Les finalités de l’écriture au collège

, par LEGRAND Monique, IA-IPR de Lettres

Le défi des finalités ne relève pas de déclarations de principes mais plutôt de pratiques capables de les actualiser en maintenant en tension le couple instruction - éducation.
M. DEVELAY, Donner du sens à l’école

Dans le processus d’écriture, le professeur doit, tout comme l’élève, surmonter des réticences. Sa réflexion ne peut s’élaborer qu’à partir de l’élève qui est l’agent de cette écriture, un agent en éveil dans cette expérience, et qui grandit, et à qui on apprend comment faire. Il sera donc conduit à réfléchir sur des pratiques, des exemples concrets et particuliers qui favoriseront l’actualisation de ses potentialités, plutôt que sur des principes et des concepts abstraits. Certes, en se gardant de céder à la tentation de tout maîtriser, voire en envisageant de renverser ses méthodes, il accepte de prendre des risques. Sa démarche requiert de l’imagination pour envisager des pratiques d’écriture adaptées aux situations, aux progrès ou aux perplexités de l’élève, mais n’acquerra-t-elle pas aussi sa vraie dimension ?

DÉCIDER D’UNE LIGNE DE CONDUITE...

Comment rédiger les consignes ?

Pour le professeur, le défi consiste donc à penser à des pratiques qui favoriseront l’écriture : sachant que l’élève ne peut apprendre dès le début, il laissera de côté dans la présentation du travail toutes celles qui brident l’imagination par des consignes négatives susceptibles de renvoyer à des situations de blocage et qui ferment la voie sans montrer de piste à parcourir ; il préfèrera les consignes positives, qui encouragent la mise en mouvement de l’imaginaire. On pourrait en trouver un bon exemple dans l’épreuve de rédaction du Diplôme National du Brevet des Académies du groupement nord, séries technologique et professionnelle :

Exemple d’un sujet d’imagination

Imaginez que Julien change encore d’avis sur la profession qu’il envisage d’exercer. Rédigez un texte qui commence par : « Il avait décidé de devenir... » Continuez !

Pour rédiger mon texte, je tiens compte des conseils suivants :
 Je structure mon texte.
 Je tiens compte des qualités et de la personnalité de Julien.
 J’utilise la 3ème personne « il »
 Je respecte les régles d’orthographe et de grammaire.
 Je vérifie que mes phrases sont complètes.
 Je soigne la présentation et l’écriture.
 Je rédige un texte d’au moins 20 lignes.

Analyse des consignes d’écriture du sujet d’imagination

Remarquons le mot « conseils » et l’emploi de la première personne qui implique l’élève dans le processus. La consigne est liée à l’évaluation, mais sous ce mot, on peut mettre des contenus différents :
 on peut évaluer une progression,
 on peut évaluer des démarches, examiner quel processus l’élève a choisi pour écrire,
 on peut évaluer des étapes de l’écriture...

La consigne est devenue « conseil », elle ouvre, incite, guide, rassure. La consigne n’est toutefois pas à confondre avec la « contrainte » qui renvoie à une conception de l’écriture scolaire plus proche de l’écriture artistique, littéraire : la contrainte resserre, impose des choix, mais, et c’est là son paradoxe, elle suscite aussi le dépassement de soi-même et fait jaillir la liberté inventive : elle devient l’expression même de la liberté de l’écrivain.

... ET ACCEPTER DE PRENDRE DES RIQUES...

« Danger, c’est le même mot que »risque« , mais vu de façon négative. Le risque, lui, peut être positif. On peut dire : »Je prends ce risque« , mais non : »Je prends ce danger.« On dira plutôt : »J’évite ce danger.« Donc, danger, c’est quand même un mot dépréciatif, alors que la notion de risque peut être positive. » Le risque, M. Asch, A. Le Ninez, 2003

Accepter les risques de projets d’écriture longs

En troisième, pour traiter le genre autobiographique, le professeur peut dépasser l’écriture de clôture de séquence, exercice fermé et en nombre limité, pour proposer de réaliser, par exemple, un « Carnet de voyage » avec des consignes très ouvertes, comme celles-ci, données à deux classes de troisièmes qui s’apprêtaient à partir en Grèce quelques mois avant les Jeux Olympiques.

Exemple de projet d’écriture long en 3ème : Comment créer votre carnet de voyage...

UN SITE, UNE FEUILLE : chaque jour, et pour chaque site, nous vous distribuerons un questionnaire à remplir sur place grâce aux informations que nous vous fournirons, ou à compléter, le soir, dans votre chambre. S’il est vrai, comme l’écrit si bien le poète, que :
"les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent"
Ces questionnaires vous permettront de graver un cadre pour votre mémoire.

