Introduction
On ne comprend pas toujours l’intérêt qu’un élève du XXIe siècle peut retirer de l’enseignement de ces Langues et Cultures
de l’Antiquité, si l’on garde de cet enseignement une représentation (qui heureusement tend à disparaître) caractérisée par
la dichotomie d’un apprentissage morpho-syntaxique complexe d’un côté et de l’autre l’étude de la civilisation que l’on traitait
souvent sous forme d’exposés, l’ennui et l’obsolescence étant les substances « agrégatives » de l’ensemble.
La question qui est posée : quelle plus value aujourd’hui peut apporter cet enseignement, s’inscrit dans une interrogation
plus générale, celle de savoir quelle formation nous devons donner aux jeunes pour qu’ils puissent affronter le monde de
demain.
– Ce monde est celui de l’innovation : le temps est venu de développer dans notre enseignement cette valeur partout recherchée pour répondre aux défis à venir.
– Ce monde est celui de la mobilité : le temps est aussi venu d’ancrer l’éducation d’aujourd’hui dans les échanges
européens et les cultures de la méditerranée. La « mondio-citoyenneté » et la diversité culturelle sont une réalité .
– Ce monde est celui d’un nouveau citoyen : notre système éducatif doit le former, en développant les compétences intellectuelles et culturelles qui le rendront capable d’inscrire sa destinée dans ce monde.
Le temps est donc venu de « déscolastiquer » l’enseignement pour faire entrer l’humain dans le monde des savoirs, en les décloisonnant car la vie à l’extérieur de l’école n’est pas cloisonnée. Si l’humanisme se conçoit comme un projet pour épanouir l’homme, ces cultures de l’Antiquité, comme celles d’aujourd’hui, savent donner toutes ses chances à l’avenir des valeurs humaines. Les Anciens appelaient humanitas cette formation qui faisait de l’homme un être rationnel, équilibré et capable d’adapter ses connaissances à la diversité des situations.
Enfin, pour relever ces défis, notre école de la République se doit d’être performante : ces langues de l’Antiquité ont un rôle spécifique à jouer dans la réussite scolaire.
Quels sont donc les atouts du latin et du grec de l’Antiquité ? Quelle place ces langues peuvent-elles avoir dans le monde d’aujourd’hui, dans un parcours de formation aujourd’hui ?
I. L’innovation
L’enseignement des langues de l’Antiquité fait partie des disciplines considérées comme le fer de lance de l’innovation : cette affirmation aujourd’hui est de moins en moins perçue comme un paradoxe.
Une double nécessité a fait loi : dispenser un enseignement efficace à des groupes de collégiens ou de lycéens aux profils très différents, de classes et de niveaux très hétérogènes (grands débutants et confirmés) ; d’autre part redonner à cet enseignement l’attractivité qu’il doit susciter. On s’est mis à « enseigner autrement » la latin et le grec et ces disciplines suscitent l’intérêt parce qu’elles sont porteuses de projets qui réunissent les équipes pédagogiques.
Elles ont su à la fois proposer un apprentissage d’investigation, développant ainsi des compétences d’autonomie, et recourir à des pratiques innovantes.
1.Un usage des TICE très diversifié
- Le TNI et le BLOG pour amener les élèves à traduire. L’ apprentissage de la traduction étant un exercice exigeant, en présentiel le TNI s’est révélé un outil adapté pour projeter sur écran le texte analysé et mettre en place des codes de méthode efficaces.
- En non présentiel, le BLOG remplit les mêmes fonctions en conservant de plus la fonction dialogique (voir le site académique et les blogs de Marie-Anne Bernolle).
- L’usage de la classe nomade (chariot déplaçable de 16 postes avec vidéo-projecteur) permet à la fois un accompagnement personnalisé des élèves tous mis en démarche d’investigation et un travail partagé.
- Un usage constant de la Toile : particulièrement des sites spécifiques d’Internet d’une grande richesse (se reporter à la sitographie du site académique de la page des Lettres), toutes activités qui permettent de
valider le B2i collège ou lycée. On peut aussi citer l’usage innovant de cartes heuristiques pour enseigner le vocabulaire, de diaporamas pédagogiques…
2. Une autre approche de la culture cinématographique
Depuis plusieurs années et comme dans d’autres pays tels la Suisse ou l’Allemagne, ces langues se sont intéressées au péplum, dans une démarche résolument comparative qui sait développer des compétences
d’analyse critique et historique. Récemment, par exemple, le film Agora qui a suscité un grand intérêt (cf. la séquence élaborée par Jean-Marie Bourguignon, professeur à Paris), mais aussi le film des années 60, Spartacus de Stanley Kubrick...
