Démarche pédagogique
La démarche proposée repose sur le principe de l’enquête policière selon un « jeu de rôle » dans lequel les élèves sont recrutés en tant que nouveaux agents du L.B.I (Latin Bureau of Investigation), qui doivent faire leurs preuves en résolvant des affaires non encore élucidées de « disparitions » de mortels, métamorphosés par les dieux, dont Ovide rapporte les faits dans ses Métamorphoses.
Pourquoi étudier Les Métamorphoses d’Ovide ?
Dans le cadre des programmes de FCA, l’étude des Métamorphoses d’Ovide entre en résonance avec l’objet d’étude n°2 « Guerre et paix entre dieux et mortels, comprendre ce qui rassemble et divise ». Dans les récits antiques et donc dans les Métamorphoses, hommes et dieux se côtoient et partagent des aventures communes. Tantôt dieux et déesses épousent la cause d’un ou d’une mortelle, tantôt ils lui font obstacle dans une lutte acharnée.
Cette étude fait également écho au programme de français de 6ème avec le thème « Le monstre, aux limites de l’humain ».
Enfin, même si, dans la représentation que l’on en a, Les Métamorphoses ne figurent pas au premier rang des textes fondateurs, nombreux sont ceux qui en connaissent les histoires, véhiculées aussi par les tableaux, sculptures et œuvres musicales. Faire découvrir aux élèves de FCA les récits des Métamorphoses permet de compléter le travail fait en classe de français sur les récits fondateurs et contribue en même temps à la construction de leur culture littéraire et artistique en les initiant à des motifs narratifs et figuratifs maintes fois revisités à travers les arts.
Pourquoi la démarche de l’enquête policière ?
L’enquête policière est un moyen facile d’intéresser les élèves, car le genre du roman policier est, en général, plébiscité par tous, et ce, dès le primaire.
Par ailleurs, il nous semble que le principe sous-tendu par la logique de l’enquête recoupe ce qui est au fondement de toute démarche en cours de français : la démarche de l’enquête place les élèves en situation de lecteur actif face aux textes et les aide à développer, in situ et en actes, les stratégies de lecture qui forgent le lecteur autonome, en leur apprenant à s’appuyer sur des indices du texte pour en construire le sens. Placer les élèves en position d’enquêteurs les pousse à entrer dans la compréhension du texte littéraire et à mieux se l’approprier.
Le jeu de rôle assure la mise en place d’une démarche coopérative et permet à chacun, selon ses compétences, de jouer un rôle dans la construction des savoirs. Elle rend l’élève acteur de la démarche de recherche, tout en le rassurant, par le réemploi de la même méthode, métamorphose après métamorphose.
Enfin, le processus réflexif dû à l’enquête devant être traduit en mots pour clore les dossiers, les petites phases d’écriture personnelle permettent de travailler l’axe grammatical du programme, soit de manière différenciée, au sein de chaque groupe selon les difficultés rencontrées, soit de manière collective, à l’échelle de la classe, quand le professeur voit en circulant entre les groupes qu’une erreur, se répétant partout, mérite un temps de reprise commune pour consolider la notion.
Déroulé d’une affaire
Une affaire se déroule toujours de la même façon : observation de la scène de crime en prenant appui sur un document, étude de la déposition du témoin Ovide, synthèse et conclusion. Ce cadre sécurisant permet ainsi aux élèves d’entrer dans la tâche avec une confiance, une efficacité et une autonomie qui grandissent, affaire après affaire, d’autant que les élèves sont invités à enquêter en groupes de trois à quatre élèves selon leurs affinités.
Pour illustrer le propos, les exemples sont tirés de l’affaire Diane/Actéon.
Étape 1 : étude de la scène de crime
Les élèves sont, tout d’abord, invités à observer la « scène de crime », point de départ de toute enquête policière qui se respecte.
Il faut d’ailleurs, ici, prendre un temps pour expliquer aux élèves la nature des supports visuels utilisés : peinture et sculpture. Ce sont en effet les moyens par lesquels ces histoires sont arrivées jusqu’à nous. La photographie, support visuel habituel pour rendre compte d’une scène de crime de nos jours, n’existait pas dans l’Antiquité. Ce n’est en effet pas toujours évident pour tous les élèves, certains, notamment, n’ayant qu’une vague idée de la manière dont l’Antiquité se situe dans le temps par rapport aux autres périodes historiques.
Et autant le support « peinture » ne pose aucun problème, autant le support « sculpture » amène les élèves à dire, très souvent - si c’est une sculpture qui est choisie lors de la toute première enquête notamment -, que l’être humain est métamorphosé en pierre. Il faut bien expliquer, alors, que la pierre en question n’est que le support de présentation de la métamorphose et non sa nature.
