Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les dispositifs à mettre en œuvre pour aiguiser l’esprit critique des élèves en classe et hors la classe, afin de leur permettre d’accéder à une lecture distanciée des contenus et des formes médiatiques.
Comment l’enseignant peut-il amener ses élèves à opérer des choix pertinents pour s’informer ? Comment les faire entrer dans une véritable démarche dynamique pour les initier à l’esprit critique ?

Dans cette perspective, un parcours scénarisé de e-éducation sur la plateforme académique Eléa a été proposé à une classe de 3^ème, option « classe médias ».
Consulter le parcours « La presse et les médias : entre information et manipulation » (en l’état, ce parcours n’est accessible qu’aux personnels de l’académie de Versailles ; cependant, le Genially qui apparaît plus bas permet de se faire une idée de son organisation et de son fonctionnement).

De la nécessité d’éduquer l’esprit critique des élèves

Des difficultés

Les difficultés rencontrées par tout un chacun

La société médiatisée dans laquelle nous vivons expose tout un chacun à un ensemble de difficultés :

• la surexposition à l’information ;
• l’abondance des sources proposées, toutes mises au même niveau ;
• le manque de recul et les difficultés à décrypter « qui parle et d’où » ;
• la modification du circuit de l’information - de sa production à sa réception ;
• la confusion entre l’exposition d’un fait et l’expression d’une simple opinion, d’une croyance ou d’une rumeur.

Les difficultés constatées chez les élèves dans les pratiques de classe
L’un des défis des années à venir est d’être capable d’accompagner nos élèves dans leur construction intellectuelle au sein d’un monde médiatique soumis à une évolution constante et accélérée.

En classe, les élèves doivent faire face à plusieurs types de difficultés :

• une méconnaissance du processus de construction de l’information et de son circuit ;
• des difficultés à sélectionner et évaluer l’information en fonction de critères de pertinence et de fiabilité ;
• des difficultés à débattre et à défendre un point de vue.

Enseigner l’« esprit critique » ?

En reprenant les propos de Jérôme Grondeux, historien et inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, dans la vidéo ci-dessous, on peut définir la notion d’esprit critique comme « un ensemble d’attitudes, de procédés, d’habitudes que l’on prend dans notre manière d’aborder les choses ».

Or, Gérard de Vecchi, qui s’est attaché à développer le concept d’« esprit critique » [1] en partant des représentations des élèves et des enseignants, rappelle un point essentiel : les élèves confondent, très souvent, « critiquer » et « avoir un esprit critique ».

Avoir l’esprit critique, c’est être curieux et ouvert au monde, [...] considérer la critique comme une action constructive [2].

Travailler l’esprit critique suppose donc de déplacer certaines représentations des élèves. L’esprit critique est de fait une approche positive et réflexive qui demande aux élèves de s’engager dans une démarche métacognitive.

Source : schéma extrait du Vademecum éduscol sur l’Education aux médias et à l’information (EMI )

Développer l’esprit critique des élèves est un objectif qui incombe à l’ensemble des disciplines enseignées au collège et au lycée [3]. En cours de français, cela permet de travailler plusieurs compétences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture :

• devenir un lecteur autonome,
• lire des textes non littéraires, des images et des documents composites (y compris numériques),
• passer du recours intuitif à l’argumentation à un usage plus maîtrisé.

Un parcours scénarisé comme levier pour développer l’esprit critique

En tout début d’année, le jeu pédagogique « classe investigation », créé par le Clémi, a été proposé à la classe. L’expérience a mis en lumière les difficultés rencontrées par les élèves à sélectionner les informations et à juger des sources. Le professeur a donc jugé utile de proposer aux élèves un travail qui leur permettrait de renforcer ces compétences, sous la forme d’un parcours scénarisé Éléa : « La presse et les médias : entre information et manipulation ».

Pourquoi un parcours Éléa ?

Le choix d’Éléa s’est imposé naturellement, car il s’agit d’une plateforme moodle RGPD accessible depuis les ENT des collèges et lycées de l’académie de Versailles. Elle offre la possibilité de créer facilement des parcours pédagogiques scénarisés à destination des élèves, pour mettre en œuvre un enseignement hybride ou distanciel. Elle donne la possibilité de pouvoir faire interagir les élèves entre eux, de les faire coopérer et confronter leurs points de vue. Le parcours scénarisé suscite pleinement l’engagement de l’élève, car il lui permet de s’approprier des démarches intellectuelles, à son rythme et de façon autonome, en laissant la possibilité de recommencer certaines activités.

