Présentation
Le choix de ce roman contemporain s’est effectué en fonction de différents critères : tout d’abord, il s’agit d’un texte doté de réelles qualités littéraires et donc intéressant à étudier tant sur le plan de l’énonciation que sur celui de la narration. Alice Ferney manifeste notamment une prédilection pour le style indirect libre et se plaît à croiser les consciences de ses personnages ; son usage du discours direct, jamais signalé par les signes typographiques traditionnels mais emporté par le flux narratif, est également très intéressant. D’autre part, ce roman aborde des thèmes qui résonnent d’une façon particulière pour les adolescents issus des quartiers difficiles, dits « sensibles » : l’exclusion, l’illettrisme, la tolérance, les rapports hommes-femmes, l’importance de l’éducation, la place de l’école et des livres. En nous introduisant au cœur d’un camp de gitans sédentarisés en banlieue parisienne, le livre d’Alice Ferney nous permet d’aborder un certain nombre de questions sociales, civiques, qui concernent directement la vie de nos élèves. En outre, il s’agit d’un roman contemporain et d’un roman écrit par une femme, deux qualités essentielles si l’on veut présenter la littérature à des jeunes de quinze ans comme étant vivante et proche et non pas envahie par « la poussière des vieux cabinets de lecture » (pour reprendre la formule de Flaubert se moquant des lectures d’Emma). Et comment donner de la chair à un livre, sinon en invitant son auteur ? La rencontre d’Alice Ferney a donné tout son sens à la séquence et a permis aux élèves de donner un visage, un corps et une voix à ce mot si vague, si abstrait d’ « écrivain ».
Déroulement de la séquence
Séance 1 : Découverte des Tziganes
Objectif : Culturel. Pénétrer dans l’univers particulier des Tziganes afin de mieux comprendre les personnages du roman.
Support : la recherche effectuée à la maison ; le CD « Voyage en Tziganie ».
Déroulement de la séance : 1h - Par groupe de deux, les élèves ont effectué des recherches sur ce peuple : ses origines, son histoire, ses déplacements géographiques, son mode de vie, sa (ses) religion(s)... Les différents groupes rendent compte de leur travail, font circuler leurs documents (cartes, photos, dessins) ; nous écoutons de la musique tzigane.
Séance 2 : Étude de l’incipit
Objectif : Comprendre la fonction d’un incipit de roman ; déterminer le point de vue du narrateur ; cerner la dimension critique du texte.
Support : les trois premiers paragraphes.
Déroulement de la séance : Lecture analytique de l’extrait.
Synthèse : Incipit informatif qui contribue à ancrer l’œuvre d’Alice Ferney dans la tradition du roman réaliste. Cette première page nous fait pénétrer dans un univers pauvre, voire misérable, mais investi par des êtres jeunes et pleins de vitalité. Le contraste est souligné par le regard du narrateur, à la fois critique et admiratif.
Séance 3 : Le titre
Objectif : S’interroger sur la forme et la fonction d’un titre de roman ; appréhender la notion d’ « horizon d’attente ».
Support : Première et quatrième de couverture ; l’ensemble du premier chapitre.
Déroulement de la séance : Place importante accordée à la lecture (pour soi et à voix haute) au cours de cette séance.
Synthèse : Le premier chapitre confirme et même renforce l’horizon d’attente créé par le titre : les gitans ont la particularité d’être à la fois gracieux et misérables, dans le dénuement le plus complet et cependant du côté de la beauté, de la grâce. Ces deux postures sont en eux simultanées et indissociables.
Séance 4 : Les personnages dans Grâce et Dénuement : travail de groupe
Objectifs : Réaliser un travail de synthèse : mettre en commun les recherches individuelles puis élaborer une synthèse la plus complète possible ; prendre la parole à l’oral ; travailler en groupe.
Support : L’ensemble du roman.
Déroulement de la séance : 2h - cinq groupes de six élèves, travaillant respectivement sur 1) Angéline, 2) Esther, 3) les hommes, 4) les femmes, 5) les enfants.
Contraintes : 40 minutes pour préparer la synthèse ; 10 minutes de passage à l’oral par groupe. La prestation est notée.
La synthèse comprend :
– une présentation physique et morale du (des) personnage(s) appuyée sur des citations bien choisies.
