Je veux dans un tableau la Nature pourtraire,
J’y peindrai la Fortune et le change ordinaire
De tout ce qui se voit sous la voûte des cieux,
L’Amour y sera peint d’une forme nouvelle,
Non comme de coutume avec une double aile,
Je lui en donne autant comme Argus avait d’yeux.
L’on y verra la mer et les ondes émues,
L’art avec ses éclairs, son tonnerre et ses nues,
Le feu prompt et léger vers le ciel aspirant,
Girouettes, moulins, oiseaux de tous plumages,
Papillons, cerfs, dauphins, et des conins sauvages
Qui perdent de leurs trous la mémoire en courant.
Des fantômes, des vents, des songes, des chimères,
Sablons toujours mouvants, tourbillons et poussières
Des pailles, des rameaux, et des feuilles des bois,
Et si je le pouvais, j’y peindrais ma pensée,
Mais elle est trop soudain de mon esprit passée,
Car je ne pense plus à ce que je pensais.
Je veux qu’en ce tableau soit ma place arrêtée,
Auprès de moi tirés Achelois et Prothée,
Faisant comme semblant de me céder la leur,
Et lors si de mon cœur apparaît la figure,
C’est trop peu de couleurs de toute la peinture,
A peindre sa couleur qui n’a point de couleur.
Si c’est un astre d’or qui me fait variable,
J’aime de ses regards l’influence agréable,
Et ne m’aimerais pas si j’étais autrement ;
Mon esprit est léger, car ce n’est rien que flamme,
Et si pour tout le monde il n’est qu’une seule âme,
L’Ame de tout le monde est le seul mouvement.
Aussi n’est-ce que fable et que vaine parole
De dire qu’il y ait je ne sais quel Æole
Qui enferme le vent et lui donne la loi ;
Si dedans quelque lieu un tel esprit s’arrête,
Ce n’est point autre part sinon que dans ma tête,
Et les dieux n’ont point fait d’autre Æole que moi.