Construire la « leçon » de grammaire sur les circonstancielles par l’exemplier et le numérique

, par Elsa COPETE

Comment amener les élèves à s’approprier le métalangage grammatical ? Selon quelles modalités intégrer une leçon de grammaire à l’étude d’une œuvre intégrale du programme ? L’une des réponses possibles à ces questions serait d’utiliser un exemplier comme support de cours.

Introduction : terminologie et intelligence de la langue

La terminologie grammaticale [1] publiée sur le site officiel de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO) s’impose à tous, enseignants comme élèves.
Or, la terminologie officielle en grammaire est souvent considérée par les élèves comme complexe, voire obscure. Décomposer les dénominations grammaticales et le métalangage « expert » afin de les expliquer apparaît à tout enseignant comme un défi. Il s’avère que bien souvent, lorsque l’on aborde un point de grammaire en classe, la difficulté des élèves est de créer un lien entre signifiant et signifié grammatical, d’associer une image mentale et des automatismes techniques.
Les nouveaux programmes de lettres du lycée instaurent une progression précise pour l’étude de la langue et donnent toute leur place à certaines questions grammaticales majeures : l’interrogation, la subordination, ou encore la négation. Mais la terminologie se heurte à des difficultés de compréhension de la part des élèves. Qu’est-ce que, par exemple, une proposition / subordonnée / circonstancielle / de conséquence, pour un élève de première ? Que veut dire ce métalangage ? Ces concepts associés entre eux ne génèrent que très peu d’images mentales, très peu de représentations cognitives, aussi bien utilisés de manière indépendante que cumulée.
À ces difficultés terminologiques s’ajoutent une perception variable des différentes unités de sens que peut contenir une phrase, un déficit dans la perception du « continuum grammatical » au sein de la phrase complexe [2].

Comment alors permettre aux élèves de « rechercher l’intelligence de la langue plutôt que la nomenclature et les étiquettes » ? [3]

Déroulement de l’expérience

L’expérience mise en place permet de réactiver les connaissances grammaticales acquises au collège. Il s’agit de réintroduire du signifié dans des signifiants restés trop souvent des coquilles vides, et d’inciter les élèves à manipuler/ décomposer afin de s’approprier des syntagmes de la morphologie grammaticale et les notions qui leur sont liées, afin de pouvoir transposer ce métalangage à n’importe quelle situation grammaticale qu’ils seraient en mesure d’identifier.
La solution proposée est la construction d’une séance longue, de type « leçon de grammaire » [4], avec comme supports l’exemplier et le numérique.

En amont : construire le corpus

L’idée est de de travailler à partir d’un exemplier « de départ » dont le corpus est choisi par le professeur, en amont. Il est en effet préconisé par les programmes de penser la leçon de langue de manière indépendante et de constituer le corpus en fonction du fait de langue sur lequel on veut faire réfléchir et de l’objectif d’acquisition que l’on se donne. Au demeurant, Montesquieu, comme Montaigne, s’appuient sur une organisation phrastique parfois labyrinthique dont la complexité syntaxique peut rebuter les élèves. Pour la leçon de langue, un corpus choisi et pensé ad hoc permettra de faire se concentrer les élèves sur le fait de langue retenu.

Ce corpus premier doit être assez simple et de difficulté croissante. Il est conseillé de le fonder sur des parallélismes de construction, pour aider à la progressivité et faciliter les mécanismes cognitifs. Les élèves avancent en terrain partiellement connu d’une phrase à l’autre, et la mémorisation en est facilitée. L’enseignant part d’une phrase simple, avec la structure élémentaire « sujet-verbe-(complément) », pour avancer progressivement, par ajouts successifs ou évolutions « stratégiques » (changer un subordonnant de cause par un indicateur de conséquence) du syntagme de départ. On choisit de limiter le corpus à dix phrases plus une phrase volontairement cumulative à outrance, pour insister sur les potentialités syntaxiques offertes par les circonstancielles, certes au prix d’une lourdeur stylistique évidente.

1) J’ai lu Les Lettres Persanes.
2) J’ai lu Les Lettres Persanes et j’ai beaucoup aimé travailler sur le XVIIIème siècle.
3) J’ai lu Les Lettres Persanes, j’ai beaucoup aimé travailler sur le XVIIIème siècle.
4) J’ai relu ce livre, qui est intéressant.
5) J’ai relu ce livre que j’avais étudié en classe.
6) Un élève pense que nous aurions pu travailler sur Montaigne.
7) J’ai relu ce livre parce qu’il était intéressant.
8) Ce livre était intéressant au point qu’on avait envie de le relire.
9) J’ai relu ce livre dans l’espoir qu’il tombe au Bac.
10) J’ai relu ce livre alors même que je ne l’ai pas aimé.
11) J’ai relu le livre qui était intéressant mais qu’un élève n’a pas aimé parce qu’il le trouvait trop long.

En classe : présentation de la séance de travail

Première étape : réactiver les notions de base

Phrase simple / phrase complexe. Juxtaposition, coordination, subordination.

