Littérature et peinture : Jardins naturalistes / Jardins impressionnistes. Les modules de la séquence

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

Présentation

Un approfondissement de la séquence

Les activités menées pendant la séquence « Jardins naturalistes de Zola : descriptions et registres » peuvent être complétées par différents travaux de modules.

Liés à la thématique, mais aussi à la problématique de la séquence, ces modules peuvent être intégrés à la progression des apprentissages.

L’objectif pédagogique est d’amener les élèves à intégrer, par la pratique, la démarche de l’écriture zolienne : recherche documentaire dans un premier temps, mais aussi effort pour transposer dans l’écriture les spécificités de la peinture impressionniste.

Voir la séquence

Démarche pédagogique

Mis à part le premier, les modules suggérés ici prennent appui sur le cédérom « Le Musée imaginaire d’Emile Zola ». La richesse, tant iconographique que textuelle, de ce cédérom en fait un outil pédagogique essentiel pour le professeur. La plupart des tableaux impressionnistes étudiés dans cette séquence en sont issus.

Tout au long de la séquence, les élèves ont pu visionner des séquences du cédérom dans une perspective d’analyse textuelle : découvrir et comprendre l’écriture naturaliste de Zola grâce à la comparaison avec les tableaux impressionnistes, ce que le cédérom permet de façon remarquable.

Les questionnaires qui structurent chaque module sont construits autour de l’exploitation pédagogique du cédérom « Le Musée imaginaire d’Emile Zola » et permettent de guider l’élève, de l’analyse à l’écriture.

Au cours des modules, le « Musée imaginaire d’Emile Zola » sera utilisé dans une perspective d’écriture d’invention. Comme lors de la séquence, le cédérom sera exploité en plusieurs temps :
 - Projection du tableau souhaité grâce au cédérom « Le Musée imaginaire d’Emile Zola »
 Questions et dialogue avec les élèves pour mener l’analyse de ces tableaux et les confronter aux textes de Zola
 Vidéoprojection des séquences d’analyse des tableaux. Dans ces séquences, le tableau est commenté et comparé à des extraits de Zola.
 Réinvestissement des acquis dans plusieurs écritures d’invention.

Les références du cédérom : http://www.cadmos.fr/

Module 1. Du texte historique et de l’enquête au roman naturaliste

Objectifs

Permettre aux élèves de réinvestir leurs acquis sur le naturalisme et l’épique à travers l’écriture.

Supports

Un document historique issu du manuel d’histoire, semblable à ceux que Zola collecte dans ses travaux préparatoires.

Activités

Ecriture d’invention

Sujet : Au cours d’une enquête préalable à la rédaction d’un texte à la manière de Zola, vous découvrez ce texte historique. Transformez-le en récit naturaliste.

Consignes : Vous devrez vous inspirer du texte historique pour que votre texte s’appuie sur le réel, mais vous devrez introduire dans votre rédaction tous les éléments propres au récit romanesque : narrateur, point de vue, registres, etc.

Eventuellement : Renforcer ces jeux d’écriture tout en approfondissant les connaissances des mouvements littéraires du XIXème siècle : A la manière de Victor Hugo, adaptez ce texte historique en récit romanesque appartenant au mouvement romantique, puis réécrivez-le à la manière de Zola en en faisant un récit naturaliste.

Module 2. Comment la dramatisation de certaines scènes romanesques peut passer par des allusions à des tableaux

Objectifs

Approfondir la connaissance des liens entre texte et image : l’image peut être source d’un écrit tout comme l’écrit peut inspirer l’élaboration d’une image.

Supports

Textes romanesques de Zola et tableaux de Goya et Manet

Activités

I. Réécriture et transposition de tableaux dans l’écriture romanesque

Zola, La Fortune des Rougon (1871)

Après la mort de son amie Miette, Silvère est emmené à l’écart pour être exécuté.

