Objectifs
Ce travail a été proposé à des élèves de fin de collège. Il s’agit d’écrire deux versions mensongères diamétralement opposées sur les mêmes images. L’activité a pour but de mieux sentir, mieux interpréter la subjectivité, que celle-ci se trouve dans une séquence télévisuelle ou dans un texte littéraire. Cela permet aussi de créer du lien entre la littérature, l’école et la télévision.
Réalisation par le professeur du support de départ
Mise en place
– Je commence par réaliser une courte séquence vidéo de trente, quarante secondes de mon établissement. Ce court reportage servira d’appui pour écrire un commentaire à la subjectivité très prononcée. Il servira d’exemple aux élèves pour réaliser leur propre reportage de propagande.
– Après plusieurs tentatives, il m’a semblé évident que les plans devaient être assez longs pour permettre une adaptation facile de l’écriture à l’image. De plus, la séquence offrira des images variées afin de se donner une liberté d’interprétation.
– Les images réalisées, il faut maintenant écrire les commentaires qui serviront en voix off. Afin de jouer avec la subjectivité de la manière la plus mensongère possible, j’ai décidé de faire deux versions.
- La première présente l’établissement comme le pire endroit sur terre.
- La seconde s’attache à démontrer que ce collège de banlieue est un lieu qui ouvre sur un avenir radieux…
– Il faudra adapter le commentaire à l’image pour que celui-ci donne sens à ce qui est montré. L’écriture pour être efficace devra être claire.
Cette partie est très agréable à réaliser tant il est grisant de modifier la réalité de la sorte.
– L’exemple suivant est celui qui m’a servi de point de départ ; vous pouvez consulter les photos sur le fichier joint.
- Plan 1
« Sous le pâle soleil d’hiver, dans une banlieue anonyme, le collège X étale sa façade livide ...etc. ...etc. ... »
« Niché dans un écrin de nature domestiquée, le petit collège de X offre un cadre agréable…etc… etc…. »
- Plan 2 :
« Architecture froide et géométrique ; ce bâtiment inhumain ... etc ... »
« Spacieuse et fonctionnelle, une cour aux lignes épurées accueille un moment de détente...etc...etc"... »
- Plan3 :
« Lieu de solitude et d’errance, cette école ne mène nulle part ...etc...etc... »
« ...un avenir tout tracé les attend dans un monde où ils auront leur place...etc...etc... »
En classe
– La vidéo est montrée sans la bande son, les images défilent et n’ont aucun intérêt… Le réel n’a pas de talent…
– Je fais suivre un deuxième visionnage où la séquence est montrée avec une musique « gaie » ou avec un extrait très « triste ». Il apparait que la musique seule suffit à donner une couleur à l’image et que le collège n’est pas le même avec Mozart qu’avec Satie…
– Enfin, le reportage est montré avec tous les ingrédients qui le composent : image, commentaire et musique dans la version négative puis positive.
Le TNI, relié à l’ordinateur, sert alors simplement d’écran de projection.
– Il pourrait être pertinent de demander aux élèves de sélectionner les éléments sur lesquels le discours du professeur s’est construit. Ainsi la tension entre le commentaire et l’image pourrait apparaitre plus clairement.
- On appelle au tableau un élève qui avec la fonction flèche du TNI trace des flèches avec le stylet pour pointer sur les éléments à commenter selon les propositions des autres élèves.
- En insérant des zones texte, il est possible de faire ajouter des commentaires.
- Avec l’icône capture, il est aussi possible d’isoler les éléments sur lesquels le discours du professeur s’est construit et de faire réaliser à rebours le script que le professeur a constitué pour créer son discours.
– Les élèves sont ainsi mieux à même de comprendre ce qu’on attend d’eux dans la réalisation du script à venir et ce à quoi il sert pour élaborer dans la suite le discours.
Mise au travail des élèves
La séquence filmée
– Généralement, je demande à un élève de réaliser une courte séquence de trente/ quarante secondes environ avec le caméscope numérique [1]. Je propose au réalisateur de filmer le couloir vide, puis l’intérieur de notre salle de classe et enfin un plan où l’on voit l’extérieur.
– Une fois le reportage réalisé, il est montré à la classe et un travail de recherche est lancé.
Préparation du travail d’écriture
– Il s’agira d’obliger les élèves à donner un sens à ce qu’ils voient sur les différents plans. Dans cette activité, les élèves isolent eux-mêmes les éléments qu’ils feront parler.
– Avant d’écrire, nous découpons la séquence en différents plans sur lesquels les élèves vont « plaquer » du sens afin de nourrir leur écriture.
L’exemple présenté ici est le tableau réalisé par des Quatrièmes. Ce tableau servira de conducteur pour les élèves les plus en difficulté.
– La séquence vidéo tourne en boucle au TNI.
Il est généralement plus efficace de lancer le travail d’écriture par petits groupes de deux élèves. Ainsi nous avons au moins une dizaine de propositions qui viendront enrichir le travail.
- Il peut être intéressant de faire souligner par un élève, sous la dictée des autres, les éléments visibles à l’image qui pourront porter le sens du discours. Le professeur fait utiliser aux élèves la fonction sur le TNI qui permet de tracer des flèches et fait créer des zones de texte insérées pour ajouter les commentaires suggérés par les élèves.
- On peut aussi les faire isoler les éléments pour constituer comme un script. L’outil à utiliser pour ce faire est alors l’outil « capture d’écran ».
– Après un certain temps, il est demandé aux élèves de lire leur texte en accompagnant la vidéo.
