Matériaux pour un IDD : le labyrinthe

, par LEGRAND Monique, IA-IPR de Lettres

MATÉRIAUX POUR ITINÉRAIRES DE DÉCOUVERTE DANS UN JARDIN : DE MINOS...À LA MARELLE

Présentation

Disciplines de référence :

 LETTRES CLASSIQUES / FRANCAIS : Le Moyen Age « Pour la formation d’une culture commune, il s’agit de donner accès, de façon diversifiée selon le niveau de la classe, à des textes représentatifs de références culturelles de Moyen Age, de la Renaissance et de l’Age classique. »

 Discipline associée : LATIN « L’apprentissage tire parti des connaissances historiques acquises en 6ème. Il sollicite et renforce les compétences et connaissances de la classe de français. »

 HISTOIRE : Le Moyen Age, la chrétienté occidentale, l’Église.
« Sans omettre les évolutions, le XIIIème siècle est choisi comme observatoire privilégié. »

L’Eglise est présentée comme une structure et un acteur essentiels de l’Occident médiéval. Elle participe à son expansion (évangélisation, pélerinages, croisades ). L’enracinement social et les manifestations de la foi sont étudiés à partir des monuments et des oeuvres d’art.

  • Carte : diffusion de l’art gothique
  • Repères chronologiques : la première croisade, François d’Assise
  • Documents : une abbaye ; une cathédrale.

Introduction

En se promenant dans un jardin, on peut rencontrer des éléments divers. L’un des plus étranges est sans aucun doute le labyrinthe. Il m’a semblé que le motif du labyrinthe était de nature à illustrer un itinéraire de découverte. L’idée de ce projet est née d’un étonnement : la figure du labyrinthe étonne, en effet, par son ubiquité, son antiquité et sa faculté si singulière à se charger au cours des temps de valeurs culturelles nouvelles, à être investie d’une telle « hypersymbolisation » qu’elle peut apparaître comme la figure emblématique de l’existence humaine.. Pour un homme du XXIe siècle, découvrir un labyrinthe dans le Parc de Disneyland n’a rien d’étonnant, mais se trouver face à un labyrinthe en pénétrant dans une cathédrale gothique, cela tient de l’incongru. Il peut donc paraître intéressant de tenter de découvrir ce que représentait ce motif, notamment dans la pensée médiévale.

Les étapes

Le point de départ : ubiquité du labyrinthe

Le point de départ de l’itinéraire consiste à prendre l’élève là où il est, dans le monde qui lui est familier :

Première possibilité : découvrir des labyrinthes de jardins.

Dans la vallée du Loir, aux confins du Maine, de la Touraine et du Vendômois, s’élève la haute façade du château de Poncé, édifié à l’époque de la Renaissance. Ses jardins s’étendaient vers le sud jusqu’au Loir. Il en reste aujourd’hui un bel ensemble de charmilles taillées, classé Monuments Historiques : elles se composent de salles de verdure, de bassins et d’un « labyrinthe » de charmes qui s’ordonne en allées concentriques autour d’un très gros platane.

En Normandie, le château de Beaumesnil, de style baroque, bâti de 1633 à 1640, est entouré de 80 hectares d’un parc dessiné par La Quintinie. Le jardin contient un curieux labyrinthe circulaire au milieu d’un bassin.

Dans la région Midi- Pyrénées, le jardin du château de Merville recèle un grand labyrinthe de 2700 mètres d’allées.

Deuxième possibilité : les labyrinthes éphémères .

Pour sa septième édition, Labyrinthus a aménagé des labyrinthes dans des champs de céréales pour fêter l’année Victor Hugo. Les visiteurs se sont perdus cet été, du 13 juillet au 25 août, dans quatre parcs : - en Charente-Maritime, à Cravans ; - dans le Lot, à Martel ; - dans les Pyrénées -Atlantique, à Laàs ; - en Alsace, à Ribeauvillé. Les élèves pourront consulter le site http://www.labyrinthus.com dans la salle multimédia de leur collège.

Troisième possibilité : le labyrinthe de Disneyland.

Fantasy Land propose un monde inspiré des légendes pour enfants et des contes de fées repris dans les dessins animés Disney. Là se trouve « Alice’s Curious Labyrinth », un dédale de haies menant au château de la reine de Coeur d’Alice au Pays des Merveilles. ( On pourra au préalable proposer la lecture du conte de Lewis Carroll en demandant de chercher le labyrinthe. Le seul élément labyrinthique que l’on trouve se situe au début du conte, Alice est dans un jardin, tout engourdie par la chaleur d’un après-midi d’été : « Alice fit un bond. Elle venait brusquement de réaliser que jamais encore elle n’avait vu un lapin tirer une montre de son gilet. Poussée par la curiosité elle s’élança à sa poursuite. Elle eut la chance de le rattraper assez vite pour le voir s’engouffrer sous une haie dans un terrier.