L’aire s’étendait, désolée, sous le ciel jaune. La clarté des nuages cuivrés traînait en reflets louches. Jamais le champ nu, le chantier où les poutres dormaient, comme roidies par le froid, n’avait eu les mélancolies d’un crépuscule si lent, si navré. Au bord de la route, les prisonniers, les soldats, la foule disparaissaient dans le noir des arbres. Seuls le terrain, les madriers, les tas de planches pâlissaient dans les clartés mourantes, avec des teintes limoneuses, un aspect vague de torrent desséché. Les tréteaux des scieurs de long, profilant dans un coin leur charpente maigre, ébauchaient des angles de potence, des montants de guillotine. Et il n’y avait de vivant que trois bohémiens montrant leurs têtes effarées à la porte de leur voiture, un vieux et une vieille, et une grande fille aux cheveux crépus, dont les yeux luisaient comme des yeux de loups.
[...]
« A ton aise, ricana le borgne ; va, choisis ta place. »
Silvère fit encore quelques pas. Il approchait du fond de l’allée, il n’apercevait plus qu’une bande de ciel où se mourait le jour couleur de rouille. [...]
Mais le borgne s’impatientait ; il poussa Mourgue, qui se faisait traîner, il gronda :
« Allez donc, je ne veux pas coucher ici. »
Silvère trébucha. Il regarda à ses pieds. Un fragment de crâne blanchissait dans l’herbe. Il crut entendre l’allée étroite s’emplir de voix. Les morts l’appelaient, les vieux morts, dont les haleines chaudes, pendant les soirées de juillet, les troublaient si étrangement, lui et son amoureuse. Il reconnaissait bien leurs murmures discrets. Ils étaient joyeux, ils lui disaient de venir, ils promettaient de lui rendre Miette dans la terre, dans une retraite encore plus cachée que ce bout de sentier. Le cimetière qui avait soufflé au cœur des enfants, par des odeurs grasses, par sa végétation noire, les âpres désirs, étalant avec complaisance son lit d’herbes folles, sans pouvoir les jeter aux bras l’un de l’autre, rêvait, à cette heure, de boire le sang chaud de Silvère. Depuis deux étés, il attendait les jeunes époux.
« Est-ce là ? » demanda le borgne.
[...]
Le borgne arma ses pistolets.
Mourir, mourir, cette pensée ravissait Silvère. [...] Cependant Mourgue avait vu les pistolets. Jusque-là, il s’était laissé traîner stupidement. Mais l’épouvante le saisit. Il répéta d’une voix éperdue :
« Je suis de Poujols, je suis de Poujols ! »
Il se jeta à terre, il se vautra aux pieds du gendarme, suppliant, s’imaginant sans doute qu’on le prenait pour un autre.
« Qu’est-ce que ça me fait que tu sois de Poujols ? » murmura Rengade.
Et comme le misérable, grelottant, pleurant de terreur, ne comprenant pas pourquoi il allait mourir, tendait ses mains tremblantes, ses pauvres mains de travailleur déformées et durcies, en disant dans son patois qu’il n’avait rien fait, qu’il fallait lui pardonner, le borgne s’impatienta de ne pouvoir lui appliquer la gueule du pistolet sur la tempe, tant il remuait.
« Te tairas-tu ? » cria-t-il.
Alors Mourgue, fou d’épouvante, ne voulant pas mourir, se mit à pousser des hurlements de bête, de cochon qu’on égorge.
« Te tairas-tu, gredin ! » répéta le gendarme.
Et il lui cassa la tête. Le paysan roula comme une masse. Son cadavre alla rebondir au pied d’un tas de planches, où il resta plié sur lui-même. La violence de la secousse avait rompu la corde qui l’attachait à son compagnon. Silvère tomba à genoux devant la pierre tombale.
Rengade avait mis un raffinement de vengeance à tuer Mourgue le premier. Il jouait avec son second pistolet, il le levait lentement, goûtant l’agonie de Silvère. Celui-ci, tranquille, le regarda. La vue du borgne, dont l’œil farouche le brûlait, lui causa un malaise. Il détourna le regard, ayant peur de mourir lâchement, s’il continuait à voir cet homme frissonnant de fièvre, avec son bandeau maculé et sa moustache saignante. Mais comme il levait les yeux, il aperçut la tête de Justin au ras du mur, à l’endroit où Miette sautait.
Justin se trouvait à la porte de Rome, dans la foule, lorsque le gendarme avait emmené les deux prisonniers. Il s’était mis à courir à toutes jambes, faisant le tour par le Jas-Meiffren, ne voulant pas manquer le spectacle de l’exécution. La pensée que, seul des vauriens du faubourg, il verrait le drame à l’aise, comme du haut d’un balcon, lui donnait une telle hâte, qu’il tomba à deux reprises. Malgré sa course folle, il arriva trop tard pour le premier coup de pistolet. Désespéré, il grimpa sur le mûrier. En voyant que Silvère restait, il eut un sourire. Les soldats lui avaient appris la mort de sa cousine, l’assassinat du charron achevait de le mettre en joie. Il attendit le coup de feu avec cette volupté qu’il prenait à la souffrance des autres, mais décuplée par l’horreur de la scène, mêlée d’une épouvante exquise.
Silvère, en reconnaissant cette tête, seule au ras du mur, cet immonde galopin, la face blême et ravie, les cheveux légèrement dressés sur le front, éprouva une rage sourde, un besoin de vivre. Ce fut la dernière révolte de son sang, une rébellion d’une seconde. Il retomba à genoux, il regarda devant lui. Dans le crépuscule mélancolique, une vision suprême passa. Au bout de l’allée, à l’entrée de l’impasse Saint-Mittre, il crut apercevoir tante Dide, debout, blanche et roide comme une sainte de pierre, qui de loin voyait son agonie.
A ce moment, il sentit sur sa tempe le froid du pistolet. La tête blafarde de Justin riait. Silvère, fermant les yeux, entendit les vieux morts l’appeler furieusement. Dans le noir, il ne voyait plus que Miette, sous les arbres, couverte du drapeau, les yeux en l’air. Puis le borgne tira, et ce fut tout ; le crâne de l’enfant éclata comme une grenade mûre ; sa face retomba sur le bloc, les lèvres collées à l’endroit usé par les pieds de Miette, à cette place tiède où l’amoureuse avait laissé un peu de son corps.

