Participer au tournoi d’éloquence T’CAP en classe de 3e

, par GENEVOIS Mélanie

Groupe DECLIC - Expérimentation d’un enseignement d’éloquence en classe de 3ème

Cette expérimentation a été réalisée au collège J. Cartier d’Issou en classe de 3e. Elle vise à présenter des pistes d’activités pour la mise en place d’un enseignement de l’éloquence au collège et la préparation du tournoi T’CAP. Ce projet peut être adapté et modifié.

1- Pourquoi participer à un tournoi d’éloquence ?

Ce projet est né de ma volonté d’enseignante de donner davantage la parole aux élèves. La leur donner, et non la leur prêter pour quelques courts instants. L’éloquence, à la fois très en vogue dans les grandes écoles, mais également évoquée par C. Delhay dans son rapport sur le Grand Oral [1], m’a paru une porte d’entrée idéale pour enseigner l’oral pour plusieurs raisons : les élèves, alors en posture d’orateurs, devraient se montrer rigoureux et exigeants dans leur production afin d’être éloquents, mais ils seraient également amenés à trouver les mots pour (se) dire. L’objectif était donc à la fois de construire une parole sociale, tournée vers les autres, et une parole intime.
J’ai choisi d’inscrire deux classes de 3e au tournoi T’CAP (Tournoi Communication Arts de la Parole) organisé par l’Académie de Versailles. Mon choix s’est porté sur des élèves de 3e en raison des oraux d’examens qui se déroulent lors de cette année scolaire (oral de stage en entreprise, oral du DNB).

1-1 Le rapport de C. Delhay

Plusieurs points dans ce rapport ont retenu mon attention et m’ont servi de ligne directrice pour mettre en place un enseignement de l’éloquence en 3e.

  • L’art de parole est accessible à tous, et non l’apanage de certains qui seraient doués de naissance.
  • Un oral doit être nourri : ce point m’a paru fondamental parce que dans une démocratie, si tout le monde a droit à la parole, encore faut-il que le contenu soit pertinent. On est donc fondé à montrer aux élèves que pour être entendue leur parole doit être à la fois « instruite » et « responsable » pour reprendre les mots de C. Delhay.
  • La place accordée au corps, à l’oral, est essentielle. Cela implique d’apprendre aux élèves à avoir conscience de leur respiration, à faire face à leur stress, à travailler leur voix. L’oral, c’est d’abord un corps qui parle, or il est encore difficile pour certaines disciplines, dont le français, de le prendre en compte dans leur enseignement.

1-2 Deux nouvelles épreuves au baccalauréat

Deux nouvelles épreuves sont prévues au baccalauréat 2021 : le grand oral (voies générales et technologiques) et le chef d’œuvre (voie professionnelle).
Le « Grand Oral » a pour vocation d’être un levier pour favoriser l’égalité des chances. Ce but, si noble, ne peut être atteint que si une progression est mise en place dès les plus jeunes classes. En voie professionnelle, la présentation du « chef d’œuvre » implique également de la part des futurs bacheliers de prendre la parole, de présenter, d’expliquer leur réalisation.
Ainsi, travailler l’éloquence en classe de 3e, c’est déjà commencer à mettre en place des compétences utiles pour ce futur « Grand Oral » de Terminale.

1-3 L’oral pour penser et grandir

L’enseignement de l’oral favorise la construction, dans un même mouvement, des compétences cognitives et langagières dans la mesure où il associe explicitement chaque acte de parole à un acte cognitif (expliquer, comparer, faire l’hypothèse…). C’est à cette condition que l’oral pourra permettre de réduire les inégalités comme le souligne E. Bautier [2]. Le cours de français et les situations de travail induites par la préparation du T’CAP me paraissaient donc particulièrement appropriés pour travailler ces différentes compétences.

2- Mon point de départ : les difficultés rencontrées par les élèves

C’est en prêtant une attention accrue à la parole des élèves en classe que j’ai pris conscience de leurs difficultés et que m’est venue l’idée de mettre en place un projet annuel autour de l’éloquence.

Leurs difficultés étaient d’ordre divers :
 linguistique (erreurs de syntaxe)
 lexical (termes utilisés à mauvais escient)
 cognitif (propos trop court, incohérent, sans cohérence chronologique ou logique).

S’ils n’ont pas les mots à l’écrit, c’est qu’ils ne les ont pas ̶ d’abord ̶ à l’oral. Si cela frappe les enseignants, il ne faut pas croire que les élèves soient dupes : ils savent repérer un manque de compétences à l’oral. La prise de parole est d’ailleurs souvent un moment de grande souffrance pour eux car, à l’adolescence, il est difficile de s’exposer et l’oral est souvent vécu comme une mise à nu.