Sans perdre un instant ni se demander comment elle pourrait revenir, Alice le suivit. Le terrier s’allongeait comme un tunnel. Soudain il y eut une pente si raide quAlice ne put s’arrêter. Elle tomba dans une sorte de puits profond. Il devait être très profond, ou bien la chute fut très lente car elle eut assez de temps pour s’inquiéter de ce qui alllait lui arriver. Alice chercha tout d’abord à se faire une idée de l’endroit où elle tombait. Il faisait trop noir, elle ne vit rien. » )

L’ étape étymologique : antiquité du labyrinthe

On expliquera d’abord le mot « étymologie », sa composition en deux formants. Si les élèves connaissent bien le second élément « logie » qui signifie « étude de », ils identifient mal le premier, l’adjectif grec « étymo » qui signifie « vrai ». L ’étymologie est donc l’étude du vrai sens du mot, c’est-à-dire de ce que le mot désignait réellement, concrètement, au moment où il a été créé et que l’on ne perçoit plus toujours, aujourd’hui, quand il a vieilli et qu’il s’est chargé - ou déchargé - de signification.

1. La recherche

Une recherche dans le dictionnaire permet d’obtenir la réponse : « du grec labyrinthos , construction remplie de détours inextricables, mot égéen . » (Dictionnaire étymologique Robert) . Le mot qui désigne une construction remplie de détours inextricables serait probablement de la même racine que labrys ( avec un suffixe non indo-européen en -inthos). Que signifie labrys, quel objet désigne-t-il ? Il désigne la hache, pas n’importe quelle hache, la bipène .

2. La bipenne, la hache double.

Elle est constituée d’un manche autour duquel sont symétriquement attachées deux lames ; il s ’agissait à l’origine d’une hache en pierre polie .

L’Encyclopédie des symboles de Michel Cazenave nous apporte des précisions très intéressantes : « Elle occupait auparavant une place importante dans le culte de la Crète minoenne ; les spéculations sur la forme des deux lames, semblables à des demi-lunes, laissent à penser qu’il s’agirait d’un symbole lunaire cherchant également à montrer le caractère » à double tranchant « de tout pouvoir. Le dessin de la double hache était gravé dans les pierres de taille des palais de la Crète ancienne. »

Il va donc falloir cheminer dans le temps et dans l’espace pour gagner Cnossos, au deuxième millénaire avant Jésus-Christ. Mais retenons auparavant deux autres indications nous invitant à relier la bipène au matriarcat : « Elle fut d’abord attribuée à la déesse Rhéa, puis usurpée par les dieux de l’Olympe pour devenir l’attribut de Zeus, le carreau de la foudre. (...) L’arme est sans doute originaire d’Asie Mineure et on la retrouve souvent dans les mains des légendaires Amazones. Les recherches consacrées aujourd’hui à la femme et à la féminité ancienne ont établi un lien entre la bipène d’une part et les phases lunaires et le matriarcat d’autre part. »

Le labyrinthe de Cnossos

1. Le mythe crétois.

a. Date et lieu.

Sur le plan historique, le Labyrinthe crétois date de l’âge du bronze (2000 ans avant notre ère) ; il est situé dans ou près du palais de Cnossos. La tablette de Pylos, portant des caractères de linéaire B et un dessin de labyrinthe, appartient à la fin de la même période (1200 ans avant notre ère).

b.Les protagonistes

 Les Crétois : le couple royal Minos et Pasiphaé, ainsi que leurs enfants, dont Androgée, Ariane et le Minotaure, sujet principal du mythe.
 Les Grecs : Egée, roi d’Athènes, son fils Thésée et Dédale.

c. Le conflit

Androgée, victime innocente, est à l’origine du conflit. Ecoutons Pierre Grimal :

"Remarquable dans tous les jeux athlétiques, il était venu prendre part aux concours donnés à Athènes par Egée. Là, il vainquit tous ses concurrents. Jaloux, Egée le fit assassiner. Pour ce crime de sang, Minos exigea des Athéniens un tribut payable tous les neuf ans, de sept jeunes gens et de sept jeunes filles . Lorsqu’arriva le moment de fournir ce tribut pour la troisième fois, les Athéniens commencèrent à murmurer contre Egée. Thésée réfléchit et, pour les apaiser, se désigna volontairement pour être envoyé en Crète. Les jeunes gens devaient venir sans armes mais, s’ils réussissaient à tuer le Minotaure, auquel ils devaient être jetés en pâture, ils auraient le droit de s’en retourner librement.