Présentation du parcours

Ce parcours, à réaliser sur une période de trois semaines, a trait au processus de fabrication de l’information. Il se donne pour objectif, dans son déroulement même, de faire entrer les élèves dans une démarche rigoureuse :

• repérage des éléments pertinents,
• apprentissage de réflexes face aux informations,
• approche des spécificités de l’écriture journalistique,
• croisement et confrontation permanente d’informations.

En apprenant à sélectionner et à évaluer une information en fonction de critères de pertinence et de fiabilité, en réfléchissant sur le processus de fabrication de l’information, les élèves accèdent à une lecture distanciée des contenus et des formes médiatiques et développent in fine leur esprit critique.

Le document Genially vise à rendre compte, de façon synthétique et immédiate, de l’esprit et des contenus du parcours Éléa proposé aux élèves.

Scénarisation pédagogique et démarche didactique

Étape 1 : « Adopte les réflexes anti-intox »
Il s’agit d’une phase de découverte, de sensibilisation et de première expérimentation. L’objectif de cette première étape est de dégager une démarche pertinente pour traiter une information (brève, puis plus développée) qui est présentée comme vraie.

• La première activité proposée se présente sous la forme d’un questionnaire « vrai / faux ». Ce dernier comporte six informations très surprenantes. L’élève a pour consigne de répondre intuitivement.
  Cet exercice doit l’amener à s’interroger sur ses présupposés et sur ses représentations. Il s’agit aussi de se questionner sur la distinction entre le « vraisemblable » et le « vrai ». Une fois la tâche effectuée, l’élève a immédiatement la correction via la plateforme qui permet une rétroaction immédiate. L’enseignant propose alors au groupe de formuler, à l’oral, un retour d’expérience. Les élèves s’accordent à dire qu’on ne peut légitimement se contenter d’une simple intuition pour confirmer ou infirmer la véracité d’une information. Un travail rigoureux de vérification des faits semble une étape indispensable. Dans un second temps, l’élève visionne un court replay de l’émission « Info ou intox » de la chaine d’informations France 24. Des journalistes proposent une démarche analytique pour déjouer les pièges d’Internet. La tâche demandée consiste à lister les différents conseils pour identifier une intox. Ces critères sont à noter car ils seront réexploités dans la suite du parcours.

• La seconde activité du parcours est plus complexe : un texte accompagné d’une photographie, et présenté comme un article de presse issu d’un journal scientifique, est proposé à la lecture et à l’analyse. Il a pour thème la fuite de crocodiles du Zoo de Vincennes. Les élèves ignorent la source du document : il s’agit d’un article extrait d’un journal parodique en ligne. Ils doivent répondre à différentes questions portant sur le paratexte de l’article (titre, choix et légendes des photos, commentaires des internautes). On leur demande également d’effectuer un travail de recherche sur la fuite des crocodiles, afin d’exprimer leur point de vue sur la véracité de l’article. L’élève doit organiser son propos et exprimer oralement son point de vue en s’enregistrant directement sur la plateforme à l’issue de cette étape du parcours.

Étape 2 : « Apprends à aiguiser ton regard »
Dans cette seconde partie, l’élève réalise différentes activités visant à travailler la pertinence de son regard sur une image fixe, puis mobile. On se centre ici sur la manipulation des images. La question de l’angle choisi pour réaliser une image et la notion de cadrage sont au cœur des activités proposées.
Les élèves sont invités à vérifier l’authenticité d’un cliché en utilisant la procédure analytique énoncée en début de parcours. Un photomontage viral d’une fillette australienne, portant un masque à gaz et tenant un koala dans ses bras avec en arrière-plan un immense brasier, est proposé à l’étude.
Pour s’auto-corriger, les élèves consultent une vidéo du média Brut. Les activités suivantes amènent à s’interroger sur les notions de cadrage et de point de vue. Elles ont pour objectif de faire comprendre dans quelle mesure l’angle choisi est primordial puisqu’il influe fortement sur notre perception, et donc notre jugement.

