l’enthousiasme chez tous les types d’élèves, en particulier pour la partie vocabulaire et formation des mots du programme de grammaire. La révision des questions de vocabulaire du Brevet des Collèges, ordinairement laborieuse en ce qu’elle arrive à une période de l’année où les élèves n’ont plus envie de passer plusieurs minutes à manoeuvrer des dictionnaires chez eux ni en classe, s’en est trouvée changée. Chaque élève peut ainsi avoir le Robert en

mode résident (cf. article de Chantal Bertagna) derrière un traitement de texte où ont été entrés le texte et les questions d’une épreuve de brevet : quand le curseur du traitement de texte est placé sur un mot, le Robert se place automatiquement sur ce mot, avant même que l’élève ne décide d’interroger le CD-ROM. 

La recherche d’une famille de mots, surtout quand le radical comporte des allomorphes, peut être l’occasion d’une saine émulation, pourvu que l’on corrige l’ivresse de la vitesse et de l’accumulation quantitative par l’exigence d’une présentation claire sur papier, et l’éclaircissement des mots ainsi appris.

Les quelques effets pervers de la vitesse (exploration furtive de champs sémantiques « interdits ») et les dérives y afférentes (on exhibe plus qu’on n’explore, on oublie la langue pour la réalité extralinguistique) trouvent aisément leur limite pour autant qu’on fixe un travail minimum à rendre au cours de l’heure.

Lire :

L’avantage déjà connu du Robert Electronique sur sa version papier est de permettre à l’élève d’accéder au contenu abrégé de l’article avant de plonger dans les détails : il n’ y a plus ce découragement devant plusieurs colonnes compactes à déchiffrer linéairement avant de découvrir le « sens du texte ». L’opposition de couleur entre le bleu de base et le rouge du détail ou de l’étymologie favorise la lisibilité, de même que l’utilisation de plusieurs niveaux de brillance des caractères.

Le seul problème pour les mauvais lecteurs est de sélectionner l’information, et en particulier dans les encadrés étymologiques, où il y a une forte densité d’abrévations. La lecture par élimination de sens n’est possible que pour des élèves ayant au moins quelques repères sur l’histoire littéraire et sur l’histoire de la langue. J’ai dû souvent guider des élèves en perdition, attribuant à un texte de Molière un sens attesté à partir de 1750.

Sélectionner l’information :

« M’sieur, on écrit tout ? » est une question qui revient souvent, et qui d’ailleurs ne viendrait guère à l’idée des élèves face à une page de livre imprimée : l’écran dissimule l’immensité de la tâche. L’exigence de sélection, d’autant plus nécessaire que le Grand Robert n’est pas adapté particulièrement au niveau collège, a eu des incidences tout à fait positives sur la prise de notes et la clarté de la disposition sur la page, tant il est vrai que l’écran offre à l’élève un modèle de présentation qu’il a du mal à répérer dans la page imprimée.

La vitesse peut cependant précipiter l’élève dans l’erreur d’autant plus sûrement qu’il croit que la vérité lui est ainsi servie chaude : une recherche sur le suffixe de noms d’action en -ure a pu ainsi dériver chez tel ou tel vers le suffixe chimique. Mais le passage régulier du professeur derrière les écrans peut corriger immédiatement ce type de dérive.

Mettre en forme :

On peut théoriquement, par le biais du Presse-Papier de Windows, ou par la fonction Copie disponible dans Recherche de citations par thème, exporter des blocs du Robert dans un traitement de texte. Mais cela prend beaucoup de temps. La version Windows qui vient de sortir permettra une exploitation beaucoup plus rapide. Avec la version DOS, nous nous sommes en général contenté d’une Impression Ecran occasionnellement, d’un compte rendu papier le plus souvent, car c’est le seul test qui permet de vérifier l’intégration de l’information, le tri « intelligent » et les capacités de reformulation de l’élève. C’est aussi une manière de passer du travail en binôme à une assimilation individuelle.

Le transfert d’informations de l’écran au papier semble en tout cas galvaniser les élèves, même les plus rétifs, résultat qu’on était loin d’obtenir au-delà du deuxième trimestre dans le cas d’un transfert du livre imprimé à la feuille de copie. Mystère sans doute selon lequel l’élève moyen de 1994 considère comme monotone et solitaire le mouvement de gauche à droite sur l’horizontalité de la table, et stimulant ou convivial la plongée, avec un compagnon de misère à ses côtés, de l’écran à la page !