En partant, Thésée avait reçu de son père deux jeux de voiles pour le navire. Des voiles noires, pour l’aller - car le voyage était funeste - et des voiles blanches pour le retour, si Thésée était parvenu à tuer le Minotaure.

Arrivé en Crète, Thésée fut enfermé, ainsi que ses compagnons, dans le labyrinthe, qui était le « palais » du Minotaure. Mais, auparavant, il avait été aperçu par Ariane, l’une des filles de Minos, qui en était devenue amoureuse, et lui avait donné une pelote de fil, afin qu’il pût retrouver son chemin dans le Labyrinthe.

Ariane, avant d’aider Thésée, y avait mis comme condition qu’il l’épouserait et l’emmenerait avec lui dans sa patrie. Thésée avait promis et il tint sa promesse. Lorsqu’il eut tué le Minotaure ( en l’assommant à coups de poing ), il saborda les navires des Crétois pour empêcher toute tentative de poursuite et mit à la voile, la nuit, accompagné d’Ariane et des jeunes Athéniens que son exploit avait sauvés.

Thésée parvint à Naxos un soir et fit escale. Ariane s’endormit et, quand elle s’éveilla, elle était seule. - Les mythographes se sont interrogés sur la cause de cet abandon. - Quoi qu’il en soit, Ariane fut épousée ensuite par Dionysos, qui l’emmena aux pays des dieux.

Sur le chemin du retour, Thésée fit une autre escale, à Délos, où il consacra, dans le temple, une statue d’Aphrodite que lui avait donnée Ariane. Là, il dansa, avec les jeunes gens sauvés, une danse circulaire compliquée, qui représentait les sinuosités du Labyrinthe. Ce rite subsista à l’époque historique.

Arrivé en vue des côtes de l’Attique, Thésée, tout au chagrin de la perte d’Ariane, oublia de changer les voiles noires de son navire et d’arborerla voile blanche, signe de victoire.Egée, qui guettait son retour sur le rivage, aperçut la voile noire et, croyant que son fils avait péri, se précipita dans la mer, qui prit alors le nom de mer Egée."

Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine.

2. Caractéristiques du labyrinthe crétois.

Dans ce mythe minoen, on fera découvrir les aspects particuliers du labyrinthe :

 il a un rapport avec la mort ( les jeunes Athéniens sont tués par le Minotaure, Thésée y tue le Minotaure )
 celui qui s’y aventure risque de s’y égarer
 le héros a besoin d’un fil conducteur pour accomplir sa tâche
 l’important est de pouvoir sortir du labyrinthe ( il faudrait un fléché vers l’extérieur pour y parvenir )
 la victoire finale est obtenue grâce à l’aide d’une jeune fille, Ariane dont le nom signifie « la toute blanche ».

Les labyrinthes des cathédrales : l’hypersymbolisation

Pour créer le choc de la surprise, le professeur d’histoire pourra proposer d’étudier - sans transition - le plan d’une cathédrale et il laissera les élèves découvrir...

1. La cathédrale d’Amiens

a. Son origine.

Elle doit sa construction à la croisade menée par un chanoine de Picquigny, Wallon de Sarton. Celui-ci participa à la prise de Constantinople durant laquelle il s’empara de la relique de Saint-Jean Baptiste, faite de la partie supérieure de son crâne.

De retour à Amiens en 1206, le chanoine remit la précieuse relique à son évêque, Evrard de Fouilloy, lequel décida d’ériger un reliquaire à la mesure de la grandeur du saint : une cathédrale.

b. Un mystérieux labyrinthe.
Au centre de la nef, tracé sur le dallage , sur une longueur de 240 mètres, se déploie un étrange labyrinthe de forme octogonale. Il a été refait de 1894 à 1896. Au milieu de l’octogone central, figure une croix qui indique la direction des quatre points cardinaux ; on peut aussi y lire la date de construction de l’édifice (1220), le nom du roi de France qui régnait alors ( Philippe-Auguste ), et les noms et les effigies des Evêques batisseurs ; figurent encore les noms des architectes Robert de Luzarches, Thomas et Renaud de Cormont, le père et le fils .