3. D’autres méthodes de travail, sur d’autres supports d’étude
Bien des professeurs font intervenir par exemple la démarche
épigraphique : étude de textes sur pierre, sur colliers d’esclaves, sur pièces de monnaie. Toutes démarches qui contextualisent le texte à traduire et lui donnent sens et intérêt.
II. La mobilité
Dans la préparation « à la mobilité européenne et à l’intensification des échanges internationaux », le latin a une carte maîtresse à jouer, son atout linguistique.
Les langues romanes en effet, issues du latin parlé dans la Romania de l’ancien empire romain, ont pour nom le français, l’espagnol, l’italien, le portugais, le roumain, le romanche (langue parlée dans certains cantons suisses), le catalan et le provençal. Elles représentent aujourd’hui 200 millions de locuteurs sur un espace européen très proche de cette ancienne Romania, et plus de 500 millions dans le monde depuis leur essaimage vers les Amériques.
Etudier le latin, c’est donc bénéficier d’une appropriation facile des codes linguistiques de ces langues modernes, car si leur prononciation a pu prendre des couleurs différentes, leur charpente générale en revanche est restée quasi inchangée. N’oublions pas que les cinq langues les plus enseignées en France sont l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien et le portugais. Ces langues constituent donc le Socle linguistique de l’Europe.
III. La culture humaniste
D’autre part et surtout, dans la mesure où elles expriment le premier rapport au monde de notre ancêtre linguistique l’indo-européen, elles apportent une clé immédiate pour ouvrir aux élèves la porte du Sens, celui du rapport de l’homme au monde. Chaque mot latin ou grec en effet contient en lui la mémoire de ce premier geste de l’homme ouvrant ainsi
les portes de l’humanité, premier pas vers l’humanisme. Ce patrimoine est le socle culturel européen dont nous avons aujourd’hui besoin pour pouvoir construire ensemble cet avenir humaniste : un socle culturel qui concerne les arts et les Lettres, mais aussi les idées, la philosophie, la politique et les sciences.
Au collège, le décret du 11 juillet 2006 – décret du Socle Commun de Connaissances et de Compétences – a marqué un tournant décisif dans la didactique, une mutation profonde dans les pratiques pédagogiques car il invite à se placer du point de vue de l’élève dans la transmission des savoirs. Ce changement de regard conduit à rechercher une cohérence
entre les disciplines, une continuité dans le parcours scolaire de l’élève, une réponse aux interrogations qu’il se pose lui-même, sur son avenir d’homme et de citoyen dans le monde. Les mots, les phrases, les textes anciens ont vocation à assurer cette continuité, cette cohérence et cette culture de l’homme : les Grecs ne s’étaient pas trompés, qui ont appelé l’ « éducation » paideaia, mot dérivé du nom paidos, l’« enfant ».
La compétence 5 de la culture humaniste « permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité ». Les œuvres anciennes traduites permettent de découvrir un patrimoine littéraire et artistique, de comprendre le fondement des différents genres et d’apprécier leur renouvellement.
A tous les niveaux de la scolarité, ce patrimoine est l’objet et le sujet d’un enseignement auquel les programmes accordent de plus en plus de place, depuis la Sixième, avec l’étude des textes fondateurs de l’Antiquité et la lecture d’extraits d’Homère, d’Ovide ou de Virgile, jusqu’au lycée, avec les Enseignements d’Exploration « Langues et cultures de l’Antiquité au carrefour de l’Europe ». Au même titre que notre patrimoine architectural, les œuvres anciennes, en version traduite ou en version originale, sont dotées de la faculté de ranimer constamment la mémoire de ce passé ; elles constituent notre patrimoine commun, à l’image de ces statues du dieu Janus bifrons, tournées vers le passé pour mieux nous aider à maîtriser les défis d’aujourd’hui et de demain.