  • Dans l’exemple ci-dessus, le syntagme 1 est une phrase simple.
    La deuxième phrase permet de faire remarquer la complexification de la phrase, qui comprend deux verbes conjugués. On questionne les élèves sur la segmentation de cette phrase en le nombre de propositions correspondant. On souligne ensuite la présence de la conjonction de coordination. On fait remarquer l’indépendance syntaxique et sémantique des deux propositions.
    Dans la phrase 3, les élèves remarquent immédiatement la suppression de la conjonction de coordination, et son remplacement par une virgule. Ils constatent à nouveau l’indépendance des propositions, et l’on discute ensuite du lien logique.
    Enfin, la phrase 4 permet d’amener la notion de dépendance phrastique, et donc l’idée de subordination. Nous arrivons au premier tiers de la leçon.
  • La première étape d’appropriation des mécanismes grammaticaux passe par l’application « POST-IT »©, qui permet, comme son célèbre modèle papier, de créer des « étiquettes » de grammaire, la colorisation de certaines propositions, la manipulation par l’élève, la compilation de différents essais pour scinder les mots ou groupes de mots, les déplacer, supprimer, ajouter, cumuler
    Gratuite, elle permet aux élèves d’échanger leurs analyses, de se les envoyer sur plusieurs supports, et de comparer leurs cheminements cognitifs et interrogations comme leurs résultats. Voici un exemple de colorisation, de classement et de tentative d’étiquetage :
  • En parallèle des explications du professeur, l’élève est invité à construire un « arbre mental » de synthèse, grâce à un logiciel de carte mentale - intégré dans l’ENT ou accessible sur edu-portail-, dans lequel ces études de cas sont hiérarchisées et où la terminologie technique, chargée à nouveau de ses signifiés, car co-(re)construite avec l’élève, est explicitement mentionnée.
    On évoque très rapidement la branche « phrase simple », qui ne concerne que la phrase 1 de l’exemplier, pour se consacrer au développement de la branche « phrase complexe ». Concernant celle-ci, on s’arrêtera d’abord sur les énoncés 2 et 3 (indépendantes coordonnées en 2, juxtaposées en 3). Il pourra être intéressant de rapprocher l’énoncé 1 des énoncés 2 et 3 pour faire comprendre qu’il y a une différence de structure très ténue entre une phrase simple et une proposition indépendante, qu’elle soit coordonnée ou juxtaposée. Puis, on s’occupera de la subordination comme sous-branche, elle-même à développer, de la phrase complexe.

Deuxième étape : les subordonnées

La notion de subordination. Relative / conjonctive. La notion de conjonctive circonstancielle.

5) J’ai relu ce livre que j’avais étudié en classe.
6) Un élève pense que nous aurions pu travailler sur Montaigne.
7) J’ai relu ce livre parce qu’il était intéressant.
8) Ce livre était intéressant au point qu’on avait envie de le relire.
9) J’ai relu ce livre dans l’espoir qu’il tombe au Bac.
10) J’ai relu ce livre alors même que je ne l’ai pas aimé.
  • Les phrases 5 et 6 posent la question de la double-nature du mot QUE, et permettent de passer de la relative à la conjonctive. C’est l’occasion de rappeler le rôle et la place de l’antécédent dans la construction de la relative.
    L’étude des circonstancielles intervient réellement à la phrase 7, dans laquelle les élèves reconnaissent le mot QUE, couplé à un autre élément, et formant une locution. On passe alors d’une étude majoritairement syntaxique à une approche beaucoup plus sémantique ; en s’interrogeant sur les liens de sens entre proposition principale et proposition subordonnée.
    On établit donc une liste non-exhaustive des subordonnants en fonction de ce qu ’ils indiquent, et grâce à l’application « POST-IT »©, on insiste sur les inversions possibles du rapport de cause-conséquence.
  • Grâce aux phrases 7 et 8 étudiées en diptyque, l’élève est invité à pratiquer lui-même l’inversion de ce rapport, et il remarque la nécessité de changer le subordonnant utilisé. L’application permet une grande souplesse et une grande clarté dans les manipulations et l’organisation des propositions des élèves.
  • La phrase 9 introduit la notion de circonstancielle de but, la 10 celle de l’opposition. C’est la fin du second temps du cours.

Troisième étape : se mettre à l’épreuve d’une phrase très complexe

On peut demander, en conclusion, d’analyser une phrase volontairement très complexe, qui cumulerait un maximum de liens syntaxiques et sémantiques étudiés précédemment. L’observation de la phrase suivante permet de vérifier la bonne compréhension du cours par l’élève. Qu’il soit capable de la segmenter correctement en sera la preuve.

11) J’ai relu le livre qui était intéressant mais qu’un élève n’a pas aimé parce qu’il le trouvait trop long.

Quatrième étape : aux frontières du programme

Il reste à aborder les cas les plus complexes et ceux dits « limites ». Ceux-ci ne sont pas officiellement au programme de Première, mais peuvent être abordés par groupes de besoins, en aide personnalisée, sur un autre temps de cours, plus ponctuel et moins chargé cognitivement.
Nous proposons alors un corpus complémentaire au corpus initial.

