La notion de citoyenneté
L’histoire du poète Archias
CICERON Pro Archia, 7-8
L’histoire du poète Archias est intéressante pour aborder la question de la citoyenneté. La partie de narratio est assez simple à comprendre ; la question de droit posée de façon claire. Le discours est court et présente de façon assez évidente toutes les parties, principales et secondaires, qui font la structure traditionnelle d’un discours dans l’Antiquité : exorde, narration, division, réfutation et confirmation, digression, péroraison.
Bref, le Pro Archia peut être donné en lecture cursive.
Une référence complémentaire : CICÉRON, Pro Balbo, IX, 23-24 et 27-30.
Pistes de commentaire
Le Pro Archia fut probablement prononcé en 62 avant Jésus-Christ, l’année qui suivit le consulat de Cicéron, devant un jury présidé par Quintus Cicéron, le propre frère de l’orateur (né en -102 à Arpinum, édile en -66 et préteur en -62 frère cadet de Marcus Tullius Cicero). Le poète grec A. Licinius Archias a vu son droit de cité contesté ; Cicéron s’emploie à défendre son maître et ami à travers ce discours.
Il s’agit d’un discours atypique.
En théorie, il appartient à la rhétorique judiciaire et en présente le plan type :
Structure du discours
Exorde (chap.1-2) : L’orateur se doit de défendre Archias qui l’a initié aux lettres. Il se permettra aussi d’évoquer l’importance de la poésie, devant un public qu’il sait cultivé.
Narration (chap. 3) : Biographie d’Archias, et son acquisition du droit de cité.
Réfutation (chap. 4-5) : L’absence de registres ne pèse pas lourd face aux témoignages favorables à Archias.
Confirmation (chap. 6-11) : Éloge des lettres, de la poésie (particulièrement la poésie grecque), idéale pour chanter la gloire des Romains.
Péroraison (chap. 12) : Rejeter Archias serait injuste, rejeter cet excellent poète serait absurde.
Mais l’essentiel du discours est consacré à l’éloge d’Archias et de la poésie, et par-delà à la littérature en général. Ce discours relève donc également de l’éloquence démonstrative. Là est l’originalité du discours, ce qui donne au Pro Archia une place à part dans le corpus judiciaire de Cicéron.
Problématique : Comment la stratégie adoptée par Cicéron pour défendre le droit à la citoyenneté romaine du poète Archias nous éclaire-t-elle sur la manière dont la question de l’identité romaine peut être appréhendée à l’époque classique ?
On peut en effet montrer comment tout à la fois Cicéron démontre que le droit d’Archias à la citoyenneté romaine est indiscutable et s’emploie à dénoncer la mauvaise foi de l’accusation.
1. Le droit d’Archias à la citoyenneté romaine est indiscutable
1.1. Archias répond point par point aux clauses qui fixent les droits à la citoyenneté à l’époque classique
– Cicéron énonce les clauses mêmes de la loi.
« Silvani lege et Carbonis » : traduction « Selon les termes de la loi de Silvanus et de Carbon ».
Citation de la loi :
+ la ponctuation
+ Subj. plus-que-parfait, qui renvoie à l’idée d’un énoncé rapporté des termes exacts de la loi.
+ Mot à mot : anaphore « si » qui permet d’énoncer les 3 conditions nécessaires pour obtenir le droit de citoyenneté.
– Un parallélisme
Il met en place un raisonnement qui résulte d’un raisonnement a fortiori. Il a un domicile à Rome depuis de nombreuses années. (habere domicilium / habuissent domicilium).
Il s’agit d’une stratégie qui permet à Cicéron d’exclure d’entrée de jeu ce qui pose problème, ce qu’il reprend par la suite.
1.2. Cela fait l’objet d’une démonstration implacable
– Mise en place d’un raisonnement inductif :
+ Il présente les clauses générales
+ Il présente le cas particulier d’Archias au travers d’une conformité parfaite, un constat
+ Il en tire une conclusion : Causa dicta est. Le problème semble résolu.
– Il s’agit d’une stratégie de persuasion. C’est bien la loi telle qu’elle a été prévue.
– Il nous amène à accepter qu’il est normal qu’il soit reconnu par la loi dans la mesure où il respecte les clauses, 2 sauf une : il ne parle pas de la première clause. On la considère d’entrée de jeu comme remplie ou bien elle est oubliée.