– A chaque fois, les mêmes problèmes apparaissent :
- L’écriture est décalée par rapport à l’image. Soit l’élève va trop vite, soit trop lentement, soit il évoque quelque chose qui n’a pas grand rapport avec ce que l’on voit à l’image…
- L’écriture est trop explicite dans sa présentation des choses.
- Exemple : « on voit que le professeur est absent donc on comprend que les adultes ont baissé les bras devant les difficultés ». Le reportage doit suggérer un sens aux téléspectateurs et éviter une lourdeur trop voyante…
– Une fois que les erreurs les plus fréquentes sont dissipées, nous pouvons nous consacrer au réel travail d’écriture.
Le travail d’écriture
Expression de la subjectivité
Un reportage comme celui-ci cherche à produire un effet. Mentir est un art qui demande de la méthode et un certain style.
En utilisant les ébauches des élèves, il s’agira de travailler sur l’expression de la subjectivité. Cela permettra aussi de réutiliser les techniques d’écriture vues dans d’autres séquences en leur donnant un sens plus visible.
De la grille d’écriture à la grille d’évaluation
Le tableau ci-joint a été réalisé en classe et a servi, après remise en page, de barème d’écriture. Ce document est susceptible d’évoluer au cours de l’écriture en fonction des trouvailles stylistiques des élèves.
Ecriture finale
– A ce stade, les élèves ont tous les éléments pour écrire deux reportages de propagande.
- La vidéo peut être mise en ligne sur un blog par exemple.
- Au pire, quelques captures en noir et blanc avec le chronométrage permettent d’écrire à la maison sans avoir les images sous les yeux.
– Quand la rédaction est terminée, les élèves enregistrent leurs commentaires sur ordinateur en classe ou à la maison.
- Audacity est léger, facile d’emploi et gratuit, il est donc tout à fait possible de demander à ce que ce travail soit réalisé à la maison (Attention aux formats d’enregistrement des voix off).
- Windows intègre un logiciel de montage vidéo (Movie Maker) simple et efficace qui permet en peu de temps de rassembler les fichiers son et vidéo. Les élèves peuvent même s’y mettre seuls, assez intuitivement, s’ils ne le connaissent déjà.
Prolongement littéraire : de Flaubert à la télé
Analyse des marques de la subjectivité dans un texte
– Afin de proposer une transposition pertinente, il est envisageable de proposer une description subjective de Flaubert. Mme Bovary offre des descriptions ambigües où la subjectivité prend le pas sur l’élément décrit.
– Le texte qui décrit la ville de Rouen – ville où Emma Bovary va rejoindre un amant bien décevant– offre une image de la ville où on ne voit pas la ville…mais la conscience qui la voit. Rouen disparaît derrière la tristesse qui la colore.
– Le texte lu, les élèves doivent créer du lien par rapport à l’activité précédente. Est-ce la ville réelle qui apparaît ici ? ou est-ce une représentation plus trouble, subjective ?
Ainsi, il faudra retrouver les éléments qui soutiennent cette subjectivité. Les élèves réutiliseront le barème qui a servi au reportage.
"Descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard, elle s’élargissait au-delà des ponts, confusément. La pleine campagne remontait ensuite d’un mouvement monotone, jusqu’à toucher au loin la base indécise du ciel pâle. Ainsi vu d’en haut, le paysage tout entier avait l’air immobile comme une peinture ; les navires à l’ancre se tassaient dans un coin ; le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines ...
– Il est facile de retrouver tous les éléments subjectifs de cette description et d’identifier l’effet recherché par cette page. La monotonie, la lourdeur, l’immobilisme semble écraser la ville et faire tomber les feuilles des arbres… La question du rapport à la réalité se pose ainsi avec force. Qui parle ? Qui voit ? Que (qui..) voit-on ? Quels rapports entretiennent la réalité et son « reflet » littéraire ? Questions hautement littéraires…
Sans aller jusqu’à montrer la modernité de Flaubert, il est assez aisé de faire comprendre qu’il s’agit ici d’une projection. La conscience qui voit colore le monde… comme l’élève avait projeté un mensonge sur des images sans intérêt.
Et qu’en est-il de la télévision ?
Un reportage extrait d’un journal télévisé peut permettre d’approfondir la réflexion. Il n’est pas très compliqué de trouver une séquence où l’objectivité n’est qu’apparente. Un cadrage, une bande son…le moindre élément peut influer sur notre perception des choses.
Bilan
– Cette activité était bien entendu possible avant le TNI, cependant, elle est grandement facilitée aujourd’hui. Un « produit fini » efficace peut être publié sur un blog [2] en quelques heures sans être ingénieur en informatique. Beaucoup de logiciels gratuits et faciles à prendre en main sont à disposition.
– Le dispositif présenté ici a valeur d’exemple et peut être adapté pour d’autres niveaux.
Il est tout à fait possible de :
- laisser les élèves réaliser le reportage de leur choix,
- de proposer des séquences d’écriture plus longues et ambitieuses (écrire un film publicitaire sur une ville),
- de faire du lien avec le programme d’Histoire de 3ème,
- d’aller plus loin dans l’expression de la subjectivité dans les images (techniques de cadrage, effet de Koulechov par exemple…).
– Le rapport avec la subjectivité littéraire pose plus de problème pour de jeunes élèves. Faire le lien entre une vidéo et un texte littéraire est difficile car le support n’est pas le même… Conflit des générations, (de civilisation ?) entre des enseignants formés au texte et une jeunesse vouée à l’image ? Ce poncif ne trouvera de pertinence que si les enseignants abandonnent l’analyse de l’image à d’autres.