Étape 3 : « Familiarise-toi avec l’écriture journalistique »
Dans cette troisième étape du parcours, les élèves lisent un article de presse et doivent se questionner sur sa véracité. Chaque élève est d‘abord invité à proposer au moins un argument dans un forum sur la plateforme Éléa pour défendre son opinion. Différentes activités les conduisent ensuite à se familiariser avec les codes de l’écriture journalistique, notamment le recours à la voix passive (les faits seuls sont mentionnés) et à la modalisation (certitude, possibilité, doute). Elles sont complétées par différents exercices d’identification et de manipulation de ces procédés.

Étape 4 : « Mène l’investigation et confronte ton point de vue »
Dans cette dernière étape du parcours, un article de presse est à lire et à décrypter. Les élèves doivent rédiger un paragraphe argumenté d’une quinzaine de lignes en répondant à la question suivante : selon toi cet article de presse développe-t-il une info ou intox ? Il est demandé d’utiliser des arguments portant autant sur le fond que sur la forme de l’article pour justifier son point de vue.
Une fois le fichier texte déposé sur la plateforme, chaque élève se voit attribuer une copie et rédige une appréciation sur cette dernière. L’élève doit être capable d’évaluer la pertinence de la réflexion de son camarade en se servant des critères construits pendant le parcours.

Retour sur le projet

Objectifs atteints

In fine, le parcours a permis aux élèves :

• d’identifier et de caractériser différentes sources et différents modes d’expression des médias ;
• de distinguer les sources d’information et d’évaluer leur validité ;
• d’apprendre à traiter et à évaluer les informations données de manière critique ;
• de se questionner sur la fiabilité d’une information.

Pensé comme un tout, il donne l’opportunité de travailler toutes les compétences disciplinaires :

• Lire – Lecture de différents articles au fil des activités ;
• Dire – Moments d’expression orale pour initier les élèves, en situation, à l’argumentation ;
• Écrire – Production d’écrits de travail de plus en plus longs et construits, pour aboutir à une production finale sous la forme d’un paragraphe argumenté ;
• Étude de la langue - Expression et emploi du passif.

Usages possibles du parcours

Le dispositif, pensé pour une classe Médias, peut cependant être réadapté dans un cadre différent, par exemple dans le cadre de la semaine de la presse.
Comme chaque partie constitue une unité indépendante, avec un objectif et une logique propres, les parties peuvent être utilisées, par le professeur, dans un ordre différent ou séparément, en fonction de sa classe et des objectifs visés. Dans le cadre d’une séquence de lettres sur le thème « informer, s’informer, déformer » pour une classe de 4^ème, il peut par exemple convoquer uniquement :

• l’étape 1 « Adopte les réflexes anti-intox » en guise d’introduction à la séquence pour alerter les élèves sur le problème qui se pose ;
  ET/OU
• l’étape 2 « Apprends à aiguiser ton regard » pour intégrer à la réflexion le cas spécifique de l’image soit en cours de séquence, soit en guise de conclusion et d’ouverture ;
  ET/OU
• l’étape 3 « Familiarise-toi avec l’écriture journalistique » en cours de séquence pour inviter à réinvestir les notions déjà vues sur le passif et pointer sur quelques caractéristiques de l’écriture journalistique ;
  ET/OU
• l’étape 4 « Mène l’investigation et confronte ton point de vue » comme activité bilan autonome de fin de séquence.

Points de vigilance

La plateforme Éléa est une ressource intéressante pour travailler l’exercice de l’esprit critique avec les élèves, mais il faut rappeler que cet outil nécessite un accompagnement pédagogique de la part de l’enseignant. Intervenir dans un forum ou déposer des documents pour un travail coopératif demandent de la part des élèves une certaine expertise. Pour des collégiens, il est nécessaire de ménager un temps d’apprentissage de ces outils et de les intégrer dans les habitudes de fonctionnement de la classe pour garantir l’efficacité du travail.
Quelle que soit l’organisation que l’enseignant met en place, il semble intéressant de proposer, tout au long de l’année, plusieurs temps de réactivation des réflexes exercés dans le cadre de ce dispositif afin, que les élèves s’approprient une véritable démarche méthodique, réfléchie et volontaire, dans le traitement de l’information en vue de l’acquisition d’une réelle autonomie intellectuelle.