– une analyse du rôle du personnage dans le roman : personnage important ? déclencheur d’actions ? effacé ? à l’arrière-plan ?
– une interprétation du personnage : positif ? négatif ? qui suscite notre sympathie ? quel regard est porté sur lui par les autres membres de la famille ? par le narrateur ? par le lecteur ?
Séance 5 : « Elle lut comme si cela pouvait tout changer » I, 6
Objectif : L’éloge des livres et de la lecture (« la foi dans les histoires ») ; la focalisation ; les paroles rapportées.
Support : Première partie, chapitre 6, de « Esther étendit la couverture » à « en criant des mercis », p.50 en édition GF, 93-94 en édition « J’ai lu ».
Déroulement de la séance : Lecture analytique.
Synthèse : Passage important car il nous permet de mieux cerner le personnage d’Esther, de nous interroger sur ses motivations, sur le sens de son engagement. Passage à mettre en relation avec l’épigraphe, empruntée à Dante, et qui illustre d’une certaine manière le combat d’Esther : faire sortir les gitans de leur état de nature pour les ouvrir à la culture par le bias des livres.
Séance 6 : Étude thématique du chapitre I de la deuxième partie
Objectif : Un chapitre important, qui approfondit deux thèmes majeurs de l’œuvre : les rapports hommes/femmes et l’écart entre deux mondes, celui des gitans, les marginaux, et celui dit « civilisé », le nôtre. L’occasion également d’un arrêt sur le personnage central d’Angéline, dont on apprend à mieux cerner la philosophie de vie.
Support : L’ensemble du chapitre.
Déroulement de la séance : 1h - 1h30. Tableau à compléter par les élèves, mettant en évidence la séparation géographique des hommes et des femmes, la répartition de l’autorité et de la soumission, des paroles et des actes, du donner et du recevoir.
Synthèse : Incompréhension entre hommes et femmes : deux espèces différentes qui ne se parlent pas, ou peu. Le regard d’Esther sur cette façon de vivre : ce qui lui semble anormal, inconcevable, fait le quotidien des gitanes. Les deux mondes se heurtent ici avec violence. Face à elle, Angéline, un personnage paradoxal, riche et complexe, insaisissable par moments.
Séance 7 : Étude comparée : le combat pour l’école (III, 6)
Objectif : Étude de l’argumentation à travers le discours et l’attitude d’Esther, qui évoluent de la première à la deuxième entrevue : de la conviction à la persuasion, les différents arguments d’Esther et les effets produits sur la directrice.
Support : Le chapitre 6, en particulier les deux passages où Esther rencontre la directrice de l’école.
Déroulement de la séance : 1h30
– Situation du chapitre au sein de l’ensemble de la troisième partie.
– Composition du chapitre 6 et repérage des entrevues d’Esther avec la directrice ; délimitation des deux extraits à comparer.
– Étude comparative des deux entrevues d’Esther avec la directrice sous forme de tableau : pour chaque entrevue, il s’agit d’observer 1) qui parle le plus, 2) l’attitude de la directrice, 3) l’attitude d’Esther, 4) la caractérisation de la directrice, 5) la stratégie argumentative d’Esther, 6) l’issue de l’entrevue.
Synthèse : Importance de la focalisation interne ; un narrateur en empathie avec son personnage (selon son attitude, agacée ou attentive, la directrice est décrite différemment par le narrateur car perçue différemment par Esther).
Séance 8 : Temps et tempo dans Grâce et Dénuement
Objectif : Déterminer la temporalité et la structure du récit, s’interroger sur le rôle des ellipses et des analepses.
Support : la totalité du roman.
Déroulement de la séance : 1h. Les élèves ont, au préalable, relevé les différents indices qui permettent de mesurer l’écoulement du temps dans le roman. La classe est divisée en 4 groupes, chaque groupe travaille sur une partie du roman : nombre de pages, temps écoulé, indices temporels (dates, saison). Mise en commun qui permet de mesurer le rythme, ou tempo, du roman. Repérage de quelques moments de pause, des accélérations, mise au jour d’ellipses et d’analepses.
Synthèse :Mise au jour d’une narration en empathie avec le personnage principal : les ellipses dissimulent les absences d’Esther. C’est l’intéraction entre les deux mondes, celui des gitans et celui des « gadgés », qui prévaut.