IV. Le latin et le grec et la réussite scolaire
Au collège comme au lycée, le latin et le grec bénéficient d’un double statut, à la fois « disciplines spécifiques » enseignées par les professeurs de Lettres classiques, mais aussi « outils didacticiels » permettant l’amélioration de la réussite scolaire, et de façon co-disciplinaire, notamment au lycée avec les Enseignements d’Exploration.
1. Un enseignement spécifique d’excellence
– Au collège, pour le DNB :
Les points obtenus au-dessus de la moyenne de 10 su 20 sont pris
en compte dans l’enseignement optionnel de latin/grec évalué lors du
contrôle continu en classe de troisième. Ces points supplémentaires
peuvent permettre d’obtenir une mention et l’octroi de bourse.
– Au lycée, pour le baccalauréat
Depuis 2006, les points au-dessus de 10 de l’option latin ou grec sont
triplés en raison du coefficient 3 qui est affecté à l’option.
2. Un synthétiseur de la formation
De la 5ème à la Terminale, le latin et le grec ont un rôle décisif d’impulsion pour créer un lien entre les disciplines littéraires et scientifiques par leur irréductible spécificité : la maîtrise de leur différence interdit l’irréflexion, oblige à l’analyse et au raisonnement, façonne des compétences qui se déclinent dans les disciplines du pôle des Sciences, le mettant ainsi en réseau avec celui des Humanités.
Prenons comme exemple l’exercice du thème latin. Si l’on veut savoir pourquoi les « forts en thème » sont aussi les « forts » en mathématiques et en français, il faut chercher quelles compétences un tel exercice est susceptible de développer. Pour le savoir, il faut expliquer l’exercice, au sens étymologique du terme ex-plicare, c’est-à-dire « déployer » toutes les activités qu’il doit mettre en oeuvre chez l’élève : le travail consiste à s’interroger sur le sens d’une énonciation française pour la traduire en latin avec l’adéquation attendue. Cet exercice requiert non seulement des compétences discursives d’analyse, de raisonnement, inductif ou déductif, mais entraîne aussi l’élève à examiner les conditions de l’énonciation, donc à se mettre à la place du locuteur pour sélectionner le bon énoncé dans la polyphonie liée aux diverses situations d’énonciation possibles. On le voit, il s’agit d’un raisonnement, certes, mais d’un raisonnement de et sur « l’être ». Réflexion et sensibilité, pourquoi vouloir scinder l’être humain – et les disciplines qu’il apprend – en deux univers ? Le latin comme le grec
constituent des apprentissages de mises en réseau.
3. Un outil didacticiel au service de la promotion de l’égalité des chances et de la réussite scolaire
Le défi actuel est de réussir en termes de résultats à faire accéder plus d’élèves en Seconde, sans pour autant diminuer les exigences de qualité. Quand on examine dans les collèges d’Education Prioritaire les indicateurs d’entrée et que l’on écoute les acteurs de terrain, on se trouve devant une équation que ces langues peuvent permettre de résoudre non pas comme disciplines spécifiques à enseigner, mais comme une autre façon d’« enseigner le français sans exclure » car il a la capacité intrinsèque de mettre en tension la formation intellectuelle et l’arrière-plan culturel –et l’approche par compétences permet de les cibler efficacement - sans lesquels ne sont possibles ni connivence, ni inclusion, ni accès au niveau IV.
Plus que jamais le professeur devra, à l’image de l’Antiquité, et comme l’humaniste Erasme l’a montré il y a presque un demi-millénaire dans son ouvrage De Rationi studii ac legendi interpretandique auctores, retrouver le plein sens des mots et reprendre l’attitude du paedagogus, littéralement de « celui qui mène l’enfant à l’école ». La référence est prégnante car le verbe contient la racine ag- qui désignait l’activité du berger de chèvres et chacun sait que pour mener des chèvres, à la différence du gros bétail, il faut les pousser devant soi… De même le pédagogue à la fin de l’année, lâchera la main de l’enfant pour le voir marcher devant lui, fortifié par l’enseignement qu’il aura reçu de son maître pour marcher de façon autonome comme un citoyen libre sur le chemin de son destin, réalisant ainsi la finalité de l’enseignement telle que l’expriment les compétences 6 et 7 du Socle commun.
Monique LEGRAND
Inspectrice d’académie
Inspectrice pédagogique régionale
Lettres