3- Compte rendu d’expérience : une mise en œuvre du tournoi T’CAP en 3e

3-1 Un projet annuel

Les élèves ont été inscrits à T’CAP en septembre 2019. L’intérêt était non seulement de pallier les difficultés citées plus haut, mais également de fédérer les deux classes de 3e autour d’un projet annuel comportant plusieurs objectifs.

  • Créer une dynamique de classe, un esprit de groupe, car les élèves allaient devoir s’exposer, surmonter leurs difficultés ensemble.
  • Permettre l’émulation, puisque les élèves timides se sentiraient portés par ceux qui étaient plus à l’aise.
  • Redonner confiance aux élèves qui se sentaient en échec depuis longtemps en français : l’éloquence permet de travailler tout particulièrement l’estime de soi.
  • Préparer les élèves aux oraux des examens (qui commencent en 3e avec la soutenance du stage en entreprise, l’oral du DNB, puis se poursuivent au lycée avec l’oral du bac de français et enfin le « Grand Oral ») et plus largement aux situations de leur future vie professionnelle (entretien d’embauche,…).

3-2 Un projet devenu interdisciplinaire

Ce projet a pris de l’ampleur puisqu’il a été l’occasion de mettre en place un EPI français-allemand-histoire autour des femmes ayant joué un rôle dans l’histoire et/ou dans la guerre.

  • En histoire, dans le cadre du cours sur la seconde Guerre Mondiale, les élèves ont étudié des discours célèbres et plus particulièrement le parcours de S. Veil. Nous avons prolongé cette étude en français avec le discours prononcé par J. d’Ormesson lors de son entrée à l’Académie française.
  • En allemand, ils ont rédigé un discours éloquent pour présenter le mouvement de la Rose blanche en Allemagne en racontant l’histoire de Sophie Scholl, dans les deux langues.
  • En français, les élèves ont dû imaginer une affiche cinématographique mettant en scène une femme ayant joué un rôle pendant la première Guerre Mondiale : Sarah Bernhardt, Mata Hari, Rosa Luxembourg,… (entrée du programme : « Agir dans la cité, individu et pouvoir »). La prise de parole par groupe, qui consistait à défendre son affiche devant leurs camarades, a été l’occasion de mettre en place plusieurs aspects fondamentaux de l’oral (posture, placement de la voix, travail du regard, construction d’un argumentaire convaincant,…) avant de travailler l’éloquence à proprement parler en AP.

3-3 La mise en œuvre en français (AP)

Pour préparer les élèves au tournoi, le dispositif de l’AP paraissait le plus à même de mettre en place une démarche de projet et de différenciation pédagogique. Ce cours, nommé « Découvrir l’éloquence – participer à un tournoi d’éloquence » a lieu une fois tous les quinze jours en demi-groupe (5-6 séances d’1 heure).

Séance introductive

  • Nous avons commencé par définir le terme : la plupart ignoraient la définition du mot « éloquence » ou en avaient une définition approximative. Nous l’avons expliqué. J’ai notamment souligné que l’art oratoire avait d’abord primé sur l’écrit dans l’histoire de l’école (Il était alors vu comme le genre noble au détriment de l’écrit – contrairement à aujourd’hui- !). Ce tournoi allait être pour eux l’occasion de s’exprimer sur le sujet qu’ils souhaitaient, et ainsi d’émouvoir et de convaincre leur auditoire.
  • Puis nous nous sommes interrogés : pourquoi / comment être éloquent ? Les élèves se sont demandé quelle était leur légitimité pour prendre la parole, ce qu’ils avaient à dire, comment le dire,…

Séance 1

  • L’objectif était de définir les critères d’un oral réussi. Le travail s’est fait sur un corpus de discours célèbres - les discours d’André Malraux [3] , de Robert Badinter [4] ou encore de Christiane Taubira [5]) -, proposés sous forme de textes, sans paratexte. Les élèves ont dû chercher qui était l’orateur, dans quel contexte il parlait, quels étaient ses arguments, quelle partie du discours leur avait été distribuée (l’exorde, la péroraison, etc).
  • Nous avons prolongé cette étude par le visionnage des vidéos de ces discours (disponibles sur le site de l’INA).

Séance 2

  • Lors de la séance suivante, les élèves ont appris à maîtriser leur regard, leurs gestes, leur posture… à leur donner du sens.
    L’AP a été l’occasion de mettre en place des activités différenciées puisque chaque élève a choisi de s’exercer sur le point qu’il maîtrisait le moins : la voix, le corps, ou encore l’interprétation. Tous les élèves avaient le même support, le discours prononcé par J. d’Ormesson lors de l’entrée de S. Veil à l’Académie française [6].
  • Il fallait ensuite leur donner les techniques de l’orateur, qui remontent à l’Antiquité (Aristote), pour leur permettre d’adopter une posture d’orateur légitime et crédible (ethos), dont l’argumentation est efficace (logos) et touche le destinataire en faisant appel aux émotions (pathos).

