Présentation
L’objectif général de cette séquence était d’étudier une œuvre narrative complexe tout en mettant en évidence, notamment par l’entremise du personnage de Virginie, la valeur polémique et/ou novatrice du roman dans une époque donnée.
L’étude a été menée dans une classe de troisième d’un collège situé en ZEP, zone sensible, constituée de 33 élèves d’un niveau très hétérogène, peu passionnés par la lecture de manière générale et assez « dynamiques ».
Les élèves ont lu le roman au préalable : chaque séance concerne donc des passages qui sont censés être déjà connus par les élèves. L’édition choisie est celle proposée par la collection LIBRIO qui a l’avantage d’être peu onéreuse et d’offrir des ouvrages relativement courts ( une centaine de pages ) ce qui rassure les élèves, peu enclins à se concentrer longtemps sur une œuvre.
La séquence s’est déroulée de début novembre jusqu’aux vacances de Noël.
Déroulement de la séquence et suggestions
Séance n°1 : Biographie de l’auteur.
Les élèves ont eu à chercher, avant la séance, des éléments biographiques sur B.de Saint-Pierre (BSP, pour la suite). Deux ou trois élèves font une lecture de ce qu’ils ont trouvé : à chaque intervention, leurs camarades relèvent oralement ce qui leur paraît important et le professeur l’écrit sur le tableau, sans rédiger de phrases. Vers la moitié de l’heure, les élèves sont invités à proposer, oralement, une mise en forme des notes prises antérieurement. La biographie ainsi réalisée est suffisamment courte pour que les élèves puissent en mémoriser les éléments essentiels sans trop de peine.
Proposition de biographie :
BSP naît en 1737 dans une famille bourgeoise et ses premières lectures l’orientent vers le mystique et le romanesque. A l’âge de douze ans, un voyage à la Martinique le dégoûte des traversées et de la mer.
En 1757, il entre aux Ponts et Chaussées, se déplace beaucoup pendant une dizaine d’années durant lesquelles il change souvent de métier et manque fréquemment d’argent. Nommé « maître-maçon » à l’Ile de France, il se querelle avec de nombreuses personnes. A son retour en Métropole, il se lie avec Jean-Jacques Rousseau et publie ses premiers écrits, dont le succès est médiocre. Surgit une nouvelle période difficile, puis la consécration avec deux ouvrages : Etudes de la Nature et Paul et Virginie.
Il a, de son premier mariage, deux enfants : Paul et Virginie. Il meurt en 1814.
L’intérêt de cette biographie est de rendre les élèves sensibles au fait que BSP n’est pas un homme tout à fait ordinaire, ce qui le leur rend un tant soit peu plus sympathique...Ils conçoivent de surcroît qu’un certain nombre de détails de la vie de l’auteur n’ont pu qu’influencer la rédaction du roman.
Séance n°2 : Analyse du titre.
La séance se déroule sans travail préparatoire pour les élèves et se fonde, dans un premier temps, uniquement sur de l’observation.
Observation : Le titre se compose de deux noms propres (des prénoms), reliés par une conjonction de coordination - cela peut donner lieu à un rappel rapide des différentes conjonctions et de leurs fonctions/emplois.
Suggestions :
– Paul : les élèves réfléchissent sur ce que le prénom peut évoquer, autrement dit, sur les connotations. On aboutit à l’idée d’un prénom à connotation chrétienne.
– Virginie : le prénom suscite davantage de commentaires. Les élèves latinistes, en particulier, évoquent le fait que le mot latin virgo, inis (f) signifie : vierge, jeune femme, vestale ...
Interprétation(s) : Les deux prénoms semblent assez fortement connotés aux yeux des élèves qui proposent d’y voir des allusions à la religion, à la mythologie ou à l’Antiquité. Ce qui attire surtout leur attention c’est l’impression de pureté, d’innocence, de chasteté et de sacrifice personnel qui se dégage du personnage de Virginie et qui annonce la fin du roman.
En fin de séance une petite synthèse simple est effectuée sur les fonctions d’un titre de roman : fonctions référentielle, poétique et impressive.
Séance n°3 : L’incipit du roman.
Depuis p.7 « Sur le côté oriental... » jusqu’à p.8 « ce que ce vieillard me raconta ».