Feed-back et enrichissement :

L’un des intérêts de l’exploitation en réseau est que les élèves sont mis en concurrence, et que le professeur est amené à découvrir non seulement, en passant derrière les écrans, diverses manières de procéder trahissant le fonctionnement mental de l’élève, ce qui est l’aubaine pédagogique de toute classe en salle informatique, mais à apprendre aussi, sans mauvaise foi ! - en même temps que l’élève : ainsi, les élèves devaient essayer de dire si le suffixe -ard en français avait toujours une valeur péjorative ; la consigne était de classer ces mots en trois colonnes : franchement péjoratif, plutôt positif, et non marqué, le professeur ayant en vue de faire découvrir à l’élève que « flemmard », « débrouillard » et « briard » n’avaient pas la même valeur. Une quatrième colonne était prévue pour accueillir les mots où -ard n’était pas un véritable suffixe s’ajoutant à un radical identifiable. C’est le hasard des vérifications faites par les élèves qui a fait surgir que « canard » vient d’un ancien verbe français « caner » désignant un bruit désagréable. C’est aussi l’exhaustivité de la recherche qui a permis de raffiner la première colonne en deux : radical non péjoratif + -ard qui rend le mot péjoratif vs. radical déjà péjoratif + -ard qui le renforce (ex : « revanchard » vs. « trouillard »). Impréparation du professeur censé tout prévoir/ tout savoir, ou apprentissage de la modestie qui sied à toute recherche ?

Exercices nouveaux :

Il y a par ailleurs des types d’exercices qu’on peut faire sur plusieurs écrans ou deux écrans contigus, qu’on ne pourrait pas faire sur monoposte : les élèves avaient à faire une hypothèse sur la répartition entre le sens du suffixe -age et celui du suffixe nominal -ment quand les deux dérivés existent pour le même verbe : seul l’affichage simultané de la liste des mots en -ment et de celle des mots en -age (ou du moins d’une sélection, car ils sont trop nombreux), et leur défilement alphabétique écran par écran, permet d’obtenir rapidement les couples en question. voir annexe 1 consacrée au travail sur les suffixes -AGE et -MENT en français

Des recherches différentes peuvent également être lancées en même temps, dans le cadre d’un travail de préparation d’exposés par groupes : à titre d’exemple :

 recherches communes sur l’Ecosse dans le cadre de la préparation d’un voyage : il est possible de demander aux élèves par exemple de trouver en quelques minutes les mots écossais passés en français : l’article « écossais » donne « loch », « laird », « clan », « kilt », « tartan », « pibrock », qui peuvent être explorés par des élèves différents, ou bien on peut imaginer un travail de synthèse en concurrence. On peut aussi faire travailler un groupe sur une recherche de citations à partir du thème « Ecosse », ou même poser des questions très variées de type encyclopédique sur l’Ecosse à condition d’en avoir vérifié au préalable la « faisabilité » voir annexe 2 consacrée à l’utilisation du Robert pour une recherche de civilisation.

 En lecture suivie, on peut préparer très rapidement le vocabulaire d’une scène, ou même d’un chapitre. En partageant par exemple le travail en plusieurs groupes : ainsi, dans le cadre d’un travail en commun sur Alcools, les uns travaillaient sur le vocabulaire de Rhénanes, tandis que d’autres travaillaient sur la Chanson du Mal-Aimé, sur Zone ou Vendémiaire, avec une confrontation finale sur les registres de langue, et les raisons de la difficulté du vocabulaire...

 On peut même corriger une dictée et enchaîner sur des questions type Brevet des collèges voir annexe 3 consacrée à l’utilisation du Grand Robert pour une correction de dictée

Autonomie et esprit de recherche :

L’usage du Robert Electronique favorise non seulement l’initiative (par exemple à travers des jeux : pour trouver, dans le cadre d’une étude des numéraux en latin, le mot qui désigne « le fait de naître en premier » (primogéniture), on peut y accéder par les synonymes d’aînesse ou par l’affichage de la liste des mots commençant par prim- ), les capacités analytiques (lire un long article en descendant les paliers, de l’abrégé jusqu’aux citations, ou bien trier, parmi des citations comportant par exemple comme, si ou quand, les divers sens circonstanciels), mais aussi l’esprit de synthèse : on peut demander à des élèves de dire si l’image de Charlemagne voir annexe 4 consacrée à l’utilisation du Grand Robert pour une recherche sur Charlemagne, de César, ou de Napoléon qui se dessine à travers les citations est plutôt positive ou négative ; ou bien, reconstituer un savoir, même parcellaire, sur un personnage moins représenté : nous l’avons fait pour Caton, Catilina et Cincinnatus.