Séance 3

  • Les élèves ont travaillé le corps (possibilité de mener cette séance avec le professeur d’EPS) : travail du souffle, du regard, de la posture, des appuis, mais aussi de la voix (articulation avec les virelangues, respiration).

Séances 4 et 5

  • Les élèves ont choisi un des trois exercices proposés par le tournoi – la lecture expressive, le texte appris ou l’éloquence – puis ils ont rédigé leur texte seul. Ils se sont entraînés en passant devant la classe. Ils étaient filmés grâce aux tablettes et évalués par leurs camarades.
  • La participation à ce tournoi leur a permis d’adopter une posture active et d’être autonomes : certains ont changé jusqu’à quatre fois de sujet, car ils ont compris que pour être convaincants, ils devaient être convaincus. Ils ont trouvé seuls tous leurs arguments, ce qui nous a permis de prolonger l’étude de l’argumentation.
    Cependant, il m’a paru fondamental que seuls les élèves volontaires aillent jusqu’au bout du projet : ainsi ceux qui ont fait le choix de ne pas participer sont devenus des coachs pour les autres. L’esprit de groupe a donc perduré.

4- Bilan de l’expérience

Pour les élèves

Lors de la demi-finale organisée au collège début mars, les élèves ont dû prononcer leur discours devant un large public et un jury composé du maire, d’enseignants, de parents, des chefs d’établissement ainsi que d’un avocat, qui les a conseillés et leur a permis de comprendre que l’éloquence n’est pas un art réservé à l’école, qu’on peut en faire le cœur de son métier.
Les élèves ont surmonté leur appréhension et ainsi pu prendre la mesure des progrès qu’ils avaient effectués. Un élève pour chaque exercice a été élu par le jury pour représenter le collège lors de la finale académique. Cependant tous sont gagnants, puisque nous avons constaté que les élèves avaient gagné une réelle aisance à l’oral.

Pour l’enseignante

Au début de ce projet, je me suis demandé si l’éloquence, pratiquée pour l’instant davantage en lycée et dans les grandes écoles, était réellement transférable au collège. Je ne savais si l’on peut être éloquent à tout âge, si les élèves auraient la maturité nécessaire pour un tel exercice.
Maintenant que la demi-finale a eu lieu, on peut dire que c’est un pari réussi car à 14-15 ans les élèves savent déjà défendre leurs idées de manière éloquente, à condition qu’on leur fournisse les techniques pour les exprimer : une élève a choisi de s’insurger contre la violence faite aux homosexuels, une autre contre la violence faite aux femmes.
Je retiendrai l’exemple de deux élèves, travaillant en binôme, qui se sont demandé si, dans le contexte actuel, le meilleur était à venir [7].

Cet exemple est éclairant : ces deux élèves ont trouvé seules tous leurs arguments et ont apporté plus de soin à leur discours que si cela avait été un écrit, parce qu’elles savaient qu’il serait adressé à un public plus large.

Les compétences acquises par les élèves sont donc nombreuses. Ils ont progressé à l’oral mais pas seulement, puisque comme nous venons de le voir l’oral leur a permis, dans un mouvement de va-et-vient, de progresser également à l’écrit. Ils ont gagné confiance en eux, appris à organiser leurs idées, à leur faire prendre corps. Une élève a osé prendre la parole et lire un texte de Plaute « L’homme est un loup pour l’homme », alors que depuis le début de sa scolarité elle n’arrivait pas à s’exprimer en classe. Elle a fait de ce tournoi un exercice pour apprendre à surmonter ses blocages.

Le travail de l’éloquence me semble un champ passionnant à explorer, car il se situe :

  • à la croisée de l’oral et de l’écrit ;
    En effet, il ne s’agit pas d’un oral spontané, mais d’un oral littératié. Ainsi il est très intéressant de voir que les élèves qui semblent le plus à l’aise à l’oral ne font pas les meilleurs orateurs car l’éloquence met en scène une réflexion aboutie, des savoirs construits.
  • à la croisée de l’esprit et du corps ;
    Certaines séances peuvent d’ailleurs être menées avec le professeur d’EPS afin de travailler la posture, les appuis ou encore d’apprendre aux élèves à dynamiser leur présence, à travailler leur souffle.
  • à la croisée de la parole intime et de la parole sociale.
    Les élèves ont choisi des sujets très intimes (comme la défense des homosexuels, l’éloge de leurs parents,…) et dû en faire un discours adressé, tourné vers l’autre, car comme le dit E. Nonnon [8] l’oral est un « événement partagé » : « toute la personne est engagée et les autres sont aussi impliqués, en tant qu’auditeurs ou participants à l’interaction ».

Ressources pour accompagner la mise en place de l’enseignement de l’éloquence

À votre disposition un padlet pour aider à la mise en place d’un enseignement de l’éloquence

URL du padlet :
https://fr.padlet.com/melanie_genevois/m3okdp4q6146r9x1

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