On fait réfléchir les élèves, qui connaissent déjà les caractéristiques essentielles du discours descriptif et celles du discours narratif, pour savoir qui raconte et qui voit. On leur fait prendre conscience du fait que « l’histoire » en elle-même ne commence vraiment qu’au moment où le vieillard prend la parole.
L’étude des divers champs lexicaux, des indices de l’énonciation, nous permet d’aboutir à la notion d’horizon d’attente que l’on montre comme une des fonctions de l’incipit.
De plus, les différentes étapes narratives permettent de mettre en valeur la structure enchâssée du récit.
La suite du récit, après la p.8, révèle la technique de l’ellipse narrative et peut donner lieu à un travail de rédaction qui vérifie la bonne compréhension de ce qu’est un narrateur, un point de vue, la fonction d’une description.
Sujet proposé : (cf.p.10)
Imaginez le récit fait par Mme de la Tour ou par Marguerite.
Votre devoir devra tenir compte de la narratrice choisie et intégrer une courte description. Vous veillerez à respecter les temps propres au récit dans le passé, à ménager un effet de retour en arrière et d’anticipation. Vous pouvez librement utiliser la 1ère ou la 3e personne.
Séance n°4 : L’art du portrait (p.15 et 16)
Les élèves observent tout d’abord quelle est l’organisation de ce diptyque : Virginie puis Paul. Ils peuvent d’ores et déjà pressentir que Virginie est un personnage plus important que Paul, dont le narrateur n’esquisse le portrait qu’à titre de comparaison.
Dans les deux portraits, c’est l’aspect physique, le regard notamment, qui est valorisé : les prémices de la féminité chez l’une, de la virilité chez l’autre. C’est l’occasion de travailler de nouveau sur les champs lexicaux, les connotations, mais aussi de voir ou revoir les procédés de comparaison et la métaphore.
La séance se termine sur une synthèse rapide de la fonction de ce portrait : faire connaître des personnages (le diptyque peut évoquer pour certains la peinture religieuse), mettre l’accent sur leur complicité (valorisation du regard), vérifier l’hypothèse émise à la séance n°2 d’une filiation mythologique (les enfants de Niobé), introduire dans le récit une pause durant laquelle est privilégié le regard du narrateur.
Séance n°5 : Synthèse sur les composantes du discours descriptif.
Caractéristiques :
– pause dans le récit
– imparfait de second plan
Fonctions :
– faire connaître les personnages, les circonstances de l’action et les rendre vraisemblables.
– susciter des impressions, créer une atmosphère, provoquer un effet d’attente.
Organisation :
– celui qui décrit ne montre pas tout, il choisit de représenter certains éléments plus évocateurs que d’autres, ce dans un certain ordre.
– on obéit à une logique des sens : le point de vue de celui qui décrit (narrateur ou personnage) est révélé.
Outils :
– lexique : l’espace, les verbes de position, prépositions, adverbes ; les sensations et perceptions.
– temps verbaux : imparfait.
– expansions du nom.
– comparaisons, métaphores.
– expressions privilégiant un état : tournures passives, pronominales, verbes attributifs.
Séance n°6 : Compte-rendu du devoir de rédaction.
Séance n°7 : L’esclavage et Virginie. (p.18 et 19)
La comparaison entre la présentation de l’esclave et celle du maître permet, une nouvelle fois, d’insister sur l’importance de Virginie à la fois « ange » et femme, qui est le centre de cet épisode.
Questions pour préparer la séance n°8 :
A quels types de discours appartient ce passage ?
Quelle est l’organisation du passage ?
Qui parle ? Qui voit ?
A quels temps se trouvent, le plus souvent, les verbes ?
Séance n°8 : p.29 et 30, « Sur ses flancs bruns..., et de leurs amours ».
L’objectif de la séance est de réaliser une lecture méthodique de l’extrait. Les élèves répondent brièvement aux questions posées lors de la séance précédente.
Dans un second temps, à l’aide de questions orientées, posées par le professeur, ils réalisent, pas à pas, une lecture méthodique du passage, selon les trois axes suivants :
I . Une description organisée
– Indices spatiaux : description ascendante et découverte graduelle des lieux.
– Champs lexicaux de l’ornithologie et de la botanique (cf. éventuellement, J.-J. Rousseau).