Séance 9 : L’épilogue
Objectif : S’interroger sur le rôle de l’épilogue ; étudier la fin de l’œuvre en relation avec l’incipit et avec l’épigraphe ; montrer la circularité de l’œuvre et réfléchir au sens profond de l’histoire d’Esther (évolution de son rapport aux livres notamment).
Support : L’épilogue.
Déroulement de la séance : Lecture analytique.
Synthèse : L’épilogue met en évidence l’évolution du personnage d’Esther : ce n’est plus la même femme qu’au début, c’est une Esther qui a assimilé les leçons de sagesse d’Angéline, qui porte un regard moins naïf sur le monde, qui a pris conscience que contre la mort, la douleur, les mots (les livres) ne peuvent rien ; ils sont impuissants. Le roman se termine sur le début d’une autre histoire : celle de Petit Bond lue par Nadia. Ce n’est donc pas vraiment une fermeture, plutôt une ouverture sur autre chose, une autre histoire. Le mot final célèbre le plaisir de la lecture.
Séance 10 : Préparation de la rencontre avec Alice Ferney
Les élèves réfléchissent aux questions qu’ils souhaitent poser à l’auteur ; la première qui leur vient concerne la source d’inspiration du roman : s’agit-il d’une expérience vécue, Esther est-elle un double d’Alice Ferney, l’histoire a-t-elle une dimension autobiographique ? La seconde, du même ordre, porte sur le camp de gitan : Alice Ferney a-t-elle procédé comme Zola, s’est-elle rendue sur les lieux, a-t-elle rencontré des gitans ? Beaucoup des questions suivantes portent sur le parcours de l’auteur et sa vie d’écrivain.
Bilan de la rencontre avec Alice Ferney
Nous avons passé une heure et demie très fructueuse en compagnie d’Alice Ferney, qui n’a pas manqué de nous surprendre par ses réponses très franches. Non, Esther n’est pas une projection d’elle-même, c’est l’une de ses amies qui lui a inspiré le personnage ; quant à elle, c’est dans le personnage d’Angéline qu’elle a mis le plus d’elle-même. Non, elle n’a jamais rencontré de gitans mais a lu beaucoup de choses sur eux et a vu beaucoup de films ; non, elle n’a pas fait d’ études littéraires (elle est d’ailleurs professeur d’économie !) et oui, ses livres se vendent bien, elle pourrait d’ailleurs en vivre largement si elle renonçait à son métier d’enseignante. Voilà quelques-unes des réponses qui ont dérouté les élèves et leur ont permis de mettre un corps et un visage sur le nom qui figure en gras sur la page de couverture de leur livre et surtout sur ce mot si mystérieux d’ « écrivain ».
Suggestions complémentaires d’exploitation de l’œuvre
J’ai eu grand plaisir à travailler à nouveau sur cette œuvre cette année ; l’orientation a été différente puisqu’il n’était pas question de recevoir à nouveau l’auteur. J’ai donc eu le temps de travailler le roman sous un autre angle : le motif de la gitane dans la littérature, avec la lecture cursive de Carmen de Mérimée et une initiation au commentaire à partir d’un extrait de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (première apparition d’Esméralda).
J’ai été également tentée (mais n’ai pas eu le temps de concrétiser ce projet) par un travail plus approfondi sur les tziganes, par le biais du cinéma notamment : il aurait été possible de visionner quelques séquences de films qui leur sont consacrés (Gadjo dilo de Tony Gatlif par exemple, ou encore Le Cheval venu de la mer de Mike Newell, Chat noir chat blanc de Kusturica...) ; il aurait également été intéressant d’organiser une exposition au sein de l’établissement : le Centre des Études Tziganes met à la disposition des enseignants des valises contenant des documents photographiques et textuels sur les gitans ; le coût n’est pas très élevé mais il faut se déplacer pour aller récupérer le matériel qui est ensuite sous notre entière responsabilité.
Indications bibliographiques
– L’ouvrage d’Henriette Asséo sur les Tziganes chez Découverte Gallimard est une mine d’informations.
– Grâce et Dénuement est disponible dans la collection GF Étonnants classiques.