Pour permettre aux élèves d’aborder au mieux la « scène de crime », donc, le professeur choisira l’œuvre d’art qu’il trouvera la plus significative pour montrer le moment charnière de la métamorphose - puisque là est bien « le crime » dont sont accusés les dieux - moment où l’être humain est en train d’être métamorphosé, encore à moitié humain, mais déjà plus tout à fait, puisque déjà à moitié plante, animal ou autre. En outre, la sélection de l’œuvre s’opère aussi sur des critères à même de faire faire le plus d’hypothèses aux élèves : présence du dieu impliqué dans l’affaire, qu’il faudrait pouvoir reconnaître le cas échéant, et/ou présence de « personnages secondaires » ou accessoires propres à définir ce qu’était en train de faire la « victime » au moment de la métamorphose, tout ce qui peut mettre les élèves sur la piste des circonstances et de la cause de la métamorphose.
En l’occurrence, pour l’affaire Diane/Actéon, il nous a semblé opportun de sélectionner le groupe sculpté par Paolo Persico, assisté de Pietro Solaris et Angelo Brunelli, pour le parc du palais royal de Caserte en Italie, où on voit Actéon, déjà affublé de la tête de cerf que lui destine Diane, mais encore humain, en train de chasser, avec la meute de ses chiens qui se retournent contre lui ; une sculpture donc riche en sens, sans pour autant être transparente.
Comme on peut le voir sur le document ci-dessous, qui est la première partie du document d’enquête distribué aux élèves, ces derniers sont invités, pour répondre aux questions support de l’enquête, à noter, directement autour de l’image, leurs hypothèses, en pointant les détails de l’image les ayant suscitées :
1. En quoi la victime est-elle métamorphosée ?
2. Qu’était-elle en train de faire au moment de la métamorphose ?
3. Quelle divinité est coupable de la métamorphose ?
4. Quelle est la raison de la métamorphose ?
Aidés par le support visuel et portés par la dynamique de groupe, les élèves ne rencontrent pas lors de cette première phase, quel que soit leur niveau, de difficulté particulière.
Après ce temps donné en autonomie, pendant lequel le professeur a circulé entre les groupes pour valider toute hypothèse plausible pour chaque question posée, un retour avec l’ensemble de la classe est fait sur les propositions des élèves, afin que tous partent sur les mêmes bases pour la suite.
En effet, certaines informations apportées par l’image ne demandent qu’à être confirmées : la nature de la métamorphose par exemple, car il ne fait absolument aucun doute, rien qu’à regarder l’image, que l’être humain est en train d’être métamorphosé en cerf ici ; en s’appuyant sur le carquois et l’arc portés par Actéon, le professeur peut amener les élèves à comprendre ce que faisait le personnage au moment de la métamorphose.
D’autres informations par contre, comme le nom de la victime, le rôle des chiens dans l’histoire, la divinité incriminée (puisqu’on ne la voit pas sur l’image), ou la cause de la métamorphose font débat : la plupart du temps, en voyant les chiens attaquer, les élèves imaginent qu’ils appartiennent à la divinité incriminée, qui les envoie pour exercer une forme de vengeance contre l’être humain ; leur présence, ainsi que la métamorphose de nature animale, font dire également aux élèves qu’il s’agit d’une divinité des animaux, qui veut punir l’être humain d’avoir chassé un de ses animaux préférés, comme il est écrit sur l’image ci-dessus. Rares sont ceux qui trouvent toutes les bonnes réponses, dès l’étude de la scène de crime ; la découverte du mythe se fait progressivement, au gré des activités et grâce à l’alternance entre les temps de travail en autonomie, par groupes, en groupe classe. Et si certains élèves, parce que férus de mythologie, trouvent tout de suite, le professeur fera d’eux ses complices pour qu’ils ne divulguent rien d’essentiel aux autres. Toutes les questions restées en suspens permettent de passer à l’étape 2.
Étape 2 : étude de la déposition du témoin Ovide
Une scène de crime ne pouvant fournir toutes les clés de la résolution d’une enquête, le professeur fait s’interroger les élèves sur les autres moyens de les trouver.
La convocation des témoins de la scène pour confirmer, infirmer ou compléter les hypothèses formulées lors de la première étape, surgit toujours assez rapidement dans l’esprit des élèves. Cependant le terme de « déposition » ne leur venant pas d’emblée, au profit de « témoignage » bien souvent, il faut donc l’expliciter avant de continuer.
Toujours en équipes, les élèves lisent donc la déposition du témoin Ovide [1] et y surlignent les informations nécessaires, comme on peut le voir sur la photographie ci-dessous :
Puis, comme pour l’étape précédente, la mise en commun permet de vérifier que toutes les équipes ont surligné tout ce qu’il fallait et que les élèves ont sélectionné, à chaque fois, les passages les plus pertinents. Par exemple, en ce qui concerne la cause de la métamorphose, les élèves ont choisi, selon le document ci-dessus, de retenir les mots suivants : « elles sont toutes nues ». Ce n’est pas faux, mais la véritable cause de la métamorphose est la colère d’Artémis pour avoir été vue, elle, nue. Il valait donc mieux choisir les mots suivants : « ainsi rougit la déesse exposée sans voiles aux regards d’un mortel » ou « Maintenant va donc raconter que tu m’as vue sans voile ! ». Les élèves seront invités ultérieurement à s’appuyer sur ces indices pour reformuler, d’abord à l’oral, puis à l’écrit ce qui est advenu.