– La présence des personnages : une espèce de pastorale, de tableau champêtre duquel Virginie est le centre quasi divin.
II. Une description imagée : un essai de transformation esthétique
– Périphrases, comparaisons, métaphores.
– Interprétation des images :
- une nature magnifiée et déifiée.
- une nature où les éléments se répondent (cf. Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent »).
- une nature qui imite l’art humain.
– La fontaine : un espace réel et symbolique.
III. Le bonheur : la tentation de l’exotisme et de la solitude
– Harmonie des êtres et de la nature : une conception rousseauiste.
– Dépaysement du lecteur : exotisme et mythe des enfants de la nature.
– Un plaidoyer pour la vie en retrait.
– Une certaine utopie : une société parfaite en miniature.
En dernier lieu et en guise de synthèse, on peut proposer aux élèves un sujet un peu plus « littéraire » pour les initier d’une certaine manière à leurs futurs travaux au lycée :
« J’ai tâché d’y peindre un sol et des végétaux différents de ceux de l’Europe...J’ai désiré réunir à la beauté de la nature entre les Tropiques, la beauté morale d’une petite société. Je me suis proposé aussi d’y mettre en évidence plusieurs grandes vérités, entre autres celle-ci, que notre bonheur consiste à vivre suivant la nature et la vertu ». BSP, Avant-Propos de Paul et Virginie.
L’extrait précédemment étudié vous semble-t-il répondre aux objectifs que BSP prétend s’être fixés ?
Exercice :
Quels personnages historiques ou mythologiques se cachent derrière ces périphrases ?
– la fille de l’écume
– le maître de l’Olympe
– le père de la fable
– le fléau de Dieu
– le Malin
– le Vert-Galant
– le Petit Caporal
– le petit père des peuples.
Séance n°9 : La naissance de l’amour, p. 36 sq.
On procède à la correction de l’exercice proposé sur les périphrases en explicitant le sens de celles qui semblent les plus obscures et qui n’ont pas été « percées » à jour.
Les élèves relisent rapidement le texte et font de brefs commentaires oraux. Il s’agit à nouveau d’insister sur Virginie qui, plus sensible et plus mûre que Paul, prend conscience des tourments de l’amour. Les antagonismes entre filles et garçons se réveillent. Cela donne le loisir de proposer un sujet de rédaction (de type « imagination ») à faire en classe ou à la maison :
Il vous est déjà arrivé d’éprouver un sentiment (quel qu’il soit) et d’être dans l’impossibilité de l’exprimer ou de l’avouer. Racontez.
Séance n°10 : Compte-rendu de la rédaction (donnée en séance n°8).
Séance n°11 : La fin du roman
Il s’agit de faire comprendre l’importance que revêt la mort de Virginie et de montrer le parallélisme entre les dernières lignes du roman et l’incipit. Plus qu’un travail de détail, les élèves vont s’efforcer d’avoir une vision d’ensemble de l’œuvre en « reconvoquant » leurs connaissances et en utilisant les hypothèses ou analyses des séances précédentes.
Les élèves sont amenés à s’interroger sur les raisons de la mort des personnages, principalement de Virginie : les réponses peuvent être variées mais acceptables du moment qu’elles sont justifiées et qu’elles ne constituent pas un contresens complet sur le roman. _ L’idée est que la disparition de Virginie, emblème de vertu et d’harmonie, ruine par nécessité l’idéal évoqué par BSP. Mais elle le pose surtout définitivement comme une utopie, et annonce d’une certaine manière un état d’esprit qui se rapproche de celui du XIXème siècle (évoquer Chateaubriand, par exemple). Sans Virginie, les autres personnages -mais aussi la nature- n’ont plus de raison « narrative » d’exister.
En fin de séance, on peut distribuer aux élèves La jeune Tarentine d’André Chénier à titre de comparaison, et pour mettre en lumière les idées de lieu commun et d’intertextualité.
Cette ultime séance est le moment de réaliser une brève synthèse sur l’œuvre en reprenant les points essentiels qui ont été abordés.
N.B. La construction de cette séquence s’est appuyée sur le travail réalisé par Françoise CESPEDES de l’Académie de Versailles, publié dans le n°10 de L’école des Lettres 1997-1998, sur les manuels de Lagarde et Michard ainsi que sur divers manuels de collège et de lycée.