Pour un travail sur les familles de mots, on peut réduire peu à peu les consignes à partir du moment où les élèves sont suffisamment conscients de la prévisibilité de certains suffixes : ainsi, les 5eme, dans le cadre de l’initiation au latin, ont été invités à chercher la famille bâtie sur le radical de rogare : demander : à partir du moment où ils ont eu une idée des préfixes possibles à partir de la recherche par joker *roger proposée par le professeur, il leur a été facile, en connaissant le suffixe -ation, -able, -ateur, -atrice, -atif, ative, sinon -ence, d’obtenir la quasi-totalité des mots de la famille. Une vérification dans l’autre sens à partir de roga* leur a permis de ramasser les rogatons qui pouvaient subsister. Une recherche analogue a été menée à partir de radicaux de formes très variées, comme caput, capit, ciput, cipit, chef, chap, chep : l’esprit d’hypothèse y est d’autant plus stimulé. La gradation des exercices, en réduisant peu à peu les consignes, est en tout cas facile à faire.

Conclusions provisoires :

Quelques éléments de critique :

Le logiciel est très fiable, et ne « plante »que rarement, pour des raisons matérielles.

 a) problèmes matériels :

Il arrive parfois que le logiciel se bloque quand trop d’informations circulent à la fois sur le réseau : si les 15 postes utilisent à la fois la recherche de citations par thème, un message « Erreur Fatale » vient occasionnellement s’afficher. Il suffit alors de relancer le logiciel sur le poste en question.

De façon plus grave, il arrive qu’en mode résident, l’écran se bloque, à la suite de consultations répétées, ou d’une manipulation un peu brutale du clavier. On ne peut pas sortir « proprement » du réseau. Il faut alors réinitialiser purement et simplement l’appareil, se reconnecter en réseau, et relancer le logiciel.

 b) problèmes logiciels : deux défauts du logiciel apparaissent au bout d’un moment :

  • l’un concerne la version monoposte comme la version réseau : le logiciel ne garde pas trace des opérations précédentes : on ne peut pas ainsi, si l’on a appelé grâce au Joker, la liste de tous les mots terminés par le suffixe -ition, revenir à la liste après être allé vérifier le sens de l’un des mots de la liste.
  • l’autre concerne la version réseau : le fichier theme.txt, qui permet de copier des citations, est protégé sur la version réseau : il ne peut être utilisé que par un poste à la fois. Le travail des autres postes est bloqué tant que l’utilisateur n’est pas sorti du logiciel pour renommer son fichier. Sécurité appréciable, mais lourdeur. On pourrait suggérer à l’éditeur de prévoir une possibilité de sauvegarde sur chaque station de travail.

Le Robert Electronique est cependant, et bien évidemment un outil d’une extrême richesse qui peut être utilisé dès le collège, fût-ce dans des conditions difficiles d’enseignement. L’utilisation en réseau permet à l’élève de construire ses trajets pour explorer la structure de la langue. Pour l’instant, les seuls effets négatifs contre lesquels il faut lutter sont la précipitation et la superficialité, l’élève ayant tendance à imiter la vitesse de la machine.

Je me suis rendu compte à la longue, une fois passé l’effet de découverte, et aussi en passant d’une classe moyenne à une classe d’élèves en grande difficulté, que l’autonomie pouvait avoir des effets pervers : stagnation et bavardage de certains binômes dès que cesse la contrainte de production, mais surtout habitude - surtout chez les filles-fâchées-avec-la-technologie - de confondre aide technique et aide intellectuelle, et d’utiliser la relative disponibilité de l’enseignant pour éviter de faire soi-même les tris et les choix. Tout ce qui vient de la machine ne saurait être décidé que par le mécanicien. La dépendance est alors accrue, contrairement au but escompté.

Il faut aussi prendre garde à ce que l’élève n’identifie pas le dictionnaire - surtout s’il a le prestige de la technologie nouvelle, à la vérité sortant du puits : l’absence de la « maclotte » d’Apollinaire, ou du mot « interrogeable », que les élèves de l’ère du répondeur téléphonique s’attendaient à trouver, a suffi à en souligner pédagogiquement les limites.

Pour le reste, l’effet de lassitude que je prévoyais n’est pas advenu à ce jour, sauf à des moments où la curiosité linguistique est en question, et où le départ se fait entre élèves actifs et passifs. Le Robert Electronique est devenu presque « naturel ». Quand on rencontre un mot en lecture suivie, il ne faut pas pousser beaucoup tel élève remuant à aller en quelques secondes éclairer ses camarades, ce qui ralentirait considérablement la classe avec le grand ou même le petit Robert version papier. Et les mânes de Paul Robert comme le professeur de base sourient sans nul doute d’entendre des élèves entrant en classe et interrogeant : « M’sieur, on va sur le Robert aujourd’hui ? »

Bibliographie

 MARBEAU , V. et HATT, T. 1992. Passé, présent et futur des technologies nouvelles en éducation, de la maternelle au lycée et en formation, CRDP Poitiers.

 L’informatique au service de l’enseignement des Lettres, l’ordinateur dans la salle de classe, 1991, Ministère de l’Education Nationale.

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