Francisco de Goya y Lucientes, Tres de Mayo, 1814

Francisco de Goya y Lucientes, Tres de Mayo, 1814

Manet, L’Exécution de Maximilien, 1867

Manet, L’Exécution de Maximilien, 1867

Questions :
Lisez le texte de Zola, observez les deux tableaux et répondez aux questions suivantes :
1) Relevez dans le texte de Zola les détails qui évoquent les couleurs et l’atmosphère du tableau de Goya.
2) Analysez l’attitude et les gestes du paysan Mourgue au moment de mourir et comparez-les au personnage central du tableau de Goya. Que pouvez-vous en déduire.
3) Analysez la mise en scène du tableau de Manet, tant au premier qu’au second plan, et comparez-la au texte de Zola. Que remarquez-vous ?
4) Analysez les moyens par lesquels Zola dramatise cette scène cruciale qui clôt le roman. Quels atouts présentent les tableaux transposés par Zola en ce qui concerne l’efficacité de la scène ?

Interprétation :
Zola emprunte au tableau de Goya son motif, ses couleurs (sombres, ocres) et son éclairage blafard. L’attitude de Mourgue, les mains levées, évoque également le personnage central du tableau tandis que ses cris et ses larmes font référence à l’attitude des autres condamnés du 3 mai. On peut voir dans le choix du cimetière une transposition du décor macabre du tableau : les monceaux de cadavres sont remplacés par les tombes et l’allusion aux morts présents sous la terre.
Mais Zola fait également référence au tableau de Manet, pour l’attitude de Silvère, et surtout pour la présence des spectateurs, comme sur le second plan de L’Exécution de Maximilien : les trois bohémiens dans le premier paragraphe, et surtout la présence de Justin, dont la tête dépasse du mur, exactement comme dans le tableau de Manet.