1.3. Pour conforter
Il s’appuie sur plusieurs témoignages…
– 2 témoignages explicites : adest ; adsunt. La présence même de ces personnages est un argument en faveur d’Archias.
Pour Lucullus, Hyperbole avec summa ; effet de mise en attente avec le termes générique vir ; il énonce d’abord toutes les qualités pour accroître le crédit qu’on peut lui accoorder ; c’est aussi un personnage influent, ce qui vaut argument d’autorité.
Même procédé pour les Heraclienses ou encore le integerrimi municipii. On a le crédit d’une cité, le crédit d’une entité publique : la cité témoigne, et non l’individu, ce qui renforce ce témoignage.
– Implicitement : « Metellum familiarissimum suum. » C’est un argument d’autorité.
En s’appuyant sur le caractère implacable de sa démonstration, Cicéron se fait fort de souligner la mauvaise foi de la parti adverse.
2. Cicéron laisse entendre qu’Archias est victime d’un mauvais procès
2.1. Une structure argumentative au service d’une stratégie particulière
C’est un texte qui repose sur deux mouvements :
Le 1er mouvement est d’ordre démonstratif ; il est court, ce qui empêche toute possibilité de réplique.
– Cicéron retourne la situation :
On passe du plaidoyer en réquisitoire
Cicéron se veut avocat de la défense face à l’avocat de l’accusation ; Archias étant la victime.
2ème mouvement : le réquisitoire
– Acculer Gratius en se servant de ses contradictions.
La production des témoignages vaut argument d’autorité.
– Attaque de Cicéron : question des registres d’Héraclée.
Mise entre parenthèses de cette question pendant tout ce qui précède afin d’empêcher quiconque d’intervenir sur ce problème là, pour ensuite le prendre à bras le corps.
Les deux premières clauses sont démontrées et présente celle-ci sous la forme d’une attaque.
2.2. Registre polémique
2.3. Pour mettre en valeur le caractère non pertinent de l’argumentation de la partie adverse
Ryhtme ternaire qu’il est difficile de rendre en français, d’où la répétition de l’expression fançaise « il est ridicule », dans la traduction proposée.
L’utilisation des verbes : desiderare (x2), flagitare. Cela donne l’idée d’une argumentation insistante et répétitive.
Cicéron conduit ainsi ses destinataires à penser que le procès fait à Archias est un mauvais procès.
En quoi le Pro Archia rend-il compte de la place et des enjeux de la question de la citoyenneté dans la Rome classique ?
On peut renvoyer au Musée vivant (Académie de Versailles).
Un accès à la citoyenneté codifié
– Cicéron fait ici référence à la La lex Plautia Papiria ; c’est une loi romaine, promulguée en 89 av. J.-C., par les deux tribuns de la plèbe M. Plautius Silvanus et C. Papirius Carbo.
Elle vise à mettre un terme à la guerre sociale qui oppose Rome à ses alliés italiens qui réclament le droit de cité romain. Elle généralise les concessions antérieures formulées en 90 av. J.-C. dans la lex Julia et accorde en principe le droit de cité à tous les Italiens au sud du Pô sans exception, sous les seules conditions d’avoir leur domicile légal en Italie et de venir se faire inscrire à Rome, même par le préteur, sous un délai de 60 jours.
Cette loi donna satisfaction à la plupart des peuples italiens insurgés, tout en bénéficiant à ceux qui n’avaient pas pris part à la révolte (Etrusques, Ombriens). Son application pratique exigea encore des débats, pour décider dans quelles tribus romaines seraient inscrits les nouveaux citoyens. Les conservateurs (parti des optimates) voulurent les inscrire uniquement dans les quatre tribus urbaines, ce qui neutralisait l’influence des Italiens. Les progressistes (parti des populares) obtinrent que les inscriptions soient réparties sur l’ensemble des 35 tribus.
– L’adoption de cette loi doit donc être replacée dans l’évolution du droit de citoyenneté.
Quelques dates importantes marquent l’évolution de la concession de la citoyenneté :
• La lex Iulia de Civitate Latinis Danda ou lex Julia (-90) et la lex Plautia Papiria (-89) étendent le droit de cité complet aux habitants du Latium, puis la citoyenneté latine à tous les habitants libres de l’Italie. Ces mesures permettent de clore la Guerre sociale en satisfaisant sa principale revendication.