12) Si je relis ce livre, je réussirai l’évaluation.
13) Un élève a demandé s’il fallait relire le livre.
14) Le livre étant terminé, je le referme.
15) J’entends Rica se moquer des parisiens.
  • La phrase 12 aborde la circonstancielle de condition, la 13 le cas de l’interrogative indirecte (qui peut faire l’objet d’un lien avec le cours sur l’interrogation, également au programme), pour s’achever sur les cas très particuliers des « propositions sans verbe conjugué » - phrases 14 et 15 -, qui viennent interroger et contredire la dichotomie traditionnellement imposée en début de cours : « une phrase simple comprend un seul verbe conjugué, une phrase complexe en comprend plusieurs ».
    L’élève s’aventure ici sur les territoires glissants, mais passionnants, d’une grammaire complexe dont la richesse passe par la dimension spécifique de certaines formulations, et les cas limites (propositions participiales et infinitives).
  • La « phrase cumulative » finale peut alors être encore davantage complexifiée (phrase 16) :
16) J’ai relu le livre qui était intéressant mais qu’un élève n’a pas aimé parce qu’il le trouvait trop long si bien qu’ il a demandé si on pouvait travailler Montaigne parce que c’était plus facile afin d’obtenir une bonne note au Bac.

Prolongements, évaluation et ajustements possibles

Tout au long de l’expérience, les élèves peuvent, par imitation, produire un corpus simple de structures syntaxiques qui reprennent les différentes notions abordées. On s’assure alors de leur bonne compréhension ainsi que de la réelle appropriation des contenus terminologiques complexes et du métalangage.

Il n’y a pas eu d’évaluation spécifique de ce cours, mais l’enseignant peut aisément relever les corpus créés par les élèves, et vérifier les arbres de synthèse des élèves les plus en délicatesse avec la leçon, pour en vérifier la bonne compréhension.

Un exercice d’application « en contexte » vient clore l’expérience : il s’agit de repérer, d’identifier et de manipuler les circonstancielles, non plus issues d’un corpus « hors sol » et progressif, mais directement tirées des Lettres Persanes. La lettre 24 sur les embarras de Paris, qui propose une variété de phrases complexes, se prête parfaitement à l’exercice.

À l’épreuve de la langue de Montesquieu

On rend donc abordable la syntaxe serpentine et complexe du philosophe des Lumières et l’on réduit ainsi « l’étrangeté » (temporelle comme grammaticale) de certaines formulations. Cela correspond également à l’interprétation que l’on peut faire du parcours associé à l’œuvre, à savoir « le regard éloigné » : en effet, son regard progressivement « éclairé » par la grammaire du texte, le lycéen devient à même d’accéder au style et d’enrichir les possibles interprétatifs du texte. On remarquera que le nombre de circonstancielles va croissant tout au long de la lettre, et que cela peut servir à l’analyse linéaire. La réflexion de Montesquieu se complexifie et la syntaxe suit le mouvement général de sa pensée.

L’expérience s’est avérée concluante car elle part des acquis simples des élèves (définition de la phrase simple et de la phrase complexe issue du collège) pour aller vers des relations au sein de la phrase complexe qui sont plus élaborées. La création d’un corpus en autonomie et en suivant le modèle de l’exemplier encourage les élèves à montrer qu’ils ont assimilé la leçon, et cela favorise également l’entraide. Le logiciel présente l’intérêt de rendre les manipulations ludiques, ce qui permet de raccrocher au cours les élèves les plus réfractaires. Au demeurant – sans que les élèves en soient nécessairement conscients – le travail permet de renforcer l’acquisition des réflexes grammaticaux indispensables à tout élève.
Celui-ci est amené, par cette expérience, à manipuler, inverser, supprimer, séparer, nommer ou renommer… pour comprendre un fonctionnement syntaxique complexe. Et les objets complémentaires (arbre mental, corpus co-construit en autonomie, liste des différents subordonnants) permettent une appropriation aisée de la leçon.

Notes

[2Nous empruntons la notion de « continuum grammatical » à Olivier Soutet. Nous renvoyons à la conférence sur les conjonctives circonstancielles donnée par Olivier Soutet à l’occasion de la journée « Étude de la langue » (4 février 2020, INSPE de Gennevilliers). Vous pouvez consulter l’enregistrement de cette conférence dans le compte-rendu de cette journée.

[3Citation d’Olivier Soutet lors de cette même conférence.

[4Les programmes distinguent 3 modalités pour l’étude de la langue :
- la leçon de grammaire
Elle se déroule sur un temps long et repose sur des exercices structuraux de manipulation. Les instructions officielles insistent sur le fait que l’objectif n’est pas de « faire (des élèves) des linguistes » mais des « locuteurs avec un fort sentiment de la langue ». 
 - « le moment de grammaire »
Il repose sur une analyse grammaticale ponctuelle qui étudie un point spécifique sur un temps de cours délimité. 
 - l’Aide Personnalisée, ou « AP »
On peut profiter de ce temps pour approfondir une notion, souvent en effectif réduit.

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