II. Influence réciproque de la littérature et de la peinture dans la construction des scènes

Zola, Nana (1880)

Dans Nana, Zola reprend le personnage de la demi-mondaine qu’il avait créé dans L’Assommoir.

Tout le monde se mit à rire, d’une façon exagérée, pour faire sa cour. Un mot exquis, tout à fait parisien, comme le remarqua Bordenave. Nana ne répondait plus, le rideau remuait, elle se décidait sans doute. Alors, le comte Muffat, le sang aux joues, examina la loge. C’était une pièce carrée, très basse de plafond, tendue entièrement d’une étoffe havane clair. Le rideau de même étoffe, porté par une tringle de cuivre, ménageait au fond une sorte de cabinet. Deux larges fenêtres ouvraient sur la cour du théâtre, à trois mètres au plus d’une muraille lépreuse, contre laquelle, dans le noir de la nuit, les vitres jetaient des carrés jaunes. Une grande psyché faisait face à une toilette de marbre blanc, garnie d’une débandade de flacons et de boîtes de cristal, pour les huiles, les essences et les poudres. Le comte s’approcha de la psyché, se vit très rouge, de fines gouttes de sueur au front ; il baissa les yeux, il vint se planter devant la toilette, où la cuvette pleine d’eau savonneuse, les petits outils d’ivoire épars, les éponges humides, parurent l’absorber un instant. Ce sentiment de vertige qu’il avait éprouvé à sa première visite chez Nana, boulevard Haussmann, l’envahissait de nouveau. Sous ses pieds, il sentait mollir le tapis épais de la loge ; les becs de gaz, qui brûlaient à la toilette et à la psyché, mettaient des sifflements de flamme autour de ses tempes. Un moment, craignant de défaillir dans cette odeur de femme qu’il retrouvait, chauffée, décuplée sous le plafond bas, il s’assit au bord du divan capitonné, entre les deux fenêtres. Mais il se releva tout de suite, retourna près de la toilette, ne regarda plus rien, les yeux vagues, songeant à un bouquet de tubéreuses, qui s’était fané dans sa chambre autrefois, et dont il avait failli mourir. Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine.
- Dépêche-toi donc ! souffla Bordenave, en passant la tête derrière le rideau.
Le prince d’ailleurs, écoutait complaisamment le marquis de Chouard, qui, prenant sur la toilette la patte de fièvre, expliquait comment on étalait le blanc gras. Dans un coin, Satin, avec son visage pur de vierge, dévisageait les messieurs ; tandis que l’habilleuse, madame Jules, préparait le maillot et la tunique de Vénus. Madame Jules n’avait plus d’âge, le visage parcheminé, avec ces traits immobiles des vieilles filles que personne n’a connues jeunes. Celle-là s’était desséchée dans l’air embrasé des loges, au milieu des cuisses et des gorges les plus célèbres de Paris. Elle portait une éternelle robe noire déteinte, et sur son corsage plat et sans sexe, une forêt d’épingles étaient piquées, à la place du coeur.
- Je vous demande pardon, messieurs, dit Nana en écartant le rideau, mais j’ai été surprise...
Tous se tournèrent. Elle ne s’était pas couverte du tout, elle venait simplement de boutonner un petit corsage de percale, qui lui cachait à demi la gorge. Lorsque ces messieurs l’avaient mise en fuite, elle se déshabillait à peine, ôtant vivement son costume de Poissarde. Par-derrière, son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise. Et les bras nus, les épaules nues, la pointe des seins à l’air, dans son adorable jeunesse de blonde grasse, elle tenait toujours le rideau d’une main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement.
- Oui, j’ai été surprise, jamais je n’oserai.... balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des tons roses sur le cou et des sourires embarrassés.
- Allez donc, puisqu’on vous trouve très bien ! Cria Bordenave.
Elle risqua encore des mines hésitantes d’ingénue, se remuant comme chatouillée, répétant :
- Son Altesse me fait trop d’honneur... Je prie Son Altesse de m’excuser, si je la reçois ainsi...
- C’est moi qui suis importun, dit le prince ; mais je n’ai pu, madame, résister au désir de vous complimenter...
Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs, qui s’écartèrent. Elle avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant, elle saluait encore avec son fin sourire. Tout d’un coup, elle parut reconnaître le comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de n’être pas venu à son souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant d’avoir tenu une seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des eaux de toilette. Le comte avait fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau buveur. Tous deux étaient même un peu gris. Mais ils se tenaient très bien. Muffat, pour cacher son trouble, ne trouva qu’une phrase sur la chaleur.
- Mon Dieu ! qu’il fait chaud ici, dit-il. Comment faites-vous, madame, pour vivre dans une pareille température ?