En ce centre octogonal se produit chaque année, pendant un court instant, et si le ciel le veut bien, un phénomène troublant. Chaque 24 juin, jour du solstice d’été, à 8heures 45 le matin, un rayon lumineux, passant par l’un des vitraux de la Chapelle Saint-Jean, vient frapper le centre de la croix qui indique la direction des points cardinaux : le soleil se lève dans l’axe de la cathédrale vers l’orient, vers Jérusalem. Il faut savoir en effet que, comme la plupart des édifices religieux, la cathédrale d’Amiens est construite dans l’axe Est-ouest. Avant de faire face au peuple, l’autel était tourné vers Jérusalem.

2. La basilique de Saint-Quentin .

a. Son origine

Elle a été inaugurée par saint Louis en 1258... soit plus de neuf siècles après le martyr du saint qu’elle honore : Quentin. Ce romain, fils de sénateur, est donné, dès le départ comme un être d’élite : sa simplicité et son dévouement étaient exemplaires ; il possédait aussi un don de naissance, le pouvoir de la parole. Vers la fin du IIIème siècle, il était venu évangéliser aux frontières de l’Empire Romain, dans ces territoires qui n’étaient pas encore la Picardie, mais la Belgique Seconde, division administrative romaine groupant les tribus celtes du nord du bassin de la Seine et celles du bassin de l’Escaut.

Toute sa légende se trouve ramassée sur les derniers jours de son existence, une semaine peut-être d’un face à face dramatique avec son tortionnaire, à Amiens d’abord ( la prison, les chaînes, la flagellation, les chairs labourées par des ongles de fer, l’huile bouillante, la poix, la graisse fondue versées sur le dos, les flancs brûlés par des torches !), à Augusta ensuite ( la future cité de Saint-Quentin), où il subit le supplice final : rougies au feu, les broches enfoncées dans les épaules, et les aiguilles passées sous les ongles.

En 651, quelque trois siècles après que la dépouille de Quentin eut été mise en terre, l’évêque de Noyon,saint Eloi, redécouvrit la sépulture du martyr. Les ossements exhumés furent rangés dans un reliquaire précieux, portés à la vénération : le pélerinage était né. Le clergé garda les reliques et édifia un édifice à la taille des foules attirées. (Saint-Quentin, Du saint à l’homme, A.Fiette ).

b. Son labyrinthe.

Outre sa monumentalité (123 mètres de long, 52 mètres de large, 34 mètres sous voûte ), son double transept ( en forme de croix de Lorraine ), unique en Europe continentale, l’originalité de la Basilique réside dans son labyrinthe d’origine resté en place, et ses orgues royales.

Installé en 1495 , il est l’un des deux seuls exemplaires originaux d’un labyrinthe parvenu intact jusqu’à nous. Au sol des premières travées de la nef, il dessine une vaste géométrie octogonale en marbre noir et blanc. De 11,60 mètres de rayon, il a un développement de 260 mètres.

3.La cathédrale Notre-Dame de Chartres.

a. Son origine

L’actuelle cathédrale de Chartres fut construite en trente ans environ au début du XIIIème siècle, presque aussitôt après l’incendie qui ravagea la précédente en 1194, l’ancienne « Eglise de Fulbert ».

b. Son labyrinthe

Bien situé, dans la nef ( au seuil de ce qui était la Cathédrale de Fulbert), bien conservé, d’une réelle beauté, il est parmi tous les labyrinthes de nos cathédrales, l’un des plus grands. Ce chemin se déploie en effet sur 261m55. Il est le seul à être doté d’une bordure et d’un motif central, une rose à six pétales, au centre de laquelle se trouvait, jusqu’à la Révolution, une étrange plaque de cuivre.

Ce labyrinthe est le lieu d’un phénomène remarquable : deux jours par an, un rayon illumine le centre de ce monument, ce qui devait produire un effet d’une rare splendeur quand il pouvait se réfléchir sur la plaque de cuivre qui l’ornait avant 1793. Le 22 août, jour de la saint Fabrice, le soleil projette sur le centre du labyrinthe la figure de la Vierge qui est située en haut de la verrière centrale du triptyque de vitraux au-dessus du Portail Royal.