Ce carnet de voyage ne saurait être qu’un simple jeu de questions-réponses ; il devra rendre compte d’une expérience unique, totale, la vôtre. Pour cela vous pourrez par exemple :
 1. Y inclure des photos, des « objets » que vous glanerez ici et là (une feuille du laurier d’Apollon, de la terre, une fleur des collines de Nauplie, un article de journa, bref, tout ce qui, à vos yeux portera témoignage de cette petite Odyssée). Vous constituerez ainsi ce que nos voisins anglais appellent un « scapbook ».
 2. Si vous êtes doué, y ajouter des croquis : les Muses du Parnasse vous inspireront sans doute !
 3. Y noter vos impressions personnelles, au jour le jour.

Au retour, vous mettrez tout cela en forme. Nous vous laissons la liberté qui, pour nous, professeurs, serait une très grande joie, de rédiger un véritable récit de voyage, c’est-à-dire un authentique document autobiographique. A nous de voir ce que nous en ferons ensuite...

Accepter le risque de faire travailler ensemble des élèves au rythme différent

En quatrième, les groupes de latin comportent souvent des élèves très rapides : proposer le projet d’écrire une nouvelle historique peut susciter un réel enthousiasme, permettre une mise en place allegro d’un incipit... mais ce peut être aussi un élève, moins rapide que les autres, qui imagine finalement la scène qui donnera l’impulsion au reste de la classe. C’est ce qui se produisit à propos d’une nouvelle intitulée « Dernières heures de Pompéi ».

"... Je me trouvais dans une immense prairie verdoyante sous le soleil d’été. Des champs à perte de vue, voilà ce que je voyais, un paysage magnifiqu plein de couleurs. On se sentais heureux en ce lieu, libre. Un délicat parfum de mangolia flottait dans l’air. J’empruntais le chemin afin de me rendre aux thermes.
Marchant dans la prairie d’un pas léger, je passais sous un magnolia ; une fleur s’en détacha et tomba devant moi. Je voulus la ramasser. Mais une chose étrange se produisit : des nuages couvrirent le soleil, un vent glacial se leva et la fleur, comme desséchée, fana. Elle, si légère et belle, virevoltant au gré du vent, tomba morte plus lourde qu’une enclume.
J’ouvrir les yeux : j’étais dans mon lit. Tout ceci n’était donc qu’un rêve, pourtant... Je restais là, assise, à me repasser la scène, encore et encore. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Pourquoi s’inquiéter ? Je me dis que je n’était qu’un mauvais rêve. Une chose était sûre, c’était que je devais me rendre aux thermes ce jour-là."

L’élève le plus lent de la classe avait pris le temps de laisser venir lui l’idée qui lui permettait d’insérer le songe dans la narration et de mettre ainsi en mouvement la longue marche vers la catastrophe finale...

Accepter le risque de laisser se révéler un enfant

Ce jour-là, le regard du groupe sur cet élève, dont les performances étaient en retrait, se transforma, son propre regard aussi. Il avait découvert qu’il existe une reconnaissance autre que celle de l’évaluation : la reconnaissance par l’écoute, le plaisir procuré ; désormais, il pouvait prendre sa place au milieu du groupe. Il avait acquis l’estime des autres et de lui-même. Ce jour-là aussi, le professeur avait « éduqué » et « formé » en même temps qu’il instruisait.

Accepter le risque d’accorder un autre regard sur l’élève

C’est le rapport à l’écriture qui change pour le professeur : il devient lecteur avant d’être correcteur, un lecteur bienveillant, étonné ou admiratif et ce changement de position peut induire une attitude différente face à l’écriture. L’élève pourra trouver des motivations personnelles et tentera de les exprimer plus librement...

Ne sommes-nous pas issus d’une civilisation qui nous a appris à surmonter les risques, ne sommes-nous pas les descendants d’Ulysse ? Nous venons de créer une science nouvelle, un mot nouveau pour la nommer : la« cindynique », terme emprunté au grec « kindunos » qui signifie le danger. Cette science étudie la gestion du risque. Les Grecs de l’Antiquité, des « technophiles » (expression utilisée par T.P. Tassios), ont su donner l’exemple, par les colonnes qu’ils ont érigées, que l’on pouvait construire des colonnes capables de résister aux séismes quotidiens qui surviennent dans ce pays. La colonne grecque n’apparaît-elle pas comme le paradigme de l’intelligence humaine ? Prenons donc le risque d’être optimistes...

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