Étape 3 : synthèse
Puis, grâce aux informations soulignées dans l’étape 2, les élèves remplissent la synthèse du document d’enquête, avec leurs propres mots, en rédigeant le mieux possible.
Comme ils sont toujours en équipe, c’est l’occasion ici d’échanger entre eux à propos de ce qu’ils ont compris évidemment, mais aussi d’échanger à propos de la correction de la langue, afin que des compétences comme la copie sans erreurs et la relecture réfléchie pour corriger des erreurs d’orthographe grammaticale puissent être sollicitées.
En l’occurrence, comme le montre le document ci-dessous, les élèves ont correctement recopié les noms de Diane et Actéon, ainsi que le nom de la nature de la métamorphose. La phrase d’explication concernant le mobile est correcte dans sa syntaxe, il n’y a que l’accord du participe passé avec l’auxiliaire « avoir » qui demande à être corrigé. Ce fut d’ailleurs l’occasion de revoir ce point de grammaire avec toute la classe ; en passant parmi les élèves pendant qu’ils remplissaient la synthèse, le professeur avait pu constater que nombre d’entre eux avaient fait la même erreur.
Nous voyons donc que, tout en traitant l’axe culturel du programme, on peut, à l’occasion de cette étape 3 de synthèse, comme à la suivante, rejoindre l’axe grammatical du programme. Et les élèves voient toujours davantage l’intérêt de la grammaire quand elle vient à l’appui de ce qu’ils écrivent eux-mêmes, ce qui est le cas dans cette étape, comme dans la suivante.
Étape 4 : conclusion de l’enquête
Enfin, à partir de la synthèse réalisée au cours de l’étape 3, les élèves peuvent clore le dossier en disant si oui ou non la divinité est coupable d’avoir métamorphosé l’être humain et pour quelle raison. Et ils peuvent dire également si la victime a subi un sort juste ou injuste et pourquoi.
Sur le document élève ci-dessous, on voit que les élèves ont bien compris l’histoire et donc bien résolu l’enquête, puisque ce sont les bonnes mentions qui sont entourées et que les justifications écrites sont cohérentes.
De nouveau, le professeur trouve matière à faire réfléchir les élèves à la correction de la langue, en proposant un accompagnement différencié, puisque c’est toujours à partir de ce que les élèves ont décidé d’écrire que tel ou tel point de grammaire peut être explicité. D’après le document ci-dessous, on pourrait, individuellement ou collectivement, selon les besoin du groupe :
- faire réfléchir à l’accord de « accusé », mis en apposition à « elle », qui désigne Diane ;
- proposer de travailler sur l’énoncé « elle la transforme en cerf » pour poser la question du sens et faire adapter l’orthographe à ce que le scripteur voulait signifier ;
- réfléchir aux places possibles pour le groupe « sans faire exprès » ;
- conduire une réflexion sur la manière de ponctuer notamment la dernière phrase : « La victime subit un SORT JUSTE / un SORT INJUSTE par ce qu’il n’a pas fait exprès en plus il meure (sic) à la fin. »
Question sensiblement plus pointue, on peut également expliquer la nécessaire utilisation du mode de l’indicatif après « après que », et non le mode subjonctif qu’emploient les élèves « après qu’Actéon l’ait vu faire » : une occasion de faire toucher du doigt la valeur aspectuelle du subjonctif, chemin faisant.
Pour une étude des relations entre les hommes et les dieux
Le principe de l’enquête policière, ci-dessus explicité, peut être appliqué à n’importe quel récit de métamorphose.
La multiplication des études de cas permet d’aborder, dans le cadre de l’objet d’étude n°2 « Guerre et paix entre dieux et mortels, comprendre ce qui rassemble et divise », toute la complexité des relations entre dieux et mortels. Elle permet également, dans la perspective du « parcours citoyen », d’engager avec les élèves un débat sur les notions de responsabilité et culpabilité.
Selon la métamorphose choisie, il sera possible d’étudier avec les élèves les différents motifs qui président aux relations entre dieux et mortels :
- la lutte entre dieux et mortels, comme ici entre Diane et Actéon ;
- l’entraide, comme pour Daphné, métamorphosée par son père Pénée pour échapper à Apollon, qui n’est pas vraiment coupable de l’aimer puisqu’il est victime lui-même d’une machination de Cupidon ;
- le mortel victime des luttes des dieux entre eux : Callisto, par exemple, est métamorphosée par Junon en ourse, par vengeance ; puis Jupiter la métamorphose en constellation pour lui éviter le sort funeste d’être tuée par son fils Arcas.
On pourra également imaginer de faire élucider conjointement un ensemble d’affaires de métamorphoses relatives à un même dieu : Jupiter responsable des métamorphoses de Callisto, Io et Sémélé, par exemple.