Pour comprendre ce que vient faire le jour de la saint Fabrice dans un calcul se rapportant à un édifice dédié à Sainte Marie , il faut songer aux imprécisions du calendrier julien et aux modifications survenues avec l’introduction du calendrier grégorien : quand l’homme du Moyen Age croyait être entre le 13 et le 15 août, il était déjà parvenu au 22 août de notre calendrier actuel. Ainsi, c’est à la date du 13 ou 15 août que la projection de la figure de la Vierge dut être constatée en 1194, quand fut déterminé le point que devait matérialiser le labyrinthe six ans plus tard.C’est donc bien Notre-Dame, le jour de la fête de sa « Dormition » le 13 août ou de son « Assomption » le 15 août qui fixa l’emplacement du labyrinthe et qui, en le faisant, imposa sa géométrie à toute sa cathédrale.

4. La cathédrale de Reims.

a. Son origine

La cathédrale Notre -Dame fut commencée en 1211 et terminée au XIIIème siècle.

b. Son labyrinthe

Avant 1779 on y remarquait un grand labyrinthe incrusté en pierre noire dans le dallage des deuxième et troisième travée de la nef. Il diffère sensiblement des trois précédents : « il formait un grand carré comprenant en son centre une figure, et flanqué aux quatre angles de compartiments de forme polygonale ornés des effigies des quatre premiers maîtres d’oeuvre de la cathédrale. Le reste du carré était rempli par une ligne de dalles blanches bordées de pierres noires dont le dessin ressemblait à ces jeux que l’on voit aujourd’hui dans les journaux d’enfants. Après des sinuosités compliquées, le tracé aboutissait au compartiment central, puis successivement à chacune des quatre images figurant dans les coins. Des légendes indiquaient les noms des maîtres d’oeuvre et la part de chacun d’eux dans la construction de la cathédrale : en haut, à droite : Jean d’Orbais ; en haut, à gauche : Jean le Loup ; en bas, à gauche : Gaucher de Reims, et en bas, à droite : Bernard de Soissons. Le personnage figurant à la place d’honneur, au centre, était, selon certains historiens, l’archevêque Aubri de Humbert, qui fit construire la cathédrale ; ou, selon d’autres, Robert de Coucy, qui termina les parties hautes de la façade et fit exécuter le labyrinthe. » (Daniel Pellus, Quand Reims bâtissait sa cathédrale, )

Analyse de ces labyrinthes : l’hypersymbolisation

Que peut signifier la floraison de labyrinthes,en France, pendant les XIIe et XIIIe siècles, époque à laquelle les grandes cathédrales gothiques sont mises en chantier ? « Il était d’usage, écrit Viollet-le-Duc, pendant le moyen âge, de disposer au milieu de la nef de certaines grandes églises des pavages de pierres blanches et noires ou de carreaux de couleur formant, par leurs combinaisons, des méandres compliqués auxquels on donnait le nom de labyrinthe, de chemin de Jérusalem ou de la lieue ». ( Dictionnaire de l’architecture médiévale ).

a. Ce que nous savons

 ces labyrinthes comportent 11anneaux

 ils se composent de 276 dalles

 leur parcours pourrait être fléché vers l’intérieur : contrairement à celui de Cnossos, ils ne sont pas là pour égarer ceux qui s’y engagent . Aucune fausse route, aucune impasse : les méandres conduisent de toute façon au centre du dessin.

 le pélerin du XIIIème siècle parcourait ce chemin à genoux, en priant, comme s’il faisait un pélerinage vers Jérusalem, c’est pourquoi ils portaient le nom de « Chemin de Jérusalem ». La « lieue de Jérusalem » de Saint-Quentin était marqué par le souvenir de la montée au mont Golgotha de Jésus avant d’être crucifié. Parcourue à genoux durant la semaine sainte, elle bénéficiait du charisme du grand pélerinage.

 à Chartres, dans le médaillon central du labyrinthe, on ne découvre plus que des pitons de cuivre, mais, jusqu’en 1793, ces pitons rivaient au sol une plaque de cuivre illustrant le combat de Thésée accompagné d’Ariane contre le Minotaure. Il faut tenter de comprendre cette réminiscence païenne dans un édifice à la gloire de Marie.

b. L’hypersymbolisation

Pour répondre à ces interrogations, il faut entrer dans l’univers médiéval empreint des valeurs chrétiennes et examiner comment des symboles païens ont pu être investis d’un symbolisme occidental nouveau. J’ai donné à ce phénomène le nom d’ « hypersymbolisation ». Quel que soit le nom que l’on peut lui attribuer, le processus témoigne de la permanence de certains symboles dans le temps, et celui du labyrinthe en est un exemple fécond. Tentons de le montrer :

 les 11anneaux : si l’on se réfère à saint Augustin, onze est le nombre de la transgression de la loi parce qu’il dépasse d’un le nombre dix qui est celui du Décalogue.

 les 276 dalles : 276 correspond au nombre de jours - du 25 mars - jour de l’Annonciation dans le calendrier catholique - au 25 décembre, jour de la naissance du Christ.