Manet, Devant le miroir, 1876

Manet, Devant le miroir, 1876

Manet, Nana, 1877

Manet, Nana, 1877

Questions :
Lisez le texte de Zola, observez les tableaux de Manet, puis répondez aux questions suivantes :
1) Relevez des détails vestimentaires ou des éléments du décor qui sont communs au texte et aux tableaux.
2) Analysez le jeu des regards dans le deuxième tableau de Manet. Comment ces attitudes éclairent-elles la nature de la relation entre les deux personnages ? Comparez-les avec les jeux de séduction qui sont mis en scène par Zola dans son texte.
3) Compte-tenu des titres des tableaux, comment peut-on interpréter ces ressemblances ? Comparez maintenant les dates des différents documents. Que pouvez-vous en déduire ?

Interprétation :
Si les romans de Zola s’inspirent parfois de tableaux de l’époque, cette influence est réciproque. Ainsi Manet imagine le personnage de Nana, créé par Zola dans L’Assommoir en 1876. Lorsque Zola reprendra son personnage de demi-mondaine dans Nana, en 1880, il rendra hommage à Manet en citant deux de ses toiles.
Dans le tableau de Manet intitulé Nana, la jeune femme se tourne vers le spectateur dans une attitude de séduction d’où est exclu l’amant en titre, qui ne peut qu’observer la scène qui se joue sans lui. De même, dans le texte de Zola, Muffat assiste sans pouvoir rien y faire à la scène de séduction qui a lieu entre Nana et le prince.
Zola ne se contente pas de citer cette toile. Il s’appuie sur ce tableau, et celui de 1876 intitulé Devant le miroir. Dans les deux cas en effet, la jeune femme est vêtue du même corset bleu. On retrouve ainsi dans le texte une description de cette jeune femme, devant « une grande psyché » : « Elle ne s’était pas couverte du tout, elle venait simplement de boutonner un petit corsage de percale, qui lui cachait à demi la gorge. », « Et les bras nus, les épaules nues, la pointe des seins à l’air, dans son adorable jeunesse de blonde grasse ».

Module 3. Influence de la peinture impressionniste sur l’écriture romanesque de Zola

Objectifs

Relever et analyser les similitudes thématiques et esthétiques ainsi que l’influence esthétique qui unit l’écriture naturaliste de Zola et la peinture impressionniste.

Supports

Textes de Zola et tableaux de Monet, Manet et Renoir.