• En -65, la Lex Papia réprime l’usurpation de citoyenneté romaine.
• En -49, la lex Roscia accorde la citoyenneté romaine à tous les habitants d’Italie, y compris en Gaule cisalpine au début de la guerre civile.
• En -44, à l’initiative de Marc Antoine, la citoyenneté romaine est donnée à tous les hommes libres de Sicile
Un droit qui se mérite
– Qui peut devenir citoyen ?
Les fils d’affranchis (Horace)
Les pérégrins (étrangers libres), bénéficiaires de la civitatis donatio.
On appelait « pérégrins » des individus qui étaient nés libres, qui habitaient l’une des provinces de l’Empire romain, mais qui n’étaient pas citoyens romains.
– Comment devenir citoyen ?
Dès la fin de la République, des procédures furent mises en place pour permettre à des pérégrins de devenir citoyens romains.
La citoyenneté romaine pouvait être acquise :
• à titre individuel, par ses mérites propres ;
• à titre individuel ou collectif dans le cadre d’une cité de droit latin. Ainsi les notables d’une cité de droit latin, comme Avenches, recevaient la citoyenneté romaine lorsqu’ils avaient accompli une carrière municipale complète ;
• à titre individuel, par le biais d’un engagement dans l’armée romaine.
Cicéron met ainsi en place le raisonnement suivant : si Archias ne tombait pas sous le coup de la loi, et qu’il devait être reconnu comme citoyen en droit, il pourrait acquérir ce droit par son mérité propre.
– Le futur citoyen doit présenter les qualités qui lui permettront d’honorer ses droits en qualité de citoyen.
En effet, le droit de citoyenneté donne accès aux droits suivants :
• Jus suffragii : le droit de vote
• Jus militiae : le droit de s’incorporer dans la légion romaine, et d’y recevoir une solde
• Jus Honorum : le droit d’être élu magistrat
• Jus census : le droit de propriété
• Jus sacrorum : le droit de participer aux sacerdoces
On peut en effet mettre cela en relation avec les qualités présumées d’Archias au regard des gens qui se portent caution.
Un droit sur lequel on veille jalousement
On peut noter la proximité chronologique entre la date d’adoption de la Lex Papia qui réprime l’usurpation de la citoyenneté romaine en - 65 et l’affaire d’Archias en -62.
Ce débat autour de la légitimité de la citoyenneté d’Archias rappelle qu’aux yeux des romains, être citoyen romain représentait un privilège.
Ce privilège ne devait pas être bradé, comme l’affirmera un peu plus tard l’empereur Auguste (27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.). L’octroi de la citoyenneté devait se justifier par des mérites personnels et par un degré de romanisation suffisant. La maîtrise du latin constituait un critère fondamental pour juger du degré de romanisation d’un individu.
la figure de l’affranchi
Nous renvoyons de la même manière au Musée vivant (Académie de Versailles) qui a le mérite de faire le point de façon claire et synthétique, en renvoyant à de nombreux textes.
Peut ainsi être constitué un large groupement de textes :
SUETONE Annales 2, 6, 1-5 - « Le repas d’un avare dépensier »
SUETONE La vie des douze Césars - Claude XXVIII - Ses affranchis
SUETONE La vie des douze Césars – César XLVIII
SUETONE La vie des douze Césars – Auguste XL. Ses règlements en faveur de l’ordre équestre. Ses distributions de blé au peuple. Sa conduite à l’égard des comices. Il restreint la faculté des affranchissements et le droit de cité. Il rétablit le costume romain.
TACITE Les Annales XVIII - 56 A Rome - Problème des affranchis
PETRONE Satiricon Le personnage principal, Encolpe, invité au banquet organisé par Trimalcion, un ancien affranchi, étonné par le comportement du maître des lieux, é demandé des explications à son voisin. Celui-ci lui donne quelques informations.
L’intérêt réside dans la diversité des témoignages et la présence de points de convergences qui permettent d’établir la manière dont les affranchis étaient perçus à l’époque impériale.
On peut penser à la mise en place d’un atelier de traduction par petits groupes, sur des textes différents. La classe produira ainsi un dossier assez complet sur la figure de l’affranchi.