 Ariane : elle représente la jeune vierge - la vierge Marie - grâce à qui l’homme trouvera son salut. On voit bien ici comment l’église s’est approprié la légende de Thésée pour l’investir d’une interprétation nouvelle.

Le labyrinthe est un chemin symbolique qui mène l’homme de la terre à Dieu ; un chemin où l’homme va à la rencontre de Dieu. Le centre de cette grande figure symbolise la Cité de Dieu. La démarche ne consiste pas seulement à aller jusqu’au centre mais à en repartir. Le pélerin est invité à emprunter la ligne tracée face à lui pour monter vers le choeur de la cathédrale, vers l’orient, vers la lumière.

Ce symbolisme religieux était si fort au Moyen Age qu’il parvenait même à donner une dimension mystique aux labyrinthes profanes que l’on s’est plu à ménager dans les jardins : inspirés des règles de l’amour courtois, ils représentaient le chemin de l’initiation...amoureuse.

De Minos...à la marelle

Au fil du temps, le labyrinthe s’est transformé, a perdu de sa signification.

Dans l’Antiquité déjà, quelque 1000 ans après Minos, la figure du labyrinthe était toujours présente, comme l’atteste le graffito découvert dans les ruines de Pompéi. L’inscription : LABYRINTHUS HIC HABITAT MIN...OTAURUS , « LABYRINTHE, ICI HABITE UN MIN...OTAURE » pouvait désigner un certain Min... , première syllabe du nom d’un pompéien malgracieux qui habitait l’endroit. Mais il n’était plus que le support de ce jeu d’enfants que nous avons tous connu : la marelle. Le mot se rattache en effet à un radical « marr » qui signifie « pierre » : dans ce jeu, la pierre que l’on poussait était associée à l’âme. Le labyrinthe du Minotaure était devenu le jeu de la marelle .

Avec l’arrivée du christianisme , le dessin s’est allongé en forme de basilique et le « caillou-âme » devait être poussé vers le ciel... de la terre vers le ciel. Et tous les enfants qui ont joué à la marelle ont toujours été contents d’arriver jusqu’au ciel, sans savoir vraiment sur quel chemin ils mettaient réellement les pieds !

Au Moyen Age, les enfants s’amusaient inlassablement à parcourir, avec ou sans caillou, les méandres des labyrinthes , et c’est ainsi que fut supprimé, en 1779, celui de la cathédrale de Reims : « ce labyrinthe était le lieu de rendez-vous des gosses du quartier, qui s’amusaient interminablement à en suivre les méandres. Cela importunait beaucoup le clergé qui, las de jouer aux gendarmes à l’intérieur de la cathédrale, décida de supprimer purement et simplement ce monument. Il se trouva même un chanoine fort riche, mais probablement peu averti des choses de l’art, un certain Jacquemart, qui finança l’opération en versant » généreusement « mille livres de sa poche. C’était vers 1778 . Le labyrinthe disparut, et personne ne songea à en sauver les débris.

Mais le chanoine Cerf, qui fut l’un des plus éminents spécialistes de l’histoire de la cathédrale, s’est refusé par la suite à réhabiliter la mémoire du « confrère » qui fut à l’origine de cette perte irréparable. » (Quand Reims bâtissait sa cathédrale )

Bilbiographie

P. GRIMAL, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, P.U.F.

J. CHEVALIER et A. GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont

J. PICOCHE, Dictionnaire étymologique du français, éditions Le Robert

VIOLLET- LE - DUC, Dictionnaire de l’architecture médiévale.

J. et O. KETLEY-LAPORTE, Chartres, le labyrinthe déchiffré, Garnier (à lire pour une analyse complète du labyrinthe de Chartres)

M. PHILIBERT, Le labyrinthe, un fil d’Ariane, éditions du Rocher.

M-T. HAUDEBOURG, Les jardins du Moyen Age, Librairie académique Perrin.

D. PELLUS, Quand Reims bâtissait sa cathédrale, Reims.

A. FIETTE, Saint Quentin, du saint à l’homme.

Les Cahiers Sciences et Vie : Siences et techniques des bâtisseurs de cathédrales, juin 2002.

Avec mes remerciements à l’Office du tourisme d’Amiens

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)