Activités

I. Réécriture naturaliste des jardins impressionnistes : description d’un jardin inspiré par Monet

Zola, Une Page d’amour (1878)

Texte 1. Un jardin impressionniste
En bas, lorsqu’elles mirent les pieds dans le jardin, toutes deux poussèrent un cri. Elles ne le reconnaissaient pas, tant ce fourré impénétrable ressemblait peu au coin propre et bourgeois qu’elles avaient vu au printemps.
- Quand je vous le disais ! répétait Rosalie triomphante.
Les massifs s’étaient élargis, changeant les allées en étroits sentiers, dessinant tout un labyrinthe où les jupes s’accrochaient au passage. On aurait cru l’enfoncement lointain d’une forêt, sous la voûte des feuillages qui laissait tomber une lumière verte, d’une douceur et d’un mystère charmants. Hélène cherchait l’orme au pied duquel elle s’était assise en avril.
- Mais, dit-elle, je ne veux pas qu’elle reste là. L’ombre est trop fraîche.
- Attendez donc, reprit la bonne. Vous allez voir.
En trois pas, on traversait la forêt. Et là, au milieu du trou de verdure, sur la pelouse, on trouvait le soleil, un large rayon d’or qui tombait, tiède et silencieux, comme dans une clairière. En levant la tête, on ne voyait que des branches se détachant sur la nappe bleue du ciel, avec une légèreté de guipure. Les roses thé du grand rosier, un peu fanées par la chaleur, dormaient sur leurs tiges. Dans les corbeilles, des marguerites rouges et blanches, d’un ton ancien, dessinaient des bouts de vieilles tapisseries.
- Vous allez voir, répétait Rosalie. Laissez-moi faire. C’est moi qui vais l’arranger.
Elle venait de plier et d’étaler la couverture au bord d’une allée, à l’endroit où l’ombre finissait. Puis, elle fit asseoir Jeanne, les épaules couvertes de son châle, en lui disant d’allonger ses petites jambes. De cette façon, l’enfant avait la tête à l’ombre et les pieds au soleil.

Monet, Femmes au jardin à Ville-d’Avray, 1866

Monet, Femmes au jardin à Ville-d’Avray, 1866

Monet, Jardin en fleurs, 1866

Monet, Jardin en fleurs, 1866

Questions :
Lisez le texte de Zola et observez les deux tableaux de Monet puis répondez aux questions suivantes :
1) Relevez toutes les similitudes entre les deux tableaux et le texte de Zola. A quoi peut-on dire qu’il s’agit ici d’une citation picturale implicite ?
2) Comparez l’allusion à ces deux tableaux dans les textes théoriques de Zola (Salon de 1868, Les Actualistes) et dans ce roman. Quelles sont les spécificités de l’écriture romanesque ?
3) En quoi peut-on dire que ce texte naturaliste correspond également à l’esthétique impressionniste ?

II. Réécriture naturaliste des jardins impressionnistes : Une scène de jardin inspirée par Renoir

Zola, Une Page d’amour (1878)

Texte 2. La Balançoire
Hélène venait, pour la première fois, de quitter le deuil. Elle portait une robe grise, garnie de nœuds mauves. Et, toute droite, elle partait lentement, rasant la terre, comme bercée.
- Allez ! Allez ! dit-elle.
Alors, monsieur Rambaud, les bras en avant, saisissant la planchette au passage, lui imprima un mouvement plus vif. Hélène montait ; à chaque vol, elle gagnait de l’espace. Mais le rythme gardait une gravité. On la voyait, correcte encore, un peu sérieuse, avec des yeux très clairs dans son beau visage muet ; ses narines seules se gonflaient, comme pour boire le vent. Pas un pli de ses jupes n’avait bougé. Une natte de son chignon se dénouait.
- Allez ! Allez !
Une brusque secousse l’enleva. Elle montait dans le soleil, toujours plus haut. Une brise se dégageait d’elle et soufflait dans le jardin ; et elle passait si vite, qu’on ne la distinguait plus avec netteté. Maintenant, elle devait sourire, son visage était rose, ses yeux filaient comme des étoiles. La natte dénouée battait sur son cou. Malgré la ficelle qui les nouait, ses jupes flottaient et découvraient la blancheur de ses chevilles. Et on la sentait à l’aise, la poitrine libre, vivant dans l’air comme dans une patrie.
- Allez ! Allez !
Monsieur Rambaud, en nage, la face rouge, déploya toute sa force. Il y eut un cri. Hélène montait encore.
- Oh ! maman ! Oh ! maman ! répétait Jeanne en extase.
Elle s’était assise sur la pelouse, elle regardait sa mère, ses petites mains serrées sur sa poitrine, comme si elle eût elle-même bu tout cet air qui soufflait. Elle manquait d’haleine, elle suivait instinctivement d’une cadence des épaules les longues oscillations de la balançoire. Et elle criait :
- Plus fort ! Plus fort !
Sa mère montait toujours. En haut, ses pieds touchaient les branches des arbres.
- Plus fort ! Plus fort ! Oh ! maman, plus fort !
Mais Hélène était en plein ciel. Les arbres pliaient et craquaient comme sous des coups de vent. On ne voyait plus que le tourbillon de ses jupes qui claquaient avec un bruit de tempête. Quand elle descendait, les bras élargis, la gorge en avant, elle baissait un peu la tête, elle planait une seconde ; puis, un élan l’emportait, et elle retombait, la tête abandonnée en arrière, fuyante et pâmée, les paupières closes. C’était sa jouissance, ces montées et ces descentes, qui lui donnaient un vertige. En haut, elle entrait dans le soleil, dans ce blond soleil de février, pleuvant comme une poussière d’or. Ses cheveux châtains, aux reflets d’ambre, s’allumaient ; et l’on aurait dit, qu’elle flambait tout entière, tandis que ses nœuds de soie mauve, pareils à des fleurs de feu, luisaient sur sa robe blanchissante. Autour d’elle, le printemps naissait, les bourgeons violâtres mettaient leur ton fin de laque, sur le bleu du ciel.
Alors, Jeanne joignit les mains. Sa mère lui apparaissait comme une sainte, avec un nimbe d’or, envolée pour le paradis. Et elle balbutiait encore : « Oh ! maman, oh ! maman... » d’une voix brisée.

Renoir, La Balançoire, 1876

Renoir, La Balançoire, 1876

Question :
Lisez le texte de Zola, observez les tableaux du Renoir et répondez aux questions suivantes :
1) Quels sont les détails qui permettent de voir que Zola s’est inspiré du tableau de Renoir pour écrire son texte ?
2) Outre le motif et le sujet, comment Zola reprend-t-il l’esthétique impressionniste de Renoir dans cette scène ?

III. Inspiration impressionniste dans les descriptions de tableaux

Zola, L’Œuvre (1886)

Deux tableaux de Claude.

Dans cette première heure de passion et d’espoir, Claude, si ravagé par le doute d’habitude, crut en son génie. [...] Comme il le disait à Bennecourt, il tenait son plein air, cette peinture d’une gaieté de tons chantante, qui étonnait les camarades, quand ils le venaient voir. Tous admiraient, convaincus qu’il n’aurait qu’à se produire, pour prendre sa place, très haut, avec des oeuvres d’une notation si personnelle, où pour la première fois la nature baignait dans de la vraie lumière, sous le jeu des reflets et la continuelle décomposition des couleurs.
Et, durant trois années, Claude lutta sans faiblir, fouetté par les échecs, n’abandonnant rien de ses idées, marchant droit devant lui, avec la rudesse de la foi.
[...]
La seconde année, il chercha une opposition. Il choisit un bout du square des Batignolles, en mai : de gros marronniers jetant leur ombre, une fuite de pelouse, des maisons à six étages, au fond ; tandis que, au premier plan, sur un banc d’un vert cru, s’alignaient des bonnes et des petits-bourgeois du quartier, regardant trois gamines en train de faire des pâtés de sable. Il lui avait fallu de l’héroïsme, la permission obtenue, pour mener à bien son travail, au milieu de la foule goguenarde. Enfin, il s’était décidé à venir, dès cinq heures du matin, peindre les fonds ; et, réservant les figures, il avait dû se résoudre à n’en prendre que des croquis, puis à finir dans l’atelier. Cette fois, le tableau lui parut moins rude, la facture avait un peu de l’adoucissement morne qui tombait du vitrage. Il le crut reçu, tous les amis crièrent au chef-d’œuvre, répandirent le bruit que le Salon allait en être révolutionné. Et ce fut de la stupeur, de l’indignation, lorsqu’une rumeur annonça un nouveau refus du jury. Le parti pris n’était plus niable, il s’agissait de l’étranglement systématique d’un artiste original. Lui, après le premier emportement, tourna sa colère contre son tableau, qu’il déclarait menteur, déshonnête, exécrable. C’était une leçon méritée, dont il se souviendrait : est-ce qu’il aurait dû retomber dans ce jour de cave de l’atelier ? est-ce qu’il retournerait à la sale cuisine bourgeoise des bonshommes faits de chic ? Quand la toile lui revint, il prit un couteau et la fendit.
Aussi, la troisième année, s’enragea-t-il sur une oeuvre de révolte. Il voulut le plein soleil, ce soleil de Paris, qui, certains jours, chauffe à blanc le pavé, dans la réverbération éblouissante des façades : nulle part il ne fait plus chaud, les gens des pays brûlés s’épongent eux-mêmes, on dirait une terre d’Afrique, sous la pluie lourde d’un ciel en feu. Le sujet qu’il traita, fut un coin de la place du Carrousel, à une heure, lorsque l’astre tape d’aplomb. Un fiacre cahotait, au cocher somnolent, au cheval en eau, la tête basse, vague dans la vibration de la chaleur ; des passants semblaient ivres, pendant que, seule, une jeune femme, rose et gaillarde sous son ombrelle, marchait à l’aise d’un pas de reine, comme dans l’élément de flamme où elle devait vivre. Mais ce qui, surtout, rendait ce tableau terrible, c’était l’étude nouvelle de la lumière, cette décomposition, d’une observation très exacte, et qui contrecarrait toutes les habitudes de l’œil, en accentuant des bleus, des jaunes, des rouges, où personne n’était accoutumé d’en voir. Les Tuileries, au fond, s’évanouissaient en nuée d’or ; les pavés saignaient, les passants n’étaient plus que des indications, des taches sombres mangées par la clarté trop vive. Cette fois, les camarades, tout en s’exclamant encore, restèrent gênés, saisis d’une même inquiétude : le martyre était au bout d’une peinture pareille. Lui, sous leurs éloges, comprit très bien la rupture qui s’opérait ; et, quand le jury, de nouveau, lui eut fermé le Salon, il s’écria douloureusement, dans une minute de lucidité :
- Allons ! c’est entendu... j’en crèverai !

Manet, La Musique aux Tuileries, 1862

Manet, La Musique aux Tuileries, 1862

Monet, Les Tuileries, 1876

Monet, Les Tuileries, 1876

Questions :
Lisez le texte de Zola et observez les tableaux de Manet et Zola puis répondez aux questions suivantes :
1) Quels détails permettent de voir que Zola s’est très précisément inspiré de ces deux tableaux pour décrire ceux peints par Claude ?
2) Commentez le caractère impressionniste des deux tableaux et du texte écrit par Zola.

Module 4. Ecriture d’un texte à la manière de Zola à partir d’un tableau impressionniste

Objectifs

Réinvestir l’ensemble des acquis de la séquence (et en particulier prolonger le travail des modules 2 et 3) à travers l’écriture, ce qui permet d’évaluer non seulement la maîtrise des spécificités du naturalisme et des différents registres, mais aussi la connaissance de l’esthétique impressionniste et les modalités de sa transposition dans la littérature.

Supports

Un tableau au choix :

Pierre-Auguste Renoir, Le Bal au Moulin de la Galette, 1876

Pierre-Auguste Renoir, Le Bal au Moulin de la Galette, 1876

Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1865

Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1865

Activités

Ecriture d’invention

Sujet : A la manière de Zola, inspirez-vous d’un de ces tableaux pour écrire un texte conforme à l’esthétique naturaliste telle qu’elle a été progressivement définie tout au long de la séquence.

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